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LES PAYS-BAS
AVANT ET DURANT
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LES PAYS-BAS
AVANT ET DURANT
LA
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TABLEAU HISTORIQUE. GÉOGRAPHIQUE, PHYSIQUE, STATISTIQUE ET ARCHÉOLO-
CIQUE DELA BELGIQUE ET DE LA UOLLAtiDE, DEPUIS LES PREMIERS TE3IPS
HISTORIQUES JCSQUAU 6"°' SIÈCLE;
A.-G.-B. SCHAYES,
EMPLOYJÈ US PREMIÈRE CLASSE A.VX ARCHIVES G]Én£rALES DE LA. BELCJQUg .
MEMBRE DE PLUSIlitlRS SOCIÉTÉS LITTÉRAIRES,
Rei ardua , vetustis novitatent dare , novis
autoritatem , obsoletis nitorem , obscuri»
lucem , fastidicis gratiani, duhiis fidem.
(.C Plin., prœf, hist. mundi.)
TOME PREMIER.
BRUXELLES ,
ÉTABLISSEMENT ENCTCLOGR VPUIQUE , FAUBOURCi DE l'LANDRE, ^" 14.
1837.
PRÉFACE.
c( S'il y a quelque chose de véritablement instructif et
intéressant dans l'histoire d'un peuple ou d'une province ,
ainsi s'exprime le savant évéque d'Anvers, de Nelis, c'est
de savoir depuis quand et de quelle manière le pays a
commencé à être cultivé; comment et par quels degrés
le peuple s'y est civilisé; d'où lui viennent ses usages,
ses lois, et la plupart de ses institutions sociales; quel
rapport enfin tout cela a avec son état actuel (1). »
Si cet axiome est applicable à tous les pays il n'en est
certes aucun oii il puisse être moins contesté qu'en Bel-
gique. En effet, quoi de plus intéressant pour l'ami de
la civilisation , que de comparer l'aspect sauvage et inculte
que présentait notre patrie il y a dix siècles, avec la splen-
deur et l'éclat qu'elle étale de nos jours ; de chercher à con-
naître de quelle manière et par quels moyens les Belges ,
placés d'abord au dernier degré de l'ordre social et menant
une vie semblable à celle des sauvages de l'Amérique, sont
sortis de cet état de barbarie pour se placer au premier
rang des nations les plus avancées en civilisation ; et com-
ment le génie et l'admirable industrie de ce peuple sont
parvenus à métamorphoser une contrée , couverte primi-
tivement de marais fétides et hérissée de sombres forêls ,
(I) De Nelis, Vues sur différais points de Vllisloire Belg. Méni. de l'Acad-
le Brnx., lom. 2. p. 587,
II PREFACE.
en un des pays les plus beaux , les plus peuples et les plus
riches de l'univers; pays rempli de cite's puissantes et
magnifiques, de bourgades et de villages, qui, parleur
nombreuse population et leur étendue, passeraient ail-
leurs pour des villes considérables ; pays que l'étonnante
perfection de sa culture a fait surnommer par d'illustres
e'trangers le Jardin de V Europe.
Parmi le grand nombre de savans qu'a produits la Bel-
gique, plusieurs ont dirige leurs études vers l'histoire et la
géographie anciennes de leur patrie , et après les excellens
travaux qu'ont publies sur cette matière Pontus Heuterus ,
Bucherus , Vredius , Desroches , Ghesquière , Wastelain
et Raepsaet , on pourrait croire inutile d'écrire désormais
sur ce sujet et taxer même de présomption ceux qui songe-
raient encore à y consacrer leurs veilles. Telle fut aussi
d'abord notre pensée ; mais en approfondissant la question,
en remontant aux sources ou ces auteurs avaient puise , en
méditant les historiens et géographes grecs et romains ,
en consultant nos chroniqueurs , nos légendaires , nos
chartes du moyen âge, les canons des anciens conciles, enfin
la foule d'écrits anciens et modernes relatifs à l'histoire et
a la topographie anciennes de la Belgique, que contiennent
la riche bibliothèque de l'université de Louvain, et surtout
la magnifique bibliothèque royale à la Haye, nous nous
sommes convaincu que les écrivains qui se sont occupés
de nos anciennes annales et de l'état primitif de la Belgique,
étaient loin d'avoir épuisé la matière, et qu'après leurs sa-
vans et consciencieux travaux , il restait encore bien des
points a éclaircir et beaucoup d'erreurs a rectifier. C'est au
lecteur a décider si nous avons réussi a indiquer quelques-
unes de ces dernières et a répandre quelque lumière nou-
velle sur l'époque de notre histoire la plus obscure et, par
conséquent, la plus aride et la plus difficile à traiter. Au
PRÉFACE. ni
moins ne nous accusera-t-on pas d'avoir copié servilement
les auteurs qui nous ont précédé , notre ouvrage différant
des leurs , tant par la forme que par le fond : aucun auteur
moderne n'a tracé , nous osons le dire , une démarcation
aussi tranchée entre les Celto-Belges et les Germano-Belges,
que celle que nous établissons pour ces deux races ; aucun
n a marqué d'une manière aussi nette la différence des
limites des peuples de la Belgique à l'époque de la con-
quête de César , d'avec celles des Belges sous la domi-
nation romaine; celle de leurs mœurs , de leurs usages
€t de leur population à ces deux époques. Dans aucun
ouvrage on ne trouvera des détails aussi amples que ceux
que nous fournissons sur la vie privée et publique des
Belges. Les chapitres ^qui traitent de la population de la
Belgique , renferment des idées et des résultats entière-
ment neufs. Celui dans lequel nous décrivons l'état politi-
que des Belges sous la domination romaine fournit égale-
ment des vues neuves et des données différentes de celles de
la plupart des auteurs qui ont traité cette question.
Mais c'est surtoutdans le second volume de notre ouvrage
qu oh reconnaîtra toute l'étendue de nos recherches et com-
bien nos opinions diffèrent de celles émises jusqu'à ce jour
sur tout ce qui concerne nos antiquités nationales : nous en
citerons pour preuve , le chapitre qui traite de l'état poli-
tique de l'Empire Komain ; celui dans lequel nous décri-
vons les mœurs des Belges sous la domination romaine ;
celui dans lequel nous donnons les détails les plus amples ,
puisés dans les sources anciennes, sur la topographie, l'état
physique et l'aspect de la Belgique , pendant les douze pre-
miers siècles de l'ère vulgaire ; les trois chapitres qui con-
cernent l'histoire et la description des villes de la Belgique
sous l'Empire Romain , et dans lesquels nous émettons des
idées nouvelles sur la géographie de Ptolémée , la carte
PREFACE.
romaine dite Table de Peutinger, la Notice des Gaules\
ritinëraire d'Antonin et celui de Bordeaux à Jérusalem ;
enfin, dans le livre II, les chapitres 5, 6 et 7, qui traitent
des mœurs et des usages des Bataves , des Frisons, etc., de
la topographie et de l'archéologie des pays occupe's par ces
peuples.
Des trois chapitres composant Tappendice qui termine
notre ouvrage, nous consacrons le premier à des recherches
sur l'origine de toutes les villes actuelles de la Belgique et
de la Hollande ; le second à des recherches semblables sur
les causes du développement de notre agriculture et de la
fondation de la plupart de nos villes , bourgs et villages.
Dans le troisième chapitre nous donnons un catalogue sys-
tématique et raisonné de la plupart des écrits anciens et
modernes relatifs aux Celtes, aux Germains, aux Belges,
aux Bataves , aux Frisons et autres peuples anciens des
Pays-Bas.
En somme, nous nous croyons permis d'avancer que
cet ouvrage, fruit de plusieurs années de travail et de re-
cherches , et qui aurait vu le jour depuis longtemps , si les
événemens politiques n'en avaient arrêté momentanément
la publication ; que cet ouvrage , disons-nous, diflférera en-
tièrement de ceux ayant trait à la même matière qui ont
été publiés jusqu'ici, et de plus qu'il sera celui qui donnera
les détails les plus complets sur l'état des Pays-Bas jusqu'à
la fin de la domination romaine. Toutefois nous ne sommes
pas assez présomptueux pour nous prétendre exempt
de toute erreur; nous mettrons à profit les observations
que les savans daigneront faire sur ce livre.
AVANT ET DURANT
LA
^^m^^^ii^^^ ^^m^^^^^
LIVRE PREMIER.
O^'v
^^
PREMIERE PARTIE.
LA BELGIQUE AVANT LA DOMINATION ROMAINE.
CHAPITRE PREMIER.
Recherches sur l'étendue de la Celtique , sur l'origine des Celtes et des
Celto-Selges et sur leurs émigrations.
Cësar nous apprend que la Belgique fut habitée dans le
principe par des Celtes (1) ; c'est là un fait généralement
connu et qui ne demande point d'éclaircissement. Mais il
n'en est pas de même du temps où cette contrée commença
à être habitée et de l'origine des Celto-Belges , ou plutôt
des Celles en général avec l'histoire desquels se confond
celle de la Belgique jusqu'à l'époque de la conquête des
Gaules par César : car ce n'est c[ue d'alors cjue date vérita-
blement l'histoire de la Belgique ; ce qui est antérieur à
cet événement mémorable se borne à des faits détachés sur
lesquels on n'a même cjue des données vagues et dou-
teuses.
Pour trouver l'origine des Celtes nous n'irons pas, comme
(l)Cœs. Bell Gain II, c. 4.
Tome I. 1
cjuelques ailleurs modernes, remonter à la cre'ation cÎq
monde , chercher avec Herdér les premiers habitans du
globe dans la partie centrale de l'Asie (1) , ni examiner
avec d'autres si tous les hommes descendent d'un père
commun, ou si, eu égard a la grande variëlë de lespèce
humaine y il n est pas plus conforme à la saine raison de
croire chaque grande race d'hommes originaire du pays
quelle occupa dans le principe (2). L'histoire primitive
des Celtes est déjà enveloppée de tant de nuages , c]u'il ne
faut point reculer au-delà des temps historiques pour la
rendre plus obscure encore par des systèmes qui , quelque
spécieux qu'ils soient, ne sont toujours que des systèmes.
On peut diviser en quatre races principales les nations
qui anciennement ont peuplé le nord de l'Europe, savoir : les
races finnoise et slave s'étendant depuis les confins de l'Asie
jusqu'à la Vistule et au Danube; la race teutonique placée
entre la Yistule, la mer du Nord et la mer Baltique, le
Danube et le Rhin ; enfin la race celtique qui occupait
l'espace compris entre le Rhin , l'Océan , la Méditerranée ,
les Alpes et les Pyrénées (3).
Nombre d'auteurs modernes ont assigné à la Celtique
des limites beaucoup plus étendues; quelques uns même
ont reculé ses bornes jusqu'aux extrémités de l'Europe.
Trouvant, plusieurs siècles avant l'ère vulgaire, des peupla-
des celtiques dans le centre et jusqu'à l'extrémité septen-
trionale de la Germanie , dans la Thrace, l'iilyrie, la Grèce,
l'Espagne , l'Italie et la Grande-Bretagne , ils ont cru que
ces peuplades étaient indigènes ou originaires de ces pays
et n'ont pas réfléchi que ce n'étaient là que des colonies
(1) Herder. Idées sur la 'philosophie de V histoire de Vhmnanité. trad. par
Qninct, tome 1 , p. 38.
(2) Rommel , Traife' de Vorigine de la race humaine.
(3) Mone, Geschichie des hcidenihnms im nordlich. Europa, V th.
sorties a différentes époques de la mère patrie, la véritable
Celtique, entre le Rhin , les Alpes et les Pyrénées. D'après
ce taux système , ces auteurs n'ont pas craint d'avancer que
TEurope entière avait été peuplée par des Celtes. Voici
comme s'exprime sur ce sujet l'illustre Schœpflin : « Les
géographes, dit-il , se sont long-temps occupés, mais pres-
que sans succès, a découvrir le pays oii les Celtes ont pris
naissance. Leurs recherches les ont conduits à des opinions
si opposées, que la question n'en est devenue que plus ob-
scure. Cette incertitude n'a d'autre principe que la celé- .
brité de ce peuple et des colonies tjui en sont sorties dès
l'antiquité la plus réculée pour se répandre dans les di-
verses contrées de l'Europe et de l'Asie. De la il est arrivé
que la plupart des auteurs ont négligé la première demeure
de ce peuple et en ont cherché l'origine dans des colonies
qui étaient sorties d'un pays indigène; ils ont, par ce moyen,
confondu les filles avec la mère. Quelques auteurs font sortir
les Celtes des Phrygiens , après la ruine du royaume de
Troye; d'autres les disent originaires du Pont-Euxin; il y
en a même qui les font venir de la Grèce dans les Gaules ;
au contraire, ils auraient du dire que des colonies celtes
avaient passé des Gaules dans toutes ces contrées éloignées.
Quelques-uns voudraient trouver l'origine des Celtes chez
les Hyperboréens ; ceux-ci croient qu'ils habitaient primi-
tivement la plus grande partie, de l'Europe ; ceux-fa les
placent dans la Germanie et dans les Gaules ; d'autres enfin
otent aux Gaulois jusqu'au nom de Celtes (1). »
Ce qui a particulièrement contribué à confirmer les au-
teurs modernes dans leur faux système sur letendue de la
Celtique, ce sont les notions erronées de la plupart des écri-
vains grecs et de quelques auteurs romains sur cette vaste
(1) SchorpHinl T'ItuUciœ Celtlrœ . trad. par de Chiniac , préface.
4
contrée. Voici de quoi provient l'erreur de ces derniers :
Les Phoce'ens fondateurs de Marseille, six siècles avant l'ère
vulgaire , ont les premiers parmi les Grecs connu le nom
et le peuple celtique. Gomme ce ne fut que des Celtes
voisins de Marseille , que les Phocéens eurent quelque
connaissance, ils supposèrent dans leur ignorance que
tous les pays de l'Europe au nord de cette ville devaient
être également habités par des Celtes; ils n'hésitèrent
donc pas a attribuer la dénomination de Celtique a tous
les pays connus ou inconnus qui ne se trouvaient point
au midi des Alpes (1), Cette dénomination de Celtique
donnée a une aussi vaste étendue de pays n'a donc pour
fondement que l'ignorance des Grecs de Marseille qui
donnèrent un nom vague et incertain à des contrées qui
leur e'taient absolument inconnues, et qui, ne connaissant
que les Celtes de leur voisinage , ne purent savoir quels
étaient les justes limites de la Celtique. Polybe et Strabon
attestent combien les notions des plus anciens géographes
grecs étaient bornées , relativement a la Celtique (2).
Le premier assure que de son temps , environ un siècle
et demi avant 1 ère vulgaire , les Grecs ni les Romains ne
(1) Strabon le fait entendre clairement lorsqu'il dit : Hœc diximus de
Gallis qui Narbonensem provinciam incolwnt, qui quondam Celiœ appella-
banfur, et arbitror ab Jiis esse à Grœcis nomen Celtarum universis Galatis seii
Gallis indilum, ob (jentis claritatem; vel Massiliensibus ob vicinitatem ad id
aliquid moment i conferentibus. ( Strab., 1. IV.)
(2) Hérodote, qui écrivait 420 ans avant l'ère vulgaire, est le plus ancien
auteur {jrec parvenu jusqu'à nous qui ait fait mention des Celtes. Cet écrivain
dit que le Danube prend sa source dans la Celtique près de la ville de Pyrène.
Dans ce peu de mots il commet deux fautes capitales , en ce qu'il prend les
Pyrénées pour une ville et qu'il y place la source du Danube, laquelle se
trouve dans les Alpes. ( Herod. liist 1 II. ) Aristote a aussi commis la der-
nière erreur {Meieorol.l. I, c. 13 ). Ceci démontre évidemment combien
peu la Celtique était connue des plus anciens écrivains grecs qui ont parlé
£Îe cette contrée.
connaissaient encore aucune partie des Gaules au nord de
la Narbonnaise. Strabon observe que Timosthènes, Era-
tosthènes et tous les géographes qui les ont préce'dës
n'avaient que des notions erronées sur les pays habités par
les Espagnols et les Celtes et qu'ils ont encore moins connu
la Germanie et la Grande-Bretagne (1). Ces anciens écri-
vains grecs ont fait partager leurs erreurs a nombre d'écri-
vains vivant a une époque où déjà les victoires de César et
de Driisus avaient en partie dissipé les épaisses ténèbres qui
couvraient Fhistoire des Celtes; en voici des exemples :
« Le centre de la Gaule , dit Denys d'Halicarnasse , est tra-
versé par le Rhin. On appelle Germanie la partie de la
Gaule adroite de ce fleuve, c'est-à-dire , celle qui s'étend
depuis la foret Hercynienne jusqu'aux monts Rhyphées.
Mais la partie de la Gaule cjui est au midi du Rhin et s'é-
tend jusqu'aux Pyrénées , constitue la Gaule proprement
dite. Le tout est appelé Celtique par les écrivains grecs (2). »
Pausanias , Dion Cassius et Suidas comprennent sous la
même dénomination les Germains et les Celtes.
Ces auteurs plus récens cpiEratosthènes et Timosthènes
induisirent à leur tour en erreur des auteurs modernes qui
ne manquaient ni de science ni de jugement. De ce nombre
est le célèbre Cluvier qui, dans son livre sur l'ancienne Ger-
manie, avance que les anciens ont donné aux seuls Germains
la dénomination de Celtes. On aurait lieu de s'étonner
qu'un écrivain du mérite de Cluvier soit tombé dans une er-
(1) Atque in prœsentià id à nobis sit cUctum , et Timosthenein et Eratos-
ihenem, et qui eos œtate antecesserunt, plané ignaros fuisse Hispanicarum,
Gallicarumque reriim : ac multis modis niagis Germanicarum Britannica-
rum, Geticarum, Bastarnicarnmque, etc. Eratosthènes et Ephore ctendaienf:
la Celtique jusqu'au détroit de Gibraltar. (Strab., 1. II.)
(2) Excerpta ex Dione Ualicarn 1. XIl-XXX § *27. in frajjm. vatic. ab Ang.
Maio, edit. tom. 2, p. 486.
— 6 —
reur aussi grave, si, dans un autre endroit de son ouvrage, cet
auteur n avait avance' gravement que les Germains ado-
raient la trinité ! Peloutier pre'tend , dans son volumineux
ouvrage sur les Celtes, que l'Europe presque tout entière a
cte peuplée par des Celtes. Ce système erroné lui fait sans
cesse confondre les Scythes , les Germains et les Gaulois ,
et commettre une foule de bévues qui déparent singulière-
ment son savant ouvrage.
Cependant si ces écrivains et ceux cpii les ont copiés
avaient pesé les paroles suivantes du plus judicieux des
géographes de lantiquité, ils auraient adopté une toute au-
tre opinion : « Les anciens écrivains grecs , dit Strabon ,
comme nous le voyons dans Homère, donnaient le nom gé-
néral de Scythes à tous les peuples septentrionaux qui
leur étaient inconnus. Lorsqu'ils commencèrent à avoir
quelques notions des pays occidentaux , leur ignorance
leur fit attribuer aux diflférentes nations de ces contrées la
dénomination unique de Celtes ou d'Ibères , ou, en réunis-
sant ces deux noms, celui de Celtibères et de Celto-Scythes.
Par la même raison ils comprirent sous le nom d'Ethiopie ,
toute la partie méridionale de la terre (1). »
C'est donc à tort qu'on a voulu étendre la Celtique jus -
qu'au nord du Rhin. César, Strabon, Tacite, Ptolemée et
autres écrivains anciens les mieux instruits distinguent par-
faitement les Germains des Celtes; ils dépeignent ces deux
nations comme différant d'origine, de langue, de culte, etc.,
(l)Strab.,l. IL • ^
Les plus anciens géographes, tels quEphore et Scylax, font habiter la
terre par quatre races différentes : le nord par les Scythes , le midi par les
Ethiopiens . l'ouest par les Celtes et l'est par les Indiens. De même que les
Grecs donnaient par ignorance le nom de Celtique h l'occident de l'Europe ,
de même les Turcs appellent aujourd'hui du nom général de Francs tous les
peuples européens, parce que les Français furent la première nation de
l'occident qu'ils apprirent plus particulièrcmcnl: h connaître.
\
- 7 -^
et encore davantage par la haine implacable quelles se
vouaient mutuellement. Si nous leur trouvons sous quel-
ques rapports une certaine conformité de mœurs et d'usa-
ges, ce n est point a une origine commune quon doit lat-
tribuer , mais à 1 état de barbarie où vivaient les Germains
et les Celtes , conformité de mœurs qui se rencontrait aussi
dans les Scythes et cjui se retrouve encore de nos jours
dans les nègres de VAfrique et les sauvages de FA^meri-
que (1). C'est que dans letat de nature tous les peuples
ont à peu près les mêmes goûts , les mêmes passions , la
même manière de vivre. Mais comprendre sous une même
dénomination les Celtes et les Germains, ce serait commettre
une erreur aussi grave c[ue serait celle de comprendre sous
le nom de Français, les Espagnols, les Allemands , les An-
glais et autres peuples de l'Europe moderne.
La Celtique ne s'étendait donc que depuis les Alpes et
les Pyrénées jusqu'au Rhin. Ce sont les limites que lui as-
signent César, Strabon, Pline, Tacite, Pomponius Mêla,
Ptolemée, Denys Periégète, Athénée, Etienne de Bysance
et Eustache. La Belgique étant comprise dans ces limites ,
il est inutile d'observer c|u'elle faisait partie de la Cel-
tique.
Quand et comment la Celtique et la Belgique commen-
cèrent-elles a être peuplées et quelle fut l'origine des Celtes?
Ce sont la des cpestions qui ne peuvent être résolues que
d'une manière vague et incertaine. Les fables que les an-
ciens ont rapportées sur l'origine des Celtes prouvent qu'ils
n'étaient pas mieux instruits que nous sur ce sujet. Les
Gaulois qui du temps de César ne possédaient encore au-
cun ouvrage écrit relatif a leur histoire , étaient aussi peu
(1) Voir Desroches, Hist. mic. des Pays-Bas auiricîi., i^. d^. Guizot,
Cours d'hist mod. — 1829, p. 205, 216.
— 8 —
en ëtat d'avoir des notions concernant leur origine que les
sauvages de nos jours. « Parmi les Thraces, dit Élien, il
n'y en a aucun qui connaisse les lettres ; en général tous
les barbares établis en Europe regardent la science comme
la chose la plus vile et la plus honteuse à posséder (l).»Les
druides, les seuls parmi les Gaulois qui se vouassent a Té-
tude des sciences, n'écrivaient point et ne permettaient
pas que leurs élèves missent par écrit quelque chose de ce
qu'ils enseignaient (2). Aussi Origène rapporte qu'au troi-
sième siècle de notre ère on ne connaissait encore aucun
livre écrit par ces prêtres gaulois : « Je ne sache point ,
dit -il , que nous ayons aucun ouvrage composé par des
druides (3). »
Ce n'était donc que la tradition seule qui put fournir
aux Gaulois d€s notions sur leur histoire. D'ailleurs la
manière dont les événemens historiques étaient transmis à
la postérité , quand ils eussent été mis par écrit , suffisait
pour en dénaturer la vérité. Conservés dans les hymnes
sacrés et les chants héroïques des bardes, les documens de
l'histoire celtique étaient corrompus par les fables et les
mythes les plus étranges. Nous en avons un exemple dans
les poésies des bardes gallois et irlandais qui sont parve-
nues jusqu'à nous, et, pour l'histoire primitive de la Grèce ,
dans celles du barde grec Homère (4).
(1) ^liani Var. hist., 1. VIII, c. 6.
(2) Cœs., 1. VI, c. 4.
(3) Origen. Contra. Cels. 1. I.
(4) « A l'égard des ouvrages de poésie que l'on faisait apprendre aux
Celtes, il yen avait dont le sujet était historique. On rapportait en abrégé
l'origine des peuples, leurs migrations, leurs guerres, et tout ce qui s'était
passé de remarquable au milieu d'une nation. Dès lors on doit cesser d'être
surpris que l'ancienne histoi»'e fût mêlée de tant de fables. Elle était entre
les mains des poètes ; c'est tout dire. On a soutenu que Lucain n'était pas
poète, parce qu'au lieu de se livrer à son imagination, non-seulement pour
^ 9 —
Aussi toutes les fables que les anciens ont débitées sur
l'origine des Celtes n'ont été puisées que dans des sovirces
aussi corrompues : ce sont les bardes gaulois et les druides
qui ont appris h César que leur nation était issue du dieu
Dis (1). C'est d'après une source aussi suspecte que Diodore
de Sicile débite gravement cju Hercule, dans son expédi-
tion contre Géryon , prit sa route par les Gaules , bâtit la
ville d'Alise, et eut commerce avec la fille d'un roi celte ,
de lacjuelle naquit un fils nommé Galates; que celui-ci ayant
succédé à son aïeul , donna à ses sujets le nom de Galates
dont est dérivé celui de Galatie ou Gaule. Ammien Mar-
cellin tâche de faire coordonner le récit de César avec celui
de Diodore , mais il ne fait c|ue compliquer la fable da-
vantage encore. « Les anciens écrivains , dit-il , incertains
sur l'origine des Gaulois ne nous ont transmis que des no-
tions obscures sur ce sujet ; mais dans la suite Timagènes ,
écrivain grec fort instruit , a tiré d'un grand nombre d'ou-
vrages des faits ignorés juscju'alors. Plein de confiance dans
la bonne foi de cet auteur , et laissant de côté tout ce cpi'il
y a d'obscur dans son récit , nous décrirons l'origine des
Gaulois d'une manière simple et lucide. Les uns assurent
que les premiers habitans aborigènes de la Celtique furent
appelés Celtes du nom d'un roi des Gaules qui se fit chérir
de ses sujets, et que du nom de la mère de ce prince ils
reçurent celui de Galates ; car c'est ainsi qu'on désigne dans
la langue grecque les habitans des Gaules D'autres rap-
portent que les Doriens vinrent a la suite du plus ancien
des Hercules habiter les bords de l'océan dans cette con-
trée. Les druides racontent en effet que les Doriens con-
stituaient une partie du peuple indigène des Gaules, mais
le tour, mais pour Je fond même des choses, il s"était attache trop scrupu-
leusement h l'histoire.» (Peloutier. Uist. des Celles, tome 2. p. 212.)
(1) Diod. sicul.. Bihliotli. hist. l. Y.
— lo-
que d'aulres peuplades, qu« des guerres fre'queatcs et ie dé-
bordement de rocean ehassèrent de leurs foyers, vinrent ,
des lies les plus éloignées et des pays situes au-delà du Rhin,
se joindre a eux.
« Quelques-uns disent eneore qu un petit nombre de
Troyens échappes à la ruine de leur patrie se réfugièrent
dans cette contrée , alors déserte , pour échapper a la pour-
suite des Grecs. Les habitans des Gaules eux-mêmes assu-
rent ^ et c'est ce cjue nous trouvons aussi gravé sur leurs
monumens , qu Hercule , fils cVAmphitrion , après avoir
exterminé les tyrans Géryon etTauriscus, dont l'un infes-
tait TEspagne et l'autre les Gaules , eut de quelc[ues femmes
des familles les plus distinguées de cette dernière contrée,
plusieurs enfans qui donnèrent leur nom aux diverses par-
ties des Gaules dont ils eurent la souveraineté ; cp'un peu-
ple asiatique abandonnant dans la suite la ville de Phoeée
pour se dérober à la tyrannie d'Harpalus , préfet du roi
Cyrus , aborda en Italie 5 cju'une partie de ces fugitifs fonda
dans la Lucanie la ville de Vélia, une seconde Marseille dans
la Viennoise , et que lorsqu'ils devinrent plus puissans ,
ils bâtirent plusieurs autres villes. Mais, dit, en terminant,
Ammien Marcellin, ne poussons pas jusqu'au dégoût cette
variété d'opinions (1). »
A travers cet amas indigeste de fables , on découvre ce-
pendant un certain fonds de vérité; l'arrivée d'Hercule
dans les Gaules et son commerce avec des femmes gauloises
indicjuent évidemment les colonies phéniciennes fondées
dans le midi des Gaules et leur alliance avec les Gaulois :
ce Quiconc[ue réfléchit à l'amour de l'antiquité pour les
symboles , dit Thierry , cesse de voir dans l'Hercule phéni-
cien un personnage purement fabuleux ou une pure ab-
(l) Amm. Marccll. Hist. vom., I. XV, c. 9,
--. Il -
slraction poeliquo. Le dieu né à Tyr , le jour même de sa
fondalion; protecteur inséparable de cette ville, où sa statue
est enchaînée dans les temps de périls publics ; voyageur
intrépide, posant les bornes du monde, fondateur des
villes tyriennes , un tel dieu n'est autre en réalité que le
peuple qui exécuta ces grandes choses ; e est le génie tyrien
personnitié et déifié. Tel les faits nous montrent le peu-
ple, tel la fiction dépeint le héros; et Ton pourrait lire dans
la légende de la divinité , l'histoire de ses adorateurs. Le
détail confirme pleinement ce fait général; et l'on y suit
en quelque sorte pas à pas la marche, les luttes, le triom-
phe , puis la décadence de la colonie dont il est le symbole
évident (1). »
On aura pu remarquer que dans le passage d'Ammien
Blarcellin il n'est nuilement question des habitans abori-
gènes des Gaules ; mais seulement de Phéniciens , de
Doriens , de Phocéens, de Germains et autres peuples
étrangers qui vinrent fixer leur demeure dans cette con-
trée à une époque fort récente en comparaison de celle oii
les Gaules durent recevoir leurs premiers habitans. L'ori-
gine du nom des Celles et des Galates qu'Ammien Marcellin
attribue a un roi gaulois et à sa mère n'est qu'une version
différente ou une copie tronquée du récit de Diodore que
nous avons rapporté plus haut.
Flavius Joseph prétend que Gomer , fils aîné de Japhet ,
fut le père commun et la souche des Gomarites que les
grecs appellent, dit-il, Galates ou Gaulois (2). Les écri-
vains ecclésiastiques, tels que S^. Jérôme, Isidore de Sé-
ville , l'auteur de la chronique pascale , Euslache , etc. ,
ont tous suivi cette tradition biblique qui n'a pas la même
(1) Thierry, lîist. des Gaulois, tome I. p. 22.
(2) Quos cnim mine GaJatas vocilant Gomarenses olim diclos Gomurus
coiîdidiL ( Flav. Joseph. Anliq. jiidaic. 1. 1, c. 7. )
-^ 12 —
aiUoritë auprès d'un critique sage et sans préjuge de
secte (1).
Telles sont les opinions émises par les anciens au sujet
de l'origine des Celtes. Si tout y est tellement dénature
par la fable , qu'on ne puisse en tirer le moindre éclair-
cissement sur l'époque oii les Gaules commencèrent à être
peuplées , comment prétendrions nous être mieux instruits
sur celle oii la Belgique , fraction très-minime de cette
vaste région, reçut ses premiers habilans. Si , comme l'at-
testerait la géologie delà Belgique, cette contrée fut long-
temps couverte par les flots de la mer , il paraît hors de
doute qu elle ne dut devenir habitable et être habitée que
postérieurement a la majeure partie des autres contrées de
la Celticjue, et que même long-temps après la retraite des
eaux de l'océan, elle forma, comme la Bâta vie, cette extré-
mité des Gaules que Tacite appelle extrema or a Galliœ
cultorihns vacua ^ c'est-a-dire une terre déserte et couverte
de marais (2).
Ce que les anciens ont dit sur Torigine et Tétymologie
du nom des Celtes ou Gaulois n'est pas moins fabuleux que
. (1) Fila autem. Japhet septem numerantur: Gomar ex quo Galatœ, id est
Gain, etc. ( Isidori hispal., orig.,\. IX. j
Voir aussi M. de Fortia d'Urban . Tableau historique et géographique du.
monde, depuis son origine jusqu'au siècle (C Alexandre, tome 2. p. 36.
«Parmi les peuples qui ont adopté l'histoire de Moïse, dit Gibbon, l'arcbe
de Noë est devenue ce que le siège de Troye avait été pour les Grecs et les
Romains. Sur la base étroite de la vérité, l'imagination a placé l'immense
colosse de la fable. Ecoutez l'orgueilleux irlandais : il peut , aussi bien que
les sauvages des déserts de la Tartarie, vous montrer dans un fils de Japhet
la tige d'où sont sortis ses ancêtres ; le dernier siècle a produit une foule de
savans d'une érudition peu profonde et d'un esprit crédule, qui. guidés par
la lueur incertaine des légendes, des conjectures et des étymologies, ont
conduit les enfans et les petits fils de Noë , depuis la tour de Babel jusqu'aux
extrémités de la terre. » ( Gibbon, Histoire de la décad. de l'empire romain,
tome 2 , c. 9. )
(2) Des Roches. Ilist. anc. des Pays-Bas aulrich., p. 17.
- 13 —
ce qu'ils ont avancé sur l'origine de la nation celtique
même. Parthenius fait dériver le nom de Celtes de Cel tus fils
d'Hercule , et celui de Gaulois de Galates , autre fils de ce
demi-dieu (1). Diodore de Sicile attribue l'origine de ces
deux noms a Celtus et à Gallus , fils de Polyphème et de
Galathée. On retrouve ici cet orgueil des Grecs qui rap-
portaient l'origine de toutes choses a leur propre mytholo-
gie ou histoire. Au reste presque tous les peuples anciens
se sont dits descendus d'un dieu ou d'un héros et en ont
dérivé leur nom; si les Grecs ont trouvé l'étymologie du
nom des Gaulois ou Celtes dans celui d'un Gallus , d'un
Galates et d'un Celtus ; les Teutons ont dérivé le leur d'un
Tuisto ou Teutso; les Pannoniens d'un Pannonius; les
Dardaniens d'un Dardanus; les Francs d'un Francus ou
Francien ; les Bataves d'un Bato ; les Frisons d'un Friso, etc.
S*. Jérôme et Isidore de Séville font venir le nom des
Gaulois du grec ?(xa« lait , a cause de la blancheur de la
peau des Gaulois. Pour que cette étymologie eut quel-
qu'ombre de vraisemblance , il faudrait non-seulement que
la langue grecque existât déjà lorsque la dénomination de
Celtes prit son origine , mais encore qu'elle fut la langue
des Celtes eux-mêmes, ou du moins que la Celtique fût
alors connue des Grecs.
De tous les auteurs anciens, Denys d'Halicarnasse est le
plus prolixe sur ce qui concerne le nom des Celtes. Voici ce
qu'on trouve sur ce sujet dans les fragmens des ouvrages
(1) Suivant Pausanias et César le nom de Gaulois Gallus est d'une ori-
gine plus récente que celui de Celte, Cella. César en attribue même lorigine
aux Romains : qui ipsorum liiigua Cellœ , nostra Galli acipellanlur. (Bell,
gall-, 1. I, c. 1.) Le nom de Gaulois aurait donc été inconnu aux habitans de
la Celtique et ce que Parthenius, Diodore de Sicile, etc.. disent d'un Galates
et d'un Gallus serait une fable inventée par les Grecs ou les Romains , ou
plutôt par les Phéniciens , mais non par les druides qui d'ailleurs n'avaient
rien de commun avec la mythologie de l'orient.
— 14 -
pei'dns de cet auteur, fragmens publiés par Angelo Maio :
«La Celtique a reçu son nom d'un géant nommé Celtus qui
eut la souveraineté de cette contrée. D'autres rapportent
que la Celtique fut ainsi nommée par deux de ses rois
Iberus et Celtus, fils d'Hercule et de Sténope, fille d'Atlas.
D'autres encore sont d'avis que le fleuve Celta qui prend
sa source dans les Pyrénées, communiqua son nom, d'abord
aux lieux qu'il parcourait et ensuite a toute la Celtique.
11 en est enfin qui prétendent que les Grecs ayant abordé
avec une flotte au détroit Gallican, et s'étant rendus maître
du territoire voisin, appelèrent celui-ci Celsique en mé-
moire de leur victoire , et que dans la suite on changea ce
nom en celui de Celtique (1). »
Toutes ces étymologies, comme on le voit , n'ont pas plus
de vraisemblance que celles rapportées par les auteurs
précédens, et c'est avec justesse qu'Ammien Marcellin,
considérant toutes ces fables, observe que les anciens écri-
vains n'ont avancé que des faits douteux et remplis de con-
tre^ dictions sur Torigine du nom et de la nation celtique.
Nous n'avons fait connaître tous ces rapports apocryphes
et contradictoires que pour faire sentir au lecteur de quelle
impénétrable obscurité est couverte l'histoire primitive
des Gaulois et des Belges; et démontrer que les anciens,
[\) Dicilur Celtica, ut quidem nonnuîli aiunt, à giganthe Cello qui ihi
rcgnaverit : aîii verà ex Hercule et à Sterope Atlantide duos genilos fabu-
luntur liheros Iherum et Celtum qui regionihns uhi imperitaverunt. sua no-
7iiina indiderint. Deniqne alii aiunt fiuvinm esse quemdam Celtam ù Pyre-
nœis labentent à quo primum regio pro.vima, mox reliquats tractus jjrocessii
temporis rocilatus sit celtica, Aiunt prœierea quidam grœcos primiun ad
haiic regionem vectos ajypulisse naves ad sinum gallicum : viros anteni terra
potitos eam cclsicam appellasss, quod nomen, secundum grœci rerhi etgmn-
logiam, casum illum significahat : quam posteri ima liiicra immutata Cel-
ticam dixerunt. (Exccrpta ex Dionc in fragm. vatic. ab Anjv. Maïo edit,
jtome 2, p. 48G).
lorsqu'ils écrivaient sur une époque éloignée et peu con-
nue , n'aimaient pas moins les fables et le merveilleux que
les ignares chroniqueurs du moyen âge (1).
Bien des auteurs modernes n'ont pas donné avec moins
d'assurance dans ces travers; et si les anciens ont rapporté
beaucoup de faits ridicules sur notre histoire primitive , il
est des auteurs modernes qui les ont encore surpassés sous
ce rapport. En effet, quoi de plus absurde que l'étymologie
que le célèbre philosophe et politique Bodin a donnée du
nom de Celtes qu'il dérive d'un mot grec qui signifie ches>al
de selle, et celle de la dénomination de Gaulois qui aurait
signifié où allons nous F Paroles que, suivant cet auteur,
les Gaulois s'adressaient les uns aux autres en pirtant pour
quelqu'expédition (2). Goropius Becanus, cet intrépide et
ridicule étymologiste, n'est pas moins plaisant lorsqu'il
dérive le nom des Celtes du mot prétendu cimbrique kelt
( tue ) ; parce que les Celtes en marchant au combat s'é-
criaient, suivant le bon Goropius , Â:e/f , kelt (3), (tue,
tue ) , ou du mot flamand gelt , argent monnayé , à cause
que les Celtes se mettaient à la solde des puissances étran-
gères. Quant au mot Gaulois , il le déduit de gai-lie ou
(1) Ceux qui aiment a connaître les fables absurdes, inventées par les écri-
vains du moyen âge, sur l'origine et Ihistoire ancienne de la Belgique et
de la Celtique en général, trouveront à se satisfaire dans le Tableau historique
et géographique du monde depuis son origine Jusqu'au siècle d' Alexandre,
par M. de Fortia d'Urban, et dans V Histoire du Ilainaut, par Jacques de
Guise, moine récollet du Î4® siècle, publiée par le même auteur. Nous avons
donné une analyse critique de la plupart de ces traditions romanesques dans
notre mémoire sur les ressources quon trouve dans les chroniqueurs et autres
écrivains du moyen âge, pour Vhistoire de la Belgique avant et pendant la
domination romaine, mémoire couronné par Tacaclémie royale des sciences
et belles-lettres de Bruxelles, en 1835.
(2) Bodin, Méthode histor., c. 9.
(3) En flamand leelen signifie couper la gorge. Pour Goropius Becanus.
le flamand et le celtique ne sont qu'une seule et même langue.
— 16 -
gai-lat, peuple gai , extérieur gai. On trouvera dans Tliis-
toire des Gaulois par Picot, (tome , 1, cliap. 1), une foule
d'autres ëtymologies du nom des Celtes et Gaulois qui ne
prouvent pas plus de bons sens dans leurs auteurs.
De toutes les étymologies modernes du nom des Gaulois ,
une des plus raisonnables est celle c[ui dérive ce nom du
celtique gœl ou gœll (en flamand geel) , c[ui signifie jaune
( ou roux) , couleur naturelle de la chevelure des Celtes ,
ou plutôt de gicaltog ou gualtoch , chevelus , parce c[ue les
Gaulois portaient les cheveux longs et pendants. Cependant
lopinion c|ue nous adopterions de préférence, est celle cjui
dérive le mot Gaulois ducelticjue galloud^ courage , gallou-
dec , courageux. Celte étymologie a été aussi adoptée par
Strabonqui dit cjue les Gaulois tiraient leur dénomination
de leur courage et de leurs hauts faits d'armes (1),
Si l'origine des Celtes est enveloppée d'épais nuages , s'il
nous est impossible de savoir quand et comment les Gaules
ont commencé a être habitées, au moins pouvons nous
dire avec certitude cju'elles l'étaient dès la plus haute anti-
quité. Elles l'auraient même été avant l'Italie , s'il est vrai
que les Ombriens que Florus et Plu taixjue regardent comme
les plus anciens habitans de cette dernière contrée (2) ,
fussent d'origine gauloise comme l'avancent Solin, Servius,
Isidore de vSéville, Jornandes etTzetzes (3); ce qui détrui-
rait l'hypothèse de Durandi , qui croit que les premières
peuplades de la Celtique sont venues de l'Italie , et que les
(1) Strabo, 1. IV. La Tour d'Auvergne, Orùj. gaul, p. 210 et suiv.
(2) Florus, Epit hist. rom.^ 1. I, c. 17, Plutarch., 1. III, c. 14.
[^) Bocchus ahsolvit Gallorum veteruvi propaginem Umhros esse, (Solini
polyhistor, c. 8). Saîie umhros Gallorum veterum propaginem esse M. Antonius
refert, (Servius in iEneid. ad finem. ). Vmhri Italiœ genus est Gallorum
veteruvi propago. ( Isidori hispal. orig.^ 1. IX, c. 2). cf^fipoi yéuoç yaXaTÛov
(Tzetzes schol. Lycophr.) Gallis progenitoribus Vmbroriim (Jornandes, de
reb. getic.)
~ 17 —
Celtes , après avoir passe de l'Asie dans riUyrie, traversèrent
les Alpes de la Carniole et vinrent se fixer dans l'Italie et
delà dans l'Espagne et les Gaules (1).
S'appuyant de l'autorité d'Ammien Marcellin dans le
passage de cet auteur que nous avons rapporté ci-devant,
sur celle de Plularque et de Florus, et sur les traditions ,
fort suspectes , des peuples de la Grande-Bretagne ,
Thierry prétend qu'au 1^ siècle avant notre ère ( 631 à
785) une grande partie des Ci mbr es ou Kymris, chassés
des bords du Palus-Méotide et du Pont-Euxin , par des
hordes scythiques , remontèrent les vallées du Danube ;
qu'une horde nombreuse de ce peuple errant , conduite
par Hu ou Hésus le puissant , chef de guerre , prêtre et lé-
gislateur , passa le Rhin et se précipita sur le nord des
Gaules et la côte de l'Océan ou l'Armorique; qu'elle poussa
les Galls ou Gaulois , habitant ces régions , vers la partie
centrale de la Celtique , entre les Vosges et les montagnes
de l'Auvergne ; qu'une partie de ces Gaulois envahit à son
tour l'Italie sous la conduite de Bellovèse , dans la première
moitié du quatrième siècle avant J.-C. ; enfin , que vers la
même époque une autre horde de Kymris , demeurée a la
droite du Rhin , passa également ce fleuve ; mais que re-
poussée par les Kymris déjà maîtres de la Belgique , elle
traversa les Gaules , €t , sous le nom d'iVrecomikes et de
Tectosages, s'empara d'une partie du pays situé entre le
Rhône et les Pyrénées orientales. « Séparées l'une de l'au-
tre par la seule chaîne des Cévennes , dit Thierry, les tri-
bus Arecomike et Tectosage formèrent une nation unique ,
( l ) Durandi, saggio sulla storia degli antichipopoli d'Italia. — Les Ombri ens
habitèrent premièi^eraent le nord de Tltalie et chassèrent des plaines cispa-
danes les Sicules qui, vers Van 1364 avant l'ère vulgaire, furent obligés
d'émigrer en Sicile (Thierry, Hist. des GauL, tome 1 ).
Tome I. 2
— 18 —
qui continua de porter le nom de Belg que ses voisins les
Galls et Ibères prononçaient Boig , Volg ou Volk (1). »
Quelque spécieux que paraisse ce système, on peut y
opposer bien des objections ; car d abord Hérodote , le plus
ancien des historiens grecs et presque contemporain de
lemigration des Cimbres , dit formellement que ceux-ci
s e'tablirent dans l'Asie mineure , mais point cju'après leur
expulsiondesbords delà mer noire ils remontèrent les val-
lées du Danube pour se jeter sur les Gaules. En second
lieu, César, Tite-Live, Polybe, Tacite ni aucun autre auteur
ancien n'ont attribué l'invasion de l'Italie par Sigovèse à
l'expulsion de ce chef celte des Gaules par les Cimbres ,
mais à des causes toutes différentes. Comment d'ailleurs Bel-
lovèse, chef d'un autre corps de Gaulois émigrans, eut-il pu,
à la même époque, passer le Rhin et s'établir dans le cen-
tre de la Germanie , lorsque les Cimbres avaient non- seu-
lement envahi cette contrée , mais refoulé vers le centre
des Gaules , les Celtes qui habitaient les provinces de la
Celtique voisines du Uhin ? En troisième lieu , Thierry
commet une erreur manifeste lorsqu'il fait passer pour
Cimbres toutes les peuplades qui occupaient la Belgique
actuelle , lors des conquêtes de César , à l'exception des
Segniens , des Pémaniens , des Condrusiens et des Céré-
siens; tandis que suivant César, Tacite et Dion Cassius,
l^s Nerviens, les Ménapiens, les Eburons et généralement
tous les Belges excepté les Atuatic[ues, étaient d'origine
germanique (2). Enfin les preuves sur lesquelles s'appuie
Thierry pour faire des Arecomics et des Tectosages des
peuples belges , n'ont pas plus de fondement; ces preuves
sont : que les anciens Irlandais appelaient les Belges Fir-
bholgj et qu'Ausone rapporte que les Tectosages portaient
(1) Thierry, Ilist. des Gaul., t. I.
(2) Dût. de la conrers. au mot Belgique.
- 19 —
originairement le nom de Bolges (1). Le passage du dis-
cours de Cicëron pour Fonteius, allègue par Thierry, ne
prouve pas davantage (2) , de même cjue les paroles de
S^ Jérôme qui dit que de son temps les Tectosages et autres
peuplades de la Galatie, originaires des Gaules, parlaient
la même langue que les Trëviriens ; car il est connu que
les Trëviriens étaient d'origine teutonique et non cel-
tique (3).
Nous ne commençons a avoir quelques notions certaines
sur les Celtes ou Gaulois qu'au temps de la fondation de
Marseille par les Phocéens , vers l'an 600 avant l'ère vul-
gaire. A cette époque les Celtes , plus puissans et plus nom-
breux que les peuples voisins ne se contentèrent pas de
posséder la vaste étendue de pays comprise entre les Pyré-
nées, les Alpes et le Rhin; ils s'emparèrent d'une grande
partie de l'Espagne, de Tltalie , de la Germanie, de la Dal-
matie et de l'Asie Mineure , où ils fondèrent de nombreuses
colonies (4)- Une des plus anciennes de ces colonies est celle
qui occupa une portion considérable de l'Espagne, savoir,
toute la côte depuis le cap Finisterre jusque vers l'embou-
chure du Guadalquivir et une grande partie de TArragon ,
de la Castille et la Gallice en entier. Les Gaulois établis en
Espagne y furent connus sous le nom de Celtibériens et de
Carpetans. Leur émigration doit avoir eu lieu avant Tannée
535 de la fondation de Rome , année oii commença la se--È^:^
conde guerre punique dans laquelle on voit figurer les
Celtibériens (5).
(1) Tectosages primo nomine Bolgas, ( Auson. de cîaris urhih. — Narbo.)
(2) Belgarum Allohrogumque testi?tio?iiis credere non iimetis. ( Cicéro ,
pro Man. Fonteio. )
(3) Taclt. de Morib. Germ., c. 28.
f4) Il s'entend de sol-même que ce n'étaient pas là des colonies telles que
nous l'entendons aujourd'hui , mais des occupations armées.
(5) Sil. ital., 1. lïl, Tit. Liv., 1. XXII, c. 21.
— 20 —
On ignore si des peuples de la Belgique actuelle j^artici-
pèrentaux expéditions des Celtes en Espagne; il paraît au
moins probable qu a la même époque le nom de Belgique
e'tait déjà connu et que des peuplades belges fondèrent
plusieurs colonies en Angleterre et en Irlande. Les anciens
poèmes des bardes bretons et gallois rapportent que deux
colonies celtiques , la tribu des Lloegrians venue de la Gas-
cogne (Gwasgw/n), et les Brythons de l'Armorique , se fixè-
rent dans la Grande-Bretagne. Le vénérable Bede parle
aussi des Bretons venus de l'Armorique et des fugitifs de
la Flandre {Galedin) , qui , forcés de s'expatrier à cause
d'une grande inondation qui avait dévasté leur territoire,
abordèrent en Angleterre où les Cymry leur donnèrent
asile (1). César dit positivement que les cotes de l'Angle-
terre étaient habitées par des peuples d'origine belge qui
avaient donné aux districts de leur nouvelle patrie des
noms analogues à ceux que portaient les différens en-
droits de leur patrie primitive (2). Il n'est donc pas éton-
nant de voir Ptolemée placer dans la Grande-Bretagne un
(1) Beda, Hist. eccles. Angliœ., 1. I, c. 1, Roberts , Sketch of the early
hisiory of the cymry or ancients Bretons from the year 700 hefore christo
to a. d. 500.
(2) Britanniœ pars inlerior ab us incolitvr, quos natos in insulâ me-
moriâ proditum dicunt. Maritima pars ah Us qui prœdœ ac helli inj^erendi
causa ex Belgio transierant ; qui omnes ferè Us civitatum nominibus appel-
lantur, quibus orti ex civitatibus eô pervenerunt, et belle illato ibi reman-
serunt, atque agros colère cœperunt. ( Cœs. bel. gall., 1. V, c. 13. Tacit.
vita Agricolœ . c. 11.)
Des Anglais, aussi amis du merveilleux que De Grave, Lambiez et le
marquis de Fortia, prétendent que trois siècles avant la descente de César
en Angleterre, cette île était peuplée de plus de trois millions de Belges!
La population de la Grande-Bretagne entière ne s'élevait probablement pas
a la moitié de ce nombre. (Peignot, Notice sur la langue anglaise, à la
suite du Tableau de mœurs au dixième siècle, ou la cour et les lois de
Howel-le-Bon. Paris, 1832, p. 86; et de Reiffenberg, JEssai sur la statis-
tique ancienne de la Belgique, 2« partie, p. 5.)
-^ 21 —
lieu appelé Venta Belgarum , et un autre portant le nom
de Calleva Atrebatinn (1).
Dans les poèmes cFOssian il est dit que les Belges (F«r-
bolgs) , après avoir longtemps habité les côtes méridionales
de l'Angleterre , allèrent s'établir en Irlande sous la con-
duite d'un de leurs chefs nommé Larton. Si Ton pouvait
ajouter quelque foi au récit de Blageoghean , historien
irlandais un peu trop crédule , Fémigration des Belges de
l'Angleterre dans l'Irlande , remonterait a une époque des
plus reculées. Après avoir rapporté de quelle manière les
Némédiens, deuxième colonie d'étrangers établie en Irlande
quelques siècles après le déluge , furent expulsés de cette
île par les Fomoriens ou Fomoraighs que l'auteur croit
aussi d'origine belge , Mageoghean parle de l'émigration
des Belges de l'Angleterre en Irlande dans les termes sui-
vans : « quelque temps après (l'expulsion des Némédiens),
les Firbolgs ou Belgiens, autre peuple de la Grande-Bre-
tagne , au nombre de cinq mille personnes , commandés
par cinq chefs , soit par la défaite , soit par la désertion des
Fomoriens, prirent possession de cette isle. Ces cinq chefs
furent Slaingey , Rug-Rhughe ou Bory , Gann, Geanan et
Sengan , tous pères et enfans delà race des Némédiens. Ils
partagèrent l'Isle en cinq parties et provinces et donnèrent
naissance a la pentarchie , qui a duré avec peu d'interrup-
tion jusqu'au douzième siècle. Slaingey , gouverneur de la
Lagenie, fut le chef de la pentarchie et monarque de toute
l'isle. Ce peuple fut connu sous trois différens noms, sa-
voir , de Galieniens , de Damnoniens et de Belgiens ; mais
ce dernier était le nom générique de toute la colonie, et leur
domination subsista environ 80 ans , sous neuf rois qui fu-
(1) On croit que la ville de Winchester occupe aujourd'hui remplacement
de Venta Belgarum et celle de llcnlei la place de Calleva Atrehatum.
— 22 —
rent Slaingey, Rory , Gann, Gëanan, Seugan , Fiagïia ,
Rionall , Fiobgin el Eogha qui épousa Tailte , fille d'un
prince d'Espagne qui donna son nom au lieu de sa sépul^
ture, qui s'appelle encore Tailton dans la Medie (1). »
Quelque fabuleuse que soit lliistoire primitive de l'Ir-
lande, quelque peu de croyance que méritent les faits^
rapportes par Mageoghean, et quoique Ton aitconeu a juste
titre des doules sur Tauthenticitë des poèmes d'Ossian eux-
mêmes, il est croyable qu a une e'poque inconnue, des colo-
nies belges furent fondées en Irlande comme en zVngleterre.
Ptoleme'e place dans la première de ces îles un endroit ap-
pelé Mena fia nom qui retrace celui des Ménapiens de la.
Flandre.
Mais Fémigration gauloise la plus célèbre fut celle cjui
eut lieu vers Tan 589 ou 591 avant Tère vulgaire, lorsque
300,000 Celtes passèrent les Alpes et le Rhin sous la con-
duite de Belîovèse et de Sigovèse , neveux d'Ambigat, roi
des Bituriges, peuple qui était alors investi de la supré-
matie sur presque toute l'étendue de la Celtique.
Les Gaulois, commandés par Belîovèse, s'emparèrent de
l'Italie supérieure d'oii ils expulsèrent les Tusces. Vers
l'an 587 une troupe de Cénomans passa également les Alpes
et vint s'établir sur le territoire de Brescia et de Vérone.
Ces Cénomans furent suivis par les Salluvieiis cjui se fixè-
rent dans les environs du Tésin. Peu de temps après les
Boiens et les Lingons passèrent le Po et chassèrent de la
Cispadane les Tusces et les Ombriens. Enfin les Senons vin
rent s'emparer de la partie de l'Italie qui s'étendait depuis
la rivière d'Ubis jusqu'à celle d'Osis. Ce furent ces derniers
epi, environ deux siècles après, assiégèrent Clusium et
Rome (2). Diodore de Sicile et Strabon comptent aussi
(1) Mageoghean, Histoire de l'Irlande, tome 1, p. 61.
(2) Tit. Liv., 1. V, Justin, 1. XXIV, c. 4, Poljb., I. IL
— 23 —
parmi les Gaulois qui envahirent lllalie supérieure les
Venetes , les Insubriens et les Liguriens. Toute la partie de
l'Italie occupée par des colonies celtiques reçut des Romains
le nom de Gaule Cisalpine.
Les Celtes qui, au nombre de 150,000, passèrentle Rhin
sous la conduite de Sigovèse devinrent encore plus puis-
sans et s'étendirent beaucoup plus loin que ceux qui émi-
grèrent en Italie : « Il fut un temps , dit César, à ce sujet,
où les Gaulois surpassaient les Germains en valeur , leur
faisaient une guerre opiniâtre et envoyèrent de nombreu-
ses colonies dans la Germanie pour décharger les Gaules
d'une population trop nombreuse, a laquelle le sol gaulois
ne pouvait fournir la subsistance. Ainsi les Volces-Tectosa-
ges s'emparèrent des contrées les plus fertiles autour delà
forêt Hercynienne (1). » Tacite rappelant ce passage des
Commentaires de César , dans son ouvrage sur la Germanie,
y ajoute l'observation suivante : « En effet un fleuve (le
Rhin ) , quel faible obstacle a la prépondérance de la plus
capricieuse des deux nations qui voulait s emparer de terres
dont ni la possession ni la souveraineté n'était pas encore
circonscrite! Ainsi s'établirent dans le pays intermédiaire
du Rhin , du Mein et de la foret Hercynienne, les Helvé-
tiens , plus loin les Boiens , deux peuples gaulois ; le nom
de Boiemum subsiste encore et rappelle positivement cette
ancienne transmigration , malgré le changement des peu-
ples (2). »
(1) Ac fuit antea temjnis quum germanos Galli virtute superareni, ult.ro
hello in ferrent, jjropter hominum multitudinem agrique inopiam trans Rhe-
num colonias mitterent. Itaque ea quai fertilissima sunt Germaniœ loca
circum Hercyyiiam sylvam, [qiiam Eratostheni et quihusdam Grœcis fama
notum esse video, quam illi Orcyniam adpellant) Volcœ Tectosages occii-
parunt aique ihi consedenint ( Caes. , 1. VI, c. 24 ).
(2) Validiores olim Gallorum res fuisse summus auciorum divus Julius
tradit : eoque credibile est etiam Gallos in Germaniam iransgre.ssos ; quan-
- 24 —
Les Helvëtiens , d'après le témoignage de Tacite , occu-
pèrent les contrées formant aujourd'hui la Souabe , la
Franconie , le Palatinat et une grande partie du territoire
de Mayence et de Darmstadt. Les Boiens , au rapport de
Strabon, s'établirent dans la foret Hercynienne, la Bohème,
la Norique, la Rhétie et la Pannonie.
Les Gothins et les Estyens, dont les premiers habitaient
vers les sources de TOder et de la Yistule , et les seconds
dans la Prusse ducale , parlaient, suivant Tacite, la langue
des Gaules (1). Ces peuplades étaient-elles pour celte raison
d origine celtique et était-ce en prenant part a Texpédition
de Sigovèse, qu elles avaient choisi pour demeure des terres
si éloignées de la mère patrie ? Cette question ne peut être
résolue.
Sigovèse ne pénétra pas seulement dans le centre de la
Germanie, mais il s'avança jusque dans Tlllyrie. Les Carnes,
les Japodes, les Scordisques, les Taurisques, peuplades de
cette contrée , de la Pannonie et de la Norique , sont re-
gardés comme ayant fait partie de Témigration gauloise.
Près de trois siècles après cette célèbre expédition , un
nouveau corps d'émigrans gaulois , sorti du sein de celui
dirigé pas Sigovèse , pénétra dans la Thrace sous la con-
duite d'un chef nommé Cambaule et se fixa entre l'IUyrie,
la Thrace et le Danube (2).
L'an de Rome 474 ou 475 , et 279 avant l'ère vulgaire ,
les Celtes répandus depuis la Pannonie jusqu'à la Thrace,
tulum enim amnis ohstahat, quominus, ut quœque gens evalueraf, occuparet
permumtaretque sedes promiscuas adhiic, et nulla regionum potentia divisas!
igitur inter Hercyniam siham Rhenum et Mœnum amnes, Helvetii, ulie-
riora Boii, Gallica utraque gens, tenuere ; manet adhuc Boiemi nomen
signiûcatque loci veterem memoriam quamvis mutatis cnltoribus. (Tacit. de
morih. Germ. c. 28. )
(1) Mor. Germ.. c. 43 et 45.
(2) Pausan., l. X. Scliœpflini Vindiciœ celt, l 82 et 8G.
— 25 —
entreprirent une nouvelle expédition au nombre de 200,000
hommes. La horde fut divisée en trois corps. Le premier
corps, commandé pas Belgius ou Bolgius, pénétra dans la
Macédoine et défit Ptolemée, roi des Macédoniens, qui
périt dans le combat. Après avoir pillé la Macédoine ces
Gaulois revinrent sur leurs pas. La seconde division , com-
mandée par Brennus , ravagea la Grèce et fut taillée en
pièces au siège de Delphes. Le troisième corps , fort de
20,000 hommes , sous les ordres de Cerethrius ou de Lem-
norius et de Lutharius (1) , passa dans la Thrace et rendit
tributaire toute la Propontide ; puis traversa le Bosphore
au nombre de 10,000 hommes , un an après la défaite de
Brennus, et se mit à la solde de Nicomède, roi de Bilhynie.
Ce prince pour récompenser les Gaulois des services qu'ils
lui rendirent en cette occasion, leur céda une partie de
son royaume où ils fondèrent la Tétrarchie de Gallatie ou
Gallo- Grèce (2). Parmi les peuplades gauloises établies
dans cette contrée on trouve des Tectosages, des Scordisques,
des Taurisques, des Boiens, des Trocmiens et une peuplade
teutonique, les Teutobodiaques. Cette émigration gauloise
eut lieu vers l'an 277 avant J. C. C'est la dernière expé-
dition celtique dans des pays étrangers dont il soit parlé
dans rhistoire (3).
Il est peu probable que les Belges aient fait partie de
l'expédition de Bellovèse en Italie; il est également dou-
teux qu ils aient pris part a celle de Sigovèse. Suivant
l'hypothèse de Thierry les Belges se seraient , il est vrai ,
rendus maîtres d'une grande partie de la Germanie ; mais
(1) Noms latinisés, probablement en celtique Céréther , Lemnor, Luthar
(2).Tite-Liv., 1. XXXVIII, c. 16.
(3) Sur les émigrations des Celtes, voyez Scbœpflin, Vmdiciœ Celticœ et
M. de Fortia dUrban , Tableau hist. et geogr. du monde, tome 4, p. 78
et suiv.
-. 26 —
les preuves sur lesquelles est basé ce système sont peu con-
vaincantes , comme nous Tavons démontre plus haut. Le
Belgius ou Bolgius qui envahit la Macédoine pouvait être
tout aussi bien un chef des Tectosages , qui portaient le
nom de Bolcœ^ quun chef des Belges. En un mot il n'existe
aucune preuve authentique et positive qui constate la par-
ticipation des Belges à Tune ou l'autre des émigrations
gauloises du 6°™^ siècle avant notre ère. On ne peut donc
former à cet e'gard que de simples conjectures.
Nous venons de voir les Celtes a l'apogée de leur puis-
sance; nous la verrons décliner avec rapidité, la Belgique
perdre ses habitans primitifs et les Celto Belges remplacés
par des peuplades d'origine teutonique.
- 27 —
CHAPITRE II.
Expulsion des Ceîto-Belges par des peuples germaniques et établissement
de ces derniers dans la SSelgique.
Les Celles , cette nation si puissante au 7^ siècle avant
I ère vulgaire , ne conservèrent pas longtemps la prépon-
dérance qu'ils s'étaient arrogée sur les peuples voisins. lien
est ainsi de toute nation conquérante qui abuse de ses forces
pour opprimer des peuples plus faibles. Les fers cjue por-
tent les esclaves contribuent moins a assurer leur asservisse-
ment qu à leur inspirer le dësir de s^en affranchir et de se
venger de leurs tyrans. Tout peuple, tout souverain qui tend
à une domination exclusive tombe tôt au tard , et moins son
ambition et son omnipotence auront eu de bornes , plus
grave et plus rapide sera sa chute. Tout conspire contre
lui ; du moment qu il chancelé , tous ceux que la victoire
et la fortune avaient attache's aux roues de son char, se re-
lèvent et se réunissent pour Taccabler et Fanéantir.
La puissance et lesforcesdes Celtes affaiblies par des guer-
res longues et sanglantes et par de nombreuses émigrations,
déclinèrent rapidement et de conquérans les Celtes devin-
rent bientôt une nation conquise et tributaire (1).
Les Celtes qui avaient parcouru en vainqueurs une
grande partie de l'Europe, et dont les fiers Carthaginois
et les rois de l'Asie avaient plus d'une fois invoqué l'appui
et le secours , tremblèrent a leur tour devant les peuplades
sauvages de la Germanie et les habitans d'une petite ville
(1) Gallos quoquc in hellis ftotuisse acceiiimus ; mox seguUia cuui olio
intravit, ami&sà viHale imriter ac libertotc. (Taclt. T'ita Àgric. c. 11.)
— 28- -
de ritalie. Les Senons , qui , pendant plusieurs siècles ,
avaient domine sur l'Italie presqu'entière, furent subjugues
et extermines par les Romains Fan 463 de la fondation de
Rome et 101 ans depuis le siège fameux qu'ils avaient mis
devant la capitale de ce peuple nouveau , à peine connu
alors de nom , mais destine a changer la face du monde.
Les Boiens de l'Italie , vaincus plusieurs fois par les Ro-
mains , furent enfin chasses de cette contrée dont les char-
mes avaient jadis attiré les sauvages et pauvres habitans
des Gaules. Contraints de choisir un asile parmi leurs com-
patriotes les Taurisques , sur les bords du Danube , ils n'y
jouirent pas d'une meilleure condition et essuyèrent bientôt
un sort pareil à celui des peuples celtiques établis au delà
du Rhin dans la Germanie.
Les peuplades teutoniques du nord de la Germanie ac-
crues en nombre et renforcées ou refoulées par de nouvel-
les hordes sorties de TAsie septentrionale , commencèrent
à descendre et à refluer vers les parties méridionales et oc-
cidentales des Gaules, deux siècles environ avant lere vul-
gaire. Dans leurs courses vagabondes et incertaines ces
Teutons tombèrent sur les Gaulois qui avaient fixé leur
demeure sur le sol de la Germanie , les vainquirent et les
écrasèrent. Alors les colonies celtiques disparurent de ces
contrées avec autant de promptitude qu'elles s'y étaient
établies. Le nom de désert des Helvétiens et des Boiens
{déserta Helvetioruni^ déserta Boioj^cm) donné à la partie
de la Germanie occupée par ces peuples celtiques avant
leur expulsion , conserva seul le souvenir de leur exis-
tence dans la Germanie.
Berebiste , prince gète , ayant passé le Danube , rava-
gea toute la Thrace ; il détruisit les Celtes qui s'étaient
réunis aux Thraces et aux Illyriens et ruina les Taurisques
et les Boiens qui occupaient la Norique et la Panno-,
-^ 29 —
nie (1); ce fut après cette catastrophe que ces deux pays
reçurent le nom de déserts des Boicns (2). Les faibles de'-
bris des Eoiens échappes au fer de l'ennemi se réfugièrent
auprès des Helvë tiens et firent, au nombre de 3,000, partie
de la grande émigration lielvétienne, 56 ans avant J.-C-
La fortune leur fut encore contraire et le petit nombre
qui suryécut au désastre c[ui accabla les HelYétiens trouva
un asile auprès des Eduens (3); cependant les Boiens qui
occupaient la Bohème s'y maintinrent jusque sous le règne
d'Auguste lorsqu'ils en furent expulsés par les Marco-
mans (4).
De toutes les colonies celtiques, celles des Tectosages
seules existaient encore sur le territoire teutonique , au
temps de César; mais, mêlés aux peuplades teuloniques, les
Tectosages en avaient pris les mœurs et les usages (5).
Les Teutons , car le nom de Germains n'était pas en-
core connu alors (6), non contents d'avoir expulsé du
(1) Strabo Geogr., 1. IV.
(2) Les déserta Boiorum s'étendaient depuis Vienne jusqu'à Salzbourg et
•enfermaient ainsi une grande partie de TAutriche et de la Bavière. ( Man-
)ert, Géographie der Grieclien und Romer. )
(3) Cœs., Bel. GalL, I. I, c. 25, 28.
(4) Strabo, 1. VU. Tacit. Mor. Gerra. c. 28.
(5) Caesar. Bel Gall, 1. VI, c. 24.
(6) Tacit. Mor. Germ., c. 2.
Tous les peuples de la Germanie se donnaient pour nom générique celui
de Teutons ou Teutsons, c'est-a-dire , fils de Teut ou Tuisco enfant de la
terre. Mann ou Tbomme, fils de Teut, était aussi réputé le père de la nation :
Célébrant carminihus antiquis .... Tuisconem deitm terra edifum et fîlium
Mannom, originem gentis condiioresqiie ; Manno très flios assignant, e quo-
rum nominihus proximi oceano Ingevones, medii Hermiones, cœteri istœvones
vocantur, (Tacit. Mor. Germ., c. 2.)
Blann, l'homme par excellence, sorti le premier du sein de la terre sa
mère. Cette origine est la même que celle que s'attribuaient les Juifs, les
Égyptiens, les Phrygiens, les Indiens et autres peuples de l'antiquité.
C'est ce qui aura fait dire a Tacite qu'il croyait les Germains une nation
— 30 —
territoire teutonique les colonies de Celtes qui s'y étaient
fixe'es, firent a l'e'gard des Celtes, ce que ceux-ci, dans
le temps de leur prépondérance , avaient fait a l'ëgard
des Teutons; c'est-à-dire , qu'ils les attaquèrent sur leur
propre territoire. Ils passèrent le Pdiin, refoulèrent dans
Finte'rieur de la Celtique les peuples gaulois de la rive
gauche du Rhin et se mirent en possession des bords de
ce fleuve et de toute la contrée qui correspond à la Belgi-
que actuelle et dune partie du nord de la France. Ces
conquêtes ne s'effectuèrent pas clans une seule expédition,
mais par des invasions continuelles et réitérées. C'est à
cette époque seulement c|ue le nom de Germains fut connu
et prit son origine. En effet les Celto-Belges et autres peu-
plades celtiques limitrophes du Rhin, frappées de terreur
par les irruptions fre'quentes et l'aspect terrible et formi-
dable de ces hordes fe'roces sorties du fond du nord , ne
désignaient ces dernières que par le nom de German cjui
en celtique signifie étranger ou guerrier (1). Ce nom de
indigène : îpsns Germanos indigenas crediderim, uninimeque aîiarum gen-
tium adventihus et hospitiis mixtos.
On a formé une foule de conjectures les unes plus îiasardées que les
autres sur Tuisto. On a été jusqu'à le prendre pour Askenas petit fils de
Noë, ou comme le fait Eccard, pour Japhet fils de Noë. Celui qui se
complaît h ces questions oiseuses, pourra se satisfaire a satiété dans l'ou-
vrage de l'Allemand Abel, intitulé : Teutsclie und Sachsische aîterthumer,
Brunschw., 1729, tom. ï, c. 1.
(l) Ger ou giterra, guerre et man homme, homme guerrier ou belliqueux.
Quoi qu'il en soit de cette étymologie , toujours est il certain que la déno-
mination German ou Germain est dérivée du celtique et non du teuton,
puisque Tacite déclare positivement que les Gaulois vaincus avaient donne
ce nom aux Teutons leurs vainqueurs. Grande est donc Terreur de ceux qui
dérivent le nom de Germain du teuton , tels que Leibnitz qui prétend qu'il a
Id même signification que Hermion, nom d'un grand peuple teuton (Leibnitz
Orig. Francor.) Dom Calmet le déduit, avec aussi peu de raison, du nom
de Gomer fils de Japhet ; Erasme du latin Germanum, bon naturel. Goropius
Becanus prétend qu"il signifie désireux de butin. Rudbeck le dérive du
— 31 —
German qui n avait ëlë qu'une dénomination vague in-
spirée par la terreur, devint bientôt un nom générique qui
remplaça celui de Tentons dans la bouche des vainqueurs
des Gaulois eux-mêmes «de sorte, dit Tacite, que tous furent
appelés Germains^ d'abord par les vaincus frappes de ter-
reur et bientôt par les vainqueurs eux-mêmes. » Et cette
dénomination ne passa pas aux seules peuplades teutoniques
«lesquelles, comme s'exprime Tacite, ayant passé les pre-
mières le Rhin , chassèrent les Gaulois, et qui, appelées
anciennement Tongrois , reçurent alors le nom de Ger-
mains (1), « mais les Romains retendirent encore à tous les
suédois german^ guerrier, étymologie conforme à Tétymologie celtique.
(Rudbeck: Atlantica, c. 13.) Peringskiold est de l'avis de Rudbcck. [Annotât,
in vitam Theodorici Ostrog. régis., p. 377. ) Strabon cherche Tétymologie
du nom des Germains dans la prétendue consanguinité de cette nation avec
les Gaulois. (Strabonis Geogr.L.lY ) Voir encore S^ener, IV otiita Germaniœ
mitiquœ, 1. III. c. 6.
(1) Cœteràm Germaniœ vocahulum recens et nuper additum ; quoniam qui
primi Rhenum iratisgressi GaUos expulerint, ac nunc Tungri, tune Germani
vocati sunt : ità nationis nomen, in nomen gentis evaluisse pauîatim, ut
omnes primum à victo oh metuin, mox à seipsis inventa nomine Germani
vocarentur. { Tacit. Mor. Germ., c. 2. )
Nous donnons ce passage d'après l'excellente édition de Tacite par Ober-
lin: car dans des éditions moins correctes on lit au lieu de in nomen gentis,
non gentis et au lieu de victo, victore. Ce te.\te corrompu rend ce passage de
Tacite inintelligible et a jeté un grand nombre de savans modernes dans un
labyrinthe de conjectures hasardées : c'est parce que M. Raepsaet s'est attaché
à ce texte fautif, qu'il a prétendu déduire le nom des Germains du teuton
Jf ermannen et qu'il a commis d'autres erreurs que nous relèverons plus
loin. C'est pour la même raison que Juncker a dérivé ce nom de celui de la
rivière de Ger ou Géra et de mann ; et comme cette rivière traverse la Thu-
ringe, il conclut que les Germains dont parle Tacite n'étaient autres qu'un
peuple demeurant sur les bords de la Géra, dans le pays des Tongrois, pays
qui, selon lui, fut appelé Thuringe. Il croit que les Germains qui traversèrent
le Rhin pour envahir les Gaules étaient ce même peuple de la Thuringe
lequel ne fit que reprendre alors son ancien nom en se donnant celui de
Tongrois. Toutes ces conjectures, comme nous le verrons dans la suite, sont
dénuées de toute vraisemblance. (Raepsaet, jlfcmoire sur l'origine des Belges.
^- 32 -
peuples occupant le vaste espace de pays compris entre ie
Rhin, le Danube et la Vislule.
Le nom de Teutons prévalut cependant de nouveau
après la chute de Fenipire romain et se conserve encore
aujourd'hui dans les dénominations allemandes de Teuts-
chland^ Teutsche (1).
Il est impossible d'indiquer au juste Tépoque précise où
le nom des Germains prit naissance. Il serait intéressant
de le savoir parce c[u alors nous connaîtrions aussi le temps
où les peuples teutoniques envahirent la Belgique et en
expulsèrent les Celtes.
C'est à Tan 551 de la fondation de Rome que le nom
des Germains paraît pour la première fois dans l'histoire
romaine. On lit dans les fastes consulaires, dits fastes capi-
tolins, que cette année M. Claudius Marcellus remporta
une victoire éclatante sur les Gaulois, les Insubriens et les
Germains ; l'inscription porte : M. Claudius M. F. M. N.
Marcellus. Cos. de Galleis. Insubribus. Germaneis et
R. Martique. op. retulit. duce hostlum. vir. Clastid (2).
pages 3 et siiiv. Juncker, Einleitunfj zuder géographie der mitteleren Zeiten,
2^ th. c. 1.) Ce qui a encore confirmé davantage Juncker dans son erreur,
c'est le passage suivant de l'Anonyme de Ravenne , géographe barbare
du 8^ siècle, dont l'ouvrage fourmille de fautes les plus grossières :
Thuringta , quœ antiquitus Germania nun cwpabatur. Il est aisé de voir
que pour écrire cette phrase l'Anonyme de Ravenne avait lu le passage en
question de Tacite, mais qu'il ne l'avait point compris. Le seul moyen d'en-
tendre ce passage, si important pour constater l'origine des Germano-Belges,
c'est de le lire tel que nous le donnons en tête de cette note et alors il
n'offre aucune difficulté.
(1) Voir Mone, Geschichte des heidenthums im nordlich. Europa. 2* eh.
p. 6. Spener, Notiiia Germaniœ antiq., I. III, c. 4, ^ 9.
(2) Marcus. Claudius. Marci. filius. Marci. nepos. Marcellus. consul, de
Gallis. Insubribus. et Germaneis, Roniœ. Martique. opima. retulit. duce,
hostium. viro. Clastidio.
Reichard, Germanien unter den Romern, p. 1, Grsevius, Thés, antiq. rom.
tom. II, p. 173. Spener, Notitia Germ. antiq-^ 1. III, c. 4, § 6, nota.
— 33 -^
S'il faut en croire Properce et si le texte de ce poète est
correct, les Germains dont il est question dans les Fastes
Capitolins furent expulses de la Belgique par Marcellus :
Claudius ai Rhenum trajectos arcuit hostes
Belgica cui vasti parma relata ducis
Firidumari, genus hic Rheno jactahat ah ipso
rfohilis erectis fundere gesa rôtis (1).
Les invasions des Germains dans la Belgique auraient
donc eu lieu plus de 150 ans avant lere vulgaire; car lors-
que Marcellus triompha de cette nation , le nom des Ger-
mains ne devait déjà plus être nouveau. Il est même pro-
bable qu a 1 époque de l'expëdition de ce gênerai plusieurs
peuplades germaniques s'étaient déjà fixées dans la Belgi-
que, puisque César rapporte cjue trente-sept ans après,
c'est-à-dire vers Tan 113 avant lere vulgaire, les Belges
furent le seul peuple des Gaules qui résista avec succès
à rirruption des Cimbres et des Teutons (2). On n'a c]u'à
lire cet auteur, pour se convaincre qu il y est question ,
relativement à cet événement, non pas des Celto-Belges
mais des Germano-Belges ou des Germains conquérans de
la Belgique. Il nous parait donc c[u on pourrait, avec assez
de probabilité, fixer l'expulsion des Celtes de la Belgique
et le repeuplement de cette contrée par des Germains
entre les années 200 et 130 avant l'ère vulgaire. C'est
tout ce qu'on peut dire de cet événement important (3).
Lorsque César vint conquérir les Gaules, la cinc[uante-
(1) Propert., 1. IV, eleg. 10, 1. 40. Adelung , 3-^ absch. , § 2. Blascow croit
qu'au lieu de Germaneis il faudrait lire Cenomaneis, ce qui ne paraît guère
probable. ( Mascow, Geschichte der Teutftchen, V th. s. 6. )
(2) Soli Belgœ Teutones istos Cimbrosque , omni Galliâ vexalâ, intrà
unes suas ingredi prohibuerunt, ( Cses., 1. II, c. 1 ).
(3) Desroches pense que l'expulsion des Celtes de la Belgique est anté-
rieure à l'expédition des Gaulois dans l'Asie mineure, vers l'an 280 avant
Tome I. 3
-^ 34 ^
huitième année avant J.-C, non seulement toute la Belgi-
que actuelle , mais encore toute la partie des Gaules voi-
sine du Rhin étaient au pouvoir des Germains et occupe'es
par les peuplades germaniques désignées sous le nom de
Nemètes , de Tribocs , de Vangions , de Tréviriens , de
Ménapiens, de Nerviens, de Centrons, de Grudiens, de
Lévaciens, dePleumosiens, de Gorduniens, d'Eburons, de
Céresiens , de Condrusiens , de Segniens , de Pemaniens ,
d'Ambivarites , de Bataves, de Caninefates et quelques
autres petites peuplades moins connues.
De toutes les peuplades que nous venons de nommer,
il n^ avait que les trois premières et les deux dernières qui
n occupassent pas quelque point de la Belgique actuelle. On
trouvait en outre dans cette dernière une peuplade cim-
Tère vulgaire : «Cette conjecture, dit-il, se fonde sur l'expression de César:
Antiquitùs iransductos; sur le témoignage de Pline qui nomme les Teuto-
hodiaques i^drmi les peuples gaulois qui eurent part a l'expédition d'Asie: or
ce nom est purement belge et signifie envoyés par les Teutons. On sait que
les Germains se désignaient eux-mêmes dans leur langue sous le nom de
Teutons, comme les Gaulois s'appelaient Celtes dans la leur. CesTeutobodia-
ques, ces troupes envoyées par les Teutons, semblent donc indiquer assez
visiblement les Belges détachés par leurs nations respectives pour concourir
à l'expédition projetée par les Gaulois en commun, dans un temps oii les
Belges déjà établis dans la troisième partie des Gaules , par le droit des
armes , étaient entrés dans la confédération générale. » ( Desroches , Hist.
anc. des Pays-Bas aiitrich., p. 4. )
Ce qu'avance Desroches dans ce passage ne prouve absolument rien.
D'abord l'expression Antiquitùs transductos est trop vague , pour pouvoir en
tirer un indice de l'époque précise où les Celtes furent expulsés de la Belgi-
que ; en second lieu le nom de Teutohodiaques ne peut désigner les Teutons
établis en Belgique , parce qu'après l'invasion de cette contrée par des Teu-
tons ceux-ci prirent le nom de Germains. Le nom de Teutohodiaques dési-
gnerait donc plutôt les Teutons établis a la droite du Rhin et dont les
Gaulois émigrés en Asie avaient pu recruter quelques peuplades en traversant
la Germanie, ou, (en désignant cette région par son ancien nom),laTeutonie.
Quant à Fétymologie du nom des Teutohodiaques donnée par Desroches,
«lie est tout-a-fait arbitraire et incertaine.
^ 35 —
brique, lesMuatiques, le seul des difFérens peuples du nord^
dont rhistoire nous fasse connaître le temps précis de son
arrivée en Belgique et la manière dont il s'y fixa avant la
conquête romaine. C'est Cësar qui nous apprend c|ue les
Atua tiques descendaient d un détachement de six mille Cim-
bres cjue la grande horde laissa à gauche du Rhin a la garde
du gros bagage de larmëe, lorsqu'elle envahit les Gaules.
Après l'entière défaite des Cimbres par Marins , ce faible
corps campé sur les bords du Rhin , près de la ville actuelle
de Cologne sans doute , fut attaqué de toutes parts par les
peuples voisins. Mais après une lutte de plusieurs années ,
les Atuatiques parvinrent à rendre les Eburons leurs
tributaires et les obligèrent a leur céder une partie con-
sidérable de leur territoire , dans la province actuelle
de Namur , où ils fixèrent leur demeure (1). Ainsi
(1) Ipsi ( Atuatici ) erant ex Cimhis Teuionisque procreaii : qui cum iter
in provinciam nostram Ilaliamque facerent, his inpedimeniHs , quœ secum
agere, ac portare non potcrant, citralià flumen Rhenumdepositis, custodiœex
suis ac prœsidio sex miîia hominum una reliquerunt. Hi, post eerum ohitiim,
multos annos à finitimis exagilati, cum aliàs hélium inferrent, aliàs inlatum
defenderent ; consensu eorum omnium pace faclâ, hune sibi domicilio locum
delegerunt. ( Cœs. 1. II, c. 29. )
II est intéressant de comparer ce passage de César avec ce que M. Thierry
rapporte des mêmes faits. Cet auteur contredit formellement César, toujours
par suite de son système sur la prétendue conquête de la Belgique par les
Cimb»'es, sept siècles avant l'ère vulgaire : «Les Belges, dit-il, en parlant
de l'expédition des Cimbres vers l'année 1.10 avant J.-C, les Belges soutin-
rent avec fermeté ce choc terrible et ne laissèrent point entamer leur fron-
tière. Il paraît d'ailleurs qu'il y eut des pourparlers entre ces descendans
des Kimris et les Kirnris de la horde ; et que la conformité de langage, le
souvenir d'une commune origine et par-dessus tout sans doute l'égalité des
forces ayant rapproché ces deux peuples, donnèrent lieu à un accommode-
ment entre les Belaes et les hordes envahissantes. Par suite de ces relations
de bonne amitié, les coalisés obtinrent des Belges-Eburons la cession d'un
lieu de dépôt où ils placèrent le bagage qui les gênait dans leur marche.
Ce lieu nommé Aduat, et l'un des meilleurs forts de la Belgique, servait auv
Eburons à déposer le butin conquis dans les guerres extérieures ou a mettre
~ 36 —
^ix mille Cimbresefifectuèrentce que la horde innombrable
vaincue par Marins n avait pu faire ; car, comme on la déjà
dit, César nous apprend que le corps entier des Cimbres
fut repoussé par les Belges et ne put entamer leur pays.
Il n'est pas probable que les différentes tribus de Ger-
mains qui se rendirent maîtresses de la Belgique , se soient
entendues pour conquérir et occuper ensemble , et tout à la
fois cette contrée ; leurs invasions ont du être partielles et
ces peuples ne se fixèrent sans doute en Belgique que suc-
cessivement et les uns après les autres.
Les Germains qui occupèrent le centre et le midi de la
Belgique , tels que les Nerviens et les Eburons , furent pro-
bablement les premiers envahisseurs et conquérans. Les
Ménapiens qui s'établirent dans le nord de la Belgique , et
qui occupaient, même encore du temps de César, une assez
grande étendue de pays sur le sol germanique , a la rive
en sûreté leurs biens meubles durant les guerres défensives. Les hordes en
s'éloignant y laissèrent, a la garde de leurs bagages, une garnison tout-à-fait
insuilîsante, malgré la force naturelle du lieu , si les coalisés n'eussent
compté sur l'amitié des nations Belgiques. » (Thierry, Hist. des Gaulois,
2« partie , c. 3. )
Il y a bien des observations a iaire sur ce passage de Y Histoire des Gaulois.
Quoiqu'en dise M. Thierry, les Cimbres furent loin de trouver un accueil
favorable auprès de leurs prétendus frères de la Belgique , et loin d'obtenir
du premier abord un territoire et ce fort d'Aduat où les Eburons , à ce que
prétend l'auteur, renfermaient leur butin, bien qu'on n'en trouve mot dans
aucun auteur ancien , le détachement resté sur les bords du Rhin , fut forcé
de guerroyer pendant plusieurs années et de vaincre les Eburons avant de
pouvoir se fixer en Belgique.
Au reste, ce que M. Thierry dit de l'accueil favorable que les Cimbres
auraient reçu auprès des Belges, n'est pas nouveau. Pellerin avait déjà anté-
rieurement avancé la même opinion dans ses Essais hist. et crit sur le dé-
jmrtement de la Meuse inférieure. Pellerin croit aussi que les Cimbres furent
reçus en amis parles Belges et qu'une partie de ces derniers se joignit même
à eux pour envahir les Gaules et l'Italie : «sans cela, dit-il, ils (les Cimbresj
n'auraient pas osé abandonner leur bagage à la garde de six mille Cimbres,
a la discrétion d'un peuple puissant.» (Pellerin, Essais, etc. , p. 34.)
^ 37 ^
droite du Rhin , peuvent être regardes comme les derniers
envahisseurs (1). Ce fut pendant les guerres de César
qu'ils furent expulse's de la rive droite du Rhin, et qu'ils se
fixèrent définitivement a la gauche du fleuve , pousse's en
avant par d'autres peuplades germaniques. On voit par là
que la ne'cessité fut pour quelque chose dans la conquête
que les Germains firent de la Belgique, et que la plupart
cédèrent à une force majeure en quittant leur patrie pri-
mitive, soit à cause de factions et de guerres intestines, soit
à cause d'hostilités exercées contre eux par d'autres peu-
plades.
C'est là tout ce que les recherches les plus étendues nous
ont appris sur l'origine et Fhistoire des Belges avant la con-
quête de la Belgique par les Romains. Nous avons distin-
gué dans la Belgique deux nations différentes de race et de
mœurs; les Celtes et les Germains. Personne n'avait jus-
qu'ici tracé une démarcation exacte entre les Celto-Belges
et les Germano-Belges. On les avait confondus; on avait cru
que les Celtes s'étaient incorporés et agglomérés avec les
Germains; un examen plus attentif nous a convaincu qu'a-
près la conquête de la Belgique par les Germains , les Gaulois
avaient été entièrement expulsés de cette région. César
avance d'après le rapport des Remois , que la plupart des
Belges tiraient leur origine des Germains , qui , ayant an-
ciennement passé le Rhin , s'étaient fixés dans ces contrées
fertiles d'où ils avaient expulsé les Celtes ou Gaulois (2) ;
il dit la plupart des Belges parce qu'alors on comprenait
sous le nom de Belgique toute l'étendue de pays depuis le
Rhin jusqu'à la Somme et la Marne, dans lequel on trouvait
(1) Cœsar, 1. II, c. 4.
(2) Reperiebat plerosque Belgas esse ortos à Germants Rhenumque anii-
quitùs transductos, propfer loci fertiliiatem ibi consedisse ; Gallosque qui ea
loca incolerent expulisse, (Cecs., 1. II, c. 4.)
— 38 —
encore un grand nombre de peuples celtiques. S'il n'avait
eu à parler que de la Belgique contenue dans les bornes ac-
tuelles, il n'aurait pas manqué d'écrire que tous les habi-
tans de celte contrée, à l'exception peut-être des Atuati-
ques , étaient , d'origine germanique , comme il est facile
de le prouver par dififérens passages des Commentaires.
D'ailleurs (]ésar n'est pas le seul auteur qui déclare
Germains d'origine tous les peuples qui , de son temps ,
habitaient la Belgique actuelle; plusieurs autres écrivains
anciens , Strabon , Tacite , Dion , Cassius et Appien les
reconnaissent pour tels. Les Nerviens, le peuple le plus
puissant et le plus nombreux de la Belgique actuelle,
sont qualifiés du nom de Germains par Slrabon et
par Tacite (1). Appien les fait descendre des Cimbres
et des Teutons , mais il est évident qu'il confond les
Nerviens avec les Atuatiques (2). Tacite attribue aux
Treviriens la même origine qu'aux Nerviens. Quant
aux Eburons , aux Cérésiens , Pémaniens , Condrusiens
et Segniens, cet auteur ne les a pas connus et n'a pas
parlé d'eux parce que déjà de son temps ces peuples
n'existaient plus en Belgique ; mais César ne les appelle
que du nom de Germains (3). Aucun auteur ancien ne
nous indique positivement de quelle race étaient les
Ménapiens , mais la langue de ce peuple, ses mœurs, son
séjour sur les deux rives du Rhin a une époque où les peu-
plades gauloises s'étaient depuis long-temps éloignées des
bords de ce fleuve pour se retirer dans le centre des Gaules;
(1) Strabo, 1. IV. Nervii circa ajfectaiionem orighiis Germanicœ nltia
amhifiosi sunt (Tac. Mor. Germ., c. 28.)
(2) Appianus. De Bello Gallico.
(3) Condnisos, Eburones ^ Cœresos, Pœmanos qui uno nomme Germarvî
appellantitr. (Caes.. 1. II, c. 4.) Segni Condrusique ex génie et numéro Germa-
norum. ( Idem.. 1. VI, c. 32.)
- 39 —
tout atteste que les Ménapiens étaient d'origine germa-
nique (1). Aussi Pomp. Mêla appelle-t-il les Morins, qui
habitaient au midi des Mënapiens, le dernier peuple de race
gauloise; et Pline place-t-il les limites de la Germanie,
non au Rhin , mais à l'Escaut , parce qu'au delà de ce
fleuve il n'y avait plus que des Germains.
Ce sont donc tous les anciens peuples de la Belgique que
nous venons d'ënumërer, cjue César prétend désigner lors-
qu'il dit que la plupart des Belges descendaient des Ger-
mains. Ainsi M. Thierry nous paraît avoir commis une
grave erreur en avançant que « malgré leur valeur sauvage
et la terreur qu'ils inspiraient , les Germains n'étaient par-
venus à se fixer a demeiu^e de l'autre côté du Rhin que
difficilement et en petit nombre; que les Segnes, les Con-
druses , les Psemans, les Cœreses, débris des tribus écra-
sées et chassées par une autre confédération de la même
race , avaient passé le fleuve et occupé une partie de la
foret des Ardennes, moins par la force des armes que du
consentement des Trévires, dont ils se reconnaissaient tri-
butaires et cliens (2). »
Les Nerviens , les Tréviriens , les Eburons et les Ména-
piens , peuples principaux de la Belgique , ne sont pas ,
comme on le remarque , réputés d'origine germanique par
Thierry, et quand l'auteur fait envahir la Belgique par des
(1) Desroches, Hist. anc. des Pays-Bas aiitridi., p. 29.
Alting croit que les Ménapiens formaient une confédération de plusieurs
peuplades germaniques : de là il fait dériver le nom des Ménapiens de Talie-
mand OTieewa/'i, communauté, confédération. (Alting, Germ. infer. descript.
pars 1^ in voce Menajyii.) Il y a des auteurs qui font dériver le nom de ce peuple
de celui du Maine qui se jette dans le Rhin à Manheim et prétendent que les
Ménapiens bahitèrent primitivement près de cette rivière ; ce n'est là qu'une
conjecture sans preuves historiques. {Antiquarius des Maynstroms, p. 1F3.)
Wastelain a adopté l'opinion d' Alting. (Descript de la Gaule Belg., p. 185.)
(2) Thierry, Hist. des Gaul, 2* partie, chap. 5. Voir aussi T* partie, chap.
1, 4. 2'' partie, chap. 1, 3.
-_ 40 —
Cimbres et seulement par deux ou trois petites peuplades
germaniques , il est en contradiction manifeste avec les au-
teurs anciens , et notamment avec Cësar qui atteste que les
Cimbres ne purent point pe'ne'trer dans la Belgique et que
les Belges-Germains leur résistèrent avec succès.
Occupe'e exclusivement par des Germains , la Belgique ,
au temps de Cësar, ne conservait pour souvenir des Celtes,
ses premiers habitans, que son ancien nom gaulois de
Belgique , laisse au pays par ses nouveaux possesseurs qui
eux-mêmes adoptèrent pour nom génëricjue la dënomina-
tion de Belges ^ c'est ainsi que du temps de Tacite le nom
de Bohême était aussi le seul vestige qui restât du sëjour
des Boiens sur les bords du Danube (1).
Lorsque Cësar entreprit la concj[uête des Gaules , les in-
vasions des Germains n'y avaient point cessé et étaient
même plus fréquentes que jamais. Elles obligèrent à cette
époque les Helvëtiens à abandonner leur pays , comme les
(1) Ou lit dans la géographie de Pomponius Mêla : Tliule Belcarum littori
opposita est, ( 1. III, c. 6 ), cette conformité de nom d'un peuple habitant sur
la côte en face de la Norwège , avec celui des Belges a fait conclure à Desro-
ches que les Germano-Belges tiraient leur origine de cette peuplade Scandi-
nave et que leur nom dérivait de celui des Belcœ. (Hist anc. des Pays-Bas
autrich., liv. I, chap. 2.) M. Raepsaet a adopté cette opinion de Desroches
[Mém. surVorigine des Belges ci Analyse de V hist. des droits civ., polit, etc.,
des Belges et Gaulois^.
M. Raoux a, selon nous, complètement refuté ces deux auteurs. Il démontre
qu'au lieu de Belcœ il faut lire dans P. Mêla, Sagœ; et il prouve que la déno-
mination de Belge est indubitablement d'origine celtique. (Raoux, Dissertât.
histor. sur l'origine du nom de Belges, nouv. mém. de l'acad. de Brux. t. 3 et 7.)
Tout en accédant au sentiment de ce savant , et en appréciant l'exactitude
et la sagacité de ses observations, nous ne pouvons admettre avec lui que
les Germains qui envahirent la Belgique ne portassent point le nom de Belges
avant l'arrivée des Romains et que les peuples voisins ne les connussent
toujours que sous celui de Germains ; s'il en eut été ainsi, les Rémois Iccius
et Antebrogius n'auraient certainement pas dit à César que la plupart des
Belges étaient d'origine germanique : plerosque Belgas ortos esse à Ger-
mants. Si parfois César donne à quelques peuplades germaniques de la Bel-
_ 41 —
Celto-Belges a^^aientëtë contraints antérieurement a quit-
ter le leur (1). D un autre côté ArioYiste, chef dune ligue
de plusieurs peuplades germaniques , venait de passer le
Rhin a la tête de 12,000 hommes , et de s'emparer d'une
grande partie de la Sequanoise. Il est probable que ce fut
alors que les Tribocs , les Némètes et les Vangions qu'on
voit figurer dans l'armée d'Ârioviste , s'établirent sur le ter-
ritoire gaulois^ dans les diocèses de Spire et de Wonns (2);
et cjue si César n'était venu conquérir les Gaules et mettre ob-
stacle aux envahissemens des Germains, sous peu cette
vaste contrée eut tout entière subi le joug de ces sauvages
conquérans . comme l'observa a César Divitiacus, chef des
gique le nom de Germains, c'est simplement pour les distinguer en leur
qualité de Germano-Belges des Celto-Belges qui continuèrent à habiter le
Belgium proprement dit , contrée qui comprenait l'Amiénois, l'Artois et le
Vermandois et communiqua probablement son nom à toute l'étendue de
pays que les anciens connaissaient sous le nom de Belgique.
Nous croyons donc qu'avant comme pendant la domination romaine,
l'espace de pays compris entre la Seine, la Marne et le Rhin porta tout entier
le nom générique de Belgique; que les Teutons qui envahirent une partie de
cette contrée, de même qu'ils avaient adopté la dénomination de Germains
qui leur avait été donnée par les Gaulois , prirent aussi le nom de Belges ,
du peuple qu'ils avaient expulsé, et conservèrent celui de Belgique au pays
dont ils étaient devenus les maîtres.
Si le nom de Belges est d'origine celtique , on ne peut pas le faire dériver,
comme le font la plupart , du Teuton Belgen, quereller, ni de BelchisJieim,
Belkeslieim ou Belkisheim, ancien canton ou Pagus de la vieille Marche de
Briindenbourg, entre les rivières la Bièse et l'Alaud. (Abel , Teutsche und
Sachische Altertliumer, 1* th., 2° heft., c. 2, § 5.)
(1) Strab., 1. IV.
(2) Caes., l. T, c. 51.
César, dans la description du cours du Rhin, parle déjà des Tribocs comme
habitant sur les bords de ce fleuve. Mais quoiqu'il y mentionne aussi les Nan-
tuates, les ïïelvétiens, les Séquanois, les Médiomatrices et les Tréviriens, tous
peuples dont le Rhin traversait le territoire, il ne nomme ni les Vangions, ni
les Nemètes. (Cœs., I.IV, c. 10.) On ne pourrait cependant conclure du silence
de César à l'égard de ces deux derniers peuples qu'ils n'habitassent point
encore a cette époque la rive gauche du Rhin ; puisque cet auteur oublie de
— 42 ^
OEduens envoyé auprès du général romain pour implorer
son secours contre Arioviste (1).
A peine César eut-il défait et chassé Arioviste du terri-
toire celtique, que déjà une nouvelle horde de Germains,
beaucoup plus nombreuse que la première , car elle comp-
tait 430,000 hommes , tenta de passer le Rhin et de s'éta-
blir dans les Gaules (2).
Rejetés dans la Germanie par les Romains, les Germains
ne renoncèrent jamais à renouveler leurs tentatives pour
se rendre maîtres des Gaules; malgré les échecs que leur
fit éprouver un ennemi qui leur était supérieur par la
tactique militaire, ils parvinrent peu à peu à se fixer dans
la Belgique et les provinces voisines du Rhin , jusqu'à ce
qu'enfin , après quatre siècles d'efforts et de combats , ils
expulsèrent les Romains de toutes les parties des Gaules
et y commandèrent en maîtres absolus.
même, dans la description du cours de ce fleuve, les Éburons qui touchaient
cependant au Rhin , comme il le dit lui-même dans un autre passage de ses
Commentaires.
(1) Fulurum esse paucis annis, uti omnes ex Galliœ finxbus (Galli) pelle-
rentur, atque omnes Germani Rhenum transirent! -.. Nisisi quidin Cœsare
populoque Romano sit auxilii, omnibus Gallis idem esse faciendum, quod
Helvetiijecerint, ut domo emigrent, aliud domiciliùm^ alias sedes, remotas
à Germanis pétant. (Cœs., 1. I, c. 31.)
(2)Cœs. 1. IV,c. 14et 15.
43 —
CHAPITRE III.
Position géographique et limites des peuples de la Belgique , avant la
donunation romaine.
Comme il ne nous est parvenu aucun document ancien
qui puisse nous faire connaître quelle était la position
géographique de chaque peuplade Celto-Belge de la Belgi-
que actuelle, ni même quel était le nombre et le nom de
ces peuples, ce serait un travail aussi fastidieux qu'inutile
de faire des recherches sur ce sujet. Nous nous contenterons
de dire qu'il est indubitable que la Belgique ancienne dans
sa plus grande extension avait, lorsqu'elle était encore exclu-
sivement occupée par les Celtes , la même étendue que sous
la domination i^omaine , c'est-a-dire qu'elle s'étendait du
Rhin à la Marne et à la Seine. Bien que îa partie septen-
trionale de la Belgique ancienne correspondant à la Belgique
actuelleetà une partie de la rive gauche du Rhin, fut envahie
et occupée par les Germains, cette contrée conserva avec son
nom ses anciennes limites. Le midi de la Celto-Belgique que
constituait en partie le Belgium proprement dit , ne fut
point conquis par les Germains et conservait encore sa popu-
lation celtique a l'époque des conquêtes de César. César et
d'autres écrivains anciens nous ont fait connaître la position
géographique de chaque peuplade de cette partie de la Bel-
gique ancienne, mais dans un ouvrage où l'on n'a pour but
que de décrire l'état ancien de la Belgique actuelle, ce serait
sortir du cadre que nous nous sommes tracé , que de nous
occuper particulièrement des peuples qui vivaient en de-
hors des limites de cette dernière. Nous ne dirons donc rien
des Morins , des Atrebatcs , des Bellovaqucs , des Ambia-
^ 44 —
nois , des Vermandois j^des" Soissonais , des Piemois , des
Caletes et des Velocasses, qui, avec les peuplades Germano-
Belges ci-dessus mentionnées , formaient les vingt-quatre
peuples de la Belgique ancienne avant la domination ro-
maine.
Puisque nous ignorons complètement quels étaient les
difFérens peuples de race celtique qui occupaient dans le
principe la partie de la Celto-Belgique correspondant à la
Belgique actuelle, ne cherchons qu à connaître le plus exac-
tement possible la position géographique de chacune des
peuplades germaniques qui chassèrent ces Celto-Belges et
les remplacèrent.
Les auteurs modernes qui se sont occupés de l'histoire
ou de la géographie ancienne de la Belgique actuelle , ont
généralement commis Terreur de confondre la position et
les limites des diiFérens peuples germains de la Belgique
avant la domination romaine avec celles qu'ils eurent
après la conquête de César. La différence qui existait à cet
égard à ces deux époques est fort grande ; car la conquête
de la Belgique par César ayant déplacé ou fait disparaître
plusieurs peuplades germano-belges , les nouvelles peu-
plades germaniques qui les remplacèrent sous le règne
d'Auguste , et la nouvelle division des Gaules fixée par cet
empereur , effectuèrent un changement total dans la divi-
sion topographique de la Belgique , comme on aura lieu de
s'en convaincre en lisant le présent chapitre et celui de la
seconde partie de ce livre , qui traite de la position géogra-
phique des peuples Belges sous la domination romaine (1).
(l) Par la conquête de César, les Eburons, les Atuatiqnes et plusieurs
autres peuplades moins considéi'ables disparurent du sol de la Belgique et
furent remplacées sous le règne d'Auguste par les Ubiens , les Tongrois et
les Toxandres. Par la conquête romaine les Ménapiens perdirent une partie
considérable de leur territoire qui fut cédée aux Gugernes, peuplade Suève.
- 45 —
C'est une question difficile à re'soudre que de designer
îa position précise et les limites de chaque peuplade ger-
mano-belge avant la nouvelle division ge'ograpliique de la
I Belgique sous l'empire romain. Nous n'avons pour guide
1 ici que Cësar , qui, dans ses Commentaires, s'occupe plus
! de ses campagnes que de la description des pays qu'il sub-
i jugua. Il ne nous indique que d'une manière fort vague
les limites des différentes peuplades Germano- Belges.
D'ailleurs, ainsi que l'observe M. Raepsaet, avant l'orga-
nisation romaine une grande partie de la Belgique était ,
comme la Germanie, sans limites ni divisions certaines (1).
« La topographie de la Belgique sous là domination germa-
nique , dit ce savant , avait été purement personnelle ; les
divisions de la surface de la Belgique avaient été indiquées
par k nom de chaque nation qui les occupait; il n'était pas
possible de distinguer ces divisions autrement ; car toutes
ces nations étaient indépendantes l'une de l'autre , et ne se
sont donné un chef commun avec le titre de roi que sous
la période franque ; elles n'avaient pas d'ailleurs une cir-
conscription territoriale stable , nullâ regnorum potentiâ
divisas ; elles étendaient leurs limites au fur et à mesure
qu elles chassaient d'autres peuplades germaniques ou gau-
loises, ut quœque gens évaluerai^ et venaient occuper
leur pays , comme furent chassés les Usipètes et les Sicam-
bres par les Suèves , et les Ménapiens par les Tongres ; tous
ces pays , même suivant la remarque de Tacite , ne for-
maient qu'une masse que ces peuplades couvraient irrégu-
lièrement et comme des armées en campagne (2). »
Nous parlerons de tous ces changemens avec plus de détail dans la 2° partie
du livre I de cet ouvrage.
(1) Sedes promiscuas adhuc et niilla regnorum potentiâ divisas. (Tac,
Mor. Germ.)
(2) Raepsaet, Analyse hist etcrit. de l'origine et des progrès des droits civ.,
— 46 —
Ce n'est que d'après des conjectures dénuées de preuves
historiques, ou en se servant de doc umens, telle que la di-
vision par diocèses qui se rapporte à une époque posté-
rieure a la conquête de la Belgique , que les auteurs mo-
dernes ont tenté de tracer les limites des peuples Belges
avant la domination romaine. Par là ces auteurs sont tom-
bés dans de graves erreurs; car ils ont donné la position
géographique et les limites des Belges, telles qu'elles étaient
après la circonscription territoriale fixée par Auguste,
lorsqu'ils ont cru tracer celles que ce peuple occupait un
demi-siècle avant l'ère vulgaire. Le seul moyen d'éviter ces
erreurs et de parvenir à la vérité , autant qu'il est possible
dans une matière aussi obscure, c'est de prendre César
pour unique guide, et de ne s aider dedocumens postérieurs
que pour autant qu'ils s'accordent avec cet auteur ou qu'ils
servent à expliquer et éclaircir ses termes trop concis ou
trop vagues.
polit, et relig. des Belges et des Gaulois , tom. 1 , p. 56. Voir aussi Desro-
ches, Hist. anc. des Pays-Bas autrich., p. 17.
Personne n"a répandu plus de jour sur l'état ancien de la Belgique que le
savant et respectable Raepsaet que la mort vient de ravir aux lettres ; cepen-
dant le passage que nous venons de transcrire renferme quelques assertions
que nous comliattrons plus loin , telle que cette prétendue expulsion des
Ménapiens par les Tongrois.
Peloutier a fait sur la division géographique de la Germanie les mêmes
observations que M. Raepsaet sur celle de la Belgique avant la domination
romaine : « Les géographes , dit cet auteur, se donnent assurément une peine
inutile en voulant déterminer au juste Tancienne demeure des Suèves , des
Vandales, des Alains et des autres nations qui menaient une vie ambulante
sans se fixer dans aucun pays. On peut dire , par exemple , que les Vandales
étaient autour de l'Elbe du temps de Dion qui fait descendre ce fleuve de
la Vandalie. On peut marquer les vastes contrées au milieu desquelles ils
avaient coutume de se promener, les fleuves, les montagnes où ils étaient
obligés de borner leurs courses ; mais il faut en demeurer là. Ce serait tomber
en contradiction que d'assigner des villes et une demeure fixe à des peuples
dont le nom même avertit qu'ils n'en avaient point. » (Peloutier, Hist. des
Celtes, tora. 2, p. 97.)
— 47 -
Dans le système germanique , les divisions territoriales
«e faisaient par cantons, {gauwen, pagus) divises en grands
et en petits cantons {pctgi majores et minores). Les
cinq peuplades principales de la Belgique au moment de
la conquête romaine , les Eburons , les Treviriens , les
Nerviens, les Atuatiques et les Menapiens peuvent être
considérées comme constituant les pctgi majores de cette '
contrée; en traçant autant cjue les documens parvenus
jusqu'à nous le permettent , les limites de chacune de ces
divisions principales, nous y rattacherons les petites peu-
plades comme subdivisions ou pagi minores de leur de'-
pendance.
Suivant Ce'sar, la majeure partie des Eburons demeu-
raient dans l'espace compris entre le Rhin et la Meuse (1).
Ils y e'taient borne's au nord par les Menapiens c[ui occu-
paient de ce côté la Gueldre et le Brabant septentrional ,
sans cju'on puisse dire quelle était la juste limite entre ces
deux peuples (2). Au midi et à l'orient ils étaient séparés
des Treviriens par les Segniens , et les Condrusiens (3) ;
une partie des Eburons , quoique la moins nombreuse ,
habitait aussi à gauche de la Meuse et y confinait au midi
avec les Atuatiques (4). Les limites septentrionales des
Nerviens par lesc|uelles ils touchaient aux Eburons furent ,
sous l'époque romaine, tracées par la Dyle. Nous n'osons
assurer que les Eburons dont les Tongrois occupèrent dans
(1) Ehurones quorum pars maxima est inter Mosam et Rhenum. ( Cses.,
1. V, c. 34.) Sicambri qui suntproximi Rheno .... transeuntes Rhenum ....
primos Eburotium fines adeunt. (Id. 1. VI, c. 35.)
(2) Erant Menupii propinqui Eburonum ftnibus. (Id. 1. VI, c. 5.)
(3) Segni Condrusique ex gente Germanoriim , qui siint inter Eburones
Trevirosque , ( Caes. , I. V. c. 38. )
(4) C. Trebonium cumpari le gionum, numéro ad eamregio7iem (EhuTonum)
quœ Atuaticis adjacet depopulandum mittit ( Id. 1. VI,c. 33. ) Ambiorix
statim cum equitatu in Aduatucos qui erant ejus regni finilimi, proficiscitur,
(l.V, c. 38.)
— 48 —
la suite une partie du territoire , s'étendissent jusque la.
Leurs limites du côte des Atuatiques sont aussi inconnues
que celles qui , à l'ouest et au nord , les séparaient des Mé-
napiens.
Au reste il est probable que tout Fespace renfermé entre
le Demer , la Meuse et l'Escaut était alors en grande partie
un désert , sans délimitation intérieure , et « dans lequel,
comme s'exprime M. Raepsaet , les peuples de la Belgique
venaient s'établir et circulaient , le plus puissant y pre-
nant ce qui était à sa convenance, changeant, abandon-
nant et occupant des contrées au gré de sa convoitise et de
ses besoins. » Nous verrons ailleurs que plus d'un siècle
après la conquête de la Belgique par César , ces lieux se
présentaient encore sous un pareil aspect.
Un passage des Commentaires semble prouver que vers
l'ouest les Eburons s'étendaient jusqu'à l'Escaut. César
dit au moins qu'il les poursuivit jusque là (1). Ceux qui
ont assigné pour limite septentrionale des Eburons , du
côté des Ménapiens , le territoire de Ruremonde , se sont
crus fondés dans cette opinion en ce qu'ils ont regardé le
village de Kessel , entre Ruremonde et Venloo , comme
étant le castellum Menapiorum , capitale des Ménapiens à
l'époque romaine ; mais nous ferons voir ailleurs que c'est
là une erreur , et que le Castellum Menapiorum doit être
cherché à Cassel dans la Flandre française.
S'il est impossible de désigner au juste les limites du
pagus des Eburons , au moins pouvons-nous reconnaître
en gros la position géographique de ce pays. D'après ce
que nous venons de voir , les Eburons occupaient les con-
trées correspondant au duché de Juliers , au Limbourg, à
une partie de la province de Liège jusqu'au Condros , et
(1) Ipse cum reliquis tribus ( legionibus) ad flumen scaldim quod influit
in Mosam extremasque Arduennœ partes ire constituit. (ïbid.)
— 49 —
probablement la partie septentrionale du Brabant qui se
termine a la Dyle.
Il nous est possible de désigner avec plus d'exactitude les
limites des Tre^ù^iens, parcequ outre l'autorité de César,
nous pouvons encore nous servir ici de documens posté-
rieurs, ce peuple ayant gardé , après la conquête romaine ,
les limites qu'il avait, antérieurement à cet événement.
A l'orient , les Tréviriens étaient donc bornés , avant
comme pendant la domination romaine , par le Rhin (1) ,
à l'occident ils touchaient aux Ner viens dont ils étaient
séparés par la Meuse (2). Au midi ils avaient pour limitro--
plies les Bîédiomatriques ( peuple de la Lorraine ) (3). Au
nord ils étaient séparés des Eburons par deux petites peu-
plades qui étaient sous leur dépendance , les Condrusiens
et les Ségniens (4). Les Tréviriens habitaient aussi l'ancien
électorat de Trêves et le Luxembourg,
Près des Tréviriens on trouvait quatre petites peuplades
que César désigne sous le nom commun de Germains ; ce
sont les Condrusiens , les Ségniens , les Pémaniens et les
Cérésiens. Suivant le même auteur les deux premières de
ces peuplades étaient vassales des Tréviriens. Eu égard à
la position géographique des deux autres peuplades , on
peut les regarder comme formant avec les Condrusiens et les
îScgniens des pagi minores du grand pagus des Tréviriens.
Les Condrusiens habitaient , à ne pas en douter , le can-
ton appelé Condros, entre la Meuse, l'Ourthe et l'Homme,
et renfermant aujourd'hui les villes de îiui , Dinant et
Ciney. Une charte de Louis-le-Débonnaire , de l'an 879,
(1) Hœc civitas Rlienum tangit. (Caes., 1. 5, c. 3.j
(2) Trevirù cohabitmit IVervii. (Strabo, 1. 4.)
(3) Post Mediomatrices Treviri juxia Rhenum habitaiit. (Id. ibid.)
f4) Segni Condrusîque ex gente et numéro Germanorum qui tnter Ebu-
rones Trevirosque. (Cses., lib. 6. c. 32.)
Tome I. 4
— 50 —
appelle le Condros pagus Condrus'ii (1). Dans le partage
du royaume de Lothaire , en 870 , il est désigné sous le
nom de Condrast.
On ignore la demeure des iS'6'^72/e?i.y; seulement on trouve
dans les environs de Spa les villages de Sègne et Sougnez,
qui semblent rappeler le nom de cette petite peuplade.
Le territoire qu'occupaient les Pénianiens n'est guère
moins incertain , quoique des auteurs aient prétendu le
retrouver dans la Famenne , contrée du Luxembourg, dont
Marche était le chef-lieu. Le nom de Famenne, au moyen-
âge pagiis Falminiensis, est la seule preuve qu'ils citent
alappui de cette opinion. D'autres ont, avec encore moins
de certitude, assigné pour demeure aux Pémaniens, le can-
ton de la Campine appelé Peeland,
(]ésar est le seul auteur ancien c[ui parle des Pémaniens;
après lui il n'est plus fait mention de cette peuplade c[ui
partagea le sort des Eburons et fut exterminée par ce con-
quérant. Il en fut de même des Cœresiens dont le pagus
Caros ou le Cœrasgoiv du moyen âge (2) paraît rappeler le
nom. Le P. Wiltheim , Papenbroeck, Desroches, Dewez
et d'autres y placent les Cœresiens.
Les Nerviens occupaient le centre et le midi de la Bel-
gique actuelle. Il est probable cju'ils eurent les mêmes li-
mites pendant comme avant la domination romaine ; car
César dit lui-même cju'après avoir défait ce peuple, il lui
conserva la possession intégrale de son territoire (3). Il
n'en fut pas de même des Ménapiens, des Eburons, des
Atuatiques et de quelques peuplades moins considérables
(1) Inpago Condrusii (Galliot Ilist. de la prov. et de la ville de Namvr,
tom. 5, p. 274 ).
(2) Le pagus Caros s'étendait entre Bouillon. Kerpen et Pruim. (Wastelain,
Descript. de la Gaule Bclg.)
(3) Suisque fînihus uti Jiissii
^ 51 -^
iju'on voit disparaître du sol de la Belgique pour faire place
à de nouvelles peuplades germaniques.
Pendant la domination romaine, les Nerviens eurent
pour limites, à 1 occident , lEscaut jusqu'à sa jonction
avec le Rupel. Ils avaient de ce côté pour voisins les
Mënapiens et les Atrebales.
Au nord le Rupel et la Dyle se'paraient aussi les Nerviens
des Me'napiens,
La Dyle jusqua sa source, et une lignée tirée de ce point
par Charleroi et Cliimai étaient leurs limites vers Test (1).
Au midi les Nerviens confinaient aux Vex'mandois, aux
Ambianois et aux Remois.
Telles étaient les liaiites des Nerviens pendant la domi-
nation romaine. Ils habitaient ainsi les parties de la Bel-
gique actuelle qui comprennent le Hainaut, le Brabant
méridional a gauche de la Dyle , la Flandre orientale à
droite de l'Escaut et une petite portion de la province
d'Anvers formant un angle entre l'Escaut , le Rupel et la
Dyle, et hors de la Belgique actuelle, le ci-devant Cambre-
sis et le Hainaut français.
Nous n'osons toutefois assurer que telles fussent déjà les
bornes du pays des Nerviens avant la conquête romaine;
il est possible, et même probable, que, comme les peuples
principaux de la Germanie , les Nerviens étaient séparés
des peuples voisins par des déserts (2). Ce sont peut-être
(1) Desroches étend les frontières des Nerviens jusqu'à la Meuse et les y
fait confiner avec les Tréviriens. En effet Strabon dit de ces derniers qu'ils
étaient limitrophes des Nerviens : Treviris contlgui sunt Nervii. ( Strab.,
1. IV.) César ne connaît pas ces limites qui ne paraissent pas non plus avoir
été celles du diocèse des Tréviriens pendant la domination romaine.
(2) Civitatibus (Germanise) viaxima laus est quam lalissimas circum se
vasiatis finibiis solitudines habere Simul ïioc se fore iutiores arhi-
trantur, repentinœ incursionis timoré suhlato. (Cœs.. 1. VI. c. 23.)
— 52 ~~
ces déserts que Tacite appelle du nom de déserta Ner-
viorum.
Les Ner\iens n'occupaient pas seuls toute l'étendue de
pays dont nous venons de tracer les limites. Ce pagus
major comprenait encore les pagi minores ou petites peu-
plades des Centrons, des Grudiens , des Levaciens ^ des
Pleumosîens et des Gorduniens . Il serait pre'somptueux,
au reste , de vouloir désigner la position précise de ces
peuples que César n'a fait qu'indiquer par leur nom dans
un seul endroit de ses Commentaires , sans y aj outer au-
cune particularité qui pourrait nous faire connaître leur
position géographique , si ce n'est qu'ils étaient sous la dé-
pendance des Nerviens (IV Ils ne constituaient probable-
ment qu'une subdivision de ce peuple puissant.
Après César, aucun auteur ancien ne parle plus de ces
petites peuplades (gentes minores) qu'on aura confondues
sous le nom du peuple principal (gens major) des Ner-
viens (2).
Les Atuatiques ^ Cimbres ou Teutons d'origine, laissés
(1) CentroneSy Grudios, Levacos, Pleumosios, Gordunos, qui omîtes sub
eorum (Nervioruiii) imperio sunt (Cses., 1. V, c. 39.)
(2) Sur la plupart des cartes de la Belgique ancienne , publiées au 16° et
au 17* siècle, entr'autres sur celle du célèbre géographe Samson, les Cen-
trons, les Grudiens, les Lévaciens , les Pleumosiens et les Gorduniens se
trouvent placés à gauche de TEscaut , dans la Flandre ; c'est là une erreur
palpable; car en fixant ces peuples dans cette position qui était celle des
Ménapiens, on les fait dépendre de ces derniers, tandis qu'ils étaient sous la
dépendance des Nerviens qui habitaient a droite de TEscaut.
Il y a des auteurs qui ont assigné aux Grudiens le territoire de Bruges,
aux Centrons celui de S'-Trond (qui dépendait des Tongrois) , et aux Léva-
ciens celui de Louvain. Ces deux derniers peuples n'occupent ces positions
qaà cause d'une légère ressemblance entre les noms anciens et modernes:
et quelle étymologie encore que celle qu'on donne au nom d'un saint,
S'-ïrond, corruption du latin sanctus Trudo qu'oT» prétend faire dériver de
celui des Centrons? Le célèbre Bergier est tombé dans la même erreur. (Voir
5on Histoire de Reims, c. 7, § 3.)
— 53 —
par leurs compatriotes a la garde des bagages de la horde
sur la rive gauche du Rhin , comme nous Favons déjà dit ,
contraignirent les Eburons , après plusieurs années de
guerre , à leur céder une partie de leur territoire et même
à devenir leurs tributaires. Le sort leur fut moins propice
lors de la conquête de la Belgique par César ; car alors la
peuplade entière fut exterminée ou vendue à Tencan.
Aussi César est-il le seul auteur ancien qui parle des
Atuatiques , et personne ne les connaît après lui , si ce n'est
comme un peuple qui avait cessé d'exister. Ici donc, comme
chez les Eburons, César peut être le seul guide pour con-
naître la position géographique des Atuatiques.
Poutrain , auteur d'une histoire de Tournai , en adoptant Terreur com-
mune de placer les cinq peuplades dépendantes des Nerviens, à gauche de
l'Escaut, est tombé dans une nouvelle erreur, non moins grave que la pre-
mière , en plaçant ces peuples dans la Flandre. Il les considère comme ne
constituant qu'un seul et même peuple avec les Ménapiens. De cette conjecture
erronée, il conclut que Tournai et non Bavai était la capitale des Nerviens.-
L'auteur anonyme d'un mémoire sur les campagnes de César dans la
Belgique, publié récemment, fixe la position des Centrons a Thorembais
S'-Troûd, celle des Grudiens à Tirlemont, celle des Levaciens a Leau, celle
des Pleumosiens à Lumay , sur une ligne d'environ six lieues d'étendue du
midi au nord et celle des Gorduniens à Gorduines, au-delà de la Sambre
au midi de Charleroi. On pourra juger de la valeur des preuves sur lesquelles
«'appuyé cet auteur par celles qu'il donne de la position assignée par lui
aux Grudiens; il place ce peuple près de Tirlemont parce que près de cette
Tille se trouve un village nommé Giimpde et anciennement Grunde ; puis
il ajoute comme seconde preuve qu'il existait à Tirlemont, avant la révolu-
tion française, une corporation laïque coniiue sous le nom de Hinne priesierSf
qui veut dire prêtres de poulets , « c'est bien la , ajoute gravement l'auteur,
les gardiens des poulets sacrés attachés aux augures du temps des Romains.»
(J. P. B. Mémoire sur les campagnes de César dans la Belgique, p. 22
et 63.) Sur la véritable origine du sobriquet Hinne priesters, voir nos Essais
histor. sur les usages, les croyances, les traditions, etc., des Belges anciens
et modernes, 1" partie , p. 236.
Un auteur hollandais, Bruining, fait dériver le nom de Courtrai, Corturia-
cum, de celui des Gorduniens. C'est toujours la même erreur que celle de placer
ce peuple sur le territoire de Bruges. (Bruining , Res Belgicœ, etc., p. 15.)
Suivant cet auteur, les Atuatiques touchaient vers le nord
aux Eburons (1). A Toccident et au midi ils devaient con-
finer aux Nerviens (2), et a Forient aux Tre'viriens. Quelles
étaient de ce côte les limites des Atuatiques ? C'est ce qu il
est impossible d'indiquer sans se livrer a des conjectures,
au moins douteuses.
Tout ce qu'on peut dire de plus probable , c'est que les
Atuatiques devaient occuper la province ou une partie de
la province actuelle de Namur. Pellerin e'tend leurs fron-
tières jusque dans la Hesbaye et le Brabant (3).
Les Ménapiens occupèrent d'abord, en majeure partie,
les deux rives du Rhin (4). Ce devait être dans le duché de
Clèves à droite du Rhin, et dans la Gueldre, à gauche du
M. Raepsaet a beaucoup mieux compris la question que nous traitons ici .
mais il assigne ensuite aux cinq peuples susdits une position géographi-
que sur la réalité de laquelle il finit cependant par douter lui-même :
«Comme les Nerviens, dit-il, n'ont jamais eu d'empire sur la gauche de
1 Escaut où demeuraient les Ménapiens, il est impossible de placer ces peu-
plades ailleurs qu'entre les Eburons et les Nerviens que séparaient la Senne
et l'Escaut. ( Ces limites sont incertaines ). Ce qui vient à l'appui de cette
situation, c'est que dans le partage des états de Lothaire, de l'année 870,
il se trouve un lot qui comprend quatre comtés dans le Brachantum [in
Brachanfo comitatus quatuor). (Raepsaet, Analyse, etc.. tom. 1% p. 15.) On
voit que l'argument de M. Raepsaet est très-faibîe ; car d'abord, il faudrait
cinq comtés au lieu de quatre; et ensuite il faudrait encore connaître les
noms de ces comtés. Aussi quelques lignes plus loin, l'auteur semble être
revenu de son opinion lorsqu'il dit que «la situation de ces cinq peuplades
demeure encore un problême. »
(1) Caes., 1. y, c. 27, 1. VL c. 33, 1. V, c. 38.
(2) Idem., 1. V, c. 38.
(3) Nous ne pouvons adopter l'opinion du Savant Bollandiste Ghesquière
qui étend les limites des Atuatiques jusqu'à Diest et Aerschot, dans la sup-
position que le château ou César vainquit les Atuatiques était placé à
Tongres : chose qui ne semble nullement probable comme nous le démon-
trerons plus loin. ( Ghesquière, Dissert, fféogr. histor. de majorih. populis
ante Augustum Belgii Jiodierni incolis. Anciens mém. de l'acad., t. 5.)
{4) Ad utramque ripam ftuminis agros, œdificia vicosque hahehant, (Cses..
1. IV, c. 4.)
— 55 —
fleuve jusqu'à sa séparation en deux bras; car à partir de
ce point , vers Touest , habitaient les Bataves , et c est uno
erreur de placer, comme font quelques auteurs, les Mena-
piens des deux côtes du Wahal (1). C'est leur faire occu-
per File des Bataves, et pour les y atteindre , les Tenchtres
et les Usipètes qui, du temps de Gësar^ envahirent le terri-
toire des Menapiens , auraient du aussi traverser celui des
Bataves; c'est ce que César ne dit pas, et c'est ce qu'il
aurait, comme il semble, du dire s'il en avait été ainsi (2).
Le séjour des Menapiens dans la Gueldre actuelle , avant
leur expulsion de cetle contrée et des bords du Rhin, par
les Tenchtres et les Usipètes, fait que Strabon a confondu
cette première position géographique des Menapiens avec
celle qu'ils occupèrent ensuite à gauche de l'Escaut. Il
place encore de son temps , plus de 60 ans après l'invasion
des Tenchtres et des Usipètes , les Menapiens sur les deux
rives du Rhin ; mais pour concilier l'ancienne position de
(1) Desrocbes, Hlst. anc. des Pays-Bas Autrich., p. 84.
(2) César rapporte ( liv. II, c. 4), que pour venir attaquer le territoire
ménapien a gauche du Rîiin, les Tenchtres et les Usipètes, n'ayant pas de
barques pour passer ce fleuve, s'emparèrent par ruse de celles des Menapiens.
Si les Menapiens avaient occupé les deux rives du Wahal, les Tenclitres et
les Usipètes auraient dû passer d'abord le bras droit du Rhin et 1 île des
Bataves, avant de parvenir h eux: c'est ce qui non-seulement paraît invrai-
semblable, mais semble même positivement contredit par César. En effet,
cet auteur dit que les ennemis nayant pas d'abord réussi dans leur tenta-
tive pour s'emparer des barques des Menapiens, feignirent d'abandonner
leur entreprise et de retourner sur leurs pas; qu'ils reculèrent en consé-
quence d'une espace de trois journées de chemin, puis revinrent et firent, par
une marche forcée et dans une seule nuit, cette même route, et s'emparèrent,
à l'improviste, des barques des Menapiens au moyen desquelles ils passèrent
de la droite à la gauche du Rhin.
Dans tout le récit de César il n'est point question d'un second bras du
Rhin passé par les Tenchtres et les Usipètes avant de parvenir aux Mena-
piens. Comment d'ailleurs ces peuples auraient ils pu, sans navires, passer le
bras droit du Rhin lorsqu'ils feignirent de se retirer en arrière etparcourij:
en outre un espace de trois journées de route, etc., etc ?
~- 56 —
ce peuple avec celle qu'il prit du temps de César , il le re-
cule vers l'embouchure du Rhin , et le place ainsi à l'extré-
mité de l'île des Bataves, sur le territoire des Caninefates (1).
Par une erreur plus grave encore , Ptolemée, qui écrivait
un siècle après Strabon , place les Ménapiens dans leur
ancienne position entre la Meuse et le Rhin {post Mosam
en partant d'occident en orient ) , contrée abandonnée
depuis un siècle et demi par les Ménapiens et occupée
alors par les Gugernes, peuplade germanique transférée
de la droite du Rhin sous le règne d'Auguste.
Quoique la majeure partie des Ménapiens habitât les
deux rives du Rhin avant l'invasion des Teuchtres et des
Usipètes, ils paraissent s'être déjà étendus alors jusque sur
les côtes delà Flandre; car on lit, au livre III, chap. 9 des
Commentaires de César, qu avant leur expulsion des bords
du Rhin, les Ménapiens étaient entrés dans la confédéra-
tion armoricaine formée par les Vénetes , les Cale tes , les
Morins et autres peuples maritimes des Gaules.
Si , à cette époque , les Ménapiens étaient établis dans la
Flandre , ils devaient aussi occuper une lisière , si ce n'est
la totalité du Brabant septentrional , par laquelle ils com-
muniquaient a la Gueldre.
Au reste , a cause de la faiblesse de la population ména-
pienne , la Flandre et tout l'espace compris entre l'Escaut,
le Wahal , la Meuse et le Demer ne devaient offrir qu'un
vaste désert et pouvaient, nous l'avons déjà observé, être
appelés à juste titre , comme le territoire entre la Meuse ,
(I) Sur cette erreur de Strabon, voyez Montanus, Beschryv. der eerste
inwooners van Amstelandt, p. 24 et suiv., une dissertation de nous sur la
vraie position du Castelliim Menapiorum dans les nouv. archives de M. de
Reiffenberg, (juillet 1830) , et notre mémoire couronné sur le Castellum
Morinorum. dans les Mémoires de la société des Antiquaires de Morinie ,
tome 2.
— 57 —
le Wahal et le bras droit du Rhin avant son occupation
par les Bataves , les frontières désertes de la Gaule (1).
En efifet la totalité de la population ménapienne, ne
s'élevait guère a plus de 36,000 âmes, comme nous le ferons
voir plus loin. La majeure partie de cette faible popula-
tion occupait la Gueldre et le duché de Clèves; le reste
éparpillé sur la vaste étendue de pays que comprend au-
jourd'hui les deux Flandres , le Brabant septentrional , le
département du nord en France, et peut-être la Zélande,
devait se perdre dans ce vaste espace et y être impercepti-
ble , puisque lors me aie que la peuplade des Ménapiens se
fut retirée tout entière a la gauche de l'Escaut dans la
Flandre, celle-ci ressembla encore, pendant des siècles, plu-
tôt à un désert qu'à une région habitée. Comme ce ne fut
que vers l'an 55 avant l'ère vulgaire , que le peuple ména-
pien chassé des bords du Rhin , se retira en entier dans la
Flandre , nous ne parlerons de cette nouvelle délimitation
que lorsque nous tracerons la position géographique des
Belges sous la domination romaine.
Nous ne devons nous occuper ici que de la position
géographique des Ménapiens avant l'invasion des Tcnchties
et des Usipètes.
César n'indiquant point les limites du territoire ména-
pien à droite du Rhin , nous les ignorons complètement.
A la gauche du Rhin , ils étaient borpés au midi, du côté
de la Gueldre , par les Eburons , et dans la Flandre par
les Atrebates. Au nord ils avaient pour bornes le pays des
Bataves et la mer du nord. A l'ouest ils étaient limités
par la mer et les Morins (2) , et a l'orient encore par les
Eburons (3) et par les Nerviens.
(1) Tac. hist, I. IV.
(2) Menapiis conttrmim sunt ad mare Morini. (Strab.. I. IV.)
(3) Cœs., 1. VI, c. 5.
— SS-
II est douteux que des limites trace'es séparassent déjà ,
à Tépoque dont nous traitons , les Ménapiens des peuples
voisins, puisque, même sous la domination romaine, ces li-
mites n'étaient pas encore fixées du côté du nord. Perdus,
à cause de leur population si peu considérable, dans la
vaste étendue de leur territoire, dont une partie était in-
habitable à cause des débordemens de la mer, des fleuves,
des rivières et des marais fangeux qui couvraient les
bords de l'Escaut du côté des Eburons,, bornés par les con-
trées désertes entre le Demer, la Meuse et l'Escaut, les
Ménapiens ne devaient avoir pour limites , comme la plu-
part des peuples germaniques, que des déserts, bornes
naturelles qui n'avaient point besoin d'une délimitation
plus précise chez un peuple pasteur et à moitié nomade.
Sans assigner aux Ménapiens avant la conquête romaine
de justes limites, on peut dire qu'ils habitaient le pays
correspondant au duché de Clèves, à la partie de la Gueldre ,
à la gauche du Rhin , à une partie du Brabant septentrional ,
aux deux Flandres et a une partie du département du
nord en France (1).
La dernière peuplade de la Belgique dont il nous reste
à chercher la position géographique sont les Ambivarites.
César est le seul des anciens qui ait fait mention de ce peu-
ple; il le place en deçà de la Meuse (2). Les Ambivarites
habitaient donc entre le Demer, la Meuse et l'Escaut, sans
qu'on sache quelle y était leur position précise. Goro-
pius Becanus , Gramaye, Desroches (3) et d'autres les pla-
cent à Anvers sans autre fondement que la légère ressem-
blance entre le nom des Ambivariti et des Andverpienses .
(1) Van Heurn place les Ménapiens clans les anciens quartiers de Louvain
et d'Anvers, {Historié der stadt en meyerye van s'Hertogenbosch, l^dcel,
1" boek), c'est là une erreur qui n'a pas besoin d'être relevée.
(2) Cœs., I. IV, c. 9.
(3) Desrothes, p. 83.
— 59 —
Raepsaet croit que lorsque, sous le règne d'Auguste , les
Toxandres occupèrent la Campine, le nom des Ambivarites
fut confondu avec celui de ce peuple (1),
Nous ne comptons point parmi les peuples anciens de la
Belgique actuelle, les Morins dont on fixe généralement
les limites yers la ville actuelle de Nieuport , parce que
nous sommes persuade's quils n'ont jamais habite cette
contrée , et cjue vers le nord ils ne s'étendaient pas au delà
de la Deule, de la Scarpe et de la Lys, où commençait le
pagus Menapiscus ou le pays des Ménapiens (2). Nous
examinerons plus amplement cette question dans la seconde
partie du livre l^*" de cet ouvrage.
Comme il est parlé dans le liv. V des Commentaires de
César, d'un peuple appelé Meldi^ chez lequel quarante
vaisseaux de la flotte romaine destinée contre la Grande-
Bretagne , avaient été retenus par les vents contraires ,
Banville a conclu que ce peuple ne pouvait être le même
cjue les Meldi du diocèse de Meaux fort éloigné de la mer ,
comme chacun le sait. Croyant trouver quelque conformité
entre le nom de Meldi et celui de Maldeghem , village dans
les environs de Bruges, il y a fixé la position de ces Meldi (3).
Quand la ressemblance entre le nom de Meldi et celui de
Maldeghem serait moins chimérique c[u'elle ne l'est, ce
ne serait pas encore une raison de conclure qu'un village ,
dont l'existence ne date que du moyen âge, ait pris son nom
(î) Raepsaet, Analyse de Vhist. des droits civ. pol. et relig. des Belges et
des Gaul., tom. 1, p. 25.
(2) Raepsaet trouve l'étymologie du nom des Morins dans le mot flamand
moer-hinnen , poules de marais a de même, dit-il, qu'on appelle Avatcr-
hinnen les poules deau, » (Analyse, etc., tom. 1, p. 31).
Cette étvmologie est de la force de celle que cet auteur donne du nom
des Belges qu'il fait dériver de celui do la ville de Bielgorod située dans le
centre de la Russie ! ! !
(3) Banville; Notice des Gaules, p. 452, édit. in-4°."
— 60 —
de celui d'une peuplade dont César seul a fait mention.
Comme rien n'autorise la supposition de Danvilleet qu'au-
cun e'crivain ancien ne parle d'un peuple de la Belgique
actuelle , nommé Meldi^ nous pouvons rejeter une conjec-
ture aussi vague et aussi dénuée de preuves que celle de
ce géographe français.
61
CHAPITRE IV.
Qualités physiques et morales, mœurs, usages, culte et industrie des
Celto-Belges.
« On a remarqué avec raison , observe le judicieux
Picot , que les détails de la vie privée d un homme fai-
saient mieux connaître son caractère que les grands événe-
mens qui le concernent; la même observation peut se
faire sur les nations ; on les juge plus sainement sur leurs
usages et leurs coutumes journalières que sur Thistoire de
leurs guerres et de leur vie politique, cette histoire en
effet apprend davantage a connaître le caractère des chefs
et des rois que celui des individus , c'esl-a-dire , que celui
de la masse de la nation (1). »
L'histoire des mœurs et des usages de nos premiers ayeux
est non-seulement pour nous du plus haut intérêt, parce
qu elle nous fait connaître Tétat de notre société dans son
enfance, et qu elle nous découvre l'origine d'un grand nom-
bre de coutumes encore en vigueur de nos jours, mais en ce
qu'elle nous donne lieu de faire un parallèle entre la civi-
lisation de nos ancêtres et la notre, comparaison qui tourne
entièrement à l'avantage des temps modernes et nous laisse
encore mieux apprécier les immenses progrès que nous
avons fait dans toutes les branches des connaissances et de
l'industrie humaine pendant une longue suite de siècles.
La où l'on ne voyait jadis que des forets peuplées d'ani-
maux féroces , des bruyères stériles et de vastes marécages ,
nous observons de superbes plaines d'une culture qui fait
(I) Picot. Rist des Celtes, tom. 1, p. 285.
- 62 —
l admiration des peuples de TEurope les plus avances en
civilisation ; la oii Ton trouvait ëpars quelques pauvres
chaumières, s'élèvent aujourd'hui de superbes cites orne'es
d'une foule de monumens pompeux , des bourgs et des
villages c|ui , dans d'autres contrées, passeraient pour des
villes remarquables. La enfin oii végétaient quelques
faibles peuplades, pauvres, barbares et ne vivant que de
la chasse ou du pillage , se presse une population nom-
breuse , riche et industrieuse.
Les auteurs modernes qui se sont occupés de l'histoire ou
de la vie privée des Belges avant et durant la domination
romaine , ont généralement confondu les peuples de races
difFérenles qui occupèrent successivement la Belgique, les
Celto-Belges et les Germano-Belges , parce qu'ils n'ont pas
fait une distinction assez marquée de ces deux races ; cju'ils
ont considéré , comme nous l'avons déjà observé , les peu-
ples qui habitaient cette contrée a l'époque de la conquête
romaine , comme n'étant qu'un mélange de Celtes ou Gau-
lois et de Germains et Cjue par-là ils ont cru que la manière
de vivre des Belges devait tenir de celle de c^s deux nations
ensemble. Nous avons suffisament démontré , dans le pré-
cédent chapitre , que la Belgique peuplée dans le principe
par des peuples de race celtique, le fut exclusivement de-
puis l'expulsion de ces derniers , par des Germains qui se
firent toujours un litre de gloire de conserver intacts et
purs le sang et les mœurs de la mère patrie.
Nous décrirons donc séparément , d'abord la vie privée
des Celto-Belges, ensuite celle des Germano-Belges. Mais
manquant de documens particuliers sur les peuplades
celtiques de la Belgique, nous ne pourrons puiser que
dans ceux que les anciens nous ont laissés sur les Celtes
en général , en distinguant toutefois ce cjui se rapportait
plus particulièrement aux Celtes du nord des Gaules , de
— 63 —
ce qui ne pouvait convenir qu'aux Celtes méridionaux.
Gomme ce chapitre est plus e' tendu que les autres ,
nous le diviserons en paragraphes afin de ne pas trop
fatiguer Tattention du lecteur.
MOEURS ET USAGES DES CELTO-BELGES.
§1.
Qualités physiques et morales des Celto-Belges.
Tous les auteurs anciens qui ont parle des Celtes ou
Gaulois, les dépeignent comme des hommes d'une stature
presque gigantesque , robustes et de beaucoup d embon-
point, ayant la peau blanche, les yeux vifs et bleus, le
regard farouche et menaçant , les cheveux longs et de cou-
leur rousse ou blonde, la voix rude et forte. Quant a
leur stature prodigieuse , elle est constatée , non-seule-
ment par le témoignage unanime des auteurs anciens (1),
mais par la découverte d'un grand nombre de tombeaux
gaulois trouve's dans différentes contre'es de la France. La
grandeur des ossemens que renfermaient ces se'pul turcs
fait inférer cjue la taille ordinaire des Celtes était de six
et même de sept pieds (:2).
César attribue la haute taille et les forces des Gaulois a
la simplicité de leur nourriture c[ui consistait principale-
(1) JVamque plerumgue omnibus Gallis pro magnitudine corporum hrevitas
nosfra coniemptui est. (Cses., Bell. Gall. et Bell. African.). \ . Diod. sicul.,
Hist, 1. V. Tit. Liv. 1. XXXVIII, c. 17 et 21. Suéton, in Calig., c. 47.
Strab., 1. IV. Appian, m Celt Floius. Épit. hist. rom., \. I, c. 13, I. II, c. 4.
Amm. Marcell., I. XV. c. 12. Peloutier, Hist. des Celtes, t. 2, p. 9 et suiv.
(2) Picot, Hist. des Ganl, t. 2, p. 211.
— 64 -
ment en viandes et en laitage, a l'exercice continuel auquel
ils se livraient , à la grande liberté dans laquelle ils vi-
vaient dès leur enfance et à leur modération dans les plai-
sirs de l'amour. Les femmes gauloises étaient d'une taille
aussi avantageuse que les hommes (1). Elles les surpassaient
même , selon Ammien Marcellin , par les forces du corps :
u Elles sont encore plus fortes qu'eux, dit cet auteur, leurs
bras blancs comme la neige sont énormes et elles lancent
leurs poings avec vigueur comme des Catapultes (2). w La
chose paraît moins étrange lorsqu'on réfléchit que les fem-
mes gauloises menaient une vie encore plus rude et plus
dure que leurs maris ; non-seulement elles les accompa
gnaient à la guerre et à la chasse et supportaient les mêmes
privations qu'eux , mais c'étaient encore elles qui étaient
chargées de la culture de la terre et de tous les ouvrages
manuels les plus pénibles , qu'elles interrompaient à peine
un instant dans les douleurs cruelles de l'enfantement (3) ,
Malgré un genre de vie si peu conforme a leur sexe , elles
ne laissaient pas de passer pour les plus belles d'entre les
femmes des peuples barbares (4).
Pline attribue la blancheur éclatante de la peau des
Gaulois , blancheur que les anciens comparaient h celle
du lait (5), a la rigeur du climat des Gaules qui les empê-
chait d'être hâlés et brûlés par les ardeurs du soleil (6).
Aristote attribue à la même cause , la couleur claire de leur
(1) Diod. Sicul, 1. IV et 1. V.
(2) Amm. Marcell., 1. XV, c. 12.
(3) Diod. Sicul., 1. IV.
(4) Athen., 1. Xlli. Diod. Sicul, 1. V.
(5) Lactea Colla, (Virg. Mneid.) Sil. Ital., 1. IV, c. X.
C'est a cause de îa blancheur de la peau des Gaulois, que les Grecs pré-
tendaient dériver leur nom de celui du mot yaXa.i lait,
(G) Plin., Hist nat , 1. IL c. 78.
— 65 -^
yeux (1). Les enfans naissaient avec les cheveux blancs ,
mais ils devenaient blonds ou roux a mesure qu ils gran-
dissaient (2). Les Gaulois augmentaient la couleur ar-
dente de leur chevelure par une lessive de chaux, ou,
selon d'autres , par un savon composé de suif et de cen-
dres ; suivant Sextus Pomponius Festus , la pre'fërence
pour les cheveux roux était générale chez les femmes
gauloises (3).
Les Celtes portaient les cheveux longs et dans un grand
désordre, de sorte qu'ils ressemblaient à des crinières de
chevaux. Ils les rejetaient aussi sur le sommet de la tête
et sur le cou , de manière à ressembler à des satyres. Ils
portaient tantôt la barbe longue et tantôt se la rasaient,
mais alors ils laissaient croître leurs moustaches.
Les Gaulois avaient le regard farouche et menaçant, la
voix forte et rude. Dans les combats ils jetaient des cris si
horribles qu'ils suffisaient parfois pour mettre les ennemis
en fuite (4).
Voilà pour le physique des Celtes ou Celto-Belges ; pas-
sons à leur moral.
Beaucoup d'auteurs français et belges, aveuglés parle
préjugé national et entraînes par l'amour de la patrie, ont
cru devoir, pour la gloire de leurs premiers ancêtres, faire
l'éloge le plus pompeux de leurs qualités morales , et par
là ils ont étrangement dénaturé la vérité historique. A
les en croire, aucun peuple ancien ne pouvait être comparé
aux Celtes, sous le rapport de la pureté des mœurs , de la
civilisation et de l'industrie ; les Druides auraient été des
(1) Aristot., Problem, Sect. 14, n" 14.
(2) Virg^., Mneid., 1. VIII. v. 659. Claudian., in Rufinum, 1. II, v. 110.
In Laud. Stilic, 1. II, v. 239. Amm. Marcell., I. XV, c. 12. Diod. Sic, I. V.
Tit. Liv., 1. XXXVIII, c. 17.
(3) De verb. Sîgnif., 1. XVI.
(4) Tit. Liv., Polyb., Justin, etc.; Picot, t. 2, p. 223.
Tome I. 5
— 66 —
philosophes supérieurs à Socrate ou a Platon ; la religion des
Gelt€s, le déisme le plus pur ; les Gaules , un des pays les
plus peuplés , les mieux cultivés et les plus industrieux de
l'Europe. Tout cela n'est que roman et fiction.
Les Celtes, avant l'affermissement de la domination ro-
maine dans les Gaules , et surtout avant la fondation de
Marseille, étaient une nation barbare et privée de toute
culture intellectuelle, possédant tous les vices et les défauts
de l'homme brut et sauvage et le petit nombre de vertus
dont l'homme, dans l'état de nature , n'en déplaise à
J.-J. Rousseau, est susceptible (1). Les défauts que leur
imputent les écrivains grecs et romains sont la fainéantise
et la mollesse, l'ivrognerie , la plus profonde ignorance, la
superstition , l'inconstance , l'orgueil, la cruauté, la colère
-et l'emportement , le penchant au découragement et l'avi-
dité. A ces nombreux défauts des Gaulois ils opposent leur
frugalité , leur hospitalité , leur générosité , leur fidélité,
leur franchise , leur adresse et une valeur à toute épreuve,
tant chez les hommes que parmi les femmes. Examinons
chacun de ces points en particulier et voyons quelles sont
les preuves sur lesquelles s'appuyent les écrivains anciens
pour soutenir ces accusations et ces éloges.
Quant à la fainéantise et à la mollesse des Gaulois , on
les attribue a leur dédain pour toute espèce d'occupation
autre que la guerre et la chasse , et a leur embonpoint qui
les rendait peu propres a de longues fatigues (2). L'humi-
dité du climat des Gaules peut aussi avoir contribué à pro-
duire un relâchement général des nerfs etdes fibres du corps;
(1) Hœc natio quœ nunc Celtica et Gallatica et Gallica appellaiur, hel-
licosa est et ferox. (Strab., 1. IV.)
(2) Diod. Sicul., 1. V. Cses., 1. III, c. 19. Tit. Liv., 1. V, c. 44 et 48, 1. X,
c. 28, 1. XXVII, c. 48, 1. XXXIV, c. 47, 1. XXXVIII, c. 17, Appiani Excerpta
.vales., Flor., 1. II, c. 4. Plutarch., Fita Crassi. Oros., 1. V, c. 16.
— 67 ^
de la le dëcouragement auquel se livraient les Celtes
moindre obstacle qu'ils éprouvaient. Quoique robustes, ils
ne pouvaient supporter ni le cliaud ni le froid ; la pous-
sière même les incommodait. Florus les compare aux
neiges des Alpes : « Dès qu'ils ont été réchauffes par le com-
bat, dit-il, ils fondent en sueur et se relâclient par de
légers mouvemens , comme ces neiges qui fondent par le
soleil (!).« «Leur premier choc dans le combat, dit Polybe,
est plus terrible que celui d'un homme ordinaire , mais le
second est plus faible que celui d'une femme (2). »
L'ivrognerie des Celtes résultait del'oisivetë où ils végé-
taient hors des temps de guerre et de chasse. Ils étaient si
fort enclins à ce vice que du temps de Diodore de Sicile ,
ils offraient souvent un esclave pour une cruche de vin (3).
On disait que Brennus ayant résolu de se donner la mort,
ne put la choisir plus douce qu'en se tuant par les excès
de la boisson. Tite Live et Plutarque rapportent que les
Gaulois établis entre les Alpes et les Pyrénées, lorsqu'ils
burent pour la première fois du vin d'Italie , furent telle-
ment épris de cette liqueur, qu'aussitôt ils entreprirent
l'expédition qui les rendit maîtres d'une partie considé-
rable de ce beau pays (4). Cette funeste passion des Celtes
pour l'ivrognerie causa souvent la défaite et la destruc-
tion de leurs armées; s'étaient-ils emparés de quelque
(1) Gallis, Insubribus et his accoîis Alpîum, animi ferarum, corpora pîus-
quam humana erant. Sed eœperimento deprehensum est, quod sicut primus
impetus eis major quam virorum est, ità sequens minor quam feminarum.
Alpina corpora, humenti cœlo educata, habent quiddam simile cum nivibus
suis, quœ mox ut caluêre pugnâ, statim in sudorem eunt, et levi moiu quasi
sole laxantur. (Fiorus, Epit hist. rom., 1. II, c. 4.)
(2) Polyb., 1. m. Tit. Liv., 1. X, c. 28, 1. XXXVIlî, c. 17, 1. XXXIV, c. 46.
L XXII, c. 2. Cœs., 1. III c. 19.
(3) Diod. Sicul., 1. V.
(4) Tit. Liv., 1. V, c. S3. Plutarch., in Camilo.
- 68 —
place ou étaient-ils entres dans un pays ennemi , ils se
débandaient d abord pour aller vider tous les tonneaux ;
et il arriva plus d'une fois que les ennemis n'eurent que la
peine d'assommer ces ivrognes ensevelis dans le sommeil
au milieu des brocs et des futailles. Les Gaulois qui prirent
Rome et ceux qui envahirent l'Italie , périrent la plupart
de cette manière (1).
Par suite de l'intempérance des Gaulois , il s'élevait sou-
vent parmi eux des querelles sanglantes lorsqu'ils se trou-
vaient plusieurs a table ; il se passait rarement une fête qui
ne fut souillée par le meurtre de plusieurs des convives.
L'ignorance et la superstition des Gaulois doivent être at-
tribuées à l'état de barbarie dans lequel ils vivaient et qui
les portait, comme les nobles du moyen âge, à témoigner le
plus profond mépris pour les sciences et les arts , et à ne
priser que la gloire qui s'acquiert par les armes et la force
brutale. De cette ignorance résultait encore leur légèreté
et leur inconstance. César rapporte que dès cju'un voya-
geur arrivait dans quelque bourgade gauloise , aussitôt la
foule s'assemblait autour de lui pour le questionner sur ce
qu'il avait vu, ou entendu dire. Comme leur ignorance les
mettait dans l'impossibilité de distinguer le vrai du faux ,
ces hommes, crédules, sur un simple ouï dire ou sur le sbruits
les plus vagues , prenaient souvent les résolutions les plus
importantes et s'engageaient dans de mauvaises entre-
prises dont ils avaient bientôt lieu de se repentir (2).
Comme tous les barbares qui ne connaissent et ne mesu-
rent point les forces de leurs ennemis , les Celtes étaient
orgueilleux et fanfarons ; en marchant au combat ils pro-
voquaient l'ennemi par les injures les plus grossières et les
(1) Appian., Celtic. Plut., Camill Tit. Liv.. 1. V. Justini, Histor., I. XXIV
c. 7 et 8.
(2^ Cœs., 1. IV, c. 5.
-~ 69 —
bravades les plus ridicules ; mais eprouvaient-ils quelque
revers , ils tombaient dans le plus grand abattement et se
croyaient perdus sans ressource (1).
Leur cruauté à 1 égard d\m ennemi vaincu n'avait point
de bornes. L âge ni le sexe ne leur inspiraient aucune pitié ;
ils faisaient périr les hommes faits , les vieillards, les fem-
mes et les enfans dans d'affreux supplices ou les immo-
laient en holocauste a leurs dieux barbares (2) : a La féro-
cité des Gaulois, dit Diodore de Sicile, se remarque surtout
dans leur religion ; il n'y a rien de plus impie que les
victimes qu'ils présentent à leurs divinités , rien de plus
barbare que la manière de les offrir (3). »
Les Gaulois étaient colères, emportés et se livraient avec
violence à leurs premiers mouvemens ; pour une chose de
nulle importance , ils se provoquaient et se battaient à la
mort (4).
Ils étaient d'une avidité extrême ; de la les brigandages
auxquels ils se livraient continuellement contre leurs voi-
sins ; dans leurs courses ils ne respectaient ni les tombeaux
des morts illustres , ni les temples des dieux. Leur insatia-
ble cupidité et le désir de butiner les portaient à se mettre
aux gages de toute puissance qui voulait acheter leurs ser-
vices.
Aussi les anciens leur donnaient-ils avec assez de justesse
lepithète à' âmes vénales. 11 arriva plus d'une fois que les
(1) Caes., I. m, c. 20. DIo. Cass., Hist. rom., 1. XXXIX. Strab.,1. IV.
(2) Silius Italicus dépeint la légèreté et la férocité des Gaulois dans les
vers suivans :
Quin etiain ingénia fuxi , scd primo ferocet
yaniloquum Celtœ genns ac mutahilc mentis
Bespectare domus ; mœrebant cœde sine ullû
{. Insolitum sihi ) hella geri , siccasque cruoro
Inter tula siti Mavortis hebescere dextras.
(Sil. Ital., Bell, punie, 1. VIH , v. 16 et feq,)
(a) Diod. Sicul., 1. V.
(4) ïit. Liv., 1. V, c. 37.
^ 70 —
peuples contre lesquelles Gaulois de TAsie mineure étaient
en guerre, connaissant leur avidité', leur abandonnaient
au pillage un camp ou une bourgade , et que , tandis que
ces barbares se débandaient pour piller , ils tombaient a
rimproviste sur eux et les exterminaient.
Voyons maintenant si les vertus attribuées aux Celtes
ou Gaulois pouvaient balancer leurs vices et leurs dé-
fauts.
D'abord , la prétendue frugalité des Celtes n'était que
TefFetde leur pauvreté , de leur paresse et de leur complète
ignorance des jouissances de la vie dansl'état de civilisation.
Si leur nourriture était simple et grossière , c est que le peu
d'industrie qui régnait dans le pays ne leur permettait
pas d'en avoir d'autre. Lorsque , par le vol et le pillage, ils
pouvaient se procurer le superflu, ils ne manquaient pas
de se gorger de tous les mets qu'ils avaient sous la main.
D'ailleurs l'ivrognerie, le vice le plus général parmi les
Gaulois , prouve assez combien peu ils observaient les pré-
ceptes de la sobriété.
Les lois de l'hospitalité, il faut le dire, les Gaulois les
observaient religieusement. Comme tous les peuples bar-
bares, comme les Arabes du désert et les sauvages de l'Amé-
rique, les Celtes se dépouillaient de toute leur férocité
devant un étranger ou un fugitif; on le logeait , on le nour-
rissait (1) , et ce n'est qu'après avoir pourvu à tous ses
besoins , qu'on s'enquerrait de sa qualité , du lieu d'où il
était parti, du motif de son voyage , etc. Ils n'attendaient
même pas qu'un voyageur vint leur demander lui même
l'hospitalité ; ils couraient au devant de lui , et se dispu-
taient entre eux le plaisir de l'héberger. « Ils louent, dit
(1) La première chose qu'un Gaulois faisait, lorsqu'il rencontrait un voya-
geur, était de l'inviter a manger, et s'il n'avait pas le loisir de dîner,
1« Celte devait au moins l'engager à boire un coup.
-. 71 ~
Diodore, ceux que les étrangers préfèrent et les croyent
bien aimés des dieux. » Quand un Gaulois n'était pas, par
sa pauvreté, en élat de loger l'étranger qui s'était adressé à
lui , il ne le renvoyait pas , mais il lui ménageait un autre
logement. Aristote rapporte que lorsqu'un voyageur tra-
versait les Gaules , leshabitans l'accompagnaient pour qu'il
ne lui arrivât aucun mal dans la route, et qu'ils étaient
responsables des dommages qu'il aurait pu essuyer. Sui-
vant Nicolas de Damas , il existait une loi qui condamnait
à mort un Gaulois coupable du meurtre d'un étranger ,
tandis que le meurtrier d'un Gaulois n'était puni que de
l'exil (1).
La nature avait doué les Gaulois d'un cœur bon et gé-
néreux ; la férocité et la cruauté qu ils montraient à l'égard
de leurs ennemis , et qui n'étaient que l'effet de leur mau-
vaise éducation et de leur peu de lumières , disparaissaient
à la vue d'un malheureux ou d'un ami dans le besoin ; ils
faisaient alors preuve d'un rare désintéressement et se prê-
taient aux plus grands sacrij&ces. Quand un de leurs parens
ou de leurs amis avait reçu une injure, ils la regardaient
comme une injure personnelle , et ils auraient été désho-
norés auprès de leurs concitoyens s'ils n'en avaient tiré une
vengeance éclatante (2). On cite plusieurs exemples qui
prouvent que parfois les Celtes savaient respecter la valeur
malheureuse , même dans leurs plus grands ennemis (3).
Les Gaulois se piquaient d'être fidèles observateurs de
leur parole et de la justice. Bien qu'ils ne se fissent aucun
scrupule de piller et de ravager sans motif les terres des
(1) Diod. Sicul., 1. V. Nicol. Damas, Apud Stobaeum., serm. 145. Pelou-
tier, t. 2, p. 463. Picot, Hist. des Gaul, t. 2, p. 249. Le Grand d'Aussy,
Vie privée des Français, t. 3, p. 319.
(2) Strab., 1. IV.
(3) Tit. Liv., 1. V, c. 46,
— 72 —
peuples e'trangers , ils se seraient garde's d'enlever la moin-
dre chose de ce qui était la propriété de leurs compatriotes,
jusque-là, quau rapport de Nicolas de Damas , les Celtes
ne se donnaient pas la peine de clore les portes de leurs
demeures- On cite cependant plusieurs traits qui prouvent
que les Gaulois ne furent pas toujours fidèles à leur ser-
ment ; mais lorsque Polybe avance cju'il n y avait rien de
plus ordinaire que de les voir violer la foi des traites, il ne
mérite guère d'être cru (1).
Comme tous les peuples dont le naturel n'a pas fléchi
sous les lois d'une civilisation rafinée , les Gaulois igno-
raient l'art dangereux de feindre et de flatter; ils étaient
simples dans leurs manières; francs et sincères dans leurs
discours. On cite sur ce sujet la réponse qu'ils firent à
Alexandre , lorsqu'il demanda aux ambassadeurs gaulois
ce qu'ils craignaient le plus : « Ce que nous craignons le
plus, répondirent-ils, c'est la chute du ciel; cependant
nous faisons grand cas de l'amitié d'un homme aussi grand
et aussi puissant que vous. » D'autres néanmoins pourront
considérer celte réponse comme une bravade.
Les stratagèmes dont les Celtes usèrent dans plusieurs
de leurs guerres , attestent que tout barbare qu'était cette
nation , elle ne manquait naturellement ni d esprit ni de
sagacité (2).
Mais la vertu première des Gaulois, celle que les Romains
(l)Polyb.,l.II.
(2) Poîyaen., Smtag., 1. VII., c. 42. Théopomp. Apud Athenaeum , I. X ,
c. 12. Tit. Liv., 1. XXIII, c. 24. Front. Stratag., 1. 1, c. 6.
Le moyen dont les Gaulois se servaient pour communiquer promptement
les nouvelles importantes à une distance considérable rappelle la découverte
moderne des télégraphes : IVam, ubl major atque illustrior incidit res ^
clamore per agros regionesque signifcatit. Hune alii deinceps excipiunt, et
proximis tradunt, ut tum accidit; nam, quœ Genabi oriente sole gesta
cssent, antè primam confectam vigiliam in finibus Arvernorum audita sunt;
quod spatium est millium circiter CLX. (Cœs.j I. VH, c. 3.)
— 73 —
et les Grecs ont le plus admire'e en eux, c'est le courage qu'il
poussaient même jusqu'à la témérité. Dans un premier
choc, aucun obstacle ne pouvait les faire reculer; la Yue
d'une mort inévitable loin de les arrêter, semblait enflam-
mer davantage leur ardeur. Femmes, vieillards, enfans,
tous possédaient la même valeur (1).
L'amour de la liberté et l'horreur pour l'esclavage (2) ,
les principes d'une éducation toute militaire et les dogmes
d'une religion qui promettait l'immortalité à ceux qui pé-
rissaient dans les combats, étaient les premiers mobiles de
cette bravom^e. Lorsque les Gaulois se mettaient en cam-
pagne , ils faisaient le serment de ne se raser ni la tête ni la
barbe , ou de ne point quitter des anneaux de fer qui étaient
parmi eux des marques de servitude , de ne point poser
leur baudrier , de n'entrer sous aucun toit , de ne revoir ni
père, ni mère, ni femme, ni enfans, qu'ils n'eussent vaincu
leurs ennemis. Leur devise était vaincre ou mourir, et en
marchant à l'attaque tous juraient d'y être fidèles (3). Il
n'est donc pas étonnant qu'avec ce courage bouillant que
les anciens ont comparé à un torrent dont on ne peut sou-
tenir l'impétuosité , et à la foudre qui se précipite du haut
des nuages, les Celles se soient rendus maîtres d'une partie
de l'Europe et de l'Asie , et qu'Annibal , Alexandre , César,
les rois de la Thrace et de la Bithynie se soient enorgueillis
de les compter parmi leurs auxiliaires (4).
Dans les temps de la puissance des Celtes et lorsqu'ils
étaient maîtres des plus belles contrées de lltalie , les Ro-
mains tremblaient a leur seul nom et les regardaient comme
leurs ennemis les plus formidables : « Avec les autres na-
(1) Nicol. Damas, Apud Slobœum.
(2) Voir Peloutier, Hist. des Celtes, tom. 2, p. 423 et siiiv. Picot, tom. 2.
p. 272.
(3) Id,, t 2, p. 449. Picot , t. 2, p. 264. Ca?s., 1. VII, c. 66. Florus . 1. II, c. 4.
(4) Justini,^î>^., 1. XXV, c. 2.
— 74 —
lions , dit Salluste , les Romains se battaient pour la gloire ,
mais avec les Gaulois , il s'agissait du saiut de la répu-
blique (1). »
Chaque fois qu'il fallait repousser les Gaulois , la ville
de Rome était plongée dans la plus grande consterna-
tion, on mettait sur pied toutes les forces delà république,
on faisait des sacrifices expiatoires aux dieux , on consultait
les livres des Sybilles , et on créait un dictateur , comme si
la république eut été menacée d'une ruine entière (2).
Dans les guerres contre les Gaulois , la loi qui exemptait
du service militaire les prêtres et les vieillards, cessait d'être
en vigueur (3), et dans cette seule occasion, il était permis
d'ouvrir le trésor particulier appelé trésor sacré ; hors de
ce temps, il était défendu d'y toucher sous peine de l'exécra-
tion publique (4). C'est dans une de ces guerres que les
Romains firent l'armement le plus formidable qu'ils eus-
sent jamais préparé avant de porter leurs armes hors de
l'Italie. L'empereur Julien reconnaît que les Celtes et les
Germains passaient jadis pour invincibles, et que c'était
un fait presqu'incroyable qu'on eut vu un soldat celte fuir
devant l'ennemi (5).
Les Grecs ne redoutaient pas moins que les Romains la
valeur des Gaulois : « La crainte des Gaulois, disait Polybe,
(1) Illique, et usque ad nostram memoriam, Romani sic habuêre ; alia
omnia virtuti sui prona esse ; cum Gallis pro saluie, non pro gloriâ certari.
( Sallust., Bell. Jugurth., c. 90.) V. Cicer., de Prov. consul.
(2) Jul. Obseqiiens. de prodig., c. 19.
(3) Immunitas militiœ conceditur sacerdotihus et natu grandihus, excepta
sint Bella Gallica. (Appian,, Bell. Civ., 1. II. Plutarch., in MarcelL, et in
Camill. )
(4) Appian., de Bello Civ.^ I. II.
Après la conquête des Gaules, César s'empara de ce trésor, sous prétexte
que Rome n'en avait plus besoin, depuis qu il avait mis les Gaulois hors d'état
de lui nuire désormais.
(5) Juliani Orat I.
— 75 -^
a causé de terribles inquie'tudes aux Grecs , non-seulement
dans des temps plus anciens, mais même de nos jours (1)».
Justin en parlant des Gaulois qui envahirent la Grèce
et l'Asie mineure, fait observer qu'ils inspiraient un tel
effroi , que les princes s'empressaient de leur acheter la paix
par de fortes sommes d'argent (2).
Enfin , Plutarque rapporte qu'au milieu de ses nom-
breuses victoires, Pyrrhus estimait au-dessus de tout, d'avoir
vaincu les Gaulois.
Cependant cette valeur des Gaulois qui faisait l'admira-
tion des anciens, ne mérite pas toujours la nôtre; car elle
eut la plupart du temps les suites les plus déplorables ; elle
fut la cause de toutes ces guerres injustes que les Gaulois
entreprirent sans motif plausible ; elle dégénérait souvent
en témérité et causait la perte d'une infinité d'hommes c|ui
périssaient sans qu'il en résultât aucune utilité pour la
nation. D'ailleurs, comme nous l'avons déjà observé, les
Celtes manquaient de prudence; leur légèreté et leur in-
constance faisaient qu'ils atteignaient rarement le but qu'ils
s'étaient proposé; si du premier abord ils ne pouvaient
parvenir à leurs fins , ils se décourageaient ; le moindre re-
vers suffisait pour leur faire renoncer aux plans les plus
vastes, et leur faire abandonner des entreprises c[u'avec de
la persévérance, ils auraient conduites a une fin heureuse.
§11.
Économie rurale et nourriture des Celtes.
Justin rapporte cjue les Gaulois n'avaient aucune con-
(1) Polyb.,1. II.
(2) Tantus terror Gallici nominis et armorum invicta félicitas erat, vt
aliter neque majestatem suam tuiari, neque amissam recipere se posse sine
Gallicâ virtute arhitrarentur. (Justin., 1, 5! XV, c. 2.) Tit. Liv., 1. XXXVHI,
c. 16.
— 76 —
naissance de l'agriculture , avant l'arrivée des Phocéens sur
la côte de Provence (1). « On peut conjecturer avec vrai-
semblance, dit Le Grand d'Aussy, qu'habitant un pays
couvert d'immenses forêts, ils se nourrirent long-temps de
graines, de fruits sauvages de leurs arbres, et surtout du
fruit de ces différentes espèces de chênes qui s'étaient si fort
multipliés chez eux. Le respect particulier qu ils portaient
à ce dernier arbre (respect auquel il n'est pas possible au-
trement d'assigner une raison vraisemblable), la cérémonie
pompeuse avec laquelle le grand prêtre venait tous les ans
couper la plante parasite qui s'y attache et s'y nourrit , le
nom même de ces druides , dérivé du celtique deru ou dru
(chêne), tout semble indiquer ce qui servit de première
nourriture à nos aïeux. Ce fut celle de la plupart des peu-
ples barbares , etc. (2). » Quoiqu'il en soit , à l'époque oii
les Romains commencèrent à connaître les Gaules , ils trou-
vèrent que les peuples de cette région ne laissaient pas,
malgré leur barbarie , leur paresse et leur penchant pour
la guerre, de cultiver leurs champs avec assez d'activité et
d'intelligence (3).
Lorsqu'Annibal traversa les Gaules , les Volsques , les
Boiens et les x41lobroges récoltaient déjà assez de blé pour
en approvisionner son armée. La première culture du fro-
ment, en grand, eut lieu chez les AUobroges, quoique
certains écrivains en fassent honneur aux Belges (4).
César et Cicéron parlent du commerce considérable de
grains, que les Gaulois faisaient avec les Romains. Le pre-
mier n'eut aucune peine à pourvoir aux besoins de son ar-
{IjJustin., I. XLIILc. 4.
(2) Le Grand d'Aussy, Hist. de la vie -privée des Français, tom. 1 p. 21,
20 cdit.
(3j Strah., 1. IV. Pomp. Mêla., 1. III. Solinus , c. 34. Polyb., I. IL
(4) Rougier de la Bergerie, Hist. de VAgricult. des Gaulois, p. 269
— 77 —
mee , bien que les Gaulois eussent à difFerentes reprises
détruit leurs moissons pour le priver de vivres.
La farine gauloise était fort estimée à cause de sa blan-
cheur , et parce qu'à poids égal, elle donnait plus de pain
qu'aucune autre. « Cette légèreté du blé des Gaules prouve,
observe Reynier, qu'on y cultivait alors comme de nos jours,
des blés tendres , plutôt que des blés durs , dont l'usage est
plus répandu dans les pays méridionaux (1). » Strabon
dit que dans toute la Gaule on cultivait du froment et du
millet ; on y semait aussi l'avoine , le sarrasin , l'orge et
l'épeautre (2).
Pline cite de ce dernier céréale deux espèces variées
dont les Romains introduisirent la culture en Italie ; l'une
était appelée arinca; l'autre nommée hrace, était préfd
rable , parce qu'elle donnait une plus grande quantité de
farine (3).
Une preuve que les Gaulois avaient atteint une cer-
taine perfection dans l'agriculture , c'est qu'ils savaient
faire un usage réfléchi de plusieurs sortes d'engrais pour
fertiliser leurs champs. Telle est entr^autres la marne in-
connue aux Romains.
Pline dit que cet engrais était d'un usage fort ancien
dans les Gaules , et qu'il faisait même la richesse des Gau-
lois (4). La marne était particulièrement employée dans
(1) Reynier, de V Économie puhl. et rurale des Celles, etc., p. 417.
(2) Reynier, p. 421.
(3) Galliœ quoque suum genus farts dedere quod illi hracen vocant. . . .
et alla differentia est quod fere qiiaternis lihris "plus reddit imnis quam far
aliud (Plin., 1. XVIII, c. 7. et 1. XVIII, c. 2.)
L'orge à deux rangs était appelée par les Romains orge gauloise, parce
qu'ils n'apprirent h la connaître que par leurs relations avec les Gaulois. On
trouvait aussi dans les Gaules l'orge a quatre et à six rangs.
(4) Plin., 1. XVII, c. 6-8.
Pline connaissait si peu la nature de la marne qu'il l'a regardée comme une
— 78 —
les champs de la Belgique, et les Germains, après Texpulsion
des Celto - Belges , continuèrent de s'en servir , comme
l'atteste Varron, et l'inscription de l'autel érige à la
déesse Nehalennia dans l'île de Walcheren , par un mar-
chand breton faisant négoce en marne (^mercator creta-
rius ) (1). Les autres engrais connus , dont les Gaulois se
servaient comme amendemens , sont la chaux et la cendre
pour les terres fortes et humides. Ils n'ignoraient pas non
plus l'utilité de lécobuage ou la coutume de brûler les
gazons avant de labourer la terre. Ce sont eux qui ont fait
connaître aux Italiens ce mode d'engraisser la terre (2).
Les Gaulois connaissaient la clôture des champs. La
pierre angulaire qui servait de limite aux propriétés,
s'appelait termin. On la remplaçait quelquefois par des
arbres (3),
Une autre preuve des progrès des Celtes dans la culture
est l'invention de la charrue à train, dont ils introduisirent
l'usage en Italie. Le contre , fer tranchant placé un peu en
avant du soc dont il facilite l'opération , paraît aussi une
découverte des Celtes , auxquels les Romains ont en outre
attribué celle de la herse. Cet instrument fut également
introduit par eux dans le nord de l'Italie (4). Pour faire la
moisson , ils se servaient de la faucille et d'une sorte de van
graisse de la terre, coagulée en certains lieux. Il dit qu'il y en avait de dif-
férentes qualités; que les unes servaient au développement des pâturages et
d'autres a la fertilité des champs. Il ajoute que quelques-unes étaient tirées
d'excavations faites à cent pieds de profondeur.
(1) Varro de re rust, 1. I, c. 7.
(2) Reynier, p. 413. Plin., l. XVII, c. 4.
(3) La Tour d'Auvergne, Orig. Gaul, p. 172. Reynier, p. 393. Virg. ,
Georg., 1. II, v. 370.
Varron dit que la clôture des champs dans les Gaules était construite
en briques ; mais Reynier croit que cet auteur aura pris une coutume locale
pour un usage général.
(4) Reynier, p. 414.
— 79 ^-
monté sur des roues. Cet instrument e'tait, suivant Pline
et Palladius , armé de dents de fer à sa partie antérieure, et
portait à l'autre bout un timon auquel on attachait un
cheval ou un boeuf. Au lieu de tirer à la manière ordinaire,
l'animal poussait la machine devant lui ; le conducteur en
même temps , la haussait ou la baissait a la hauteur des
épis, et ces épis se trouvaient coupés par les dents sans
que la paille fut endommagée; elle restait sur pied sur
toute sa hauteur (1). Régnier prétend que pour séparer le
grain de la paille, les Celtes se servaient du battage; mais
la manière dont ils faisaient la moisson , semble prouver
le contraire. Pour nettoyer le blé ils employaient un crible
fait de crin de cheval , instrument dont Pline leur attribue
la découverte (2).
Cet auteur remarque que les Gaulois moissonnaient l'orge
et le millet avec des ciseaux et un peigne. Le procédé dont
on use encore à cet égard, en Belgique, semble un reste du
mode inventé par les Celtes. On employait principalement
Forge à la fabrication de la bière et des gruaux , et dans les
cantons les plus pauvres on en faisait du pain. Nous ajou-
terons encore , cjue quelques auteurs prétendent que les
Gaulois mirent les premiers le seigle en culture , et que
c'est dans le territoire de Valence , en Provence , que cetlc
culture aurait pris son origine (3).
Les Gaulois transportaient dans des chariots leurs ré-
coltes, et les gardaient dans des fosses souterraines, creu-
sées dans un terrain sec , et parfaitement couvertes et
garanties contre les impressions de l'air. Le grain s'y con-
servait jusqu'à cinquante et même jusqu'à cent ans (4).
(1) Le Grand d'Aussy, tom. 1, p. 26. Reynier, p. 427.
(2)Piin.,l. XVllI, c. 11.
(3) Strab., 1. IV. Diod. Sic, 1. V.
(4)Picot,t, 2, p. 289.
^ 80 —
« L'usage du pain , dit Reynier , est rëelienient ancien
chez les (]eltes, tandis qu'il ne Fêtait pas chez les Romains :
le soin que les prêtres ont de ne rien innover dans leurs cé-
rémonies, même dans celles qui paraissent les plus insi-
gnifiantes , prouve le fait chez l'un et l'autre peuple ; tandis
qu'à Rome des pâtes ou des gruaux étaient constamment
employés dans les cérémonies du culte connues pour les
plus anciennement établies, c'est le pain que les druides
employaient pour la cérémonie , où ils coupaient chaque
année le gui d'un chêne avec une serpe d'or. L'usage de la
bière , aussi ancien que celui du pain , servait encore à sa
préparation ; la levure de l'un , aidait à la fermentation de
l'autre (1). »
Les anciens ne nous ont pas fait connaître le moyen
qu'employaient les Celtes pour moudre le grain ; sans doute
qu'ils le broyaient entre deux pierres, ou par les moulins
à bras, comme les Romains eux-mêmes. Quoi qu'il en soit ,
il est certain qu'au quatrième siècle de l'ère vulgaire , les
'' moulins a eau étaient déjà connus dans les Gaules.
Quant aux arbres fruitiers cultivés par les Celtes , s'il
faut ajouter foi à Justin , il n'y aurait eu, dans le midi des
Gaules avant la fondation de Marseille , que des fruits sau-
vages et qui croisent spontanément dans les bois. Varron ,
cjui accompagna César dans son expédition des Gaules , va
même jusqu'à dire que de son temps il n'y avait aucun
arbre fruitier, ni greffé, ni sauvage , dans les parties de cette
région voisines du Rhin , et par conséquent dans la Belgi-
que actuelle (2). Ce rapport est sans doute inexact. Pline
(l)Reynier, p. 431.
(2) In Gallia transalpinâ ad Rhenum cum exercitum ducerenif aliquot
regiones accessi uhi nec vitis, nec olea, nec poma rtasceretur (Varro, de rc
rust, 1. I, c. 7).
Tacite dit la même chose de la Germanie : Terra frvgiferarum arhorum
inijmiiens ( Mar. Germ., c. 5j.
n
dit que, cliez les Belges, on Ircavaii une espèce de pomaie ap-
pelée spadonia, et une espèce de cerise a laquelle ils donnaient
le nom de lusiianica, portugaise, nom que porte encore
aujourd'hui à Bruxelles une grosse cerise rouge a courte
queue (1). Il est probable que l'arbre qui produisait ce
fruit ne fut cultivé dans la Belgique qu'après la conquête de
Cësar; aumoinslade'nomination de cerise lusitanique paraît
elle être d'origine romaine. Strabon rapporte aussi cju'on
voyait en Belgique un arbre semblable au figuier, et dont le
fruit, qui avait la forme d'un chapiteau corinthien , renfer-
mait un poison mortel (2). On ignore si l'on trouvait déjà
dans le nord des Gaules, avant la conquête romaine, cette
espèce de nèfle et de pêche que Pline appelle gauloises,
parce que les Romains avaient introduit ces fruits de la
Gaule en Italie (3) , ou ces pommes sans pépins que Pline
dit aussi originaires des Gaules.
Strabon rapporte que les Gaulois apprirent des Phocéens
à cultiver l'olivier, et que ce furent ces derniers qui trans-
plantèrent cet arbre fruitier dans les Gaules. Suivant Pline,
un Gaulois qui avait assisté au sac de Rome par Brennus ,
fit, le premier, connaître les figues a ses compatriotes. Il
est certain que dès le temps de Strabon, l'olivier et le figuier
étaient cultivés dans le midi de la Gaule; mais les fruits
de ces arbres ne pouvaient alors mûrir dans la partie
des Gaules au nord des Cévennes. Il en était de même de
(i) Pline, I. XV. c. 14 et 25. Durondeau, Mémoire sur la question: Quel
était l'habillement, le langage, l'état de V agriculture, etc., chez les peuples
de la Belgique avant le 7""* siècle. Mtm. cour, de l'Acad. de Bruxelles
1774, p. 68.
(2) Strab., 1. IV.
(3) Ce fut probablement à César que lîtaîie fut redevable de ce présent ;
au moins Pline assure-t-il que, du temps de Caton-FAncien, ces fruits étaient
inconnus en Italie. Coiuraelle remarque que, de toutes les espèces de pèches ')(
connues de son temps . la pêche gauloise était la plus grosse.
ToîîE î. 6
^- 82 —
la vigne dont , d'après Justin , les Gaulois durent aussi Tin-
Iroduction aux Phocéens. Suivant d'autres, ce ne fut que
peu de temps avant lexpëdition de Bellovèse, c|ue les Gau-
lois commencèrent à connaître Fusage du vin. Du temps
deStrabon et de Diodore de Sicile, on faisait déia,enltalie,
un ne'goce considérable des vins des Gaules. Cependant ,
<]uoîcjue Pline fasse grand cas de quelques espèces de ces
vins, Dioscoride dit qu'il fallait y infuser de la poix, le
climat des Gaules étant trop froid pour faire mûrir la
grappe (1). Les Gaulois connaissaient le secret de sécher les
raisins, mais ils les desséchaient a la fumée, probablement
par suite de l'usage qu'ils avaient de fumer leurs vins (2).
En Belgique, on ne commença à cultiver la vigne que vers
le cinquième siècle. Cette culture fut longtemps bornée
aux rives de la ]\ioselle et de la Meuse ; ce n'est guère qu'au
12® siècle qu'on la voit introduite dans le Brabant, la
Flandre, le Tournaisis et la province d'Anvers (3).
Les arbres non fruitiers les plus communs dans les forets
de i'ancienn€ Gaule, étaient le cliéne , l'if (4), une espèce
d'érable d'une grande beauté , l'ormeau, le liétre dont les
cendres servaient, comme nous l'avons dit, à faire du
savon, des bouleaux d'une délicatesse et d'une blancheur
(1) Pline dit qu'on y mêlait aussi de l'aloès ( I, XIY, c. 6).
(2) Le Grand d'Aussy. tom. 1, p. 295, tom. 2 et 3, et Reynier, p. 472.
(3) Schayes, Sur la culture de la Vifjne en Belgique. Tflessager des Sciences
et des Arts de la Belgique , 2^ série, tom. 1 , p. 285-294. Marshall et Bo-
gaerts , Biblioih. des Aîitiq. belg., tom. 1.
Dans un article variétés, anecdotes, etc.. inàérc dans ]a Biblioth. des Antiq.
helg. (tom. 2, Ç^" livr.), nous avons rapporté qu'on attribue aux maisons de
commerce de Moucheron et Hooftman à Anvers, l'amélioration de la culture
de la vigne en France, de la préparation du vin et de la confection des
tonneaux.
(4) Au rapport de Pline, les tonneaux a vin qu on faisait du bols de cet
arbre, empoisonnaient le liquide qu'on y déposait (1. XVI. c. 14). Ce fut avec les
feuilles de llf que s'empoisonna Catlvnlus, roi dcsEburons(C3es., 1. YI , c.30).
— 83 —
admirables , des saules de la plus fine espèce, le mahaleb
ou bois de Sainte-Lucie , dont on se servait pour teindre
les habits des esclaves , etc. (1).
Il n y avait pas beaucoup plus de variété dans les plantes
légumineuses propres a la Gaule, que dans les arbres frui-
tiers. Les anciens n'ont cité comme telles qu'une sorte
d'oignon et une espèce de panais que les Romains appe-
laient panais gaulois ; une espèce de grosses raves qui ser-
vait de nourriture aux Gaulois et à leurs bestiaux pen-
dant les mois d'hiver; les carottes, que les Romains nom-
maient carottes gauloises, et les Grecs daucon, et qu'on sup-
pose être la carotte rouge, fort commune dans le nord de la
Belgique ; la tor telle et Tasperge gauloise qu'on croit être
la perce-pierre de nos jardins Reynier y ajoute le houblon,
l'arroche, Tastragon et le chervis (2).
Il y à peu de chose à dire sur les cultures des Gaulois
pour les bestiaux. Les Gaules nourrissaient une grande
cjuantité de bétail, principalement des porcs, des vaches
et des moutons, dont on employait la laine (3). Pline
assure que, de son temps, les Celtes avaient une si grande
quantité de prairies , qu'ils en négligeaient une bonne
partie (4). « Cette assertion, dit Reynier, est difficile a
concilier avec le témoignage de César , qui a parlé de sé-
cheresses qui nuisaient souvent aux récoltes (5). Comment
concevoir en même temps un pays assez humide pour avoir
des prairies au delà de ses besoins , et assez découvert pour
que des sécheresses y nuisent aux céréales? Enfin, si les
Celtes avaient un excédant de foin qu'ils pouvaient négliger,
(1) Durondean. p. 68.
(2) Idem., p. 69. Reynier, p. 460. :
[Z)...iyecpivguia Gaîlicis crescunt reliera pascvis. (Koraâ., LUI, od. 2>)
f4) Plin., 1. XYIII, c. 67.
(5) Ca-s., 1. V, c. U,
~- 84 -
pourquoi cultivaient-ils des racines et dautres plantes
pour nourrir leur bétail? Avant de se livrer à de pareilles
cultures, ils auraient commence parfaire usage de tout ce
qu'ils i^ecevaient de la nature. Cësar a parlé d'un fait qui a
influé sur ses opérations; dès lors il est croyable : Pline au
contraire , compilateur le plus souvent sans critique ,
aura étendu a toute la contrée un fait qui convenait a
cjuelques cantons seulement (1). « Si, suivant l'opinion de
Reynier , l'assertion de Pline ne convenait pas a toute la
Gaule , au moins devait-elle se rapporter a la Belgique ,
pays alors très-humide, couvert de forets, de marais, et
traversé par un grand nombre de rivières et par des fleuves
considérables.
Pline rapporte (jue la faux dont se servaient les Gaulois
pour couper l'herbe, était plus grande que celle qu'on
employait en Italie , mais qu'elle avait linconvénient de
ne couper que les herbes les plus longues , et de laisser sur
pied les plus courtes (2).
Terminons ces détails sur l'économie rurale des Celles ,
par une observation déjà faite précédemment , que, suivant
la remarque de Strabon et d'autres auteurs anciens , les
Gaulois , comme tous les peuples barbares , auraient aban-
donné la culture des champs aux femmes et aux personnes
hors d'état de porter les armes. Cependant , en parlant
des Gaulois, César les dépeint souvent dispersés dans les
champs , et occupés de la culture qu'ils quittaient pour
voler aux armes (3).
Après avoir parlé de l'agriculture des Celtes , il est à
propos de décrire la manière dont ils se nourrissaient.
Nous avons dit que la nourriture des Celtes était simple
(l)Rejnier, p. 434.
(2)Plin., 1. XVIIl, C.28.
(3) Cas., 1. IV, c. 30: 1. AI, c. 29. Reynier, p. 402.
--^ 85 —
et gi'^ssière. Elle consistait principalement en viandes ,
en laitage , en poisson et en miel. Leurs troupeaux leur
donnaient en abondance du lait. Les nombreux essaims
d abeilles , qui de'posaient leurs rayons dans les troncs ver-
moulus des arbres séculaires des forets des Gaules , leur
fournissaient le miel. Le bétail, la chasse et la pêche, leur
procuraient le poisson et la viande. Ils aimaient particu-
lièrement la chair de porc; ils entretenaient d'immenses
troupeaux de ces animaux qu ils laissaient vaguer en pleine
liberté dans les forets et les paccages. Diodore de Sicile
rapporte que la rencontre d'un de ces troupeaux de porcs,
devenus presque sauvages, était très-dangereuse : « Les
Gaulois, dit Strabon, laissent en plein champ, même la
nuit, ces animaux, qui sont d'une taille, d'une force, et
d'une légèreté à la course peu communes. Aussi leur ren-
contre est-elle aussi dangereuse que celle d'un loup. »
Pour les rassembler, les Gaulois, se servaient du son du
cor. Chaque canton avait ses communs ou parcours pour le
pâturage du bétail, et il y avait peine de mort contre ceux
qui en auraient défriché quelque portion (1),
La manière dont les Gaulois assaisonnaient leurs mets
était aussi simple et aussi grossière que leur nourriture
elle-même; ils mangeaient beaucoup de porc salé. Ils pré-
paraient , suivant Posidonius , le poisson avec du sel , du
vinaigre et du cumin , mais sans huile , parce qu'elle était
trop rare et trop chère. Ils fabriquaient du fromage dont
la qualité ne devait pas être mauvaise, puisquà Rome
on faisait grand cas de celui des Alpes et des Cévennes (2),
(l)Diod. Sic, 1. V.
(2) Pline dit que, de son temps, on recherchait à Rome les fromages de
Nîmes, du mont Losère, du Gévaudan et des pays circonvoisins ; mais ces
fromages, ajoute-t-il , ne se conservent pas et doivent être mangés frais.
Martial fait mention du fromage de Toulouse,
— 86 —
On ignore si les Gaulois fabriquaient le beurre , car au-
cun auteur ancien n'en a fait mention. Leur boisson ordi-
naire était la bière qui se préparait a peu près comme
de nos jours (1). Pline dit cju'ils donnaient à la bière le
nom de cerevïsia (cervoise), et au grain cjuon y employait
celui de brance, d'où a pu provenir le mot brasseur , en
flamand hrouwer. On ignore si les Gaulois connaissaient
l'usage du cidre et de l'hydromel; il paraît au moins cjue
la première de ces boissons n'a jamais élé d'usage en Bel-
gique.
Athénée nous a laissé , d'après Posidonius , des détails
curieux sur la manière dont les Celtes prenaient leurs re-
pas : (c Les Celtes, dit-il, mangent assis à terre sur du foin ,
ayant devant eux des tables de bois fort basses (2). Leur
nourriture est du pain , en Irès-petite quantité , avec beau-
coup de viande , soit bouillie , soit rôtie ou grillée. Ces mets
sont servis d'une manière propre et ragoûtante ; mais ils les
mangent fort malproprement , saisissant avec les mains ,
comme les bétes féroces, des membres entiers, et les dé-
chirant a belles dents. S'il se trouve un morceau cjui ré-
siste davantage , ils le coupent avec un petit couteau à gaine,
qu'ils portent toujours au côté. Leurs rivières et les deux
mers qui les environnent leur fournissent aussi du pois-
son qu'ils assaisonnent avec du cumin et du vinaigre; car
ils usent peu d huile , parce cju'elle est rare chez eux , et
(1) Peloutier, Hist. des Celtes, t. 2, p. 38. Galli ad vini similitudinem
potus mulliplices. (Amm. Marcell., I. XV.) Galli jtotum ex ordeo confcimit
(Diod. Sic, I. V.)
Re;ynier prétend que les Celtes et les Germains cultivaient déjà le hou-
blon et s'en servaient dans la fabrication de la bière. [Economie publ. ef
rurale des Celtes, etc., p. 433.)
(2) C'est de la même manière que prennent encore aujourd'hui leurs repas
les peuples de Torient. tels que les Turcs et les Persans.
-- 87 —
quon n'aime guères ce qu'on ne peut avoir aisément (1).
(pliant au cumin , ils le mêlent a toutes leurs boissons.
» Lorsqu'ils sont un certain nombre à table , la coutume
est de s'asseoir en demi-cercle. Au milieu , comme a la
place d honneur, se met le personnage le plus distingué
par sa valeur , par sa naissance et ses richesses. Auprès de
lui se place le maître du logis; puis successivement les au-
tres convives, selon leur rang et leur dignité. Par derrière ,
sont des guerriers attachés à leur personne, et qui, pen-
dant tout le repas, tiennent leur bouclier. Par devant il en
est d'autres, assis comme eux, et armés de lances. Les uns
et les autres, au reste, sont traités ainsi que leurs maîtres.
» La boisson des riches est du vin qu'ils tirent d'Italie
ou des environs de Marseille (2), et qu'on leur sert de
la manière suivante. Le domestique , chargé de cette
fonction, apporte dans chaque main un vase de terre ou
d'argent, semblable à une marmite, et rempli de vin.
Chacun y puise. On boit peu a la fois, mais on boit sou-
vent, et presque toujours pur. Les plats sur lesquels on
apporte les viandes sont de la même matière que les vases.
Quelques Gaulois cependant en ont de cuivre, et d'autre?,
au lieu de plats , se servent de corbeilles tressées en osier...
» Il existe chez eux une coutume fort ancienne, qui quel-
quefois ensanglante leurs repas. Celui qui prétend à l'hon-
neur d'être le plus brave de la troupe saisit un quartier
de viande. Si dans la compagnie il «e trouve quelqu'un qui
ait la même prétention , il se lève , et alors les deux rivaux
se battent jusqu'à ce que l'un des deux tombe mort (3). »
(1) Néanmoins Reynier prétend que les Gaulois cultivaient le pavot pour en
fabriquer de Ihuile. Il croit qu'ils cultivaient aussi la navette et le colza (p.447).
(2) Il est probable que l'usage de cette liqueur n'était pas connu en Bel-
gique lorsque cette contrée était encore occupée par les Celtes.
(3) Athsen., 1. V. Le Grand d'Aussy, t. 3, p. 271.
— m ~-
Selon Diodore de Sicile, les Gaulois se faisaient servir par
leurs enfans et par des jeunes gens des deux sexes. Ils po-
saient leur table près d'un brasier, garni de broches et de
chaudières dans lesquelles ils cuisaient leurs viandes (1).
Il ajoute , comme Athënëe , que le meilleur morceau était
toujours offert au plus brave de la troupe.
Aux repas les plus solennels , les convives buvaient dans
les crânes des ennemis cju'ils avaient tue's dans les com-
bats (2), et même dans ceux de leurs pères ou de leurs plus
intimes amis; dans ce dernier cas, c'était une marque de
souvenir et de respect pour les défunts. Les grands ornaient
ces crânes, dor, d'argent ou d'autres matières précieuses.
Au commencement du repas, ils les remplissaient de vin
et les présentaient a tous les convives. Dans les repas moins
solennels , on buvait dans des cornes d'urus et d'autres ani-
maux sauvages.
C'est dans ces festins que les Celtes donnaient un libre
cours à leur passion pour l'ivrognerie ; cette funeste passion
y produisait souvent des malheurs déplorables. Elle excitait
des cjuerelles, toujours sanglantes chez un peuple barbare
et guerrier. Les convives, c|ue la boisson rendait furieux,
se provocjuaient pour la moindre insulte , et mettaient aus-
sitôt l'épée a la main; souvent ils se battaient, après le
repas, d'abord par manière de jeu; mais peu a peu ils s'a-
nimaient , et finissaient par se donner de grands coups
d'épée, jusqu'à s'entre-tuer, si les assistans ne se hâtaient
de les séparer. Cette fureur était parfois poussée jusqu'à
(1) Ce qui prouve, selon Le Grand d'Aussy, que les'Gaulois, faute de salles
à manger, dînaient h l'office. {Hist. de la vie privée des Français, tom. 3,
p. 311.)
(2) La coutume de boire dans les crânes des ennemis existe encore chez
quelques peuples sauvages de l'Amérique. (Frezier, Relat. du voyage de la
mer du Sud, tom. 1, p. 110.)
la démence (i). Si les festins ne se terminaient pas par des
scènes tragiques , ils étaient suivis par des chants et des
danses oii Ton marquait la mesure en frappant de l'ëpëe et
de la lance sur les boucliers.
§111.
Habitations et Oppida des Celtes.
La même simplicité qui régnait dans tous les usages de
la vie prive'e des Gaulois se retrouvait aussi dans leurs de-
meures (2). Les Gaulois, tant riches que pauvres, n'habi-
taient, à l'ëpoque dont nous traitons , que des chaumières
construites en bois , en chaume et en roseaux, de forme circu-
laire, et terminées par un toit pointu, couvert en paille (3).
Ces chaumières , qui paraissent avoir ëtë en tout confor-
mes à celles des nègres actuels de l'Afrique , n étaient pro-
bablement composées que d'un rez-de-chaussée et n'avaient
ni fenêtres ni cheminées; la lumière y pénétrait par
une porte fort élevée (4). Ces demeures devaient être
(5) Diod. Sic, 1. Y. Athen., î. V, c. 13.
(2) Les pl«s anciens écrivains rapjsortent que les Hyperboréens vivaient
dispersés dans les forêts ei, les cavernes ; on sait que, par Hyperboréens, ces
auteurs entendent tous les peuples au nord des Alpes et des Pyrénées.
Denys d'Halicarnasse dit que les Aborigènes de l'Italie et les Celtes étaient
anciennement des bergers qui demeuraient dans les forêts et les montagnes,
où ils vivaient en grande partie de pillage.
(3) Strab.. 1. IV. En parlant du siège du camp de Labienus, par les Ner-
viens, César dit : Jacula in casas, quœ bigre gallico slramentis erant tectoSf
jacere cœpenint. ( Cses., 1. VI, c. 43.)
Ad hune usque diem, dit Vitruve, nationibus exteris ex hts rehiis {îvonde ^
arundine , luto), œdifcia constituunt, ut in Gallia, Hispaniâ, Lusiianiâ
yiquitaniâ scandulis rohnsieis avt stramentis. (Vitruv., Architect., 1. I.)
A Marseille même les maisons n'étaient couvertes qu'en chaume.
(4) «Le bas-breton, dit Dulaure, que Ton croit être un dialecte de l'an-
cien celtique, n'a point de mots pour exprimer étage, cheminée, fenêtre, et
— 90 -~~
peu spacieuses , puisque la cuisine y servait en même temps
de salle à manger, comme nous l'avons observé plus haut.
Ce qui prouve d'ailleurs leur exiguite' , et combien leur
bâtisse était cliétive , c'est cjue Strabon remarque qu'il ne
fallait cju'un jour ou deux pour terminer la construction
d'une maison gauloise ou belge.
Les armes des maîtres, pendues en trophées aux murs, fai-
saient l'unique décoration de ces chétives demeures. Pour
tout meuble on n'y trouvait que quelques vases de terre ,
des escabelles et de petites tables en bois grossièrement
travaillées. Quelcjues bottes de paille ou des peaux d'ani-
maux y tenaient lieu de lits. Strabon rapporte mémo que,
de son temps, la plupart des Gaulois n'avaient d'autre couche
que le sol nu.
Les Gaulois, comme les Germains , aimaient a construire
leurs cabanes dans des lieux écartés , au centre des bois et
près de quelque source (1). Aussi ne trouvait-on, avant la
domination romaine , aucune ville proprement dite dans
les parties des Gaules exclusivement habitées par des Celtes,
et dans lesquelles il n'existait pas de colonies grecques.
« Les Gaulois a cette époque, dit Dulaure en parlant
des concjuétes de César, n'avaient point de villes; ils
habitaient des chaumières éparses dans les campagnes , et
lorsqu'ils craignaient une attaque, ils se retiraient avec leurs
denrées , leurs ménages et leurs bestiaux dans leurs forte-
resses; là ils construisaient à la hâte des cabanes où ils
ce défaut de mots prouve Tabsence de la chose qu'ils signifient.» ( Dulaure,
Des cités, des lieux d'habitation, des forteresses des Gaulois, etc. Me'm. de
la société des antiq. de France, tom. 2.)
(1) En parlant de la fuite d'Ambiorix, roi des Éburons, dont la demeure
était au milieu d'un bois (ce qui le déroba aux perquisitions de ses enne-
mis) : Hoc factum est, dit César, quod <Edifîcio circumdato sylva ( n sunt
tehè DOMiciuA. Gallorum). (Caes., 1. VI. c. 30.)
- 91 -^
abritaient leurs familles et leurs proYÎsions (1). » Justin
écrit , il est vrai , que les Phocéens apprirent aux Gaulois
a construire des villes et h cultiver leurs champs (2) ;
mais s'il y a quelque vérité dans l'assertion de cet auteur,
ce ne peut être qu'aux Celtes voisins de Marseille que
les Phocéens communiquèrent ces instructions , et non au
reste des Gaulois qui leur étaient inconnus , puisque ,
du temps même de Polybe , 500 ans après la fonda-
tion de Marseille, les Grecs et les Romains ne connais-
saient encore aucune contrée des Gaules au nord de la
Narbonnaise. Par conséquent, du temps de cet auteur, il
ne pouvait exister de villes dans les parties centrales et
occidentales des Gaules, et, à plus forte raison, dans la
Belgique actuelle , si c'est en communiquant avec les Pho-
céens de Marseille que les Celtes en avaient premièrement
connu la construction. En effet, Polybe assure que les
Gaulois qui s'emparèrent du nord de l'Italie (la Gaule cisal-
pine), trois siècles avant l'ère vulgaire , et dont l'armée
était composée des Bituriges, d'Auvergnats, de Senonois,
d'Eduens , d'A.mbares , d'Aulerces , de Cénomans , de Sal-
luviens, de Boïens, de Lingonois ou Langrois , d'Insu-
briens, de Venetes et de plusieurs autres peuples du centre
et du nord des Gaules (3), n'habitaient que des chaumières
éparses et n'avaient point de villes (4). Milan, quoique ca-
pitale des ïnsubriens émigrés , n'était qu'un simple village
avant que les Romains n'en eussent f^it une de leurs colo-
nies (5). Strabon assure que les Gaulois qui habitaient le
(1) Dulaure, Hist. de Paris, tom. 1.
(2) Urbes mœnibus cingere didicerunt. [Juslini IlisL, 1. XLIII, c. 4.)
(3 ïifc. Liv., l V, c. 34. Polyb., 1. IL
(4) ViCATiM. swè mûris: neque supelleclilis illis vircndimodus, ut quihus
somnus in Jierhâ aul stramenfis luto erat (Polyb., I. II.)
(5) însnhres, dit Strabon, eiiamnum exiant quorum fuit melropolis Me-
diolanum, jmcfus oîim , nam vicati \7roif/.vf<^Qv) hahilahant eà tcmpcslaf^
— 92 ^
territoire de Lucques, vivaient encore de son temps dans
de simples villages etdes chamiiières ëparses (1). Il ne donne
e'galement que des villages (fpovpta) pour chefs-lieux aux Ga-
lates ou Gaulois de TAsie mineure. Tite-Live fait aussi en-
tendre que les Boïens et les Ce'nomans établis en Italie
n'habitaient que de simples bourgades (2). Strabon et Dio-
dore de Sicile attestent que les Liguriens, Celtes d'origine,
ne possédaient point de villes , et habitaient dans des vil-
lages. Diodore va même jusqu'à dire (3) , qu'il n'y avait
que fort peu de Liguriens qui possédassent des chaumiè-
res, mais que la plupart n'avaient pour demeure que des
cavernes. Nous voyons encore , par Tite-Live, c|ue, dans les
parties delà Gaule que traversa Annibal pour pénétrer en
Italie , on ne trouvait que des villages , et cjue la capitale
même de ces contrées, Briançon, n'était qu'un simple châ-
teau ou bourg (4).
Si toutes les peuplades gauloises que nous venons d'énu-
mérer ne demeuraient encore que dans des villages et des
chaumières isolées , et ne bâtissaient point de villes plu-
sieurs siècles après la fondation de Marseille, et si , cjuoique
vivant au centre de populations civilisées c[ui possédaient
un grand nombre de cités remarquables, les Gaulois de
l'Italie supérieure continuaient a conserver leurs mœurs
et leur genre de vie barbare et grossier, ne pouvons-
nous pas conclure de la que l'influence de Marseille sur la
universi. ( Strabo, 1. V.) Pol^be appelle Milan le bourg ou village [xcopcti;)
principal des Insubriens,
(1) kvot Tccf4.vjc^cv oixcvaiu.
(2) Inde mittenilo in vicos Cenomanorum Brixiamque quod caput gentis
erat. (Tit. Liv,, 1. XXIl, c. 30.) Boii, ut est gens minime ad morœ tœdium,
patiens, in castella sua vicosque dilapsi sunt. (L. XXIII, c 36.)
(3) Liguria nikil relatu digninn habet, nisi quod \icatim dissipait vivunt
Ligures.
(4) Casiellum indè, quod caput ejus regionis erat, vicosque circumjectos
capii. ( Tit. Liv., 1. XXI, c. 33.)
_ 93 —
civilisation gauloise , ne fut point aussi grande que le sup-
pose Justin , et que ce ne fut guère qu'après la conquête
des Gaules par les Romains que îes Gaulois commencèrent à
renoncer a leur ancienne manière de vivre et a construire
des villes. Nous citerons un dernier fait a Tappui de cette
probabilité : Strabon dit que les Allobroges , qui occu-
paient l'ancien Dauphinë, et étaient par conséquent a peu
de distance de Marseille, ne possédaient cjue des bourgades
ouvertes , et que Vienne , leur capitale , n'était elle-même
qu'un simple village (1).
Si , dans une contrée aussi proche de Marseille , on ne
trouvait point de villes, à plus forte raison en devait-il
être de même dans le centre , l'ouest et le nord des Gaules
avant l'époque de la domination romaine dans ces lieux.
Il est vrai que César compte douze oppida chez les Hel-
vé tiens (2) ; mais on serait dans l'erreur si l'on entendait ici ,
par le mot oppidum , une ville proprement dite ; ces op-
pida de (]ésar n'étaient qu'un assemblage informe de chau-
mières éparses et disposées sans aucune régularité , ou ,
comme chez les habitans de la cote de la Grande-Bretagne,
peuplée de Gaulois et de Belges émigrés dont la manière
de bâtir était , suivant César lui-même , absolument con-
forme à celle des habitans des Gaules (3) , des retranche-
mens au milieu des bois, formés par des palissades et des
abatis , dans lesquels les habitans se renfermaient en
temps de guerre avec leurs troupeaux et leurs effets (4).
3Iagno nalu principes Casteilorum oraîores ad Pœnum veniuni. (L. XXÏ,
c. 34.)
(1) Per vicos liahiiani. Vienna et ipsa viens, tamen metropolis gentis dice-
hatur. (Strabo., 1. IV.)
(2) Cses., 1. I.
(3) Gallicis consimilia. (CaES.. 1. V, c. 12. Tacit. Vifa Jgric., c. II.)
(4) Oppidum autem Brifanni rocant, citm silvas iwpedilas, vallo alque
Q4 —
Ce qui prouve encore que, par le terme oppidum , il ne
faut pas nécessairement entendre une ville comme nous
le faisons généralement aujourd'hui , quoiqu a tort (1) ,
c'est que César place des oppida chez les Suèves et les
Ubiens , peuples de la Germanie, lesquels, comme tous les
Germains, avaient le séjour des villes en horreur, et ne souf-
fraient même pas un assemblage cjuelconque de maisons (2V
Ce n'est pas dans les Commentaires de César seuls cjue
le titre d'oppidum est donné à de simples villages , mais
aussi dans plusieurs autres ouvrages anciens. Ainsi
Tite-Live donne la qualification de ville ( urbs ) a Milan ,
à une époque oii ce lieu n'était encore qu'un simple vil-
lage gaulois : il dit que les Insubriens bâtirent une ville
à laquelle ils donnèrent le nom de Milan (3) , tandis que
fossâ mimierunt , quo mcursionis hostium vitandœ causa convetiire consue-
veriinf. (Caes., I. V. c. 21.)
Urhium loco ipsis ( Britannis ) sunt nemora. Arhorihus eniin dcjectis, vbi
amphini circuluni sepieriintj ij^si casas ibidem sihi ponunt et pecori stahula,
condunt, adusum quidemnon longi temporis. (Strabo., 1. IV.)
Nous verrons plus loin que les Celtes avaient un autre genre de fortifica-
tions beaucoup plus solides.
(1) Oppidum, dit Festus, ah opihns conferendis. C'est dans cette signifi-
cation que César paraît avoir employé le mot oppidum. \oir aussi M de
Fortia , Tableau du monde, tom. 4, p. 287.
(2) Ubiis imperat ut pecora deducatît, suaque omnia ex agris in oppida
conférant. (Coes. 1. \I, c. 10.)
Sîievos , poslquam per eaploraiores ponlem fleri comperissent , more sua
consilio habito, nuncios in omnes partes dimisisse, uliin Oppidis demigrarent
Itberos, uxores, suaque omnia in siltas deponerent, atque omnes qui arma
ferre possent vnum in Jocum convenireni. (Id., 1. IV, c. 19.)
u Ces Suèves, écrit M. Raepsaet, consistaient en plusieurs nations. Toutes
ces nations sont appelées en commun Suevi, dit Tacite 5 or, comme il n'as-
signe à aucune de toutes ces peuplades suèves des demeures fixes, je pense
que ces nations suèves étaient encore nomades (c'est-a dire qu'elles n'avaient
point encore de pays fixe ou limité), et qu'on les désignait par Swevers, que
Tacite, selon sa coutume aura latinisé. « (Raepsaet, Analyse de VHist. polit,
et civ. des anc. Belges et Gaulois , t. 1.)
(3) Condidere (Insiibrcs) urbem : Mediolanum appclJarunt. (Tit. Liv. 1. V.)
— 95 —
nous avons vu plus liaut, par le témoignage de Polybe et
de Strabon, que les Gaulois cisalpins n'habitaient que des
chaumières ëparses. Ptoléméeet Hërodien placent un grand
nombre de villes dans la Germanie et la Sarmatie, oii
nous savons positivement qu'il n'en existait point encore
une seule de leur temps ni même long-temps après. Tout
cela prouve que, comme tant d'autres termes, les mots op-
pidum^ urhs , TToXiq, ne doivent pas toujours être pris chez
les anciens dans leur signification première , et que rien
n'atteste que les oppicla des Gaules aient ëtë plus des villes
proprement dites, que les urbes ^ civitates ^ TroXiq^ que Pto-
lëmëe et Hërodien placent mal-a-propos chez des peuples
oîi il n'y avait pas ombre d'une ville.
Nous nous sommes cru permis ces dëtails sur les habi-
tations des anciens Gaulois, parce que cette question est fort
controversëe, et que la plupart des auteurs modernes, faute
d'avoir ëtudië assez attentivement le texte de Cësar , ont
avance c[u' avant l'ëpoque de la domination romaine dans
les Gaules , cette vaste région renfermait déjà un grand
nombre de villes remarquables, tandis qu'un examen plus
attentif aurait du les convaincre qu'il n'y existait pas plus
de villes a cette ëpoque que dans la Germanie , au moins
dans les parties des Gaules au nord de la Narbonnaise. Ce
n'est que depuis raffermissement de la domination romaine
dans les Gaules, que les chefs-lieux des différentes peuplades
gauloises s'élevèrent successivement au rang de villes , qui
étaient déjà au nombre de 120 a 125 vers la fin du 4e siè-
cle (1).
(1) Voir le chap. 9 de la 2= partie de cet ouvrage et mon mémoire sur la
question : Les Gaulois avaient-ils des villes avant la conquête des Gaules
par les Romains. (Bulletin des Sciences Histor., Paris, novemb. 1830.)
Lorsque j'écrivai cette Dissertation, je n'avais point lu le savant Mé-
moire de M. Dulaure, intitulé : Des cités, des lieux d'habitation , des
— 98 —
§ IV.
Costumes des CeStess
Les Gaulois ne se couvraient d'abord que de peaux d'ani-
maux sauvages tues a la chasse. Dans la suite, le commerce
avec les Grecs de Marseille , et les progrès, quoique lents,
quils firent dans les arts, introduisirent quelque change-
ment dans leur manière de se vêtir ; car chez tout peuple
barbare, c'est ordinairement dans les vétemens qu'on ren-
contre les premiers germes du luxe. Les Celtes apprirent a
cultiver le chanvre et le lin (1) , a en faire des toiles et à
les teindre ; par là leurs vétemens devinrent plus com-
modes et plus varie's. Le costume le plus ordinaire du peu-
ple fut alors la saye {sagum)^ espèce de petit manteau
de forme carrée avec ou sans manches, qui s'attachait sur
Tëpaule avec une agraffe. La saye était garnie de poils, et
quelquefois ornée débandes de pourpre étroites, en forme
de verges; elle portait alors le nom de saje à verges (sagiim
virgatum) (2). Les nobles teignaient leurs sayes de diverses
couleurs et y attachaient des ornemens d'or et d'argent.
En hiver la saye était épaisse, et légère en été. Elle fut long-
temps le seul vêtement des Celtes (3).
Par dessous la saye , les Gaulois portaient des espèces de
tuniques ouvertes ou de chemises qui leur descendaient
forteresses des Gaulois, de letir architecture civile et militaire avant la
conquête des Romains , dans les Mémoires de la Société roy. des Antiquaires
de France , tom. 2, p. 82.
J'ai vu avec plaisir que je me suis rencontré en beaucoup de points avec
ce célèbre écrivain.
(1) Cadurci, Caleti, Ruteni, Bituriges , uUimique liominuîn existimati
Morini, imo vero Galliœ universœ vêla texunt. (Plin. 1. XIX, c. 1.)
(2) Virgatis lucent sagnlis , dit Virgile en pai-lant des Gaulois. [Mtieid.
1. VIII, V. 660.)
(3) Picot, tom. 2, p. 306. Pelontier, t. 2, 125 et suiv.
— 97 —
jusqu'aux hanches , et qui avaient des manches courtes (1).
De larges culottes appelées brayes ( hraccœ, en flamand
broeken) ^ complëlaient Thabillement des Gaulois et du
Belge en particulier (2). De là le nom de Gallia hraccaia^
cjue les Romains donnèrent a la Gaule transalpine, pour
la distinguer de îa Gaule cisalpine, où les Celtes paraissent
avoir renoncé de bonne heure a Tusage de ce vêtement. Les
brayes des Gaulois étaient quelquefois de couleurs variées
et ornées de broderie d'or et d'argent (3).
Les Celtes marchaient la plupart du temps nu-pieds; mais
pendant l'hiver et lorsqu'il pleuvait, ils se couvraient les
pieds de sandales de bois ou de liège attachées avec des laniè-
res de cuir. On appelait ces sandales gallicœ (galoches). Les
dames romaines adoptèrent elles-mêmes cette chaussure,
qui aujourd'hui est abandonnée aux gens du peuple.
Les Gaulois, hommes et femmes, se couvraientla tête d'un
bonnet ; celui des hommes était pointu ou en pain de sucre (4).
Les hommes se rasaient ordinairement la barbe; les
nobles laissaient croître leurs moustaches, l'ous portaient
les cheveux longs et se les teignaient en jamie, comme nous
lavons observé au commencement de ce chapitre (5).
Les anciens n'ont rien dit de particulier sur l'habille-
(1) Pelontier. t. 2, p. 154.
(2) Gain Scytharnrn 7nore braccis induti sunt (Plin., I. III, c. 3: et Strab..
1. IV).
(3) Festns Pompeins rapporte que les Belges se servaient de poches de
cuir qu'ils appelaient hulga , doi^i Durondeau .prétend que s'est formé le mot
flamand heiigel-fassche, en allemand beiitel, qui signifie poche.
(4) C est ainsi qu'est représenté Comius , roi des Atrébates, sur ime mé-
daille dont Bergerns a donné nne gravure {Thesaur. Bravdenh., p. 305. Clefel.
Antiq. septent., p. 265).
(5) NonnuUiraduntharhas; quidam tnodicè aluni; nobiliores tonstirâ gênas
îevigant, wyataces vero demiUuni vtora ipsorum obteganinr (D\oà. Sic, I. V*.
César dit des peuples de la Grande-Bretagne: Capillo sunt promisso aique
omni corporis parte raso, prœfer caput et labrum superivs (1. V). Voir Cleirel,
vintiq. sept. c. 9.
Tome 1 7
— 98 —
ment des femmes gauloises ; il ne paraît pas avoir beau-
coup diffère de celui des hommes, sinon quelles portaient
des tuniques plus longues. On a trouvé , dans difFe'rens
tombeaux celtiques, des coiffures de femme d'une forme
triangulaire et assez bizarre.
Les Gaulois , hommes et femmes, aimaient beaucoup a
relever leur parure par des bracelets , des anneaux et des
colliers dor; mais ce genre dornemens parait avoir été ré-
servé aux nobles (1).
Les armes que les Celtes ne quittaient jamais étaient
également tenus par eux pour un des principaux objets de
leur parure. «Un Celte, dit Peloutier, ne paraissait ja-
mais sans armes ; il les épousait en quelque manière. Après
les avoir portées depuis l'âge viril jusqua la vieillesse dé-
crépite, il fallait encore c]u'on les brûlât, ou quon les en-
terrât avec lui. Cet attachement des Celtes pour leurs
armes allait si loin qu'ils préféraient perdre la vie plu-
tôt que de les abandonner a l'ennemi (2). m
Ce qui distinguait les Celtes des autres peuples barbares,
c'était le soin extrême qu'ils prenaient de la propreté de
leurs habits : « Tous les Gaulois , rapporte Ammien-Marcel
lin , sont fort soigneux pour ce cjui regarde la propreté du
corps et des habits. Vous ne trouverez dans ces contrées ni
hommes ni femmes, fussent-ils même des plus pauvres,
(1) Strab., IV. Virg., Mneid., 1. VIII, v. 660.
.... Tum flava repexo
Galîia crine ferox , evinctaque torque decoro
(Claudian., de Laudih., stilic. 1, II. v. aio.)
Collo viri fulvo radiahant lactea torque,
Aura virgatœ vestes, manicœque rigehant.
Ex aura et simili vihràbant crista -inetallo.
(,Sil. liât., 1. IV, V. i54.)
Lorsque Tite-Live parle de quelque victoire remportée par les Romains
sur les Gaulois, il ne manque pas de désigner le nombre des colliers et des
bracelets pris sur l'ennemi (Titc Liv., 1. XXIV, c. 42. I. XXXIII, c. 36
1. XXXVI, c. 40}.
(2) Hist. (les Celtes, t. 2, p. 164.
— 99 --
qui aient les habils déchires (1). w Ils se baignaient fré-
quemment, tant par propreté que par principe de santé
et pour s'endurcir contre le froid et rendre plus souples
les membres du corps ; pour cette raison , ils se bai"
gnaient ordinairement dans les eaux courantes et les lacs^
en hiver comme en été. Pour avoir le teint luisant, ils
se frottaient le visage avec du beurre et de la levure ou
écume de bière (2) ; cependant , ce cjui ne s'accorde guère
avec la propreté gauloise tant vantée par Ammi en-Marcel-
lin, c'est que, suivant Strabon et Diodore de Sicile, les
Gaulois avaient la vilaine coutume de se laver le corps avec
de l'urine et de s'en frotter les dents. Pour que l'urine eût
plus de force, on la laissait vieillir dans des citernes (3).
§ V.
BSariage , condition des femmes .
Le célibat n'était pas en honneur chez les Celtes; mais
il ne paraît pas cjue la polygamie y fut en usage , au moins
parmi le commun du peuple. Les femmes jouissaient d'une
grande liberté dans le choix d'un époux : le père rassem-
blait dans un repas tous les prétendans de sa fille, et le pre-
mier auquel elle présentait une coupe remplie d'eau était
celui cpi'elle préférait pour époux ; un tel mariage , fondé
sur les seuls rapports d'un amour réciproque, devait être
rarement malheureux. Il ne paraît pas cju'on observât aux
fiançailles d'autres formalités que de faire boire l'époux
et réponse dans une même coupe. La femme recevait
une dot en se mariant (4). Les maris prenaient alors sur
leurs biens une somme équivalente a cette dot , et réunis-
(1) Amm.-Marcell., L XV, c. 12.
(2) Plin., 1. II, c. 12. L XXII, c. 25. Athen., I. X, c. 13.
(3) Diod. Sic, 1. V. Strab., I. III. Catiill. Epigr. 96.
(4) Caes.,I. VI, c. 19.
-^ 100 -^
saient ces deux sommes ; le dernier survivant des époux
héritait cet argent mis en commun, avec les accroissemens
qui) avait reçus depuis le mariage. Les femmes ne man-
geaient jamais avec leurs maris ou d'autres hommes, usage
dont on ne peut pas aisément rendre compte, puisqu'on
sait que les Gaulois te'moignaient le plus grand respect
pour les personnes du sexe.
§ VI.
Tactique militaire àes Ceites.
La grande passion , et, avec la chasse , presque l'unique
occupation , on pourrait dire Tunique amusement , du
Gaulois était la guerre. César dit qu'il ne se passait pas d'an-
née que chaque peuple gaulois ne fut engagée dans quel-
qu'entreprisc militaire. La grande assemblée nationale qui
se tenait au printemps n'avait pour but principal que de se
concerter sur la manière dont on tenterait quelque nouvel
exploit. Tout Gaulois indistinctement était obligé d'y as-
sister armé de toutes pièces et prêt à entrer en campagne (1)
« Lorsqu'un des chefs gaulois , dit César, a résolu d'entre-
prendre une expédition, il le déclare dans rassemblée géné-
rale, afin que ceux qui veulent le suivre s'enrôlent. Ceux
qui approuvent l'expédition et qui agréent le général, se
lèvent et promettent leur assistance; ils reçoivent là-dessus
de grands applaudissemens delà part de toute l'assemblée.
Si , parmi les enrôlés il s'en trouvait quelqu'un qui ne vou-
lût point suivre son chef, on le regarderait comme un
déserteur et un traître; personne ne se fierait plus à
lui (2). « Les plus braves d'entre les chefs gaulois avaient
toujours à leur solde un certain nombre de compa-
gnons appelés amhacti^ soldiirii^ qui faisaient serment
de vivre et de mourir avec leur général. Si leur pa-
(1) Cîcs., 1. II. c. 4 1. VII, c. 75.
(2) Cœs., 1. VI, c. 23.
--. 101 —
tron périssait clans le combat , c'eut élé une honte pour
eux que de lui survivre (1). Lorsqu'un peuple ëlaiten
paix avec ses voisins, ces erufans perdus ne laissaient pas de
faire des incursions et une guerre de partisans, ou allaient
servir chez un peuple étranger. Si les Gaulois ne trou-
vaient pas loccasion de guerroyer hors de leur patrie, ils
désolaient cette dernière même par des guerres civiles, et
s entretuaient les uns les autres (2). Polybc rapporte qu'au
retour d'une expédition, il s'élevait souvent parmi les vain-
queurs , pour le partage du butin , des dissensions c[ui fai-
saient parfois périr la fleur de Tarmée (3). L'exemple sui-
vant est encore bien propre a prouver que, chez les Gaulois,
la guerre n'était considérée que comme un amusement :
Annibal avait fait plusieurs Gaulois prisonniers de guerre;
il leur proposa de se battre entre eux, promettant la liberté,
désarmes, et un cheval a celui qui aurait terrassé et tué
son adversaire. Les Gauloisacceptèrentavec joie une propo-
sition qui nous parait a nous si contraire à Thonneur natio-
nal (4). Â.insi pour avoir le plaisir de se battre, ces Gaulois
ne firent aucune difficulté d égorger leurs frères et leurs
compatriotes sous les yeux d'un général ennemi (5).
L 'éducation entière d'un Celte ne tendait qu'à faire de lui
un guerrier valeureux (6). Le premier vœu d'une femme
gauloise, en donnant le jour à un enfant màîe, était qu'il plut
aux dieux de le faire mourir les armes a la main (7). Pour
(1) Cses., î. IIL c. 22. 1. YL c. 40. Diod. Sic, I. V. Athen., I. VII, c. 13.
Voir aussi Reynier p. 128,
(2) Cœs., 1. VI, c. 2.
(3) Polyb., I. II.
(4) Tite Liv., I. XXI, c. 42.
(5) Voir Peloutier, tom. 2, p. 328.
(6) Gallos inter ferrum et arma natos (Tit. Liv., 1. X, c. 16).
(7) Pnerpera si quandô marem edidit , gentUihus votis optât non aliter
quam in hello et inter arma mortem appetat (Solini Polyhistor., c. 25).
— 102 —
rendre les enfans vigoureux et souples , on les baignait dès
le moment de leur naissance dans l'eau froide; on les lais-
sait courir presque nus; on les exerçait a la nage et au
maniement des armes; ils étaient obligés de servir leurs pa-
rens à table et ne pouvaient paraître en public avec eux
avant d'avoir atteint Tâge de quinze ans , lorsqu'ils rece-
vaient de leurs mains uneépée et un bouclier (1). Ces armes
ne les quittaient plus jusqu'à la décrépitude (2). La reli-
gion , l'honneur, le sentiment de la patrie et de la liberté
donnaient aux Gaulois une valeur a toute épreuve. Ils se
persuadaient de jouir d'une félicité éternelle en mourant
les armes à la main (3). Le plus grand des malheurs pour
un Celte , et généralement pour tous les barbares, était de
mourir d'une mort naturelle. Aussi les plus braves d'en-
tre eux , lorsque la vieillesse les empêchait de chercher la
iiiort dans les combats, se la donnaient de leur propre
main ou la recevaient , comme un gage d'attachement, de
celle de leurs proches ou de leurs amis.
Les chants des Bardes composés en honneur des héros ,
et les encouragemens qu'ils recevaient de leurs femmes
qui n'étaient pas animées d'un égard moins guerrier que
leurs époux ou leurs fils , tout contribuait a animer les
Gaulois dans les combats. Pour montrer l'assurance avec
laquelle ils marchaient à Tattaque et le mépris qu'ils fai-
(1) Caes., 1. VI, c. 18.
(2) Qui quiun vix equopropter œtatem posset uii, dit César en parlant de
Vertisqne, chef des Rémois, tomew consuefudine Gallonim , neque œtatis
excusatione in suscipienda prœfectura usus erat , nequc dimicari sine se vo~
hterat ( Cœs., 1. VllL c. 12).
^5^ Cejtè popuJi qnos rîespicit ^rcios ,
Felices errore suo , quos ille timorum
Maximus liaud urget letlii vietus ; indc vuendi
In fetrum tnens prona viris, animœque capaces
Alortia f et ignavutn est rediturœ parcere vitœ.
(.Lucan., rhar$., 1. L>
— 103 —
salent de la mort, ils ne portaient, dit JElien, pour tout
casque, qu une couronne de fleurs (1). En allant combattre,
ils se découvraient toute la partie supérieure du corps (2).
11 y en avait néanmoins cjui se revêtaient d'un poitrail de
fer et se couvraient la tête d'un casque.
La cavalerie formée de la noblesse gauloise , composait
la principale force des armées (3). Chaque cavalier avait
à sa suite deux esclaves également armés et montés sur des
coursiers. Si une blessure le mettait hors de combat, un
des esclaves prenait sa place pendant que lautre pansait
ses blessures.
Les Gaulois avaient des chars de guerre, appelés esseda
et covinus^ attelés chacun de deux chevaux et conduits par
un écuyer. Le guerrier qui montait le char , lançait un
trait à Fennemi; puis, dès qu'un corps ennemi était en-
foncé , il descendait du char pour combattre à pied avec
Tépée. Ces chars réunis ensemble servaient aussi a fortifier
les camps (4).
Dans les combats , l'armée gauloise présentait un front
double ; ce qui ne permettait pas de s'enfuir aux soldats
du premier rang , destinés a soutenir le premier choc (5).
(1) « De cet usage, dit Le Grand d'Aussy, naquit probablement, chez leurs
descendans, celui de porter un ornement pareil aux jours de fête et de ré-
jouissance. » {Hist. de la vie privée des Finançais, t. 2, p. 245.)
(2) Ex adverso robusta Galîorum corpora et nuda petehaniur; quœ res eos
maxime extulit (Appian., de Bello parth.). Strab., l. IV.
(3) Voir cependant César, 1. VU, c. 76. Robgier de la Bergerie, Hist de
Vagricult. des Gaulois, p. 331.
Les Gaulois tenaient pour honteux de se servir de harnais d'équipement
pour le cheval.
^lien dit que les Celtes nourrissaient leurs chevaux et leurs bœufs avec
du poisson ( 1. XV, c. 25).
(4) Cœs., l. I, c. 51. Hirtius, de Bello gall, 1. VIII, c. 14. Diod. Sic, I. V.
Tit. Liv., 1. X, c. 28.
(5) Polyb., 1. II. Diod. Sic, 1. V. Tit. Liv., 1. V et XXXVIII. Appian.,
Bell, civ., 1. I.
— 104 —
Les Gaulois se ballaient aussi ranges en forme de coin (eu-
neatini ) (1).
Ils s animaient les uns les autres , en marchanl a l'at-
laque, par des cris de guerre, par le son d'une espèce
de trompette grossière, par des chants guerriers et des
invectives contre lennemi. Les plus vaillans sortaient en
avant du corps d'armée, et provoquaient à un combat sin-
gulier celui des ennemis qui oserait se mesurer contre eux.
Lliistoirc romaine offre plusieurs exemples de ces combats
singuliers livres par des Romains a des Gaulois.
Les Celtes ne paraissent avoir eu aucune connaissance
de la tactique , et ils n'observaient nulle discipline , s'il faut
en croate ce qui est dit dans le fragment d'un discours que
iite-Live fait tenir à Camille, pour engager les Ardëates à
combatlrelesGauloisqui venaient assie'ger la ville d'Ardëe :
«Cette nation, dit Camille aux Ardëates, inspire plus de
terreur quelle na de véritable force; la défaite des Ro-
mams en est un exemple ; les Gaulois se sont emparés
d'une ville ouverte, et maintenant un petit corps de troupes
leur résiste depuis le siège du Capitole. Vaincus par l'en-
nui , ils se retirent , ils errent ça et la dans les campagnes ;
ils se gorgent du vin et des provisions qu ils ont pillés.
Quand la nuit est arrivée , ils s'étendent péle-méle sur la
terre au bord des ruisseaux, comme des bétes sauvages;
ils n'établissent point de remparts, point de gardes, point
de patrouilles autour d'eux pour leur sûreté ; la prospérité
les a rendus encore plus insouciant qu'à l'ordinaire. Si
vous voulez défendre vos murailles , et empêcher que
votre pays ne devienne la proie de ces barbares, prenez
tous les armes à la preniière veille, et suivez moi , non pas
à un combat, mais a un massacre. Si je ne vous les livre
(1) Cœs., I.VIL c. 28.
— 105 --
pas plonges dans le sommeil, et faciles à égorger comme
un troupeau Je brebis, je ne refuse point detre traite par
vous comme je Fai été par les Romains (1). w
César rapporte que les Gaulois , n'avaient aucune idée
des macliines de gueri-e nécessaires aux sièges, tels que tours
mouvantes, béliers, etc., (2). Lorsqu'ils voulaient s'empa-
rer d'une place forte, ils l'investissaient avec toute leur ar-
mée ; ils attaquaient les murs à coups de pierres et de
traits, et quand ils avaient chassé ceux qui les défendaient,
ils formaient la tortue, brûlaient les portes et renversaient
les remparts (3). Les murs de leurs oppida n'étaient pas
tous construits d'une manière aussi fragile que ceux dont
nous avons parlé dans le § 3. Ils avaient une autre espèce
de fortifications construite avec assez d'art et beaucoup de
solidité; voici la manière dont ils les élevaient suivant
César : « Ils se servent , dit-il, de longues pièces de bois,
droites dans toute leur longueur, les couchent a terre
parallèlement , les placent a une distance de deux pieds
l'une de l'autre, les fixent intérieurement par des traverses ,
et remplissent l'intervalle qui les sépare , de beaucoup de
terre. Sur cette première assise , ils posent de front un rang
de grosses pierres ou fragmens de rochers , et après avoir
(1) Tit. Liv., 1. V, c. 44 et 45. Picot, t. 2, p. 340.
(2) Celeriiervineis ad oppidum (Novlo diimim) actis, aggerejacto, iarri-
busqut constitulis , wagnitiidine operum , quœ neque viderant untè Gain,
neque audierant, et cehritate Romanorum permoti, îegatos ad Cœsarem de
deditione mittunl. (Caes., 1. Il, c. 12.)
Il ne s'écoula pas un long espace de temps , que les Gaulois n eussent
déjà appris des Roumains à attaquer ou défendre les villes de la même ma-
nière que leurs maîtres. Voir César, 1. VII, c. 22.
(3) Gallorum eadeni, atque Belgarum, ohpugnalio est lœc. Lhi circum-
jecla muUUudine Lommum lotis mœnihus, undiquè lapides in murum j'aci
cœpli sunl, murusqne dvfeusorihus nudatus esl: tesludine ftutà, parias suc-
ccdunl, marumqve subnni.U. (Cœs., I. 11, c. 6.) Voir aussi 1. V, c. 43, et sur
la manicre dont les Celtes faisaient une sortie. 1. ^ III, c. 15.
- 106 —
place et assemblé ces pierres, ils établissent dessus un
nouveau rang de pièces de bois , disposées comme les pre-
mières^ en conservant entre elles un semblable intervalle;
de telle manière que les rangs de pièces de bois ne se tou-
chent point, et ne portent absolument que sur les fragmens
de rochers interposés. L'ouvrage est ainsi continué jusqu k
la hauteur convenable. Cette construction , la variété de
ses matériaux , ces rangs alternatifs de pièces de bois et de
rochers, dont l'alignement est observé, n'offrent rien de dé-
sagréable pour le service et la défense des places ; car les
pierres qui la composent résistent aux incendies , et les
pièces de bois étant liées entre elles dans l'intérieur de la
muraille et ayant pour la plupart quarante pieds de lon-
gueur , il est aussi difficile de les détacher que de les rom-
pre (!)• 5) Ces murs ne devaient avoir que six ou sept pieds
de hauteur, et non quarante, comme l'ont avancé quelques
traducteurs (2). Ils n'avaient pas, comme on voit, de fonde-
mens, et les pierres dont ils étaient construits étaient brutes,
et posées sans ciment ni mortier. Suivant Dulaure , cette
espèce de fortification se construisait d'ordinaire au-dehors
des oppida^ lorsque ceux-ci n'étaient pas assez spacieux pour
renfermer la multitude , et c[u une partie de l'armée était
obligée d'établir hors de leur enceinte des camps retran-
chés (3).
Les armes ordinaires des Gaulois étaient l'épée et le
bouclier. L'épée (spatha), qui leur pendait au côté droit
par une chaîne de fer ou d'airain, était longue, sans pointe,
(1) Cœs., 1. VII, c. 23.
(2) Dulaure, Mémoire précité.
(3) Dulaure prétend que c'est de César que les Gaulois apprirent à en-
tourer leurs camps de fossés (Cses., I. V, c. 30). Cependant, lorsque ce
conquérant entra en Belgique, il trouva déjà \ Oppidum de Noviodunum
fortifié d'un mur fort élevé et d'un large fossé (Cses., 1. IL c. 12).
— 107 —
et ne pouvait frapper que de taille; la lame (spams) , très-
mince , et d'une mauvaise trempe , s'e'moussait , et se cour-
bait facilement (1). Ils avaient en outre une espèce de
glaive garni de pointes recourbées , de manière qu'après
avoir blesse son ennemi avec cette arme , on déchirait les
chairs en voulant la retirer de la blessure qui par la deve-
nait dangereuse et difficile a guérir. Les boucliers faits
d'osier ou d'une planche fort mince, et peints de diverses
couleurs , formaient un carré long à surface plane ; ils
étaient beaucoup trop étroits pour pouvoir couvrir le corps;
aussi , souvent , dans le combat , les Gaulois les jetaient
au loin , et se précipitaient sur l'ennemi à corps décou-
verts. Ils se servaient encore d'une lance , dont le bois était
fort long, de Tare, de la fronde, dune hache de pierre
fichée dans un manche de corne de bois de cerf, de traits
que César appelle materis , mataris ou matara (2) , enfin ,
d'une massue de fer, courte et grosse, suspendue à leur
côté par une chaîne. Toutes ces armes étaient d'ordinaire
embellies par des figures représentant des quadrupèdes
et des oiseaux , travaillés en airain , en corail ou en d'au-
tres matières (3). Le casque des Gaulois était surmonté de
(1) Tit. Liv.. I. XXII, c- 46. Nonnius, I. IV. Spariim vel spams est telum
gallicum instar lancea (Festus).
(2) Ces traits ou javelots étaient comme ceux des sauvages de l Amé-
rique, armés d'os pointus : missilibiis telis, acutis ossibus pro speculorum
acumine arte mira ccagmentatis (Amm. Marcell.,1. XXXÎ, c. 2). Durondeau,
p. 130.
(3) Diod. Sic, 1. V. Cic. Rhetor., I. IV. Tit. Liv„ 1. VIL c. 24. Stiah! J. IV.
Non. Marcel), e. 18, col. 798. Servius ad jEneicL, 1. II, v, G82. Montfaucon,
Jntiq expliq., t. 4, part. 1, 1. I, c. 13. Suj)plém. t. 4, i. II, c. 5. Picot, tom. 2.
p. 332.
Virgile, en décrivant, dans le 8*= livre de lEnéide. le bouclier d'Encc,
trace ce portrait exact dun guerrier Celte :
Aurea cœsarics ollis atquo aurea vestis
P^irgalis Iticent saguUs ; iurn lactea colla
Aura innectuntur : duo quisque alpina coruscant
Gœsa manu, scutis prutecii corjjora lotigis.
— 108 —
cornes d'animaux ou de la figure d un oiseau; le plus ;^ou
vent de celle d'un coq qui ornait aussi leurs drapeaux.
§YI.
Chasse et pêche des Celtes.
Après les exercices militaires , la chasse était ce cjui re-
créait et occupait le plus les Gaulois, parce quelle leur
présentait une image de la guerre : « Les jeunes gens , dit
Peloutier, commençaient par faire la guerre aux bétes,
pour la faire ensuite aux hommes , aussi longtemps qu'ils
étaient en armes. De là vient cpie ces peuples se plaisaient
principalement aux chasses dangereuses , comme à celle
de l'élan et du bœuf sauvage. » L'élan, le bisons des Grecs
et des Romains et le wisen des Allemands, était un ani-
mal qui, par sa grosseur et sa force, ressemblait au bœuf,
et par la grandeur de ses cornes au cerf (1). On trouvait
jadis cet animal dans les vastes forets de la Germanie et
des Gaules , en Italie , en Pannonie , en Pœonie , et dans
plusieurs autres contrées de l'Europe (2). Pour prendre
l'élan, les Gaulois creusaient, dans le bas d'un vallon, une
fosse qu'ils entouraient de fortes palissades ; sur la pente du
vallon, autour de la fosse, ils étendaient des peaux de
bœufs fraîches et mouillées. Les chasseurs , tous à cheval,
chassaient devant eux l'élan, cjui, ne pouvant assurer ses
pas sur les peaux mouillées , glissait dans le fossé ou on le
laissait plusieurs jours pour le dompter par la faim ; on
l'atlachait ensuite, et on parvenait a l'apprivoiser de ma-
liière a pouvoir l'atteler a un chariot (3).
(1) Plin., Uist naL, 1. VIII. c 15. Solin., c. 32. Cœs., 1. VI, c. 26.
(2) Pausan. Plioc. c. 13. Caes., l. VI, c. 26. Paul. Diac, Hist. Longoh.,
1. II, c. 7. Greg. Ttir., HiU. Franc, 1. X, c 18.
(3) Pausan., 1. c. Martial. Epiyr., 1. I, é|). 105. Peloutler, t. 2, p. 246.
La nu'thoclc de trac|ucr était connue tics Gaulois. Pausanias dit, qu'ils
— 109 —
La chasse du taureau sauvage, Vnrus des anciens, et
Vaurochs des Allemands, ëlait eneore plus périlleuse que
celle de l'ëlan : « L'urus^ dit Cësar, est une sorte de tau-
reau sauvage, moins grand que l'ëléphant , mais d'une
force et d'une agilité prodigieuses ; il n'épargne ni les
hommes ni les bétes qui se présentent devant lui ; aussi
exerce ton les jeunes gens a cette chasse. Ceux qui en ont
tué le plus grand nombre en étalent avec orgueil les cor-
nes, comme un monument de leur victoire , et acquièrent
dans la nation une considération particulière (1).>5 Alhenée
avance, que les cornes de l'urus étaient si grandes qu'elles
pouvaient contenir jusqu'à quatre pintes de liquide. L'urus
était paisible lorsqu'on ne l'attaquait pas ; mais si on l'irri-
tait il devenait terrible. La manière de le prendre était a
peu près la même que celle qu'on employait à la chasse de
Félan (2). L'élan et l'urus qu'on trouvait encore au 6° siè-
cle de l'ère vulgaire dans les Ardennes et les Vosges, ne
se rencontrent plus de nos jours que dans la LitKuanie , et
les parties les plus septentrionales de l'Europe,
Pour la chasse des autres animaux sauvages des forets
de la Gaule , tels que les ours, les loups, les renards et les
chevaux sauvages (3)^ les Gaulois se servaient de pieux, de
entouraient un espace de mille stades, et qu'ils s'avançaient tous ensemble
en s'approchant peu a peu jusqu'à ce qu'ils se trouvassent en état d'atteindre
I animal à coups de flèclies.
(1) Cses., 1. VI. c. 28.
(2) Cœs., 1. IL c. 28. Cependant une manière aussi peu périlleuse de
dompter le taureau sauvage, semble peu justifier le titre de èrare que les
Gaulois donnaient au vainqueur de cet animal redoutable. Il est donc pro-
bable qu'on attaquait aussi 1 urus h force ouverte.
(3) César parle dnn animal nommé Alce qui nous est aujourd'hui tota-
lement inconnu, et que plusieurs auteurs modernes regardent avec assez de
raison comme un être fabuleux. Suivant César, X Alce ressemblait a la chèvre,
mais était un peu plus grand que cette dernière. Il avait les cornes tron-
quées et les genoux sans noeuds ni articulations; quand il tombait, il ne
— 110 —
dards et de flèches trempés dans une espèce de poison
que Pline appelle de Vélébore , et qu ils tiraient d'une
plante nommée lineum (1). Les animaux tués avec des
armes empoisonnées avaient la chair plus délicate que si
on les avait abattus d'une autre façon ; mais on devait cou-
per promptement la partie des chairs où la flèche avait
pénétré, de peur c[ue le poison n'eût le temps de se ré-
pandre par tout le corps de l'animal , et de corrompre sa
chair.
Les Gaulois avaient d'excellens chiens de chasse (2).
Il y en avait de deux espèces différentes. Suivant Arrien,
on estimait particulièrement les chiens de chasse de la Bel-
gique, surtout pour la chasse du sanglier (3). Les Gaulois,
pouvait plus se relever; c'est pourquoi, quand il voulait se reposer, il s'ap-
puyait contre un arbre. Lorsque les chasseurs avaient découvert Tarbre qui
servait de gîte ordinaire a l'animal, ils le déracinaient ou le coupaient par
le pied, de manière à ce qu'il restât encore debout. L'Alcey retournant sans
défiance, faisait tomber l'arbre par le poids de son corps ; il était entraîné
lui-même dans sa chute et devenait ainsi la proie du chasseur (Caes., 1. VI,
c. 27).
Solin dit des Alces qu'ils avaient la lèvre supérieure si proéminente qu'ils
ne pouvaient paître à moins de marcher h reculons (Solin., PolyJiist. c. 32 ,
et Pausanias,iw Bœoticis.)
(1) Strabon dit que ce poison se tirait d'un arbre dont le fruit avait h
peu près la forme d'un chapiteau corinthien. Cet arbre croissait particu-
lièrement en Belgique, comme nous l'avons dit au § 2.
(s) ut canis in vacuo leporem cum Gallicus arvo
yidit , et hic prœdam, pedihus petit illa salutem.
(.Ovid., Métainorph., 1. I, v. 535. >
Voir aussi Strabon, 1. IV. Arrian. de Venat. Pollien., I. V, c. 5.
Leporemque lœsum gallici canis dente
(Martial., Épigr. 1. III, épig. 4;.)
(3) Ut canis occultas agitât cum belgicus apros
(Sil. Ital., 1. X, V. 77.)
Il y a cependant des éditions qui portent hellicus au lieu de belgicus. Les
chiens nommés vertagi étaient particulièrement recherchés par les Romains ,
parce qu'ils conservaient le gibier intact et le défendaient même contre les
autres chiens (Martial. Épigr., 1. XîV, ép. 198. Reynier, p. 359).
— 111 -^
faisaient aussi venir de la Grande-Bretagne des dogues
dont ils ne se servaient pas seulement pour la chasse , mais
encore pour la guerre (1). Bituitus, roi des Auvergnats , se
vantait de défaire une armée romaine avec les chiens seuls
qui se trouvaient dans la sienne.
Arrien parle d'un usage singulier , relatif à la chasse
des Gaulois : chaque fois qu ils avaient tué une bête fauve ,
ils mettaient en réserve quelques pièces de monnaie , sa-
voir : deux oboles pour un lièvre , quatre dragmes pour
une biche , etc. (2). Le jour de la naissance de Diane , ils
se procuraient , avec cet argent , une brebis , une chèvre ,
ou un veau qu'ils immolaient à cette déesse. Us terminaient
le sacrifice par un festin auquel assistaient leurs chiens cou-
ronnés de fleurs (3).
Comme nous lavons déjà observé , la pêche fournissait
après la chasse une des principales ressources 'a la subsis-
tance des Celles. Les anciens sont entrés dans peu de dé-
tails sur la pêche des Gaulois. On sait seulement que dans
le midi des Gaules , on s'appliquait a la pêche du ton et de
la baleine.
(1) Efferuntur ex insulci.... Canes ad venationem naiurali facultate prœs-
Icintes. Gain cum liis et suis canibus, in hello utuntur. (Strab., l. IV.)
(2) Il n'est pas besoin de dire qu'Arrien a fait la supputation en monnaie
romaine; car les oboles, les dragmes etc., étaient inconnus aux Celtes avant
la domination romaine.
(3) Arrian., de Venatione. c. 3. Le Grand d'Aussy. t. 1, p. 370.
En Belgique, la vénération pour St-Hubert a succédé au culte rendu à
Ardoinne, la Diane ou déesse de la cbasse dans les Ardennes. La manière
dont on célèbre annuellement la fête de ce saint a beaucoup de ressemblance
avec la fête décrite par Arrien. Voir notre Essai Hist. sur les usages, les
croyances, etc., des Belges, anc. et mod., 1" partie, p. 211.
(4) Le Grand d'Aussy, tom. 2, p. 85, 93, 258.
'- 112 —
§ VII.
Condition politique , gouvernement et législation des Celtes.
Le gouverncmenl de la plupart des peuples de la Gaule
était theocratico-arislocratiquc. L'autorité souveraine était
entre les mains des prêtres et des nobles (1). Le peuple
n'avait aucune part au gouvernement, et ne jouissait pas
d'une condition politique meilleure que celle de l'esclave.
La plupart des prolétaires accablés par les impôts oné-
reux qui pesaient sur eux , étaient obligés de vendre leur
liberté , et de se mettre dans la dépendance des grands (2).
Plusieurs peuplades gauloises avaient à lem^ tète un roi ou
chef élu annuellement, et dont le pouvoir était fort limité.
Les Eduens, par exemple, élisaient tous les ans un magis-
trat suprême appelé vergobret. 11 lui était défendu de sor-
tir du pays pendant la durée de ses fonctions; mais il avait
droit de vie et de mort sur le peuple. Les druides concou-
raient à son élection (3). Deux personnes de la même fa-
mille ne pouvaient pas occuper cette place lorsque l'une et
l'autre étaient encore en vie (4). Au reste , nous ignorons
entièrement cjuelle était la constitution politique des peu-
plades celtiques de la Belgique actuelle, si elles formaient
des monarchies ou des républiques
Chaque état, chaque canton des Gaules, chaque village,
chaque famille même, était divisé et souvent déchiré par
(l) Dio Clirysost Serm., 49. Cses.. 1. VI, c. 13.
(2)CîES., 1. VI, c. 13.
Chez les Eduens les impôts étalent m':s h ferino (Cacs., 1. I, c. 18). On
i^jnore s'il en étiiit de même chez les autres peuples des Gaules et de quelle
nature étaient ces impôts. Voir Reynier, de l'Economie publ. et rurale des
Celtes, des Gernmivs, etc., c. IV.
(3) Caes., 1. VII. c. 33.
(4) Caes., I. I, c. 16. 1. VII, c. 32 et 33.
— 113 -^
des factions (1). Les chefs de ces partis politiques jouis-
saient d'un grand crédit, décidaient de toutes les affaires
importantes et veillaient a ce que leurs partisans ne souf-
frissent aucune injustice. Ces factions dont l'origine remon-
tait a une e'poque très-reculëe , avaient été constituées,
suivant Ce'sar , afin que le peuple ne manquât pas de se-
cours et d'appui contre les grands.
Les différentes peuplades de la Gaule, surtout celles de
la Belgique formaient des confédérations pour pouvoir, en
cas de danger, résister à un ennemi puissant (2). Lorsqu'une
guerre importante était sur le point d'éclater, chaque
ligue convoquait une assemblée générale , oii le con-
tingent que chaque peuplade devait fournir suivant ses
forces, pour la défense commune, était fixé (3). Il y avait
en outre des assemblées annuelles qui se tenaient au mois
de mars ; on ne peut se former une idée plus exacte de ces
dernières que par les diètes des Polonais et des Hongrois,
dans les temps modernes (4).
Les peuples les plus puissans se disputaient le droit de
primauté, c'est-à-dire, le droit de commander dans les
affaires importantes qui concernaient la ligue (5). Ces dis-
sentions furent la cause de la ruine des Gaules , et de la
facilité avec lacpelle les Romains parvinrent à se rendre
les maîtres de cette contrée. Pour soutenir leurs préten-
tions, plusieurs des peuples rivaux ne craignirent pas
d'anéantir l'indépendance de leur patrie , en intéressant à
leur parti et en provoquant l'intercession des Romains et
des Germains. Ces nouveaux alliés, comme il arrive toujours
(1) Caes., 1. VI, c. 12.
(2) Cses., 1. II et passim, et Reynier, p. 42.
(3) Cœs., I. II, c. 4. 1. VU, cl.
(4) Tit. Liv., 1. XXI. c. 20.
(5) Cœs.,1. I, c. Sl.Strab., 1. IV.
Tome I. 8
— 114 —
lorsqu'un peuple n'a pas assez d'énergie et de forces pour
soutenir sa propre cause, ne tardèrent pas a agir et à com-
mander en maître (1).
Les femmes jouaient un rôle important dans le gouver-
nement; les Gaulois les consultaient comme des oracles,
lorsqu'ils projetaient de faire la guerre ou la paix. Quand
Annibal traversa les Gaules , pour pénétrer en Italie ,
il fut statué dans le traité qu'il conclut avec les Gaulois ,
que si un Gaulois avait à se plaindre d'un Carthaginois ,
l'affaire serait décidée par des magistrats carthaginois , et
que si c'était ïin Carthaginois , qui formait la partie plai-
gnante , le jugement de la cause appartiendrait à un conseil
de femmes gauloises (2).
On a peu de documens sur la législation des Celtes ;
comme chez tous les peuples barbares , qui se gouvernent
par le droit coutumier , elle paraît avoir été simple , et les
lois peu nombreuses. Les druides étaient juges dans toutes
les causes criminelles ou civiles (3). Si le coupable n'ob-
tempérait pas a leurs décisions, ils l'excommuniaient ; ce
(1) A l'époque de la conquête des Gaules, la majeure partie de cette con-
trée était divisée en deux factions à la tête desquelles étaient les Arvernes
et les Eduens. Ces derniers ayant obtenu la suprématie . et abusant de leur pré-
pondérance, les Sequanois qui étaient du parti des Arvernes, appelèrent a leur
secours les Germains qui opprimèrent à leur tour les Eduens et les peuples
de leur ligue. Les Eduens invoquèrent l'appui des Romains qui , après avoir ex-
pulsé les Germains, agirent comme le lion de la fable. Sans les dissentions
civiles des Gaulois, César n'eût jamais songé à la conquête des Gaules.
(2) Plut., de Virtut. mulier. Polyœni Stratag. 1. VIL c. 50. Caes., 1. VIIjC. 26.
(3) Nam ferè de omnibus controversiis privatis puhlicisque constituunt;
et si quod estadmissum facinus, si cœdes facta, si de hœreditate, si de fini-
hus controversia est, iidem decernunt ; prœmia pœnasque c onstituu7it {CsdS.f
1. VI, c. 13.)
Parfois l'assemblée nationale prononçait aussi sur certains crimes graves,
tels que celui de baute trabison. Voir Reynier. de l'Economie publ. et rurale
des Celtes, etc., p. 145; et Cses. 1. I , c. 5.
— 115 —
qui était réputé la peine la plus infamante ; chacun fuyait
Texcommunië comme un impie et un scélérat, (1). Les
voleurs et les brigands étaient condamnés au supplice du
feu ; mais les meurtriers ne subissaient que Texil , a
moins qu ils ne fussent coupables du meurtre d'un étran-
ger. Ceux qui avaient été condamnés a la peine capitale
servaient ordinairement de victimes dans les sacrifices,
après avoir été détenus un certain temps en prison, jusqu'à
ce qu'il se présentât une occasion d'offrir avec solennité
des holocaustes humains aux Dieux. Les pères avaient droit
de vie et de mort sur leurs enfans en bas âge , et les maris
sur leurs femmes. Les parens d'un homme dont la mort ne
paraissait pas avoir été occasionnée par une cause naturelle,
pouvaient applicjuer à la torture la femme du défunt si on
concevait contre elle des soupçons; et si la force des tour-
mens l'obligeait a s'avouer coupable, elle périssait par le plus
cruel supplice (2). Tout cela semble peu d'accord avec le res-
pect, on pourrait dire le culte presque divin , qu'en d'autres
occasions , les Celtes rendaient aux femmes ; à moins qu'on
voulut punir plus sévèrement un crime aussi atroce commis
par un être qu'on supposait doué de plus de vertus et d'une
plus grande sensibilité que les personnes du sexe contraire.
Il y avait une loi fort sage qui ordonnait que tout Celte
qui aurait appris une nouvelle importante eut a la taire, et
à ne la divulguer qu'aux magistrats ; ceux-ci en délibéraient
ensuite et en cachaient ou en découvraient à la multi-
tude , ce qu'ils jugeaient à propos (3). L'action des lois
(1) Si qui aut privatus aiit puhlicus eorum décréta von steferit, sacriûciis
interdicunt. Hœc pœna est gravissima. Quihus iia est interdictum ii numéro
impiorum ac sceleratorum hahentur ; iis omnes decedunt , aditum eorum ser
monemquedefugiunt, ne quid ex contagione incommodi accipiant : neque iis
petentibus jus redditur, neque honos ullus communicatur. (Cses., l.VI, c. 13.).
(2) Cœs., 1. VI, c. 19.
(3; Cœs., 1. VI, c. 20.
~ 116 —
devait probablement être fort lente , et perdre beaucoup
de sa force par ces factions qui divisaient chaque peuplade
gauloise , et dont les chefs rendaient parfois les lois illu-
soires contre les crimes de leurs cliens (1).
Quant au droit public d'une race d'hommes qui ap-
prouvaient toute aggression injuste et arbitraire contre des
peuples étrangers , il ne paraît avoir été' que le droit du
plus fort. Un seul exemple le prouvera : lorsque des am-
bassadeurs romains vinrent représenter aux Gaulois, qui as-
siégeaient la ville de Clusium, cju'ils n'avaient aucun droit
sur les terres d'un peuple qui les possédait légitime-
ment , ils répondirent qu'ils portaient leur droit à la pointe
de leur épée^ et que tout appartenait aux plus vaillans (2).
Le peu que nous venons de dire sur la législation des
Celtes est tout ce quelesanciens nous ont appris sur ce sujet
intéressant. Nous sommes plus heureux dans ce qui con-
cerne la connaissance de la législation des anciens Germains.
§ vin.
Culte des Celtesa
La religion des Celtes est un des sujets sur lesquels on a
le plus écrit, mais sur lequel aussi les anciens et les modernes
ont débité le plus de fables et d'erreurs. Les écrivains grecs
et romains ne voyaient partout chez les Gaulois que leurs
propres dieux, parce qu'ils ont cru reconnaître dans ])lu-
sieurs divinités gauloises , des conformités avec les leurs.
C'est ainsi que César avance que les Gaulois adoraient
Mercure, Apollon, Mars, Jupiter et Minerve (3). Parmi
(1) Nicolas de Damas parle d'un chef gaulois qui avait auprès de lui
iusqua 600 cliens. Orgetorix, noble Helvétien, en put réunir jusqu'à 10,000,
pour se soustraire a la sentence de mort prononcée contre lui par ses con-
citoyens. ( Athen , 1. VI, c. 13. Caes., 1. I, c. 4. )
(2) Tit. Liv., 1. V. c. 35. Pelontier, t. 2. p. 296 et suiv.
(3) Os., 1. Vl,c. J7.
— 117 --
les modernes, ceux qui ont étendu les bornes de la Celtique
jusqu'aux extrémités de l'Europe, attribuent aux Gaulois,
avec tout aussi peu de fondement, le culte des Scythes,
des Thraces, des Grecs, etc. ; de ce nombre est Peloutier.
Dom Martin , a attribué aux Celtes la religion et toutes les /^
superstitions des anciens Juifs, des Grecsetdes Romains (1).
D'un autre côté, Chiniac a prétendu sou tenir que les Celtes
vénéraient un dieu unique avec plusieurs puissances subal-
ternes (2). Mais la plus singulière et la plus ridicule de
toutes les opinions émises sur ce sujet, est celle du père
Lescalopier , qui, dans son Traité de la religion des anciens
Gaulois^ a la fin de son commentaire sur l'ouvrage de
Cicéron , de Naturel deorum , assure gravement que dans
le territoire de Chartres , les Gaulois rendaient un culte
à la Vierge qui doit enfanter (carnutum dea, Virgo pa-
rltura). Un moine carme , le père Louis de Sainte-Thérèse,
a soutenu le même paradoxe : « Les druides, selon Diogèna
Laè'rce , commençant son livre de la vie des Philosophes ,
étaient, dit ce moine, nommés ^f^vo^^o/, non pas tant à cause de
la religion qu'ils rendaient aux dieux, qu'à cause du culte
qu'ils rendaient à Marie. Ces gens demeuraient en notre
France , et poussèrent Priscus , roi des Chartrains , à lui
dédier son royaume^ et , pour en rendre témoignage à la
postérité , il en fit faire l'image qui fut posée dans mie cha-
pelle avec cette inscription : Virgini pariturœ , Cette cha-
pelle se nommait aussi semnœuni ; et à cause qu'elle était
desservie par les druides , ils furent appelés Semnothei. »
Dans un autre endroit de son singulier ouvrage le même
auteur rapporte que le temple de Chartres , fut construit
(1) Dom WdiVim ^ Pteligion des Gaulois. Suivant cet auteur, les Gaulois
reçurent leur culte de Gomer, fils aîné de Japliet et prétendue souche de la
nation celtique.
(2) Cbiniac de la Bastide, Discours sur la nature elles dogmes de la reli-
gion gauloise.
^ 118 —
sur le modèle de celui du Mont Carmel (1). Le premier
écrivain moderne qui ait débrouille tout ce cahos et donné
une idée exacte de la religion des anciens Gaulois est Picot,
dans son excellente histoire des Gaulois , et , après lui ,
Am. Thierry , dans le savant ouvrage qui porte le même
titre (2). Aidé de leurs lumières, nous allons donner une
idée succincte , mais aussi complète que possible , du culte
de nos premiers ancêtres de race celtique.
Les Celtes étaient une nation idolâtre et qui avait un
culte propre à elle, quoique ressemblant en certains points
à celui de plusieurs autres peuples de l'antiquité (1), Les
dieux gaulois étaient divisés en puissances supérieures et
en divinités subalternes. Les divinités du premier ordre
étaient Tentâtes , Esus , Belenus , Taranis , Minerve ou du
moins une déesse dont les attributs étaient analogues à ceux
delà Minerve des Grecs et des Romains, Dis ou Dit et
Hercule Ogmius (4).
(1) Succession du saint prophète Elie. en V ordre des carmes, de la reforme
de Sainte-Thérèse , par le R. P. Louis de Sainte-Thérèse, premier défini-
teur des carmes déchaussés en France. Paris, 1662, ch. 3, p. 75 et 76.
Voir aussi Dupuis, Abrégé de l'origine de tous les cultes, t. 2, p. 43. ( édit.
deBrux. , 1829,2 vol. in-18.)
(2) L'ouvrage le plus complet et le plus savant sur cette matière est sans
contredit, le livre de M. Mone, intitulé: Geschichte des heidenthums im
nordlichen Europa. Leips. , 1823, 2 vol. in-8% ouvrage d'une immense éru-
dition jointe à la plus haute critique. Pauvres gens que nous sommes, la
plupart de nos hommes lettrés ignorent jusqu'au titre de cet excellent ou-
vrage et de tant d'autres productions admirables delà littérature allemande,
tandis qu'il ne leur échappe aucune de ces insipides bluettes dont la presse
parisienne inonde sans cesse la Belgique.
(3) Picot croit que les Gaulois reçurent leur culte des Phéniciens. Cette
opinion est vraisemblable sous quelques rapports.
(4) Schedius prétend que sous le nom de Esus, Belenus et Tharanis, les
Gaulois ont adoré la trinité! ( Schedius , de Biis Germanis , p. 220. ) Barth
croit que ces trois dénominations ne se rapportent qu'à une seule divinité.
( Veher die druidcn des Kelicn , p. 67^.
— 119 —
Teutatès était le dieu suprême des Gaulois , qui le regar-
daient comme Finventeur de tous les arts , le protecteur
du commerce et des voyageurs (1). De la les Romains ont
conclu que ce dieu était le même que leur Mercure (2).
Dans les monumens consacrés à cette divinité , mais élevés
pendant la domination des Romains dans les Gaules , Teu-
tatès est représenté avec les attributs de Mercure et porte
souvent le nom de Mercure sans sexe (3). Peloutier a
cru que Teutatès et Dis, n'étaient qu'une même divinité.
Picot est d'avis que le Teutatès gaulois était le Teut et le
Wodan des Germains , le Tautès des Phéniciens , le
Teutat des Carthaginois , et le Tau des Egyptiens.
Esus ou ïlesus était le dieu de la guerre , et est pour
cette raison désigné par César sous le nom de Mars. Dans
plusieurs inscriptions il porte aussi celui de Camulus et
de Yincius. Les Gaulois vouaient à ce dieu une partie du
butin fait sur l'ennemi, et lui immolaient les animaux
pris dans le combat , et même des victimes humai-
nes (4). Thierry croit cjue , sous le nom d'Hesus , les Celtes
vénéraient un ancien chef des Kimrys appelé Hesus
le puissant , qui aurait introduit le druidisme dans les
Gaules.
Bel ou Belen (le soleil et T Apollon des Romains) , faisait
croître les plantes salutaires et présidait à la médecine.
(l)Cœs.,I. VI, c. 17.
(2) Idem., Ibid., Tit. Liv., 1. XXVI, c. 44.
(3) Voir M. de Fortia. Tableau hist. et géogr. du monde , t. 4 , p. 235^.
(4) Huic , quum prœlio dimicare constitiienmt , ea , quœ hello ceperint,
plerumque devovent. Quœ superaverint ^ animalia capta imnolant ; reliquas
res in unum tocum conferunt. Mnltis in civitatihus harum rerum exstructos
tumiilos locis consecrafis conspicari licet. ISeque sœpe accidit, ut neglecta
quispiam religione , aut capta apud se occultare, autposita tollere auderet:
gravis s imumque ci rei suhpliciiim ctim cruciatii constitutum est (Cœs., î. VI,
c. 17.
— 120 ^
On célébrait sa fête le 25 décembre de chaque année. Ce
dieu avait de nombreux oracles dans les Gaules. La ver-
veine qui reçut en son honneur le nom de Belinantia et
ôiApolUnicus lui était consacrée. Les Gaulois frottaient du
suc de cette plante la pointe de leurs flèches et de leurs
javelots , pour donner une mort prompte et assurée aux
animaux qu'ils poursuivaient à la chasse (1).
Taranis, Taranus et Theranim, le Jupiter des Romains,
était le dieu du ciel et le maître de la foudre (2).
La divinité gauloise qui présidait aux arts et métiers ,
est désignée par César , sous le nom de Minerve. On ignore
la dénomination celtique de cette déesse , qui était aussi
vénérée , suivant Polybe , par les Insubrès de l'Italie. Dans
la Grande-Bretagne, ses sanctuaires se trouvaient , au rap-
port de Solin , près des sources minérales où l'on entre-
tenait en son honneur , un feu perpétuel (3).
Dis ou Dit était le dieu de la terre et des enfers ou de la
nuit. Les Gaulois prétendaient être issus de ce dieu ; pour
cette raison ils supputaient le temps non par jours à notre
manière, mais par nuits (4). Il serait inutile de rapporter
(1) Dans des inscriptions gallo-romaines, Belen porte parfois le nom
d'Apollon Grannus, du celtique Grannawer ou Granwyn (à la belle cheve-
lure), ou de l'irlandais Greannach (aux longs cheveux). Dans quelques
inscriptions au nom de ce dieu est ajoutée Vépithète Tuitorix et celle de 3Ia-
youno ( Mone, 2« th. , p. 345 ).
(2) Taran en gallois et en bas-breton signifie tonnerre. Barlh croit que
Taranis était une déesse et Lukans la compare a la Diane des Scythes: mais
ce ne sont là que des conjectures invraisemblables.
(3) Solini, PoZî/Aûfor, c. 22. Barth prétend que la Minerve gauloise est
risis égyptienne.
(4) Gain se omnes ah dite pâtre prognaios prœdicant; idque ah druidibus
prodiium dicunt Oh eam causam spatia omnis temporis, non numéro dierum^
sednoctium, -finiunt; dies natales . et mensium, et unnorum initia sic obser-
vant f uinociem dies suhseqiiatur [C?es., 1. ^Jl, c. 18).
En celtique dyth signifie éternel. En langue armorique dis désigne la
^ 121 -
toutes les vaines conjectures que les modernes ont forme'es
sur le dieu Dis qu'ils ont confondu avec Teut , Taranis ,
Samothès, quatrième fils de Japhet , etc. (1).
Hercule Ogmius était probablement une divinité dont
le culte avait été introduit dans les Gaules , par les Phéni-
ciens qui s'établirent dans le midi de celte contrée , et dont
Hercule, comme on sait, était le dieu tutélaire. L'Hercule
Ogmius était vénéré par les Gaulois comme le dieu de
l'éloquence. La manière dont ils le représentaient est
assez singulière , au moins si ce qu'en dit Lucien est con-
forme à la vérité; cet auteur rapporte que THercule
Gaulois avait la forme d'un vieillard décrépit, ridé et
presque chauve; qu'il était revêtu d'une peau de lion,
armé d'une massue , de l'arc et du carquois ; que de sa
bouche sortait une faible chaîne à laquelle était attaché
un peuple nombreux , qui , loin de chercher a rompre ses
liens, suivait gaiment son conducteur. C'était la un em-
blème ingénieux du pouvoir de l'éloquence (2). Pelou-
tier, sur de faibles raisons , confond l'Hercule gaulois avec
Teut et Odin. L'opinion de Dickinson , qui a cru qu'Og-
mius, n'était autre cpe le Josué des Juifs, qui aurait reçu
ce nom après avoir défait Og, roi de Basan , est des plus
absurdes (3).
Denis Periegéle, Slrabon et Pomponius Mêla, parlent
d'un oracle célèbre, qu'on allait consulter dans une ile
voisine des Gaules (4). Suivant les deux premiers de ces
terre. En vieux flamand diet est synonyme de peuple, mais ici ce mot est
dérivé du Teuton teut , qui a la même signification.
(1) Voir Picot , Hist. des Gaul, 1. III, p. 39-42.
(2) Lucain. in Hercule gallico.
(3) Dickinson, Delplii pliœniciantes , e. 4. Peloutier, I. VI, p. 24.
(4) Pomp Mêla lui donne le nom de Sena. On croit que c'est l'île de
Sain près des côtes de la Bretagne.
— 122 —
auteurs , la divinité qui y était honorée n'était autre que
Bacchus. Le temple de ce lieu était desservi par neuf pré-
tresses, qui devaient vivre dans la continence , excepté à
des époques désignées , oii elles pouvaient passer sur le
continent pour voir leurs époux ; car il n'était permis à aucun
homme de mettre le pied dans l'île sacrée. En certaine sai-
son de l'année , probablement au printemps, les femmes du
voisinage se transportaient dans l'île pour célébrer la fête
de la divinité qui y était vénérée (1). Ce culte paraît plu-
tôt se rapporter à une déesse analogue à la Cérès grecque
et romaine , qu'au dieu des vendanges. Au reste les îles sur
les côtes des Gaules et de la Grande-Bretagne , paraissent
avoir été toujours le siège principal du druidisme.
Outre les divinités d'un ordre supérieur , les Celtes
avaient un grand nombre de dieux subalternes. Presque
chaque localité avait le sien. La plupart présidaient aux
bois , aux lacs , aux rochers , aux montagnes , aux fleuves ,
aux rivières , aux fontaines, etc.; une des plus célèbres de
ces divinités locales en Belgique , était Ardoine , la Diane
des Ardennes (2).
(1) Dion Perie^, v. 570. Strab. , 1. IV. Pomp. Mêla, 1. III.
Il règne de l'obscurité dans le récit de P. Mêla et de Strabon. Ce qui
fait présumer que ces auteurs ont parlé de deux oracles dififérens. ( Voir
Picot, tom. 3, p. 320. Miclielet, Hist. de France, tom. 1, p. 44. ; édition de
Brux.,18B5.)
(2) On trouve dans l'ouvrage de Barth intitulé : Uber die druiden der
Kelten, une longue nomenclature de divinités locales des Gaulois (p. 78 ).
Voir aussi D. Martin, Religion des Gaulois, et Mone, Geschichte des
heiden thnms im nôrdl. Europa , 2^ th., p. 418. Ce dernier auteur compte
comme divinités celto-belges , l Hercule Magusanus, ï Hercule Saxanus ^
les 31atro7iœ vacalli-nehœ , Rummeliis , Gesatenis , Eiroienis , Gavadiahus ^
Vatviahus , Gabiœ , Vatiumœ, Arvagastœ ^ Arserici-nehœ , AnfcCniœ ^
Mairœ, Malvisiœ , Mopates , Suîevœ^ Hariasœ. Cependant on n'a jusqu'ici
trouvé aucun autel d'une de ces divinités locales dans les limites de
la Belgique actuelle. Mone regarde aussi comme divinité celto-belge, la
fameuse IVehallenia, sur laquelle on a débité tant de conjectures, qui n'ont
— 123 —
Les Celtes croyaient aussi aux bons et aux mauvais
génies. Ces derniers portaient le nom de Dusii. Ils se les
représentaient sous la forme des faunes, et croyaient qu'ils
recherchaient le commerce des femmes, en prenant la
figure de leurs amans. Nos mcuhes ont succédé aux dusii
des Gaulois.
Les Celtes élevaient-ils des temples a leurs dieux? non,
si l'on entend par la des temples construits a la manière
des temples grecs et romains, c'est-a-dire , des édifices
couverts, et entourés de murs (1). Les Gaulois auraient
cru déshonorer la divinité en renfermant son emblème
dans une enceinte étroite et circonscrite ; c'était dans une
vaste plaine, sur une haute montagne, ou dans une épaisse
et sombre foret qu'ils allaient rendre hommage a leurs
dieux (2). La ils érigeaient pour autels des pierres brutes
pas rendu la chose plus claire. Sur Tautel , élevé a Nehallenia par un négo-
ciant en marne de la Grande-Bretagne, autel découvert dans l'île de Wal-
cheren, en 1647 , cette déesse est représentée assise avec un panier de fruits
sur ses genoux et un chien a ses côtés. Elle a les cheveux pendans et porte
pour vêtement un habit long sans manches et attaché aux épaules par un
bouton. Les autels de Nehallenia ont pour ornemens des fruits , des herbes
et de plantes étrangères. Sur un de ces autels , on voit un marchand et une
femme qui présente une jeune fille à la déesse . sur un autre est représenté
un homme portant un lièvre ou quelqu'autre pièce de gibier. Mone conjecture
que l'île de Walcheren a dû être le siège principal du druidisme en Belgique.
On peut encore mettre au nombre des divinités locales de la Belgique une
déesse Sandradiga dont on a découvert un autel en 1813, sur la route
d'Anvers a Breda. Mais nous ignorons quelle était cette déesse et si c'était
une divinité celtique ou germanique. Nous en parlerons encore dans le der-
nier chapitre de la 2^ partie du liv. I , de cet ouvrage.
(1) Ceux qui, comme Picot, ont avancé que les temples des Celtes, étaient
de forme circulaire et octogone ont été induits en erreur par D. Martin et
Montfaucon, qui ont pris pour temples druidiques des églises chrétiennes,
du 7^ et du S*' siècle , telles que l'église de Montmorillon et celle de la Dau-
rade a Toulouse (voir Millin, Voyage dans le midi de la France ).
(2) Lucan. Phars. , 1. III, v. 399. Barth., p. 83.
Les arbres d'une forêt sacrée ne pouvaient jamais être coupes ni même
-^ 124 -
de 12 , 15 et jusqu'à 24 pieds de hauleur , posées de champ
et formant un ou plusieurs cercles concentriques , dont le
point central était marqué par une pierre, d'une dimen-
sion plus forte encore que celle des autres. Les pierres qui
formaient ces enceintes druidiques, étaient toujours au
nombre mystérieux de 7 , 12, 19, 20, 30, 60 (1). Dans
les enceintes les plus étendues on comptait plusieurs cen-
taines de ces pierres (2).
Outre ces vastes , mais barbares constructions , les Celtes
avaient des monumens religieux plus simples et dune
moindre étendue , c'étaient : 1« des obélisques ou plutôt
des quartiers de rocher appelés en breton Min-hir, Peul-
ven et Mui-sao; ils avaient de 12 à 24 pieds de hauteur.
Il y en a qui les regardent comme des emblèmes des divi-
nités gauloises ; Lucain rapporte en effet que chez les
Celtes , les simulacres des dieux n'étaient figurés que par
des pierres brutes ou le tronc informe d'un chêne (3) ,-
élagués. Le peuple croyait que les oiseaux , le gibier , l'ouragan et la foudre
ne touchaient jamais a ces sanctuaires ; que lorsque la terre tremblait il s'y
ouvrait des gouffres dont s'élançaient des serpents qui s'attachaient aux
arbres; que la forêt entière était éclairée d'une vive lumière, que les arbres
se courbaient et se redressaient d'eux mêmes. Ces forêts renfermaient des
sources sacrées, et on y conservait les étendards militaires. Les druides seuls
y avaient accès et n'y entraient qu'en tremblant (Mone, 2« th., p. 401.)
(1) Mone, 2« th., p. 358,436. Michelet, Histoire de France, tom. l,p.319.
(2) Le plus vaste de tous les temples ou cercles druidiques , est celui de
Carnac, près de Quiberon, département du Morbihan. Il est formé de près
de 400 pierres, hautes de 4 à 24 pieds, et placées sur onze lignes concentri-
ques. Le célèbre cercle druidique de Stonehenge, près de Sallsbury, n'en
contient que 139. Celui d'Avebury ou Abury , dans le Wiltshire. était le
plus étendu de l'Angleterre ; il couvrait un espace de 28 acres de terre.
(3) Lucan. Phars. , 1. III, v. 412.
Le chêne était Temblème de Taranis (Maxim. Tyr. orat., 38. Peloutier ,
tom. 5, p. 63, tom. 7, p. 55); de là, la vénération que les Celtes avaient
pour cet arbre majestueux. Les druides ne pratiquaient aucune cérémonie
religieuse, sans porter une branche de chêne en main, et une couronne très-
— 125 —
quelquefois cependant Tiinage du dieu e'tait représentée
sous la forme la plus hideuse et la plus effrayante. On
trouve encore aujourd'hui , près de Tournai, un de ces obé-
lisques dont nous venons de parler. Il est connu sous le
nom de pierre Brunehaut ^ et consiste en une pierre de
grés , haute de quinze pieds , large de dix , et épaisse de
deux. Un second obélisque , qui existait près de la ville de
Binche , fut détruit en 1753 (1). Le nom de Min-hir^ que
les Bretons donnent aux monumens de cette espèce, pa-
raît indiquer qu'ils servaient d'asile aux coupables.
2^ Des autels composés de trois pierres disposées de ma-
nière à figurer un cabinet ou espèce de caverne différente des
cavernes creusées par les Celtes dans les rochers ou les mon-
tagnes. Il y a ordinairement sous ces autels appelés en breton
dolmin et lech ou liach (lieu par excellence), en anglais,
cromlech, et en français pierres couvertes, une assez grande
cavité, qui servait a recevoir le sang des victimes. On trouve
souvent près de ces monumens, des charbons, des ossemens
et des pierres à feu qui ont du servir aux cérémonies reli-
gieuses ; ce car, ditMallet , tout autre feu que celui qu'on tirait
d'un caillou, n'était pas assez pur pour un usage aussi saint.»
3» Des rochers mobiles , dits pierres branlantes, placées
de manière qu'on peut les remuer par le plus léger effort.
Il existe encore de nos jours , un de ces monumens dans la
province de Namur (2).
séc des feuilles de cet arbre, sur la tête (Plin. , 1. XVI, c. 95, 1. XXIV,
c. 62 ). La coutume d'attacher aux chênes des images de la vierge ou des
saints, coutume encore en vogue dans nos campagnes, ne tirerait-elle pas
son origine du culte que les Celtes vouaient à ces arbres? C'est Topinion de
Mone.
(1) \o\v à^^eWs, Réflexions sur un ancien monument du Tournaisis y
a-ppelé vulgairement la pierre Bruneliaut; ancien Mém. de l'Acad. roy. des
sciences et belles lettres de Brux., tom. 1, p. 471.
(2) Voir 5 sur les monumens druidiques : Mone, 2" th. Mallet, /w/ror/. «
— 126 —
Dans les sanctuaires du dieu de la guerre, les Celtes en-
tassaient l'or, l'argent et les autres effets précieux qu'ils
avaient conquis sur l'ennemi : «on voit, dit Diodore de
Sicile, quelque chose de particulier et d'extraordinaire
dans la Celtique supérieure , par rapport aux sanctuaires
et aux forêts consacrées aux dieux ; on y jette une grande
quantité d'or , que l'on consacre aux dieux et C]u'aucun des
habitans n'ose toucher par superstition , quoique d'ailleurs
les Celtes aiment fort l'argent (1). »
Les Gaulois ne pratiquaient leurs cérémonies reli-
gieuses qu'à l'heure de midi ou à minuit et pendant
la pleine et la nouvelle lune. Outre les animaux domes-
tiques et les fruits de la terre, ils offraient à leurs dieux
des victimes humaines. Ils croyaient que l'holocauste de la
créature la plus parfaite devait être la plus agréable a la
divinité et que , menacé d'une grande catastrophe , on ne
pouvait appaiser le courroux céleste qu'en rachetant la
vie d'un homme par celle de son semblable (2). C'étaient
ordinairement des criminels, ou des prisonniers de guerre
qu'on destinait a élre immolés aux dieux ; parcequ on
croyait que la mort d'un criminel offert en holocauste était
particulièrement agréable à ces derniers. Cependant à défaut
Thist du Dannemarc , p. 77. Gaîllardot et Percy, Notice sur les autels et les
tomb. des peuples du nord de l'Europe [Magas. encyclop., 1811, tom. 3 ).
Westcndorp, Verhandeling over de hunneledden. [Verliand. der Holland.-
Maetschap. van kunstenen wetenschapp.). Mémoires de V acad. celtique; de la
société royale des antiquaires de France; des antiquaires de Normandie., etc.
(1) Diod. Sic, 1. V.
César enleva d'un temple celtique a Toulouse, une immense quantité d'or
et d'argfent, que les Gaulois y avaient accumulée dqns un lac depuis un long
laps de siècles.
(2) Quod, pro vita liominis nisi hominis vita reddatur, non posse aliter
deorum immortalium numen placari, arhitrantur, puhliceque ejusdem generis
habent instituta sacrificia. (Cœs., 1. VI. c. 16.)
^ 127 —
d'un homme condamné au supplice par la loi , on sacrifiait
aussi des esclaves ou des Gaulois libres, et, dans ce dernier
cas c'était le sort qui désignait la victime (1). Parfois aussi
des Gaulois se dévouaient eux-mêmes aux dieux. La ma-
nière la plus ordinaire d'immoler les victimes humaines ,
était de les renfermer en grand nombre dans d'immenses
paniers d'osier construits en forme de colosses, auxquels
les druides mettaient ensuite le feu (2). «Les Gaulois,
dit Diodore de Sicile, ont coutume de tenir les malfai-
teurs en prison, pendant cinq ans , et de les mettre ensuite
en croix ; on les consacre ainsi aux dieux avec beaucoup
d'autres oblations c[ue Von brûle sur de grands bûchers
dressés exprès (3). » On tuait également les victimes en les
perçant a coups de pieux ou de flèches.
Les sacrifices humains avaient lieu chez les Gaulois, lors-
qu'ils étaient sur le point d'entreprendre une guerre im-
portante , avant de livrer une bataille , dans les calamités
et les dangers publics , et lorsqu'une personne de considéra-
tion se trouvait attaquée d'une maladie grave (4). C'étaient
principalement Teutatès , Hesus et Taranis , cju'on pré-
tendait honorer par ces sacrifices barbares (5).
(1) SubpUcia eoriim , qui in furto, aut in latrocinio, aut aligna noxa sint
comprehensi , gratiora diis immortalibus esse arhitrantur : sed , guum ejus ge_
ncris copia déficit , etiam ad innocentium snhplicia descendunt (Cœs., ibid.)^
(2) ^lii inmani magnitudine simulacra habent, quorum contexta vimi-
nibus tnembra vivis hominibus complent ^ quibus succensis, circumventi
flamma exanimantur liomines (Cses., ib.).
(3) Diod. Sic, 1. V.
(4) Cœs., 1. VI, c. 16.
Les sacrifices humains eurent lieu, dans les Gaules, jusqu'au règne d'Au-
p-uste et de Tibère qui les interdirent. Cependant ils ne cessèrent entièrement
que par lintroduction du christianisme (Plin., 1. XXX, c. 1. Sueton. /w Clau-
dio , c. 25. Aurel vict. In Claudio. Picot , Histoire des Gaulois , t. 3, p. 105).
(5) Et quibus intniitis placatur sanguine diro
Tentâtes, horensque feris altaribus Hesus
Et Taranis scythicce non mitior ara Dianœ.
U-'ican., 1. 1, V. 444-446.)
^ 128 —
Parmi les animaux domestiques que les Gaulois immo-
laient aux dieux , on compte particulièrement le bœuf, la
brebis, le porc, la chèvre, le cheval et le chien. La manière
ordinaire de les offrir en holocauste , était de les assom-
mer ou de les e'trangler (1). Dans les sacrifices le célébrant
se tournait toujours du levant au couchant ; coutume con-
traire à celle des Grecs et des Romains (2). Le sacrificateur
teignait du sang de la victime , l'autel et les arbres voisins
du sanctuaire contre lesquels on clouait la tête de l'animal.
Après avoir récité quelques prières , il rendait les restes
de la victime à celui qui l'avait offerte et qui les mangeait
alors dans le sanctuaire même avec ses parens ou ses
amis , car toutes les cérémonies religieuses et les sacrifices
tant publics que particuliers étaient suivis de banquets ,
de danses et de chants (3). Ces festins qui duraient ordi-
nairement plusieurs jours et même des semaines entières,
dégénéraient souvent en crapule et en débauche (4).
Pour obtenir la faveur du ciel sur les productions de
la terre, les Gaulois faisaient des processions dans les-
quelles, dit Sulpice Sévère , on portait par les champs
des figures de démons dans des draps blancs (5). Les chré-
tiens remplacèrent ces processions par celles des roga-
tions.
(1) Peloutier, tom. 8, p. 47.
(2) In adorando dexteram ad osculum referimus , iotumque corpus circum
agimus , quodin lœvum fecisse Galliœ religiosius credunt (Plin., I. XXVIII,
c. 5. Athen.,1. IV, c. 36.)
Quand un Gaulois invoquait Hesus. le dieu de la guerre, pour lui
demander la victoire, il se plaçait devant une cpce debout, la face tour-
née vers l'orient , le bouclier au bras gauche et la lance à la main droite.
(3) Peloutier, tom. 8, p. 78-79.
(4) Picot., tom. 3, p. 48.
(5) Gallorum rusticis eam consuetudinem fuisse, simulacra dœmonumcan-
dido tecta velamine , misera per agros circumferre dementia ( Sulpit. Sev.
vita, D. Martini, c. 9).
— i29 -^
Les ministres du culte chez les Gaulois , portaient le
nom Je Druides , Drysides , Semnothëes ou Saronides.
On dispute autant sur Tëtymologie de ces diflfërentes de-
nominations, que sur Forigine des druides même. De
toutes les opinions sur cette question, la plus raisonnable,
parait celle qui iait dériver le nom de Druide du celtique
deru , chêne , emblème du dieu suprême des Celtes.
C'est aussi le sentiment de Pline , mais cet auteur sest
trompé en faisant venir le nom des druides du grec
à'pvq (1). Au reste , il n'y a presque pas de langue ancienne,
a commencer par l'hébreu, dans laquelle on n'ait cru trou-
ver l'étymologie de ce nom (2).
Les opinions sur l'origine du druidisme sont non moins
partagées. Quelques auteurs n'ont pas hésité a attribuer
cette institution sacerdotale à Saniothès, ou Semnothès,
frère de Gomer et fils de Japhet. D'autres en font honneur
(1) Tfihil habent druidœ ( ita suos appellant magos), visco et arbore in
qua gignatur, {si modo sit robiir?) sacratius. Jam per se roborum eligunt lucos :
nec uîîa sacra sine ea fronde confîciunt , ut inde appellati qiioque interpre-
taiione grœcâ poss int druidœ videri. Enimvero quicquid adnascaturillis, è cœio
missum putant signumque esse electœ ah ipso deo arboris ( Plin., 1. XVI,
c. ult. )
Dans Tinscription d'un autel gallo-romain, trouvé en 1711, dans les fon-
demens du chœur de l'église de Notre-Dame à Paris, les druides sont appelés
Senani. Le nom de Semnotbées paraît dériver du gallique semno , prophète.
Eubage semble aussi un nom d'origine celtique : Eiives, signifie en gallique
ehêne, euva, loi, cuwages , législateurs.
Le nom des druides paraît incontestablement dérivé de dryiv , derwydd.
p^u pluriel derwyddonovi dryod , mots qui en ancien breton et gallique signi-
fient chêne. Drus désignait en ancien breton une personne sacrée. Les Grecs
paraissent avoir dérivé le nom des saronides du grec (rapioviç ^ vieux chêne.
En ancien breton Serronidion , désignait les trois astronomies suprêmes.
(Voir Barth, Ueber die druiden der Kelten, p. 12. Picot, tom. 3, p. 67.
Mone, Geschichte des heidenthums im nordl. Europa, 2' th., p. 386 et suiv.
De Fortia , Tableau du monde , tom. 3, p. 94. )
(2) Barth et Picot.
Tome I. 9
~ 130 —
à Tuiscon , a un prétendu roi des Celtes nommé Dryms ;
au dieu Belenus, à Firmianus, personnage fabuleux dont
les chroniqueurs du moyen âge ont fait un roi des Ecos-
sais, etc. (1). Ces fables ne méritent pas qu'on s'y arrête.
César croit que le druidisme a pris naissance dans la Grande-
Bretagne , et que de cette île il a été introduit dans les
Gaules (2). Mais si , comme l'assurent César lui-même et
Tacite, l'Angleterre fut peuplée en grande partie par des
Gaulois , ne serait-il pas plus probable que les druides
aient passé des Gaules dans la Grande-Bretagne, et non de
cette dernière dans les Gaules ? Enfin, une opinion récente,
celle d'Amédée Thierry, attribue l'origine du druidisme
à Hu ou Hesus le puissant, chef des Kymris ou Cim-
bres (3). Toutes ces conjectures ne nous rendent pas plus
savans sur ce sujet.
Les druides étaient partagés en trois classes, en druides
proprement dits , en devins ( vates , eubages ) , et en
bardes (4). Cette caste , comme nous l'avons déjà vu pré-
cédemment, jouissait de grands privilèges : elle formait
la première classe des citoyens, était interprète et dé-
positaire des lois , avait une part principale au gouver-
nement, était exempte de toutes charges et du service
militaire, et chaque famille était obligée de lui payer une
taxe annuelle (5). A leurs fonctions religieuses et civiles ,
(1) Picot, t. 3, p. 69.
(2) Disciplina in Britannia reperta atque indè in gallium translata esse,
existimatur. (Cses., 1. VI, c. 13.)
(3) Thierry , Hist. des GauL, tom. 3.
(4) Barth ne veut point reconnaître cette distinction, (t/e&er die druiden,
p. 30.)
Voir sur les subdivisions des trois classes des druides dans la Grande-
Bretagne, Mone, tom. 2, p. 462.
(5) Les druides avaient trouvé un moyen efficace de s'assurer le payement de
cet impôt : tous les Gaulois devaient, sous peine d'excommunication, éteindre
— 131 —
les druides joignaient Tëtude de la physique, de Fastro-
logie, de la métaphysique et de la médecine (1) ; mais leurs
comiaissances dans ces sciences étaient peu étendues et se
bornaient en majeure partie a des pratiques de magie.
Leur intérêt les portait à attacher mie grande importance
aux présages et a la divination (2). Les Gaulois n'entrepre-
naient aucune guerre, ne livraient aucun combat sans avoir
consulté le sort. Ils faisaient servir a cette superstition tous
les accidens de la nature , le cours des astres , le murmure
des eaux, la chute des feuilles, le vol des oiseaux, le mugis-
sement des bœufs, le hénissement des chevaux, le tonnerre,
la pluie, le vent, etc. Lorsque les druides immolaient une
victime, ils ne manquaient pas de tirer des augures delà
manière dont elle tombait , de celle dont le sang coulait
de la plaie, des palpitations des membres deTanimal expi-
rant, etc. Ils attribuaient une grande vertu magicjue et mé-
dicale au gui cjui croit sur les chênes , a la sciage , à la ver-
veine, au semole et aux œufs de serpents, recueillis avec
certaines cérémonies mystérieuses. Les druides mettaient
surtout beaucoup d'appareil dans les cérémonies qui ac-
compagnaient la récolte du gui réputé une panacée univer-
les feux de leurs foyers, le dernier soir du mois d'octobre, et apporter au
temple le premier jour de novembre , la somme due aux druides. La on leur
donnait une portion du feu sacré pour rallumer celui de leurs demeures. Ils
étaient donc obligés de payer, s'ils ne voulaient pas être privés de l'usage du
feu a l'approche de l'hiver : car il était défendu a leurs voisins de leur en
fournir sous peine d'excommunication.
César dit : Druides a bello ahesse consiievervnL neque tributa una cum re-
liquis pendant Les termes unâ cumreliguis, font croire a M. Mone, que les
druides n'étaient point exempts des charges publiques, mais qu'ils payaient
un impôt différent de celui auquel étaient assujeties les autres classes de
citoyens. Cependant dans la phrase suivante César dit : 3Iililiœque vaca-
tionem omniumque rerum habent immunitatem (1. VI, c. 14),
(1) Strabo., 1. IV. Ca3S., 1. VI. Amm. Marcell., 1. XV.
(2) Cicero., de divinat. 1. I, c. 90.
— 132 —
selle contre lous les maux a Les Gaulois , dit Pline , clioi-
sissaient pour cette opération , le sixième jour de la lune ,
qui commence chez eux les mois, les années et les siècles ,
qui sont de trente ans. Elle a déjà dans ce jour assez de
force, quoiqu elle ne soit pas encore au milieu de son accrois-
sement ; ils lui donnent un nom qui dans leur langue
signifie guérissant tout. Après avoir pre'paré convenable-
ment sous le chêne des sacrifices et des festins , on amène
deux taureaux blancs , qu'on lie par les cornes pour la pre-
mière fois; le prêtre, revêtu d'une robe blanche, monte
sur l'arbre, coupe avec une serpe d'or le gui qu'on reçoit'
sur un manteau blanc; ensuite on immole les victimes,
priant la divinité de rendre profitable le présent qu'elle
vient de faire. Ils croient que ce gui, pris en boisson, rend
féconds les animaux stériles, et qu'il est un préservatif
contre toutes sortes de poisons (1). « On cueillait la sélage
sans instrument , en passant la main droite du coté gauche
par dessous la tunique, comme si l'on faisait un vol, et on
la conservait dans un linge blanc. Celui qui la cueillait
devait être vêtu de blanc, avoir les pieds nus et bien lavés,
et avoir préalablement offert un sacrifice avec du pain et
du vin. Suivant les druides cette herbe était, comme le
eui , un préservatif contre toutes espèces de maladies et sur-
tout d'une grande vertu pour guérir les maux d'yeux (2).
Pour cueillir lesemole, herbe qui croissait dans les lieux
(1) Plin., 1. XVI, c. 44. Picot, tom. 3, p. 89.
Le marquis de Fortia donne des détails beaucoup plus amples que Pline,
sur la cérémonie du gui; mais ces détails, on ne les trouve point dans les
auteurs anciens (^Tableau du monde , tom. 3, p. 50).
Dans quelques contrées de la France, il existait encore au XVIII" siècle,
des vestiges de cette superstition. (Rougier delà Bergerie, Hist.de l'agricult.
des Gaulois, p. 179. Picot., tom. 3, p. II!.)
(2) Plin., l. XXIV, c. II.
marécageux , il fallait être a jeune et ne se servir que dé
la main gauche ; on ne pouvait regarder la plante en la
cueillant. Le semole était regardé comme im remède
efficace contre les épizooties (l). Nous ne nous arrêterons
pas davantage à décrire la manière non moins supersti-
tieuse et puérile dont on recueillait la verveine et les
œufs de serpents qui étaient réputés d'une vertu mer-
veilleuse pour faire gagner les procès et donner accès
auprès des rois (2). Toutes cesfourberies ourdies par les prê-
tres gaulois pour tromper et abrutir le peuple , sont peu
propres à justifier Téloge que fait des druides, Ammien
Marceliin qui les appelle les plus justes des hommes; ni a
nous faire souscrire à Fopinion de Celse qui en ennemi juré
des chrétiens , oppose a leurs prêtres les druides qu il pro-
clame les plus sages et les plus savans des prêtres de
l'antiquité.
Dans les dogmes du culte les druides rapportaient tout
au nombre mystérieux de trois (3). Ainsi les trois points
capitaux qui faisaient labase deleur théologie, étaient Tim-
mortalité des dieux , leur force et leur toute puissance.
Les trois chefs de leurs préceptes moi^aux ou théologie pra-
(1) Piin., Ibid.
« Dans plus d'un canton ( de la France ), dit Reynier, le séneçon cueilli
avec certaines cérémonies le jour de S'-Roch, et béni par un prêtre, devient
une panacée pour les bêtes a cornes; cette. plante pourrait bien être le sa-
molus des druides, car Pline dit qu'ils le sanctifiaient précisément pour les
maladies de ces animaux. «(Reynier de VEcon.puhl et rur. des Celtes^ p. 196.)
D'autres crovent que le semole est le mouron de nos botanistes.
(2) Plln., ï. XXV, c. 9, 1. XXII, c. 3.
(3) Les druides eux-mêmes étaient divisés en trois classes. Il y avait trois
classes de divinités, les dieux suprêmes, les dieux inférieurs et locaux, les
pénies. Les attributs de chaque divinité étaient aussi ordinairement au
nombre de trois: Tentâtes, par exemple, était le dieu des arts, le protec-
teur des routes, le dieu du commerce.
— 134 —
tique étaient, suivant Diogène Laêrce : il faut servir les dieux;
ne point faire du mal et s'étudier à être vaillant et brave (1),
La doctrine druidique se divisait, selon le professeur Mone,
en trois sciences principales, la connaissance de lessence
de lame, celle du monde et celle de la divinité. M. Mone
partage la première de ces sciences en trois autres points
capitaux , l'immortalité de lame , sa transition dans de
nouveaux corps après la destruction de celui auquel elle
était attachée, enfin la renaissance de l'âme après un cer-
tain laps de temps. Cependant il règne beaucoup d'in-
certitude sur la véritable opinion que les Gaulois se for-
maient de l'ame après la mort. César et Diodore de Sicile
ont avancé qu'ils croyaient a la métempsycose ou la trans-
migration des âmes dans d'autres corps terrestres (2).
Pomponius Mêla et Lucain rapportent au contraire qu'ils
croyaient a un autre monde oii les morts ressuscites joui-
raient d'une vie k peu près semblable à celle de l'homme
sur la terre (3). Ce cjui rend cette dernière opinion la plus
vraisemblable , c'est qu'aux funérailles d'un Gaulois on
avait coutume de brûler avec lui ses armes , son cheval ,
son chien et ce qu'il avait le plus aimé de son vivant , afin
qu'il put retrouver ces objets dans le monde nouveau cju'il
(1) Peloutier, t. 6. p. 120. Mone, 2'= th.., p. 410.
(2) In primis hoc volunt persuadere non interire animas, sed ah aliis
post mortem transire ad aîios ; atque hoc maxime ad virtutem excitari pu-
tant, metu mortis neglecfo. Multa prœtereâ de sideribus atque eorum moiu ,
de mundi ac terrarum magnitudine , de rerum naturâ , de deorum iminorta-
lium l'i ac potestate disputant et juventuti transdunt ( Cses., I. YI, c. 14.
Strabo. , 1. IV, Diod. Sic. , 1. V).
(3) Lucan. Phars.. 1. IV, v. 454. Pomp. Meb, 1. II. c. 2. Picot, toni. lî,
p. 80.
Eusèbe, dans ses commentaires sur TEvangile, regarde le système de Py-
thagore comme émané de celui des druides ; il l'était plutôt de celui des
prêtres égyptiens.
— 135 —
allait haÎ3iter (1). Anciennement on immolait même aux
mânes du défunt des esclaves, des cliens ou des hommes
qui se dévouaient pour leur ami (2). La confiance des Celtes
dans une vie future était si grande , qu il y en avait qui
prêtaient de Fargentpour leur être rendu dansla vie a venir.
«Dans les obsèques, dit Diodore de Sicile, quelques-uns
jettent dans le feu des lettres qu ils écrivent a leurs pères,
à leurs mères ou aux autres parens c|u'ils ont perdus ,
s'imag'.nant que les morts lisent ces lettres (3). » On allait
même aux tombeaux des héros pour consulter leurs mânes
sur l'avenir (4).
Suivant César les Gaulois déployaient beaucoup de ma-
gnificence aux funérailles , lorsque leur fortune le leur
permettait (5). Les restes inanimés du défunt étaient brû-
lés ou simplement déposés en terre. On élevait sur le tom-
beau d'un personnage distingué des mottes de terre cou-
vertes de gazon, telles qu'on en trouve encore un grand
nombre en Belgique (6), ou de grandes pierres superposées
semblables a celles qui forment les temples druidiques ;
(1) Unum ex Us quœ prœcipiiint, in vulgiis effluxit, videlicet ut forenk
ad hella meliores. œternas esse animas, vitamque alteram ad mânes. Itaque
cum mortuos cremant ac defodiunt et apta cum viventibus olim. (Pomp. Mêla.,
l. III, c. 2, et Caesar, 1. VI, c. 19.) Voir aussi Procop. Bell. Goth. 1. IV, c. 20.
(2) Ac paiilo supra hanc memoriam servi et clientes , quos ah Us dilectos
esse constahat , Justis funerihus confectis , unà cremahantvr. ( Caes., 1. VI,
c. 19.) Erantque qui se in rogos suorum velut unâ vicluri, libenter immite-
rent. (P. Mêla., 1. III, c 12.)
(3) Negotiorum ratio etiametexactio creditideferehatur adinferos (P. Mêla,
1. cit.) Fétus illemos gallorum occurrit quos memoriœ proditiimest, pecunias
mutuas, quœ his apud inferos reddereniur, dure. (Val. Max. 1. II, c. 6, n° 10.)
f4) Diod. Sic, 1. V. Et ISasammonas propria oracula apud parentum se-
pulcra mansitando capture et Celtas apud virorum fortium busta eadein de
causa ohnoctare (Tertul., de Anima, c. 57. )
{^) Fanera sunt pro cullu gallorum magnifica et sumtuosa. (Caes.. I. Vï,c. 19.)
(6) Principalement dans la llesbaye. Près d'une des portes de Tirlemont
on trouve trois de ces tombeaux groupés ensemble.
^ 136 —
mais les tombeaux de pierre différaient de ces derniers en
ce que, consistant ge'néralement en deux pied-droits ou mon-
lans surmontes d un linteau , ils avaient la forme d une
porte ou d'une potence (1).
Dans la croyance où étaient les Gaulois que les morts
ne faisaient que changer de demeure , ils ne manifestaient
aucune douleur aux funérailles de leurs parens ou amis;
quand les ce'rémonies funèbres étaient achevées, ils fai-
saient un sacrifice domestique et se réunissaient a un grand
festin préparé a cette occasion.
Les trois classes des druides ayaient des fonctions diffé-
rentes à remplir; les druides proprement dits s'appliquaient
à Tétudc de la mythologie et de la métaphysique. Les de-
vins (vates, eubages (2)) étaient chargés de la partie exté-
rieure du culte et de la magie. Ils se livraient particulière-
ment à Tétude des sciences naturelles applicables à la reli-
gion (3) . Les bardes étaient les chantres et les poètes sacrés (4).
(1) Mone, tom. 2, p. 359.
On voit encore aujourd'hui un de ces tombeaux en pierre, près de la viile
de Namur, ( Vaugeois, Lettre sur la pierre du diahle à Namur ; mcm. de
Tacad. celtiq., tom. 2. Westendorp, de Buivelsteen te Namen , Konst en
letterbode , (1817) 2« deel., blz. 137. )
On trouve dans quelques tombeaux gaulois des haches en terre cuite et
des globes en verre sur la destination desquels les savans ont hasardé des
conjectures plus ou moins probables. Les uns ont regardé ces globes de
verre comme des amulettes. Mone les croit des instrimwns appartenant
aux fonctions du culte. Ils sont de forme elyptique et de diiTérentes cou-
leurs. Mone prétend que la différence de couleurs désigne la classe des
druides ou de leurs initiés à laquelle ils appartenaient (Mone, Gescli. des
heidenih. . etc. , 2* th., p. 454. ) Cet auteur regarde les haches en terre cuite
trouvées dans les tombeaux gaulois comme des amulettes et y rapporte le
terme suh ascia qu'on lit sur beaucoup de tombeaux celto-romains.
(2) Vates dérive suivant Roland de Faidh , prophètes. Le mot Euhages
n est selon lui qu'une faute de copiste; Huddleston cependant l'explique par
Eii-faigh . bon poète. (Mone, tom. 2, p. 387.)
(3) Diod. Sic. I. V. Strab. 1. IV. Amm. Marcell., 1. XV, c. 9.
(4) Lucan.. 1. I, v. 447. Strab., 1, IV. Amm. Marcell., loc. cit.
— 137 —
Les devins et les bardes vivaient dans la société, au lieu
que les druides de la première classe demeuraient en com-
munauté dans le fond des bois et les retraites les plus ob-
scures (1) où ils initiaient a leurs mystères les jeunes gens
qui se destinaient aux fonctions du druidisme et qui étaient
ordinairement tirés des familles les plus distinguées.
Ce noviciat était rude et durait quelquefois jusqu a vingt
ans; cependant les grands avantages attachés a la dignité
sacerdotale , faisaient que le nombre des élèves était con-
sidérable (2). Tous les préceptes et les leçons que les drui-
des donnaient a leurs disciples étaient conçus en vers et
devaient s'apprendre de mémoire. îl était absolument dé-
fendu de mettre par écrit quelque point de leur doctrine.
César dit c[u'ils avaient établi celte défense afin que leurs
élèves ne négligeassent point de cultiver la mémoire ou
(ce qui paraît plus vraisemblable) que leur doctrine mys-
térieuse ne fut point divulguée a d autres qu a leurs adep-
tes (3). Au reste , outre ce dernier moyen de tromper le
peuple et de lui conserver sa foi , c'est-a-dire de le tenir
dans l'ignorance, les druides en avaient un autre non moins
(i"i .... Nemora alta remotis
Incolitis lucis.
(Lucan.,1. I. v. 454.")
(2) Docent multa nohilissimos gentis clam et diu vùenis annis in specu
a ut in ahditis saltihus. ( P. Mêla. I. ïIL c. 2. )
Tantis exciiaii prcemiis et sua sponie multi in disciplinam conveniunt et
a pareniibus propinquisqne mitiimtur. (Caes., 1. VI. c. l4.)
Le concours de nombreux disciples était regardé comme le pronostic
d'une année fertile.
(3) Magnum ihi tiumerum versuum ediscere dicuntur. Ilaque annos non-
nulli vicenos in disciplina permanent ; neque fas esse existimant , ea litleris
mandare : quumin reliqiiis ferè rehus puhlicis privatisque ralionihus. Grœcis
vluninr liUeris. Id mihi diiahus de causis instiluisse videntiir: quod neque
in vulgum disciplinam efferri , velint; neque eos qui discajit , litleris con-
fisos^ minus memoriœ studere, quod fare plerisque accidit, ut prœsidio lit-
lerarum . diliqoitiavi in perdiscendo , ac mcmoriam remillant. (Cpcs. , I. ^ I ,
e. M) ^
— 138 —
efficace contre les tentatives impies des esprits forts (si
esprits forts il y avait parmi les Celtes) auxquels il aurait
pris envie de prémunir leurs concitoyens contre les im-
postures de leurs prêtres; ce spëcilic[ue était l'excommuni-
cation et ses suites terribles.
L'ordre des druides était électif; à leur tête se trouvait
un grand pontife , élu à vie. C'était ordinairement le plus
méritant parmi les druides, qui était revêtu de cette di-
gnité; mais lorsqu'il y avait plusieurs candidats, le grand
pontife était choisi a la pluralité des voix. Souvent cette
élection occasionnait des démêlés sanglans parmi les difFé-
rens rivaux et alors c'était le plus fort cjui l'emportait (1).
L'élection du druide suprême se faisait dans l'assemblée gé-
nérale des druides qui se tenait annuellement dans une forêt
sacrée du pays des Carnutes (diocèse de Chartres) comme
étant le centre des Gaules. Cette assemblée formait en
outre une haute cour judiciaire devant laquelle se décidaient
les causes criminelles et civiles les plus importantes (2).
Il y avait aussi dans les Gaules des druidesses ou femmes
druides (3) , exerçant la magie , prophétisant et affiliées a
(1) His autem omnibus druidihus prœest unus, qui summan inter eos habet
anctoriiafem. Hoc moriuo , si qui ex reliquis excellit dignitate , succedit. At
si sunt plures pares, suffragio druidum deligitur ; 7ioniunqiiam etiam de
principatu artnis contendunt. (Cses., J. VI, c. 13. )
Bardt pense que l'élection du grand-druide se faisait par acclamation.
(2) Hi (druides) cer^o anni tempore in flnihus Carnutum, quœ regio totius
Galliœ média habelur , considunt , in luco consecrato. Hue omnes undique
qui contro vers ias habent , conveniunt; eorumque decreiis judiciisque parent.
(Caes., loc. cit.)
(3) On a trouvé aux environs de Metz , 1 inscription suivante :
SILVANO
SACR.
ET NTMPHfS LOCI
ARETE DRUIS
ANTISTITA
SOMNO MONITA
D.
Lexpression somno monita atteste que les Celtes croyaient aux visions.
— 139 —
Tordre des druides sans être prétresses. Les unes gardaient
le célibat ; d'autres étaient tenues de se prostituer; d'au-
tres encore, quoique mariées, vivaient dans la continence
et ne pouvaient voir leurs époux qu'une fois de Tan-
née (1). On croyait que ces femmes avaient une parfaite
connaissance de Tavenir, qu'elles guérissaient tous les maux,
qu'elles commandaient aux élémens et pouvaient prendre
toutes sortes de formes (2).
Les druidesses, comme les druides, portaient une tuni-
que blanche qui ne leur couvrait que la moitié du corps
et cjui était attachée par une ceinture , et par une agraffe
sur Tépaule. Slrabon dit , que dans les fêtes solennelles ,
elles étaient affublées d'une robe de carposus , plante
aquatique (3).
§ix.
État des lettres , des arts et de l'industrie chez les Celtes
Les Celtes, nation barbare et guerrière, n'avaient, avant
l'époque de la domination romaine, dans les Gaules, que
de bien faibles notions dans les lettres et les arts. Les
druides uniques dépositaires de la science ( telle qu'elle
(1) Rougier de la Bergerie divise les druidesses en trois classes ; eelle
des druidesses vierges , celle des druidesses mariées, mais vivant dans la
continence, et celle des druidesses libres de leurs personnes, mais d'un rang
inférieur aux deux autres classes. [Hist. de VAgricult. des Gaulois , p. 240. )
Aucun auteur ancien n'a fait cette distinction. ^
f2) Mêla, 1. 3, c. 5. Strabo, 1. IL
On croit que les traditions sur les fées et les sylves doivent leur origine
aux druidesses. On fait dériver le nom de fée de falua quon traduit la bonne
déesse. Les sylves sont les s ulvœ ci sulevœ, qu'on lit dans les anciennes ins-
criptions et les sylvaticœ du moyen âge (Mone, 2* tb., p. 421).
(3) Strabo, LIV.
Voir sur le costume des druides le Dictionnaire Eue ijclopédique , art.
Druide, et Durondeau. p. 3. On y rapporte des particularités sur ce sujet
qui ne sont pas constatées par des preuves assez autbentiqucs.
— 140 —
pouvait élre parmi des peuples faiblement civilisés), te-
naient la masse du peuple dans la plus profonde ignorance.
Par ce que nous avons dit dans le paragraphe précédent ,
on aura pu juger que les connaissances qu'ils possédaient
eux-mêmes n'étaient qu un vain charlatanisme ou bien qu'ils
leur donnaient cette apparence pour mieux en dérober je
secret aux yeux du vulgaire. Comme la théologie, les druides
divisaient les sciences profanes en trois branches : le mou-
vement des planètes , Tétendue de la terre et du monde ,
la nature des choses (1). Ils enseignaient cjue la matière
et l'esprit sont éternels, que l'univers est indestructible,
que Teau et le feu sont les principaux agens des variations
qu'il éprouve. Ils cultivaient particulièrement Fétude de
l'astronomie , de la botanique, de la poésie et de la rhéto-
rique. Il paraît que la première de ces sciences ne se bor-
nait pas exclusivement a l'astrologie judiciaire , à en juger
par la manière dont ils divisaient l'année. Celle-ci était ,
comme nous l'avons dit, lunaire. Le mois, l'année et le
siècle commençaient au premier quartier de la lune. Des
trente années qui composaient le siècle gaulois, onze
étaient chacune de treize lunes. Le sixième jour de la lune
était un jour sacré (2).
Les passages de Pline l'ancien , que nous avons cités pré-
cédemment , sont les seuls documens que les anciens nous
ont laissés sur les connaissances, que les druides avaient ac-
quises dans la botanique et la médecine (3).
(1) Mone , t. 2. p. 410. Cœs., 1. VI,. c. 14. Strabo , 1. III.
(2) Thierry, //î5«. des Gaul, t 3.
Bardt conjecture que les globes ou bontons de verre et de cristal connus
sous le nom de boutons druidiques, et qu'on trouve quelquefois dans les
tombeaux gaulois, comme nous l'avons observé précédemment, pourraient
indiquer que les druides se servaient déjà de lunettes d'approche pour les
observations astronomiques.
(3j Voir encore Bardt, Ueher die druiden der Kclten , p. 44.
— 141 —
11 ne nous reste aucun ouvrage des bardes gaulois qui
puisse nous donner une idée exacte de leur poésie, et de
la manière dont ils \ersifiaient (1). Comme celle de tous
les barbares, la poésie celtique devait être rude, mais
pleine d'images fortes et caractéristiques. II y avait deux
espèces de bardes, les bardes sacres et les bardes pro-
fanes. Ceux-ci n'appartenaient point k la classe des prêtres
et étaient ordinairement a la suite d'un noble puissant dont
ils étaient chargés de chanter les louanges et les exploits. Les
poèmes profanes étaient de trois espèces , les poèmes épi-
ques, les poèmes satyricjues et les poèmes tragicjues. Les
poèmes satyricjues portaient le nom de vallemachiœ et les
chants populaires celui de lituerses (2). il y avait de ces
poèmes celtiques dont on faisait, du temps de Strabon,
remonter Torigine à plus de six mille ans (3). L'instru-
ment de musicjue dont les bardes s'accompagnaient dans
leurs chants était semblable a la lyre, et portait le nom de
crott (4).
Nous avons vu précédemment que tout ce c]ue les druides
enseignaient a leurs élèves, était conçu en vers et c'étaient
sans doute les bardes cjui étaient chargés de rédiger ces
préceptes. C'est une chose digne de reniarcpie cpie tous les
peuples , dans l'enfance de la civilisation , ont commencé
par composer en vers , avant d écrire en prose. C'est que la
poésie appartient plus particulièrement à l'imagination et
aux fictions , et la prose à la philosophie et à la raison
mûrie par l'étude et l'expérience.
(1) Suivant Mone, la poésie celtique possédait, comme celle des Ger-
mains, vingt-quatre mesures de vers, la rime et Tallitération (Mone, 2* th.,
p. 352).
(2) Mone, tom. 2, p. 392. Athen., 1. IV.
(3) Strabo, 1. ÎII.
(4) Mone, t. 2, p. 392.
-^ 142 —
11 parait qu'avant la fondation de Marseille , par les Pho-
céens , les Celtes ignoraient Fart d'écrire; Cësar assure au
moins que de son temps les Gaulois ne se servaient que
de lettres grecques c|u ils n'ont probablement connues que
par leur commerce avec les Phocéens (1). Si l'usage de Pë-
criture des Grecs e'tait géne'ral dans les Gaules, il n'en
était cependant pas de même de leur langue ; car quand
Cësar confëra avec Divitiac chef et druide ëdueen , il eut
besoin d'un interprète pour se faire comprendre, et lorsque
les Nerviens assiégèrent le camp de Quintus Cicëron, Cë-
sar ëcrivit a ce dernier en grec afin qu'en cas que Pennemi
surprit ses dépêches , il ne put découvrir ses projets (2).
Les auteurs modernes qui ont avance que la langue des
Celtes ëtait dans le principe celle de tous les peuples de
l'Europe, et que le grec, le latin, le teuton, etc. , ne de-
vaient être considères que comme des langues ëmanëes du
celtit[ue, sont tombes dans une erreur bien grossière; car le
bas breton et le gallois qui sont évidemment et d'après
l'assentiment unanime des savans , la langue des Celtes, à
quelques modifications près introduites par le contact des
Bretons avec des peuples étrangers , n'ont rien de commun
avec le teuton , et encore moins avec le latin ou le grec ;
une centaine de mots du bas breton, ou du gallois, ayant
certaine analogie avec un nombre pareil de mots de la
(1) Cœs., 1. I, c. 29; 1. VI, c 14. (Voir Reynier, p. 21 et suiv.}.
Suivant quelques auteurs j les Celtes avaient cependant un alphabet parti-
culier, mais connu des druides seuls, qui ne s'en servaient que dans des écriis
mystérieux et dans la pratique de la magie. Les lettres de cet alphabet res-
semblaient, prétend-on, a celles des Etrusques et aux Runes des Germains.
Elles portaient chacune le nom d'un végétal, et étaient au nombre de qua-
rante, seize lettres principales et vingt-quatre lettres secondaires (voir
Mone,'2«th., p. 352).
(2) Cses., 1. L, c. 19. 1. V, c. 46.
— 143 —
même significalion dans les autres langues de l'Europe ,
sont certes un argument bien faible pour faire conclure
de l'identité de ces différents idiomes (1).
Les progrès des Gaulois , surtout des Gaulois septentrio-
naux , dans les beaux arts, furent encore moins considé-
rables c|ue ceux quils firent dans les lettres. L'idée que
César et d'autres écrivains 2:recs et romains nous donnent
de leurs habitations et de leurs bourgades , nous tait juger
que leur architecture domestique ne surpassait guère celle
des sauvages de nos jours. Leurs monumens publics, c est-
à-dire les temples, les autels druidiques et les tombeaux,
n'étaient pas plus remarquables sous le rapport de l'art.
(cCes diverses espèces de monumens, dit Dulaure, composes
de pierres isolées ou de masses groupées de différentes ma-
nières qui se présentent avec les irrégularités de la nature,
ne portent généralement ni sculptures, ni inscripUons; si
par exception il s'en trouve quelques unes, ce qui est extrê-
mement rare , ces sculptures appartiennent à fart des
Romains. Les inscriptions sont romaines ; elles furent ajou-
tées longtemps après l'érection du monument et du temps
de la domination romaine Il suffit de voir ces masses
de rochers informes, que le ciseau de l'artiste n'altéra
presque jamais , pour se convaincre cpe les Gaulois ne
cherchaient dans leurs plans, ni la régularité des construc-
tions, ni la majesté de la symétrie, ni le charme résultant
de l'harmonie des proportions , et c|ue chez eux , l'art de
(1) Ce qui prouve que le gaulois et le teuton étaient deux langues abso-
lument différentes , c'est que César dit qu'il envoya Valerius Procillus
traiter avec Arioviste, chef germain, parce qu'il entendait le gaulois dont
Arioviste faisait usage depuis longtemps : Et propter Unguœ gallicœ scien-
tiam qna multa jam Ariovisius, longinquaconsuetudine, iifchaUir (Caes., 1. 1.
c. 47). Si le celtique et le teuton n'avaient été qu'une même langue César
n'aurait certes pas eu besoin de faire cette observation.
" 144 ~
conslriiire n'était point encore , avant la domination rO"
maine, sorti de la barbarie (1) «
Il reste cependant quelques sculptures gauloises , qui
paraissent remonter incontestablement a une époque anté-
rieure a la domination romaine. Elles sont si difformes,
quori a de la peine à y reconnaître le travail de l'homme.
Elles prouvent avec les monnaies celtiques trouvées en dil-
fërens endroits de la France, que les Celtes ignoraient
absolument l'art du dessin. Les monnaies gauloises sont
de forme circulaire, faites d'un mauvais métal composé
de cuivre , d'étain et de plomb. Quelques-unes cependant
sont d'argent. On y voit représentées des figures d'hommes,
d'animaux et d'autres objets si mal gravés que souvent il
est impossible d'en deviner le sujet (2).
Si tout est grossier et atteste l'enfance de l'art dans les
monumens élevés par les Celtes, on doit d'autant plus
s'étonner que des peuples aussi barbares aient pu re-
muer et déplacer sans le secours de la mécanique , ces im-
menses blocs de pierre c|ui composent les autels et les
temples druidiques, entasser les rochers dont étaient con-
struits ces murs cyclopéens, c|ui, dans cjuelques contrées de
la Frajice, telles cjue l'Alsace et la Bretagne, ont bravé un
laps de temps de plusieurs milliers d'années; et qu'enfin
ils soient parvenus a creuser dans la roche vive et le centre
des montagnes, des souterrains d'une vaste étendue destinés
au dépôt de leurs récoltes (3).
(1) Dulaurc, Mémoire précité, § 6.
(2) M. Meynaerts, de Louvain, conserve dans son superbe cabinet de médail-
les, probablement le premier de la Belgique pour la rareté et le chois des mon-
naies grecques, romaines et barbares, plusieurs pièces gauloises dont quelques-
unes trouvées en Belgique mèmeÇVo'wYe Poîygr.helge, 5°l., année 1835-1836 )
(3) Plusieurs passages des Commentaires de César prouvent que les Gau-
lois n'ignoraient point avant la domination romaine Tart de construire des
ponts (Caîs., l. 1. c. 6. 1. YIl, c. 2, 35 et passim.).
-- 145 —
Malgré Félat de barbarie et d'anarchie où vivaient les
anciens Gaulois, cette nation fit des progrès beaucoup plus
sensibles dans l'industrie et le commerce, que dans les
lettres et les beaux -arts (1). Les Romains Irouvèrent
même chez eux quelques branches d'industrie qui leur
étaient inconnues auparavant. Nous ne dirons plus rien
de l'agriculture des Gaulois dont nous avons parlé suffi-
samment dans un des paragraphes de ce chapitre. Nous
avons également vu que les Celtes connaissaient le tissage
du lin (2) Ce sont les Gaulois qui ont porté Fart du tisse-
rand dans la haute Italie et introduit l'usage de placer les
métiers dans les caves et autres lieux souterrains (3). Ils fa-
briquaient des toiles de diverses qualités; les plus fines
étaient portées par les druides et les personnes de qualité.
Quelques-unes étaient assez fortes pour servir aux besoins
de la marine ; on exportait ces dernières en quantité pour
l'Italie (4). Les étoffes de laine dont il se faisait aussi des
exportations considérables durant la domination romaine ,
étaient, les unes d'un tissu fin et rayées (5); les autres d'un
tissu plus grossier , mais tellement serré c]u'elles pouvaient
supporter toutes les intempéries des saisons (6) et même
résister à l'arme blanche (7). Pour la préparation des
(1; Rougler de la Bergerie s'est imaginé que les Gaulois reçurent les
premières notions des arts et des sciences de l'Atlantide , cette île fabuleuse
de Platon qui doit être mise de paire avec le pays des Sevarambes et lUtopie
de Thomas Morus.
(2) Linnœ cooperta esttextrino Gallia (Plautus Apud Isidorum orig., c. 23)
Reynier prétend qu'ils cultivaient aussi le chanvre (p, 448) et la cardère ou
chardon a foulon (p. 454).
(3) Plin., 1. XIX, c. 12. Reynier, p. 310.
(4) Plin., 1. XIX, c. 2.
(5) Treb. Poli., in Gallieno.
(6j Juven., Satyr. 8, v. 142.
(7) Plin., 1. VIII, c. 73.
Tome 1 10
— 146 —
draps , les Gaulois se servaient d'un acide , du feu et de
fers crochus dont on faisait usage avant de soumettre TétofFe
à la pression d'une mécanique (1). Le feutrage était aussi
un des métiers pratiqués par les Gaulois (2). Ils connais-
saient plusieurs procédés différens dans Tart de la teinture
€t des colorans qui leurs étaient particuliers. Ils tiraient
la pourpre d'une plante que Pline ^pipeWe vacciniuin , et
qu'on croit être l'airelle commune (3), Mais comme ce
colorant était peu solide, on ne l'employait que pour les
vétemens des esclaves et des gens pauvres. Pline parle
tTune autre plante cultivée par les Celtes et nommée
hyacinihus (jacinthe commun) , qui produisait la couleur
violette. Reynier prétend qu'ils cultivaient la garance et
le pastel (4). Les broderies en argent, en argent et en
couleurs leurs étaient également connues (5). Ils confec-
tionnaient des matelats et des coussins remplis d'étouppes
de lin et de rognures de drap. Les Romains faisaient venir
les premiers du pays des Cadurces (Cahors) , et les derniers
de celui des Lingones ( Langres ) (6) ; ce qui paraît prouver
que cette fabrication était bornée à ces deux contrées.
C'est des Celtes et autres peuples du nord de l'Europe
que les Romains ont appris a fabriquer les savons (7). Les
Celtes et les Teutons en faisaient usage pour nettoyer
leurs longues chevelures et les rendre d'un blond plus ar-
dent. On fabriquait dans les Gaules des savons de plusieurs
qualités; les plus estimés étaient, suivant Pline, composés
(1) Plin., 1. Vllî, c. 73.
(2) Reynier, p. 316.
(3) Plin., 1. XVI, c. 18.
(4) Reynier, p. 318 et 319.
(5) Strab., 1. IV. Diod. Sic, 1. V. Reynier, p. 321.
(6) Plin., l. XIX, c. 2. Juven., Sai. 6, v. 537. Sat. 1, v. 220. Martial..
È-pigr., 1. XIV, ep. 159.
(7) Plin., 1. XXVIII, c. 12. Galien., de Medic. simpl
— 147 —
avec les cendres du hêtre et le suif de chèvre (1). Quel-
ques-uns de ces savons étaient épais ; d'autres étaient li-
quides; ce qui prouve que les Gaulois n'employaient pas
seulement a la fabrication des graisses animales, mais en-
core des huiles tirées des végétaux (2).
Varronditque les Gaulois septentrionaux faisaient du sel
en jetant de l'eau sur des charbons ardens (3) ; mais Reynier
prétend avec raison que cet auteur s'est trompé, et qu'il a con-
fondu la fabrication du sel avec celle de la potasse (4). Pline
a encore enchéri sur Varron , en ajoutant que la cendre du
chêne donnait plus de force au sel , et que le charbon de cet
arbre arrosé d'eau salée se transformait lui-même en sel (5).
C'est des Celtes que les Romains ont appris l'usage
des tonneaux. César rapporte qu'au siège d'Uxelodunum,
les Gaulois firent crouler du haut des remparts sur les ou-
vrages de siège construits par son armée, des tonneaux
remplis de matières inflammables , au moyen desquels ils
y mirent le feu (6). C'est donc à tort que Pline a borné
l'usage des tonneaux aux contrées voisines des Alpes (7).
(1) Prodest et sapo : GaUiarum hoc inventum reciitandis capilîis ; fit ex
seho et cinere , inaximè caprino et fagino (Piin., loc. cit.).
Pline semble ici être en erreur, lorsqu'il dit que les Gaulois fabriquaient du
savon avec des cendres ; il aura confondu lart de fabriquer le savon de cette
substance, avec celui d'en extraire la potasse, qui servait à préparer les sa-
vons (Reynier, p. 327).
(2) Reynier, p. 325. Plin., 1. XXVÏII, c. 8.
(3) Cum exercitum ducerem,.... regiones accessi, ubi salem, nec fossicium,
nec maritimtim haberent, sed ex quihusdam lignis combustis, carbonibus saisis
pro eo uterentur (Varro,c?e re rust., 1. ï, c. 7. Tacit., Annal, 1. XIII. Rougier
de la Bergerie, p. 341).
(4) Reynier, p. 327.
(5) riin., 1. XXI, c. 7, 39, 40.
Rougier de la Bergerie prétend que Pline a confondu le nitre ou le sal-
pêtre avec la soude (p. 341).
(6) Caes., 1. VIII, c. 34.
(7) Plin., 1. XIV, c. 27,
— 148 —
Les Gaulois exploitaient des mines de fer et de cuivre.
Diodore de Sicile parle des mines d'or exploitées par les
Celtes, et Possidonius de l'abondance du métal quils en
liraient (1). Ce qui prouve d'ailleurs que les Gaulois
étaient habiles dans l'exploitation des lieux souterrains ,
c est qu'ils creusaient la terre jusqu'à la profondeur de cent
pieds pour en extraire la marne (2). César attribue a leur
habitude d'exploiter les mines, l'habileté qu'ils montrèrent à
éventer les ouvrages souterrains qu'il pratiquait dans le siège
de leurs places fortes (3). Il est donc fort probable que
l'exploitation de plusieurs mines de fer et de cuivre en
Belgique remonte jusqu a l'époque oii cette contrée était
encore peuplée par des Celtes. Le fer préparé par les Celtes
était d'une qualité supérieure et on l'exportait en quantité
à Rome (4). Le cuivre des Gaulois était également d'une
bonne qualité , et ils avaient l'art de le modifier par diffé-
rens alliages (5). Ils exploitaient aussi des mines de plomb,
et possédaient le secret de rendre l'étain qu'ils tiraient de
la Grande-Bretagne, moins fusible et de lui donner le reflet
de l'argent (6). C'est encore des Gaulois que les Romains
apprirent le secret de l'étamage, dont les premiers se
(1) Diod. Sic, 1. V. Strabo, 1. IV. Athen., 1. IV.
C'était , suivant Diodore, par le mode du lavage que les Gaulois recueil-
laient lor, et non par une exploitation régulière. Diodore ajoute qu'il n'y
avait dans les Gaules aucune mine d'argent.
(2) Reynier, 337.
(3) Illi, allas eruptione tentatâ, aliàs cuniculis ad aggerem vineasque
actis, cvj'us rei sunt longe peritissimi Aquitani, propterea quod multis locis
apud eos œrariœ secturœ sunt (Cses., 1. III, c. 21).
uiggerem cuniculis subtrahehant, eo scientius, quod apud eos magnœ sunt
ferrariœ, atque omne genus cuniculorum notum atque usitatum est ( 1. VU,
c. 22).
<4)Plin.. 1. XXXIV, c.4l.
(5) Id., 1. XXXIV, c. 2.
(6) Id., 1. XXIV, c. 48, 49.
— 149 —
servaient pour lornement des chars de luxe , des harnais de
chevaux et de differens meubles. Les Celtes y employaient
non-seulement l'ëtain et le plomb, mais même l'argent (1).
Le commerce des Gaules, lorsque les Romains apprirent
à connaître cette vaste re'gion , était assez actif pour un pays
encore peu civilisé et dans une anarchie continuelle. Les
articles de commerce que fournissaient les Gaules, étaient
des étoffes de différentes qualités , des salaisons dont celles
préparées sur les bords de la Seine étaient les plus esti-
mées (2), des peaux, des cuirs, des bois de construction,
des esclaves , des chevaux , des métaux , du miel , des trou-
peaux d'oies , que les Morins , après les conquêtes de César,
conduisaient jusque sur les marchés de Rome (3), des
chiens de chasse et du blé (4). Les articles d'importation
étaient moins nombreux; ils consistaient principalement
en vins, huile d'olives, étain, quelques objets d'art et
d'épicerie en petite quantité (5).
Strabon admire les avantages qu'offraient au commerce les
côtes étendues et les fleuves des Gaules , et décrit en même
temps les voies de communication et les moyens dont se
(l)Plin., 1. XXXIV, C.48.
Pline accorde aux Espagnols et aux Gaulois le secret de convertir le sable
en verre blanc et pur : Et fit vitrum purum, ac massa vitri candidi. Jam vero
etper Gallias Hispaniamqiie simili modo arenœ temperantur (Plin., 1. XXXVI,
c. 26). L'expression Jam vero paraît indiquer que ce secret n'y était connu
que récemment.
(2) Strab., 1. IV. Var., Ecart., 1. IV, c. 4. Athen., 1. XIV.
(3) Mirum in Jiâc alite, à Morinis usque Romam pedihus ventre. Fessi
proferuntur ad primos ; ita cœteri stipatione naturali propellunt eos (Plin.,
1. X, c. 22).
(4) Plin., 1 XVIII, c. 12.
(5) Strabo, 1. IV.
Voir aussi Reynier, p. 357 et suiv. Les Gaulois faisaient venir à grand
prix des chevaux étrangers (Cœs., 1. IV, c. 2).
— 150 -^
servaient les Gaulois pour le transport des marchandises :
«On ne peut, dit-il, s'empêcher de reconnaître Faction de
la providence, lorsqu'on fait attention que ces dispositions
du pays ne sont pas dues au hasard , mais ont été faites
dans un but déterminé; le Rhône, en effet , peut se remon-
ter pendant un assez long espace avec des vaisseaux chargés,
et les fleuves navigables qui s'y jettent, facilitent encore
le transport des marchandises dans divers pays. On peut
remonter la Saône et le Doubs, en quittant le Rhône, et
ensuite on transporte par terre les marchandises jusqu'à
la Seine ; ce fleuve les porte jusqu'à l'Océan et au pays des
Lexobiens et des Caleliens; de là la traversée n'est pas d'une
journée jusqu'en Bretagne. Le Rhône est rapide et difficile
à remonter; on préfère, en conséquence, malgré le voisi-
nage de ce fleuve , transporter parfois dans des chars les
marchandises qui sont destinées pour les Arverniens et
pour la Loire ; ce fleuve les reçoit et les conduit depuis les
Cévennes jusqu'à l'Océan. De Narbonne on remonte le
fleuve Âtace, dont la navigation est courte; la route par
terre jusqu'à la Garonne , est plus longue , c'est-à-dire
qu elle a sept ou huit centsstades; la Garonne conduit aussi
à l'Océan (1). » Si Strabon ne parle point des fleuves de la
Belgique, c'est que de son temps cette contrée était habitée
par des peuples germaniques qui s'adonnaient peu au com-
merce, comme nous le verrons dans la suite ; mais lorsque
la Belgique était encore occupée par des Celtes , le com-
merce, surtout le commerce maritime, doity avoir été aussi
actif que dans d'autres parties des Gaules, témoins les
nombreuses émigrations des Celto-Belges dans les îles de la
Grande-Bretagne .
Il paraît que les négocians gaulois se servaient peu
(1) Strab., 1. IV. Picot, tom. 3, p. 177.
--^ 151 —
des ports de TOcéan et qu'ils préféraient les embouchures
des fleuves ; Strabon assure du moins que les quatre pas-
sages usités pour se rendre des Gaules dans la Grande-Bre-
tagne, étaient les embouchures du Rhin, de la Seine, de
la Loire et de la Garonne. Cependant il ajoute que ce n'é-
tait point de Fembouchure du Rhin qu'on partait directe-
ment , mais du port d'Itium , sur la côte des Morins (1). Ce
fut en effet a ce port que s'embarqua César, lorsqu'il tenta
la conquête de l'Angleterre : «On peut, dit Picot, con-
clure de ce passage de Strabon , que les ports , maintenant
si nombreux sur les cotes de la France depuis la Zélande
jusqu'à Bayonne , étaient autrefois peu connus des marins ;
une pareille ignorance a lieu d'étonner , il faut , en parti-
culier, c[ue la navigation fut bien dans son enfance, pour
que le port de Brest, dont l'enceinte est si vaste et si com-
mode , et dont l'entrée est si merveilleusement défendue ,
n'ait pas eu, dès ces temps la, la célébrité qu'il méri-
tait (2). »
Les vaisseaux dont les peuples maritimes des Gaules se
servaient, étaient construits en chêne. Ils avaient la poupe et
la proue fort élevées, mais la carène moins proéminente que
celle des navires romains, afin de tenir plus facilement l'eau
dans les basses marées et les bas -fonds. Les planches et les
poutres du navire étaient attachées par des clous de fer de la
grosseur d'un pouce. Les voiles étaient de peau et les ancres
affermies par des cliaines de fer (3). Pline rapporte que les
(1) Strab.,1. IV.
(2) Picot, t. 3, p. 181.
(3) Carinœ aliqttanio pîaniores quani nastrarum navium, guo facilius
vada^ ac decessum œstus excipere passent : prorœ admodùm ereciœ, atqnc
itempup'pes ad magnitudinem fluctuum tempe statumque accommodatœ. lYaves
totœ factœ ex rohore, ad quamvis vim et coutumeliam perferendani : fransira,
pedalibus in altitudinem trahihus, confixa cïavibus fetrei^, digiti pollicis
— 152 —
Belges se servaient de panicules de roseaux , pour remplir
les fentes de leurs vaisseaux ; ils les broyaient à cet effet ,
et trouvaient que les navires en e'taient mieux calfeulrés
quavec la poix même (1). Strabon dit que la matière qu'ils
y employaient était l'algue (2). César admire la légèreté de
ces navires et l'habileté des marins gaulois a les conduire (3).
Pour la navigation sur les eaux intérieures , les Gaulois
se servaient ordinairement de canots creusés dans un tronc
d'arbre (4).
Les transports par terre se faisaient la plupart a dos
de chevaux ou sur des chariots à deux ou quatre roues que
les Gaulois appelaient pe^onïa (5).
Les distances itinéraires se mesuraient dans les Gaules
par lieues (leugœ),de 1500 pas chacune. Quant à des routes
pavées, il n'en existait aucune avant l'époque de la domina-
tion romaine. C'est à Agrippa, gouverneur des Gaules, sous
le règne d'Auguste , que ces dernières furent redevables de
ces superbes voies militaires qui, partant de la ville de Lyon
comme d'un centre commun, s'étendirent en vastes rayons
jusque dans les parties les plus réculées de la Celtique.
erassitudine ; anchorœ pro funibus, ferreis catenis revinctœ ; pellis pro velis,
aîutœque ienuiter confeclœ, sivè propter Uni inopiam atque ejus usus in-
scientiam; sivè eo quod est magis verisimile, quod tanta tempestales oceani
tantosque impetus ventorum sustineri, ac tanta onera navium régi velis non
satis commode arbitrabantur (Caes., 1. III, c. 13.)
(1) Plin., 1. XYI, c. 36.
(2) Strabo, I. IV.
(3) Caes., 1. III, c. 13.
(4) Tite-Live dit , en parlant du passage d'Annibal dans les Gaules :
JVavesque alias Galli incohantes, cavabant ex sîngulis arboribus.
(5) Aulug., IVoct attic. I. XV, c. 30. Reynier, p. 330.
On appelait du nom de Benn les voitures gauloises , de quelque espèce
quelles fussent. On nomme encore de nos jours, dans la partie centrale de
X la France, bannes ou hanneaux les chariots destinés au transport du char-
bon.
^ 153 -
Nous terminerons ici ce long chapitre sur les mœurs et
les usages des Celto-Belges , où nous n'avons pu donner
qu'un tableau succinct et rapide, quoi c]ue complet, nous
osons le dire , de la vie privée des Celtes en général , faute
de documens anciens sur les Celto-Belges en particulier.
Toutefois la matière était encore si riche, que le cadre de
notre ouvrage nous a imposé la nécessité d'être de la
plus grande concision et de nous borner à rapporter les
faits dans toute leur simplicité et a en écarter toute ré-
flexion qui ne fut point indispensable a l'éclaircissement du
sujet. Cette concision aura pu répandre quelque sécheresse
dans notre récit ; mais comme nous Tavons déjà dit dans
la préface, en écrivant cet ouvrage, œuvre de patience et
de recherches consciencieuses , nous n'avons nullement eu
l'ambition de faire de la littérature. Décrire l'état primi-
tif de notre patrie, rectifier des erreurs reçues jusqu'ici
comme des vérités , jeter c|uelque jour sur des faits obscurs
et peu connus , voilà notre seul but , la seule tâche que
nous nous sommes imposée.
Dans le chapitre suivant où nous décrirons les mœurs et
les usages des Germano-Belges, la matière sera bien plus
ample encore que dans celui que nous venons de terminer ;
la les données historiques ne manquent pas , à commencer
par César, Strabon , Tacite et Pline, jusqu'aux codes des
peuples germains , aux légendes , aux capitulaires et a nos
anciennes chartes. Une extrême concision nous est donc en-
core commandée dans ce chapitre. Dire beaucoup de choses
en peu de mots était une loi chez les Spartiates ; elle en sera
également une pour nous. L'immortel Tacite nous en a
fourni l'exemple dans son excellent traité des mœurs des
Germains, un des livres les plus précieux que l'antiquité
nous a légués, et auquel nous aurons recours sans cesse.
— Î54 ~
CHAPITRE V.
Qualités physiques et morales, mœurs, usages, cuite et industrie
des Germiano-Selges.
Manquant de documens particuliers sur les mœurs et
les usages des Ceko-Belges, nous avons du, dans le chapitre
précèdent , puiser a ceux que les anciens nous ont transmis
sur les Celtes en gênerai. Grâce k Cësar , à Strabon , à
Tacite, à Pline et a d'autres écrivains romains des quatre
premiers siècles de 1 ère vulgaire , nous trouverons ici une
foule de faits qui se rapportent aux Germano-Belges exclu-
sivement ; cependant quelqu'intéressans que soient ces docu-
mens , ils ne suffisent point encore pour donner un tableau
complet des moeurs et des usages des Germains qui occu-
pèrent la Belgique depuis Tëpoque que nous avons désignée
dans un des chapitres prëcëdens. Nous aurons donc en-
core recours ici aux documens anciens qui concernent
tous les peuples germaniques , particulièrement aux lois
des Francs-Saliens et Ripuaires , des Allemands , des Fri-
sons, des Saxons, des Bourguignons, des Lombards, des
Visigoths, etc.
En effet, si , dans le chapitre précèdent, nous avons osé
attribuer aux Ceito-Belges , une grande partie des moeurs
et des usages des Gaulois en général, nous pouvons avec
plus de raison encore , rendre communs aux Germano-
Belges , le culte et la vie privée des habitans de la Grande-
Germanie; car, fiers de leur origine, les Germano-Belges
— 155
conservèrent intactes les traditions et les mœurs de la mère
patrie et ne se confondirent jamais avec les Celtes dont ils
habitaient le territoire.
Sans doute, il existait une certaine conformité' entre les
qualités physiques et morales et enlre certains usages des
Germains et des Celtes; mais lorsque Strabon conjecture
que de cette ressemblance partielle ait pu tirer son origine
la dénomination des Germains (frères) , comme si les Celtes
et les Germains étaient deux nations de même race, cet
auteur prouve non-seulement cju il n^avait que des notions
fausses et erronées sur Thistoire primitive des Celtes et des
Germains , mais cju'il ignorait encore la véritable origine
du nom de ces derniers. Il est du reste de toute probabilité
que Strabon n'aura compare' les mœurs et les coutumes des
Germains d outre-Rhin, cjuavec celles des peuples de la
Gaule septentrionale , c'est-à-dire , avec celles des peuples
de la Belgique actuelle, qui eux-mêmes étaient d'origine
germanique et cfui de tous les régnicoles de la Gaule , pou-
vaient être seuls qualifiés de peuples frères des Germains;
sous ce rapport l'assertion de Strabon est juste; mais cjuand
elle s'applique à tous les peuples de la Gaule, elle est évi-
demment fausse.
Au reste, si quelques usages des Gaulois étaient conformes
à ceux des Germains , c'est cjue ces coutumes se retrouvent
chez tous les peuples barbares, comme nous l'avons déjà
observé plus haut. Si au physique les Celtes ressemblaient
aux Germains, c'est au climat et à la vie guerrière des uns
et des autres , qu'il faut encore l'attribuer. Mais à part ces
particularités , les peuples germains avaient un culte, des
lois, des mœurs et des usages diamétralement opposés à
ceux des Gaulois, Quoicjue, comparés aux peuples modernes
qui occupent aujourd'hui leur territoire, les Celtes ne puis-
sent être considérés cjue comme une nation barbare, ils
— 156 —
étaient néanmoins plus civilisés que les Germains (I).
Les Celtes étaient une nation sédentaire et amcole: tandis
que les Germains , peuple pasteur et nomade, négligeaient
la culture et changeaient sans cesse de demeure. Delà plu-
sieurs écrivains anciens ont avancé que les Germains étaient
de même race que les Sarmates et les Scythes (2). En com-
parant le contenu de ce chapitre avec celui du chapitre pré-
cédent, on verra combien l'assertion de Strabon est fausse,
et combien étaient faibles les connaissances que les Grecs
et les Romains avaient acquises de son temps sur la vie
privée des Germains. Le parallèle à faire entre les mœurs
et les usages des Celtes et des Germains , ou des Celto-Belges
et des Germano-Belges sera d'autant plus facile que nous
suivrons dans la division de ce chapitre, le mode que nous
avons adopté dans celui qui précède.
§ 1.
Qualités physiques et morales des Germano-Belges.
« J'adhère , dit Tacite , au sentiment de ceux qui pen-
sent que les Germains , chez qui la pureté du sang ne fut
(1) Hirtius le fait clairement entendre, lorsque, parlant des Tréviriens,
peuple belge d'origine germanique, il dit: ^Mora^n (Trevirorum) civitas,
propter Germaniœ vicinitatem, quotidianis exercitaii prœliis, cuîtu et feritate
non multum à Germanis differebat (Hirtii Comment, de hello Gall, 1. VIII,
c. 25). Ammien Marcellin rend le même témoignage des Belges en général.
(2) Scytharum nomen transit in Sarmatas atque Germanos (Plin., Hist
nat, 1. IV, c. 12).
Pline classe parmi les peuples Germains, les Peucins, les Bastarnes, les
Venetes et les Fennes ; mais Tacite doute avec raison s'il faut les y com-
prendre, Aventin, auteur du 15^ siècle, rapporte que les anciens Hongrois,
descendans des Huns, donnaient aux Germains le nom de Scythes et de
Scythules.
- 157 -
jamais altérée par des alliances étrangères, ont le caractère
propre et original d'une même famille , n'ayant de ressem-
blance qu'entr'eux. De la aussi celle du corps , la même
chez tous les peuples , quoiqu'innombrables , cet oeil bleu
et farouche, ces cheveux d'un rouge ardent (1), cette taille
haute et avantageuse seulement dans un premier choc ; ce
découragement qui les éloigne d'un travail fatigant et con-
tinu ; succomber à la soif et à la chaleur , résister au froid
et à la faim, telle, sous ce climat, est leur tempérance (2).»
Ces traits sous lesquels Tacite dépeint les Germains, n'é-
taient point, c[uoiqu'en dise cet auteur, propres a ces derniers
seuls; ici la ressemblance entre les Celtes et les Germains
était même parfaite, et ce que nous avons dit dans le chapitre
précédent sur les qualités physiques des Celtes , est en tout
point conforme au tableau de celles des Germains, tracé
par Tacite. Ce n'est point au reste, nous le répétons, a une
communauté d'origine qu'on doit attribuer cette ressem-
blance du physique du Germain, avec celui du Celte, mais
à Tinfluence du climat qui, a cette époque, était a peu près
aussi rigoureux dans une grande partie des Gaules , que
dans la Germanie. La plupart des Celtes devaient donc
alors avoir le type commun a tous les peuples septentrio-
naux , les yeux bleus , la chevelure blonde et la taille
haute.
Ce qui étonnait le plus les Grecs ou les Romains en
voyant pour la première fois une armée de Celtes et de
Germains , c'était la stature colossale de ces hommes du
(1) ISamque rutilœ Caledonum habitantium comœ, magni arfus, germant-
cam originem asseverant (Tacit., Vita agricolœ.)
lllinc flaventi sicambri Cesarie.
(Claudian, Laud. stilic, I. V.)
Flava peringentes surgit Germania partus
(Lucarn. Pkars., 1. II.)
(2) Tac, Mor. Germ., c. 4.
— 153 -
nord, qui contrastait d'une manière si étrange avec celle
des peuples méridionaux. S'il faut en croire quelques au-
teurs anciens, la taille ordinaire d'un Germain était de sept
pieds (1). Lorsque César forma le siège de V Oppidum ^ où
les A-tuatiques s'étaient réfugiés après la défaite des Ner viens,
du haut de leurs murs les assiégés ne cessèrent de railler
les Romains , sur l'exiguité et la faiblesse de leur stature.
Car, dit César, la plupart des peuples de la Gaule nous
méprisent à cause de la petitesse de notre taille (2). Cet
auteur rapporte encore que l'air farouche et l'énorme sta-
ture des Germains qui composaient l'armée d'Arioviste,
inspirèrent une telle terreur a ses soldats, tout braves qu'ils
étaient, c|ue regardant leur perte comme certaine , beau-
coup d'entr'eux firent leur testament avant de marcher
contre l'ennemi (3). César attribue cette force et cette vi-
gueur des Germains, comme celle des Celtes, a leur ma-
(1) Sidon. Jpol, 1. Vm, epist. 9. "
Dans un registre des archives de la ville d'Aerschot nous avons trouvé le
procès-verbal delà découverte du tombeau d'un géant, faite au village de Rot-
selaer, dans le 17^ siècle. Le squelette avait douze pieds de longueur. Nous pu-
j blierons dans la Bibliotiiéque des Antiquités Belgiques ou dans le Poîygraphe
belge, cette pièce signée par notaire et témoins, et curieuse, ne fut-ce que
par la manière bizarre dont elle est rédigée.
(2) Cœs., 1. II, c. 30.
(3) Tantus subito timor omneni exercitum occupât it ^ ut non mediocriter
omnium mentes animosque pertarharet. Hic primum ortus est à tribunis mi-
litum, prœfectis, reliquisque, qui exurbe, amicitiœ caussa, Cœsarem secuii,
magnum periculum, miserabantur, quod non magniim in rs militari usum
habebant; quorum alius, alia caussa illata, quam sibi ad projîciscevclum ne-
ce ssariam esse diceret, petebat ut ejusvoluntate discedere liceret; nonnuUi,
pudore adducti, ut timoris suspicionem vitarent, remanebant. Hi, neque vul-
tiim fiiigere, neque interdùm lacrimas tenere poterant : abdiii intabernaculis,
aut suum fatum querebantur, aut cum familiarïbus suis commune periculum,
miserabantur. Volgo totis castuis testamenta obsignabantur. Ilorum voci-
hus ac timoré, paulatim etiam ii , qui magnum in castris usum habebant,
milites, centurionesque , quiquè equitati prœerant, perturbabantur. Qui se ex
his minus timidos existimare volebanl , non se hostem vereri, sed augustias
— 159 —
iiière de se nourrir , aux mâles exercices auxcjuels ils se
livraient et a leur éducation toute militaire (1).
« Chez les enfans nus et partout affranchis du tour-
ment de la contrainte, dit Tacite, se développent ces corps,
ces membres qui nous étonnent; chaque mère allaite ses
enfans , et on ne les confie point a des domestiques ou a des
nourrices : enfant ou esclave de la maison J'un n est pas soi-
gné plus délicatement cjue l'autre ; parmi les mêmes trou-
peaux, sur la même litière, ils attendent que la différence
d'origine se déclare avec Fàge, se reconnaisse au mérite.
» Les jeunes gens sacrifient tard a l'amour , et leur pu-
berté n'en est que plus vigoureusement développée. L'on ne
hâte pas non plus l'établissement des filles; même fraîcheur
de jeunesse , pareil embonpoint , l'âge et la force du tem-
pérament les assortissent , et l'heureuse constitution des
pères se reproduit chez les enfans (2). »
Sous le rapport des qualités morales , les peuples de race
germanique avaient encore une grande conformité avec les
peuples celtes. Comme ces derniers, ils possédaient les
vertus et avaient les vices et les défauts propres a l'homme
brut. Ils étaient adonnés a la paresse , au jeu et a l'ivro-
gnerie , colèi^es , querelleurs , farouches , ignorans et par
conséquent superstitieux. « Tant que les Germains ne sont
pas en campagne , dit Tacite , ils chassent peu , perdant
iiineris et mdgnitudinem siharum quœ intercédèrent inter ipsos atque Ario-
vistum, aut rem frumetitariam, ut satis commode suhportari posset , timere
dicebant. Nonnidli eliam Cœsari renunciahant, quum castra moveri, ac signa
ferri jussisset , non fore dicto audientes milites , neque propter timorem si-
gna laturos. ( CsBS., 1. I, c. 39.)
(1) . . . Mullumqiie snnt in venationibus : quœ res et cibi génère, et quo-
tidiana exercitaiione et libertate vitœ [quod a pueris millo offîcio aut disci-
plina adsuefacli, nihil omnino contià voluntatem faciunt) et vires alit et
inmani corporum magnifudine homines efficit (Ca3S., I. IV, c. 1.)
(2) Tacit, M. G., c. 20.
— 160 —
beaucoup plus de temps au lit et a la table : le plus robuste,
le plus belliqueux Germain , abandonnant , dans son inac-
tion , le soin de sa famille , la culture de la terre , la con-
duite de toutes ses affaires domestiques aux femmes , aux
vieillards, aux plus faibles de la maison , végète, par l'effet
d'un contraste frappant dans son humeur , aussi ennemie
du repos que portée à Tindolence.
ce Joindre le jour a la nuit en buvant, n'est sujet a aucun
reproche ; souvent leur ivresse engendre des querelles, ter-
mine'es rarement par des paroles offensantes, plus com-
munément par des meurtres ou des blessures . . . Satis-
faites sans réserve leur passion pour la boisson , ils seront
aussi facilement subjugués par la débauche que par les
armes (1). »
Le vice d'incontinence , que Tacite impute aux Ger-
mains en général , n'était point cependant celui de tous les
peuples teutons sans exception ; car les Suèves , et la prin-
cipale des peuplades germano-belges, les Nerviens, non-
seulement en étaient exempts , mais ne souffraient même
pas qu'aucun marchand étranger pénétrât sur leur terri-
toire et défendaient sévèrement l'usage du vin et de tout
ce qu^ils croyaient capables d'amollir leurs mœurs etporter
atteinte à leur passion pour les combats et la vie des
camps (2). Renoncez, disaient les Tenchtres aux Ubiens,
dans la révolte des Bataves , sous le règne de Vespasien ,
renoncez aux voluptés dont les Romains se servent encore
plus utilement que des armes pour affaiblir leurs sujets (3).
(1) Tac, M. G. c. 15, 22, 23. Peloutîer, Hist. des Celtes, tom. 2, p. 534.
(2) Nullum aditum esse ad eos (Nervios) mercatoribus : niliil pati vini
reliquarumque rerum {^ad luxuriam pertinentium ) inferri, quod his rébus
relanguescere animos et eorumremittivirtutemexistimarenf(CsdS.,\.ll,c. 15.
1 IV, c. 64.)
(3) Tacit., Hist, 1. IV.
— 161 —
Nous parlerons plus loin de la funeste passion que les
Germains avaient pour le jeu, passion à laquelle ils sacri-
fiaient jusqu'à leur liberté.
Tacile impute aux Germains, ce que Florus, Polybe, Tite-
Live et d'autres auteurs anciens reprochent e'galement aux
Gaulois, d'être d'une insolence sans bornes dans la victoire
et la prospérité, et de se laisser facilement abattre par les
revers (1). Ce blâme, les peuples germains nous parais-
sent lavoir peu mérité. Peut-on accuser de faiblesse les
Nerviens , qui , lorsque la plupart des autres peuples des
Gaules se soumirent bénévolement au joug que leur imposa
César, défendirent pendant neuf ans leur liberté et leur
indépendance malgré les échecs continuels qu'ils éprouvè-
rent en se mesurant avec une armée nombreuse , formée
dans la tactique militaire et commandée par un des plus
grands généraux qui aient existé , et ne déposèrent les
armes que lorsqu'ils eurent obligé les Romains a respecter
leur nationalité et à les traiter en peuple libre? Manquè-
rent-ils de caractère et d'énergie , les Germains , qui pen-
dant plus de quatre siècles résistèrent courageusement à
tous les efforts que firent les Romains pour leur faire parta-
ger le sort de tous les peuples du midi de l'Europe et par-
vinrent eux-mêmes à détruire et à conquérir le plus vaste
empire du Globe ?
La colère , la cruauté, défauts que les anciens reprochent
également aux Germains, étaient, comme chez les Celtes,
le résultat de leur éducation et de la barbarie dans laquelle
ils étaient plongés^ plutôt que celui d'un naturel méchant
et pervers.
(1) Jam corpus ut visu torvum , et ad hrevem impetum validum; sine
nullâ vuinerumpatientiâ, sine pudore flagitii, sine curâducum, ahire, fu-
gere : pavidos adversus , inter secunda , non divini , non humant memores
(Tacit., Annal., 1. I, c. 14.)
Tome I. 11
— 162 —
Ce qui le prouve , c'est que Thospitalité était une vertu
que les ennemis même des Germains ont été oblige's d'a-
vouer dans cette nation non moins que dans celle des Celtes.
« A le'gard des hôtes et des convives, dit Tacite, aucune na-
tion ne les traite plus généreusement : refuser le logement
à qui que ce soit des humains, passe pour une barbarie. Le
maître de la maison régale les étrangers suivant son pou-
voir ; les provisions consommées, celui qui naguère exerçait
rhospitalité, la leur indique, en les accompagnant jusqu'à la
maison voisine, où tous s'établissent, sans y être invités;
n'importe , ils y trouvent un même accueil cordial ; ami ,
inconnu , tous , quant aux mœurs hospitalières , sont égaux :
à leur départ , s'ils demandent quelque chose , communé-
ment on la leur accorde ; et en récompense , on use avec
eux de la même liberté. Tout présent flatte les Germains;
mais ils ne prétendent avoir ni plus de mérite en donnant,
ni plus d'obligations en recevant; ils n'en exercent pas
l'hospitalité avec moins de douceur (1). «
(1) Tac, iltf. G., c. 21 et 31.
Hospites violare, fas non putant. Qui, quaque de causa, adcos venierinf,
ah injuria prohibent, sanctosque hahent; ils omnium domus patent victnsque
communicatur (Gses,, 1. VI , c- 23).
La loi des Bavarois condamnait h une double amende celui qui avait com-
mis quelque délit contre un voyageur (Lex Bajuv., tit. 2, § 14), Celle des
Bourguignons porte : Quicumque hospiti ( Al. hospitium) venienti lectum
aut focum negaverit, trium solidorum inlatione mulctetur {[M. 38. 1. 1). Un
Bourguignon qui, au lieu de loger lui-même un étranger, l'aurait envoyé a la
maison d'un Romain, était condamné a payer a ce dernier 31 sols et à une
amende (fredum) de la même somme : si c'était un serf qui s'était rendu cou-
pable de ce délit , il était condamné au fouet. Helmoldus, auteur du l3® siècle,
rapporte que de son temps, on pouvait brûler, en Prusse, la maison de celui
qui avait refusé rhospitalité à un étranger (Chron. Slav., c. 82). Les codes
visigoth et lombard permettent au voyageur de séjourner deux fois vingt-
quatre heures dans les parcours , d'y faire paître ses bestiaux , de prendre
dans les forêts le bois nécessaire au chauffage et les feuilles des arbres pour
la nourriture de son bétail {L. Fis., 1. VIII, e. 4, §27. Long., l III, c. 4, § l).
— 163 —
La plupart des écrivains anciens rendent justice à la
droiture et à la bonne foi des Germains. Aussi les empe-
reurs romains, connaissant la fidélité de ces peuples a leur
parole donnée, choisirent-ils des Germains pour composer
leur garde intime, et l'on cite plusieurs traits du dévoue-
ment de ce corps militaire lorsque la vie de ses maîtres
se trouvait menacée et que ceux-ci se voyaient aban-
donnés par leurs propres sujets (1). Il est cependant quel-
ques auteurs grecs et romains , tels que César , Strabon et
Paterculus , qui rendent un tout autre témoignage de la
foi des Germains , que ce dernier appelle des hommes nés
pour le mensonge (2). Mais le témoignage de ces auteurs
nous est suspect et peut avoir été dicté par l'esprit départi.
Sans doute, les Germains, malgré leur fidélité à remplir les
engagemens qu'ils avaient contractés , ont pu parfois s'en
écarter, parce qu'ils se seront crus en droit d'user de tous
les moyens qui étaient en leur pouvoir, pour se défaire d'in-
justes agresseurs qui leur avaient donné eux-mêmes tant
d'exemples de perfidie et d'iniquité , a commencer par
César, que le sévère Caton aurait voulu livrer aux Ger-
mains pour que les barbares ne pussent accuser les Romains
d'avoir approuvé la conduite révoltante de ce général à
l'égard des Teuchtres et des Usipètes (3).
La valeur et l'amour de la liberté n'étaient pas moins
(1) Tacit., Annal, 1. XIII, c. 54. Hist, 1. III, c. 85. Sueton., in Galb., c. 20.
InClaud., c. 25. Xlphlli., 1. LXV. Greg. Tur., 1. IV, c. 14. 1. V, c. 83.
(2) Strab., 1. VII. Paterc, 1. II, c. 8.
(3) Sueton. m J. Cœs., c. 24. Plutarc, in Cœs. et Caton. minor. Dio Cass.,
1. XXXIX.
César rapporte au contraire, que ce furent les Teuchtres et les Usipètes
qui agirent traîtreusement à son égard. Si ce qu'il dit de la manière dont
les Eburons firent périr ses lieutenans Cotta et Sabinus , est vrai , on ne
pourrait guère justifier la conduite de ce peuple ( Cîes., 1. V). Il en est de
même des Atuatiques, qui vinrent assaillir pendant la nuit le camp de
César, après qu'ils eussent fait leur soumission a ce général (id., I. II).
-- 164 —
propres aux Germains , et en particulier aux Germains de
la Belgique qu'aux Celtes , ou plutôt ceux-ci le leur cé-
daient même sous ces rapports. Tandis , que César soumit
en moins de deux ans, la Gaule presqu'entière, les Romains
ne parvinrent jamais à dompter les Germains. « Ni Sar-
mates, dit Tacite, ni Carthaginois, ni Gaulois ou Espagnols,
ni Parthes même ne nous ont causé plus d'alarmes; c'est
que le trône des Arsacides est moins inébranlable que la
liberté germanique (1) » Les Belges sont réputés par César
les plus \aillans de tous les peuples de la Gaule , particu-
lièrement lesNerviens et les Tréviriens (2). Ce conquérant
parvint plus difficilement à soumettre le petit coin de la
Celtique habité par les Germano- Belges que toutes les au-
tres parties des Gaules ensemble. Il ne put s'en rendre
maître qu'en exterminant une partie de la population et
en accordant au reste des privilèges considérables. Il est
même probable qu'une des peuplades les moins nombreuses
de la Belgique , les Ménapiens , bravèrent constamment la
puissance romaine et ne courbèrent jamais le front devant
les maîtres du monde , comme nous le verrons dans la
suite.
L'amour de la liberté devait être plus grand encore chez
(1) Tac, M. G., c. 37.
(2) Horum omnium (Gallorum) foriissimi sunt Belgœ : propiereâ quod à
cultu afque liumanitate provinciœ longissimè ahsint minimeque ad eos mer-
catores sœpe commeant , atque ea quœ ad effeminandos animos pertinent,
important ; proximique sunt Germanis, qui trans Rhenum incolunt, qui-
huscum continenter hélium geritnt (Cses., 1. I, c, I).
Equités Treviri, quorum inter Gallos virtutis opinio est singularis (id.,
II, c. 24. 1. Vm, c. 25).
Sic reperiehat, dit César en parlant des Nerviens, esse homines feras ma^
gnœque virtutis : increpitare atque incusare reliquos Belgas qui se populo
romano dédissent patriamque virtutem projecissent ; confirmare sese, neqtie
legatos missuros, neque ullam conditionem pacis accepturos [Cads., 1. U.c. 15.
Voiraussil II, c. 24).
— 165 —
les peuples germaniques que chez les Celtes où les prêtres
et les nobles seuls participaient au gouvernement, et où la
masse du peuple ne vivait guère dans une condition po-
litique meilleure que celle des esclaves, tandis que tous les
Germains, indistinctement, jouissaient des droits du ci-
toyen (1). Aussi cite-t-on une foule d'exemples qui prouvent
que la mort était plus douce aux yeux d'un Germain que
la servitude (2). Les femmes des Germains étaient non
moins passionnées pour la liberté que les hommes. c< On se
rappelle encore , dit Tacite , quelques batailles où les Ger-
mains enfoncés allaient être battus sans les femmes qui ré-
tablirent le combat par leurs vives instances et le spectacle
de leur sein découvert , par une peinture de la prochaine
captivité, surtout de leurs épouses , pour laquelle ils ont
la plus impatiente horreur (3). » En parlant de quelques
femmes germaines prisonnières de guerre des Romains ,
sous le règne de Caracalla, Dion Cassius rapporte que l'em-
pereur leur fit proposer de choisir entre ces deux partis,
ou de devenir esclaves ou d'être mises à mort. Elles préférè-
rent la mort; mais l'empereur n'ayant pas laissé de les faire
vendre à l'encan , elles mirent elles-mêmes fin à leurs
jours. Il y en eut même qui firent d'abord périr leurs en-
fans etse tuèrent ensuite sur leurs cadavres(4). Les femmes
des Ambrions vaincus par Marins , n'ayant pu obtenir de
meilleures conditions , préférèrent un sort pareil (5).
(1) Reynier, p. 107.
(2) . . : . si forte prœmantur,
Seu numéro, seu forte loci, mors obriù tillos,
Non timor : invicti perstant, animoque supersunt,
Jàm propà post animam.
(Sid. Apol. carm., 5).
(3) Tacit., M. G., c. 8.
(4) DIo Cass., Exœrp. Vales. lib.f LXXVII.
(5) Plutarch-, de Firtutib. Millier. Peloutler, t. 2, p. 434. Voir aussi Gib-
bon. Hist. de la dc'cad. de VEmp. liom., toia. 2, c. 9. Gleffel , Antiq. germ.,
cl, §20.
— 166 —
§"•
Écononue rurale et nourritiire des Germana-Beîges.
Nous avons observé que les Germains différaient princi-
palement des Gaulois , en ce que ceux-ci donnaient plus de
soin à la culture de leurs champs que les Germains, peuple
pasteur et ennemi de la vie sédentaire. Suivant Cësar et Ta-
cite, ils ignoraient même la propriété' foncière et ne demeu-
raient jamais plus d'un an dans le même endroit; cette cou-
tume leur était commune avec les Scythes et les Sarmates, si
ce n est que ceux-ci n'avaient pour demeure que des tentes et
des chariots , tandis que les Germains se construisaient des
chaumières, comme les Gaulois (1). «Toutes les peuplades
l'une après l'autre , dit Tacite, a proportion du nombre des
bras, occupent une plaine, dont chacun suivant son état,
garde ensuite une portion; des champs aussi spacieux se
partagent commodément ; tous les ans on change de can-
tons , et il y a du terrain de reste : en eflfet ils ne portent
point un laborieux défi à leur fertile et vaste sol , pour
planter des vergers , pour arroser des jardins , pour en-
clore des prairies ; la terre est quitte envers eux avec du
grain. D'où vient aussi qu'ils ne divisent point l'année
même , en autant de saisons que nous : hiver , été , prin-
temps, voilà les seuls idées, les seules expressions qu'ils
aient ; quant à l'automne , ils en ignorent également le
(i) Campestris melius Scyiltœ!
Quorum plaustra vagaa rite trahunt,
P^ivunt et rigidi Getce, domos,
Immata quibus Jugera, libéra*
Fruqes et cereretn ferunt.
Nec cultura placet longior annva,
Defunctumque labortbus
JEquaN recréât forte vicariiis.
(Horat., 1. 111, od. i8).
— 167 —
nom et les prësens (1). » César, qui sexprime de la même
manière, et que Tacite paraît avoir pris ici pour guide, dit que
la raison que les Germains donnaient de la coutume qu'ils
avaient adoptée de changer annuellement de terres et d'ha-
bitations , était la crainte que le repos et la vie sédentaire
ne les rendissent moins belliqueux, que quelques-uns d'entre
eux ne cherchassent à devenir trop opulens et ne profi-
tassent de leur prépondérance pour opprimer les pauvres,
que l'avarice ne corrompit la nation et ne fut cause de dis-
corde et de troubles civils, enfin, qu'une trop grande iné-
galité dans les fortunes ne détruisit l'union qui existait
entre les dijSerentes classes de citoyens (2). Bien que les
peuples germaniques ignorassent la propriété territoriale ,
ils connaissaient cependant la clôture des champs , mais ,
comme il est aisé d'en juger, cette clôture qui se faisait par
des arbres et des haies vives , ne pouvait exister que pour
un temps limité (3).
Tacite a dit que les Germains abandonnaient la culture
de la terre aux femmes et aux plus faibles de la nation.
Ceci ne doit s'entendre que des hommes libres; car ail-
leurs il parle de l'existence des serfs et des redevances en
grain, en bétail et en vêtement que leurs maîtres exi-
geaient d'eux (4). César rapporte aussi qu'annuellement
(1) Tacit, M. G., c. 26.
(2) Cœs., 1. VI, c. 22.
(3) Lindemb., lex Longob., 1. III, tit. 4, § I,
Dans la loi des Bavarois , la clôture d'un champ s'appelle zisesum et les
branches qui la formaient etarcliartea ( Lex Bavar., tit. 9, c. 11 ). Dans la
loi saliqiie, la clôture formée d'épines porte le nom de cuncida (tit. 19, ^ 10).
La loi des Allemands ordonne le combat judiciaire pour les contestations
relatives à la limite des champs. Les formes légales à observer h cet égard,
paraissent assez singulières (Voir Lex Allem., tit. 84).
(4) Frmnenti modiim dominus, mit pecoris aui vestis, ut coîono injungit
{M. G., c. 25).
^ 168 —
une partie des Suèves sortait de ses cantons pour faire la
guerre et que l'autre demeurait dans le pays pour cultiver
la terre (1). Ceci semblerait prouver encore que la culture
des champs n'était pas exclusivement abandonnée aux per-
sonnes hors d'état de porter les armes.
Les codes des peuples germains nous apprennent que
ceux-ci faisaient , aussi bien que les Gaulois , usage de la
charrue à avant-train , à laquelle ils donnaient le nom de
'ploum, mot qui rappelle \q, ploeg des flamands ; cet instru-
ment était différent de \ araire ou charrue simple (2). Il
est aussi fait mention de la herse dans les codes salique et
allemand (3).
Les Germains cultivaient principalement le froment et
l'orge dont ils faisaient usage pour la fabrication de la
bière et des gruaux (4). Les autres céréales dont ils ont
connu la culture, sont le seigle , auquel les lois barbares
attribuent une valeur intermédiaire entre le froment et
l'orge; l'avoine qui, au rapport de Pline, était beaucoup
cultivée par les Germains , et dont ils faisaient également
usage pour leurs gruaux (5) ; le millet et le sarrasin, qui , à
proprement parler, ne sont pas des céréales (6). Reynier
prétend que c'est aux peuples du nord , que les Romains
doivent la connaissance des variétés de céréales ^u'on cul-
tive au printemps (7).
Parmi les plantes utiles a la fabrication , dont les Ger-
(1) Cœs., 1. IV, c. 1.
(2) Reynier, p. 334.
(3) Lex Sal, tit. 36, §. Lea; Atam., tlt. 96.
(4) Tacit., M. G., c. 23. Reynier, p. 418.
Durondeau prétend que les Germano-Relges ne cultivaient que le froment
d'été. (Mémoire cité, p. 62). Il dit la même chose de Torge et de l'avoine.
(5) Plin., l. XVIII, c. 44.
(6) Voir Reynier, p. 417-428.
(7) Reynier, p. 423.
— 169 —
mains ont du connaître la culture , on compte le pavot, la
navette, le colza, le chanvre et le lin (1).
Quant aux herbes légumineuses , elles paraissent avoir été
rares , et, suivant Tacite, inconnues même dans la Germa-
nie (2). Cependant une loi du code salique condamne a une
amende celui qui aurait mis le pied dans un champ semé
de pois , de fèves ou de lentilles (3). Ce même code parle de
vergers plantes de pommiers et de poiriers (4). Mais comme
Tacite rapporte que les Germains n'avaient ni vergers , ni
jardins , on n'oserait assurer que ces le'gumes et ces fruits
fussent connus des Germains avant le 5'"® siècle de l'ère
vulgaire, époque de la re'daction du code salique. Le pas-
sage de Varron que nous avons rapporté au chapitre pré-
cédent prouve du moins qu'il n'existait point encore des
vergers dans la Belgique lors de la conquête de cette con-
trée nar César.
On ignore si les Germains connaissaient l'usage de la
marne comme amendement des champs. Il est certain au
moins que ceux qui envahirent la Belgique , y trouvant ce
mode établi, l'adoptèrent, comme l'attestent Pline, Varron
( dont nous avons invoqué le témoignage dans le chapitre
précédent), et l'inscription de l'autel de Nehalennia décou-
vert dans l'île de Walcheren. Les Germano-Belges auront,
sans doute, adopté de même les différentes espèces de cul-
tures usitées par les Celto-Belges.
Les Germains se servaient , comme les Celtes, de sillos ou
fosses souterraines pour renfermer leurs récoltes (5). Ils les
(1) Reynier, p. 445 et suiv.
(2) m. G., c. 26.
(3) Lex Sal, tit. 27.
(4) Ib., tit., 28 et 29, § 1.
(5) Tacit., M. G., c 16.
Les anciens codes des Germains assimilent ces souterrains, qui servaient
— 170 ~
conservaient aussi dans des greniers couverts (spicaria) et
découverts {machalurn) (1).
Au reste , les Germains menant une vie toute nomade et
pastorale, l'agriculture ne pouvait faire chez eux que
des progrès fort lents, d'autant plus que la propriété
territoriale, mobile principal du perfectionnement de la
culture, n'y existait point. Barbares et pasteurs, ils fai-
saient, comme les Scythes et les Sarmates, consister toute
leur richesse dans la possession de nombreux troupeaux
de bétail (2). Strabon parle de l'immense quantité de
bétail possédée par les Ménapiens, et dont ce peuple ex-
portait la laine et la chair salée et fumée , dans toutes
les parties de l'Italie &). Lorsque les Germains pillaient
une contrée ennemie , c'était principalement sur les bes-
tiaux que s'étendait leur avidité , comme le remarque
César en parlant de la dévastation du territoire des Ebu-
rons par les Suèves et lesSicambres (4). L'or et l'argent, au
contraire, n'excitaient point leur cupidité, et ils ne les con-
sidéraient cjue comme des objets qui ne pouvaient leur être
d'aucune utilité (5).
de retraite aux Germains pendant l'hiver, aux habitations ordinaires. (Lex
Sal., tit. 26, § 33 et 35. Lex Snx., tit. 4, § 4. Gloss. Voce Screona).
(1) Lex Sal, tit. 19, § 7.
(2) Pecoris numéro sunt cupidissimi baîhari (Cses., 1. VI, c. 35).
(3) Tarn copiosi sunt iis pecudum et suum grèges, ut sagorum et salseamen-
fariim copiam, non Romœ lantum suppeditent, sed et plerisque Italiœ parti-
t«s,(StraK,l.IV).
Martial , dans l'épigramme Intitulée ptrva, compare les jamnons de la
Ménapie h ceux de Cœre en Etrurie. Voir aussi Varron , de re rust , 1. II, c. 4.
(4) Cœs., 1. IV, 1. VI, c. 34.
(5) Possessione et usa (auri) haud perinde afjflciuntur (Tacit., M. G., c. 5).
Aurum ac argentum perinde aspernaniur, dit 3 ustin en parlant des Scythes,
ac reliqui mortales appetunt (Justin. Hist., 1. II, c, 2).
Helmoldus fait la même remarque sur les Prussiens, au 12= siècle : Aurum
et argentum pro minimo c??/cwï/f (Chron., Slav,, c. 1).
— 171 —
Tout , dans les codes des peuples germains , prouve la
prédilection de cette nation pour les bestiaux ; le vol de
bestiaux ou les atteintes cjui leur étaient portées , étaient
punis avec la plus grande sévérité, tandis que les peines
statuées contre le dégât des cultures, étaient toujours lé-
gères , surtout lorsque c'étaient des animaux qui les avaient
causés. Chez les Bourguignons, le vol des chevaux et des bêtes
a cornes entraînait la peine de mort, tandis que le meurtre
d'un homme se rachetait par une simple compensation et
une amende (1). Le code des Frisons porte même la peine
de mort pour le vol de toute espèce de bétail (2). Le vol
d'une clochette attachée au cou des animaux domestiques ,
était puni par les codes des Visigoths, des Bourguignons et
la loi salique d'une amende égale à la valeur de l'animal.
La même peine était statuée contre ceux qui déliaient leurs
entraves (3). La loi des Bavarois condamnait celui qui
avait effrayé un troupeau de porcs et qui en avait causé
la dispersion, a vine peine égale a celle portée contre
un homme qui en avait blessé un autre avec une arme
empoisonnée, c[ui lui avait donné un breuvage empoi-
sonna , mais sans que la mort s'en fut suivie, ou qui l'a-
vait bleïsé de manière à le rendre boiteux (4), Ce qui at-
(1) LexBurg., tit 4,1 1, tit. 47.
(2) Lex Frison.^ tit. 4.
(3) Lex Wisig., tit. 2, § il. Lex Burg., tit. 4, § 5 et 6. Lex SaL tit 29,
Strabon dit que les Belges attachaient des clochettes au cou des porcs, et
quils les laissaient ainsi vaguer dans les bois. Aimoin observe de même que,
dans leurs armées, les Francs avaient la coutume délaisser errer les chevaux
en leur pendant une sonnette au cou (Aimoin., de Gest. Francor., 1. III, c. 82).
Le bétail était renfermé dans des écuries (scuriœ). Celles des porcs s'appe-
laient sudenn et hara {Lex Sal, tit. 19, § 8). Les chevaux étaient attachés
par les pieds : Si quis vero pedicani de cahallo furaveril, etc. (Ibid., tit. 27,
§ 2). Cet usage existe encore aujourd'hui chez les Arabes.
(4) Lex Bajuv., tit. 3, § G et 10.
— 172 —
teste d'une manière non moins frappante, combien les
peuples germains al tachaient de prix à leurs bestiaux ,
c'est que sur 150 articles du code salique qui se rappor-
tent auxdifFërens cas de vol, 74 concernent le vol d'ani-
maux. Le titre qui regarde le vol de porcs contient vingt
articles , celui pour vol de chevaux seize , celui pour vol de
bétes à cornes treize , celui pour les bétes à laine quatre ,
celui pour les chèvres trois, celui pour les chiens quatre,
enfin celui pour le vol d'oiseaux sept et celui pour vol
d'abeilles, un nombre pareil d'articles (1). Le code sa-
lique, attache le plus de prix aux porcs; mais celui des
Allemands donne une plus haute importance aux che-
vaux (2). Les Angles montrent également beaucoup de pré-
dilection pour les porcs. Pour les autres espèces d'animaux
ils établissent plus d'e'galite' que le code salique.
Les lois germaniques entrent, par rapport k tous les
délits contre les bestiaux, dans les détails les plus minutieux ;
le délit et la peine différent suivant le sexe et le nombre
des animaux volés, le lieu et l'époque du vol, etc., etc.
Non-seulement ceux qui avaient blessé, estropié ou volé
des animaux domestiques, étaient sévèrement punis , mais
aussi ceux qui leur avaient fait subir quelque déformation ,
comme de leur avoir coupé les cornes ou la queue (3). Celui
qui mettait quelque obstacle à la recherche des bestiaux
volés était puni comme complice du voleur (4). «Cependant,
fait observer Reynier , malgré cette prolixité , nous remar-
(1) Lex Sal., tit. 2, 5 et 40. Heynier, p. 490. Gwizot, Cours d'Histoire
1829), p. 259. Toulotte, Hist de la Barbarie, tom. 3, p. 204.
(2) Lex Alam., tit. 69, 70, 72 et 78.
Le code allemand évalue cependant davantage, dans les compositions, un
gardien de porcs que les autres bergers.
(3) Lex Bajav., tit. 13, § 9 et 10.
(4) Lex Burg., tit. 16.
— 173 —
quons , qu aucun des codes , si ce n'est celui des Bavarois ,
n'a prévu les cas rédimables où un animal avait , lors de sa
vente, une maladie cachée qui n'a e'tc aperçue, ou ne s'est
manifestée cju'après la mise en possession du nouveau pro-
priétaire : ces codes ont déclaré la vente nulle (1). Mais
on ne sait à quels motifs attribuer le silence des autres (2).»
Les Germains et les Germano-Belges, attachaient plus de
prix au nombre qu'à la beauté des bestiaux. Leur bétail
et leurs chevaux étaient petits et d'une chétive apparence ;
mais ils rendaient ces derniers, par un exercice assidu, pro-
pres a supporter toutes les fatigues (3). « Le gros bétail,
dit Tacite , n'a pas même l'ornement qui lui est propre , le
front orné de cornes menaçantes ; les Germains s'en dédom-
magent par le nombre. Ce sont la leurs seules richesses,
leurs plus chères délices (4). « Nous n'avons rien à ajouter
ici à ce que nous avons dit , dans le chapitre précédent ,
sur les cultures pour les bestiaux chez les Celtes , et qui
durent être adoptées par les Germains de la Belgique.
Les peuples germanic|ues, comme la plupart des peuples
du nord , connaissaient la préparation du beurre. Pline rap-
porte que les personnes riches chez les barbares , en fai-
(1) Lindebrojj., Lex Longoh., 1. II, tit. 21, ^ 5. Lex Bajuv., tit. 15. c. 9.
(2) Reynier, p. 491.
(3) Sed quœ sunt apiid eos nata (jumenta) parva atque deformia, hœc
quotidiana exercitatione, sutnmi ut sint lahoris , efficiuiit (Cœs., 1. IV, c. 3 ),
Reynier prétend que les chevaux des Germains étaient ceux de la race
tartare actuelle: « c'est la seule, dit-il, qui polivait convenir a des peuples
nomades : parce qu'elle consomme peu et résiste aux inclémences d'un climat
austère. » (Reynier, p. 502). Cet auteur croit aussi que l'usage de ferrer les
chevaux existait chez les Germains et que les chevaux y portaient toujours
la queue longue.
(4) . . . Pecorum feciinda, sed plerumque improcera : ne armentis quidem
suum hotios, aut gloria froniis : numéro gaudcmt , eœque solœ et gratis simœ
opes sunt ( Tacit. M. G., c. 5).
Cette race particulière de vaches et de taureaux sans cornes se retrouve
— 174 —
salent seules usage, et le conseille aux Romains comme un
médicament efficace dans plusieurs maladies (1).
Les Germains, ainsi que les Celtes, nourrissaient des ca-
nards sauvages , oiseaux de basse -cour que ne possé-
daient pas encore les Romains du temps de Pline (2).
L'emploi du mielpom^ la confection de l'hydromel et pour
d'autres usages domestiques des Germains, donnait beau-
coup de prix à la possession des ruches; aussi les anciens
codes des Germains contiennent-ils plusieurs dispositions
relatives à la propriété des abeilles sauvages et domesti-
ques (3). Les ruches étaient construites de différentes ma-
nières, en bois, en ëcorces ou en osier tressé (4).
D'après les détails dans lesquels nous sommes entrés sur
l'économie rurale des Germains , on doit conclure que
leur table devait être fournie de mets peu délicats et en-
core plus grossiers que ceux des Gaulois. En effet, César et
Tacite rapportent que la nourriture des Germains consis-
encore de nos jours en Ecosse (Johnson, Voyage aux Hébrides, p. 112).
Hérodote en parle aussi comme existant chez les Scythes (HisL, 1. IV, c. 7).
Mais quoiqu'en dise Tacite, elle ne devait pas être la seule en Germanie,
puisque les codes germaniques statuent des peines contre ceux qui coupent
les cornes au gros bétail.
(1) Plin., 1. XXVIII, c. 35.
Reynier prétend que les Germains fabriquaient du fromage. Cependant
les mots lac concretum, chez Tacite (M. G., c. 23), que Reynier a traduit
par fromage, signifient plutôt du lait caillé. Déplus, Strabon et Pline
remarquent que les Bretons et les autres peuples barbares ne savaient point
fabriquer le fromage , quoiqu'ils usassent beaucoup de lait et qu'ils sussent
confectionner le beurre : Miram barharos gentes quœ lacté vivant, ignorare
aut spernere totsœculis casei dotent, densantes id alioquin in acorem jucun-
dum, et pinguem butirum (Plin., 1. IX, c. 41).
(2) Plin., 1. X, c. 27. Lex Sal, tit. 7, § 5. Lej: Alam., tit. 99.
(3) Lex Bajuv., tit. 21, § 8. Lex Frison., tit. 4, § 2. Lex Sal, tit. 9. Lex
Wisig., 1. VIII, tit. 6, § 3. Lex Longob., 1. I, tit. 25, § 37.
(4) Lex Bajuv., tit. 21, § \). Lex Sal, tit 19.
— 175 —
tait en fruits sauvages, en laitage, mais principalement en
viandes (1). « Leurs alimens sont simples , dit ce dernier
du lait caille, des fruits sauvages ou du gibier nouvelle-
ment tue' : ni apprêt ni assaisonnement pour apaiser la
faim (2). « S'il faut en croire Pomp. Mêla, les Germains
mangeaient même de la chair crue , comme les Huns (3).
De toutes les viandes celle cjuils préféraient davantage
était la viande de porc et de sanglier ; c'étaient les mets dont
se nourrissaient les héros a la table d'Odin. La nourriture
des Belges , suivant Strabon , consistait comme celle des
Germains d'Outre-Rhin , en lait et en viandes , mais prin-
cipalement en viande de porc (4). Il est très-probable que
la chair de cheval faisait aussi partie des mets peu recher-
chés des Germains (5). Le pape Grégoire III , en défendit
Tusage aux Saxons (6). Au 13^ siècle elle servait encore de
nourriture aux Prussiens, cjui en buvaient le sang et le lait
de jument (7).
Les Germains ne s'appliquant que faiblement a Tagricul-
(1) Agriculturœ non student majorque pars victiis eorum in lacté, caseo,
carne consistit (Caes., 1. \I, c. 22).
PJurimum pecoribus traliurit alimonium, sicut et nomades (Strab., 1. IV).
Dans quelques contrées de la Germanie le peuple était icLtiophage. César
parle de quelques îles de l'Océan dont les habitans se nourrissaient d'œufs
de poisson. (Voir Cœs., I. IV, c. 10. Plin.. 1. IV, c. 13. 1. XVI, c. 1. Solin.,
c. 30. Pomp. Mêla , 1. III, c. 6).
(2) Tacit., M. G., c. 23.
(3) Vicia ita asperi incultique, ut cruda etiam carne vescantur autrecenti
aut cum rigentcTn in ipsis pecudum ferarumque coriis, manihus pedihusque
subigendo, renovarunt (Mêla , 1. III, c. 3).
Ammien Marcellin donne la même idée de la nourriture des Huns :
« Semicruda cujusvis pécaris carne vescuntur, quam înter femora sva et
equorum ierga subsertam fotu caleficiunt brevi (Amm. Marcell., I. XXI. c. 2),
(4) Strab., 1. IV.
(5) Hieron., ad Jovin., 1. II.
(6) Greg., Epist, 122.
(7) Helmold., Chron. Slav., c. I.
— 176 —
ture , le grain qu'ils récoltaient n'aurait pu suffire a leur
subsistance, s'ils en avaient fait une grande consommation ;
aussi ne l'employaient-ils guère qu'à la fabrication de la
bière, boisson ordinaire des peuples du nord (1). Ils la
pre'paraient avec le houblon , et la mélangeaient ordi-
nairement avec de l'absinthe et du miel (2). Plutarque ,
ou plutôt l'auteur anonyme du traité des fleuves , écrit que
les peuples du nord employaient le chanvre à la fabrica-
tion d'une liqueur qui produisait une espèce d'ivresse (3).
De toutes les boissons , celle que les Germains estimaient le
plus, est l'hydromel, dont ils faisaient la boisson des élus (4).
Cela prouve, à notre avis, que le vin fut longtemps inconnu
dans la Germanie. Bien que Tacite dise que de son temps les
peuplades germaniques les jjus rapprochées de la frontière
romaine se procuraient du vin, cette boisson fut longtemps
d'un usage peu commun chez les peuples de la Belgique
actuelle. La principale des peuplades germano - belges ,
les Nerviens , avait même proscrit le vin pour les raisons
que nous avons rapportées plus haut.
Les Germains (et les Germano- Belges), s'adonnaient
avec excès à la boisson. C'est encore de nos jours un des
défauts qu'on reproche à leurs descendans (5). Sous le
règne de Charlemagne le penchant pour l'ivrognerie était
(1) Tacit, 31. G., c. 23. Plin., l. XVIII, c. 17. Dio Cass., 1. XLIX. Cœs.,
1. IV, c. 1.
(2) Greg. Turon., Hist. Franc.., 1. VIII, c. 31. Suivant Pline, les Celtes
possédaient le secret de conserver la bière pendant plusieurs années. Ils
donnaient à leur bière forte le nom de zitu et h la bière douce celui de
cerevisia (cervoise).
(3) Plut., de Flumin., c. 3, § 3.
(4) Les Francs faisaient une grande consommation d'bydromel. Grégoire
de Tours parlant d'un seigneur qui en buvait ordinairement, ajoute : Ut mos
barbarorum hahet {Hist, 1. VllI, c. 3).
(5) Tacit, M. G., c. 23.
— 177 —
encore tel parmi les Francs , que cet empereur fut oblige'
de porter une loi qui ordonnait aux comtes et aux juges de
ne siéger qu'a jeune (1), Une loi analogue exislait chez les
Germains : comme c était d'ordinaire dans les festins pu-
blics qu'on y délibérait sur les afifaires d'état , il fut statué
c[ue les décisions prises dans ces occasions ne seraient rati-
fiées que le lendemain , lorsque les vapeurs de la boisson
auraient été dissipées :« mariages, réconciliations entre eux
et élections de princes , enfin traités de paix , déclarations
de guerre , dit Tacite , tous ces objets la plupart du temps
les occupent aussi dans leurs festins, circonstance la plus ca-
pable d'inspirer a lame ou la franchise des simples entre-
tiens, ou la chaleur des grands intérêts : cette nation, qui
n'a ni politique , ni réserves , découvre tout le fond de son
ame dans la liberté de la table; comme donc les esprits
n'ont plus rien de caché , rien de mystérieux , on remet au
lendemain a les fixer, et chaque chose se fait en son temps
chez ce peuple; il délibère lorsqu'il ne saurait feindre, il
décide quand il ne peut se tromper (2). »
La manière dont les Germains prenaient leurs repas est
conforme à celle des Gaulois décrite au chapitre précédent.
Comme ces derniers , ils étaient assis chacun à une table
particulière (3). Aux festins solennels le roi ou le premier
convive commençait le repas par remplir sa coupe, formée
du crâne d'un ennemi tué dans le combat ou de la corne
(1) Anseg., Capit. 1. III, § 1. 1. V, § 133. 1. YI, § 232. On trouve la même
défense exprimée dans le code visigoth. {Lex Vistg., 1, II, tit. 1-4).
Charlemagne porta une loi qui déclarait excommunié tout militaire trouvé
ivre, et le condamnait à ne recevoir que de l'eau pour toute ration. (Anseg.,
Capital, 1. lïL ^ 72). Un capitulaire défend de presser h boire, et dans d'au-
tres on engage les seigneurs à ne pas s'adonner avec excès à la boisson.
(2) Tacit. M. G. c. 22.
(3) Lauii cibum capiunt, separaiœ singulis sedes , et sua cuiqne rnausn.
( Tacit., ¥. G.; c. 22.)
Tome I. 12
-« 178 —
de l'urus (1); puis se levant, il buvait à la santé de son
voisin a qui il remettait ensuite le vase pour qu'il en fit de
même à l'e'gard de la personne assise a ses côte's. Le vase
faisait ainsi le tour de la table. La formule de salutation
en portant la santé de quelqu'un était de lui dire wacht-
heil; a quoi le convive répondait drink-heil. Lorsqu'on
offrait a boire a une personne, c'aurait été lui faire une
injure que de ne pas goûter le premier de la boisson , cou-
tume dont les traces se retrouvent encore aujourd'hui parmi
nos hommes du peuple (2).
§ ni.
Habitations des peuples germains.
Les Germains , pasteurs et presque nomades , n'avaient
pour demeures que de cbétives cabanes semblables a celles
des Gaulois décrites au chapitre précédent , et dont , à la
manière des Scythes, ils changeaient annuellement (3). Ces
(1) Paul. Diac, Hist Longob., 1. 1 , c. 27. 1. XXIII, c. 24, Plin., 1, XI,
C. 37. Caes., 1, VI. Isid. , Grig. l. XII., c. 1, Edda semundar , 76. Snorro,
Kon. Harald Harfag. Saga, c. 15. Saxo gram. , 1. V.
(2) Chez les anciens Frisons, en offrant la coupe, on se serrait la main
droite et on s'embrassait; les Saxons avaient aussi la coutume de s'embrasser
dans leurs festins, et ensuite chacun des convives se faisait au front une inci-
sion dont il faisait couler le sang, que ses commensaux recevaient dans leurs
-coupes et qu'ils buvaient en y mêlant de la bière ou de l'hydromel.
(3) Commune omnium est qui istis locis ( Germaniâ} degunt, facilis et
expedita soli mutalio, et propter vicias ienuitatem, et propter agrorum igna-
viam colendorum et inopiam, pecuniarum , sed in casis habitant structura in
unum diem constantibus. Plurimum è pecoribus irahunt alimonium sicut
et nomades, quorum etiam instar, rébus suis in carrus impositis, quocumque
sors tulit et opinio, suis cum armentis convertuntur. (Strab. 1. VII). Voir aussi
Caesar., 1. Vî, c. 22. Seneca. de Provid. div. Helmold., Chron.Slav., 1. II,
c. IS.Procop., Bell Goth., 1. III, c. 14. Herodian. In vitâ Maximini, 1. VII,
Cleffel , Antiq. Germ.^ c. 4.
— 179 —
chaumières qui eurentla tentepour modèle, étaient de foriîiè
circulaire, construites en terre ou en petites pièces de bois en-
tremêlées d'osier ; le toit était soutenu par mi pilier qui, dans
les codes germaniques, porte le nom de fîrstsid^ et l'inté-
rieur dubâtiment par un autre pilier appelé winchilsulÇi).
Dans ces chétives cabanes les hommes vivaient pêle-mêle
îivec le bétail et n'avaient pour lit que la terre , des peaux
d'animaux ou des feuilles d'arbres (2). Les demeures des
personnes les plus riches et les plus distinguées , étaient
cependant construites avec un peu plus de soin : quelques
parties des murs étaient enduites d'une terre si fine et
si luisante qu'elle imitait la peinture et les diverses nuances
des couleurs (3).
Les Germains n'avaient pas moins que les Scythes, le
séjour des villes en horreur. Ils les regardaient, suivant
(1) Lex Bajuv., tit. 9, c. 6.
Les poutres qui débordaient à lextcrieur de la maison s'appelaient spangen
(ib., C.8.)
Dans le code salique, les habitations portent le nom de screona , ( tit. 14,
cl.) Dans le capitulaire de Charlemagne, intitulé Devillis, on lit : Tugu- S*^%u--4i
riis , id est screonas (c. 49. ) Wendelin remarque que de son temps on don- /
nait dans la Campine le nom àe schrane , évidemment dérivé de screona ,
a une petite cabane terminée en pointe et destinée à couvrir les moissons
( Wendel . , de Lege Sal. ).
On trouve dans Montfaucon [Supplém.à V antiquité expliquée , tom. 3,
planche 26) le dessin d'une cabane de Germain, d'après un bas -relief de
la colonne trajane. Cette cabane ressemble exactement a une ruche d'a-
beilles , et n'a ni fenêtres , ni cheminée , mai^ une porte fort haute par la-
quelle la lumière pénétrait dans l'intérieur du bâtiment.
(2) Inter eadem pecora , in eadem humo degunt ( Tacit,, M. G. , c. 20.
Cleffel., Aniiq. Germ., c. 4].
(3) Çuœdamloca diligentiùs illinunt terra itapurà ac splendcnte , Ut pic-
turam ac lineamenta coloriim imitetur (Tacit., M. G., c. 16).
Cleffel prétend que les habitations des riches Germains étaient divisées
en trois appartemens, celui des hommes, celui des femmes et la salIé a manger
{Àntiq. Germ., c. 4, § 7 et 8).
-^ 180 —
Ammien Marcellin , comme des pièges tendus à la liberté
de l'homme (1) : « Les Germains, dit Tacite , n'ont ^ comme
on sait , point de villes et ne peuvent même souffrir un
alignement quelconque d'e'difices ; leurs demeures sont sé-
parées et éparses ca et la , selon qu'un bois , un champ ,
une fontaine les a fixées : leurs villages (2) ne sont pas,
comme les nôtres, un assemblage de maisons contiguës;
chacun isole la sienne , soit pour prévenir les accidens du
feu , soit faute de savoir bâtir : ils n'emploient même ni
tuiles, ni blocailles , ils se servent de matériaux bruts,
sans penser à l'agrément ou a l'incommodité. Ils ont cou-
tume encore de creuser des souterrains, et ils les chargent
de fumier, pour y déposer leurs grains et s'y réfugier
pendant l'hiver, parce que les frimats perdent de leurs
rigueurs dans ces lieux tempérés, et que si par hasard
l'ennemi survient et ravage le plat pays, ou il ne soupçonne
pas ces sécrètes excavations , ou il ne peut les découvrir ^
lorsqu'il veut les chercher (3). »
Les Germains de la Belgique, dont les mœurs et les
(1) Oppida ut circumdata reiiis husta déclinant
Cassiodore fait dériver le mot barharus , de deux mots latins barba et rus,
parce que les Germains et autres peuples barbares demeuraient dispersés
dans les champs : Barbarus autem à barba et rure dictus est, quod numquam
in urbe vixerit, sed semper in agro habitasse noscitur (Cassiod. Expos, in
psalm., 113). Bien que cette étymologie soit absurde, le fait qui y a donné
lieu n'en est pas moins constaté.
(2) Dans le code salique, un village est désigné par le mot turpsia , d'où
dérive, en flamand, celui de dorp[ Lex Sal., tit. 18, § 2 ).
(3) Nullas Germanorum populis urbes habitari saiis notum est , ne pati
quidem inter se junctas sedes ; colunt discreti ac diversi, ut fons, ut campus,
ut nemus placuit; vicos locant non in nostrum morem, connexis et cohœren-
tibus œdificiis ; suam quisque domum spatio circumdat, sive adverses casus
ignis remedium, sive inscitiâ œdificandi : ne cœmeniorum quidem apud illos
aut tegularum usus ; materiâ ad omnia utuntur informi et citra speciem aut
delectaiionem. (Tac, M. G., c. 16).
--- 181 —
usages étaient en tout conformes a ceux de leur mère-pa-
trie, devaient avoir pour le séjour des villes le même dé-
goût que les Germains d'Outre-Rliin , et ç aura été la sans
doute la cause que sous la domination romaine même on
trouvait un si petit nombre de cités dans cette contrée ,
comme nous le verrons plus loin. César et Dion Cassius
déclarent positivement que les Morins et les Ménapiens
n'habitaient point des villes avant la conquête romaine (1).
César le dit de même des Eburons (2). Il parle il est vrai
des oppida existant chez les Nerviens et les Atuatiques;
mais en lisant le chapitre précédent, on a vu ce qu'il faut
Soient et subterraneos specus aperire, eosque mulio insuper flmo oneraut,
suffugium liiemi et recepfaculum frugîbus ; quia rigorem frigorum ejnsmodi
locis molliunt , et si quando hostis advenit, aperta populatur, abdita autem
et defossa aut ignorantur, aut eo ipso fallunt quod quœrenda sunt (i?/. G.^
c. 16).
Lors de la révolte des Bataves, sous le règne de Vespasien, les députes
que les Germains envoyèrent aux Ubiens , habitans de Cologne, les exhor-
tèrent à détruire cette ville, fondée par les Romains, et à reprendre la vie
nomade et indépendante de leurs compatriotes les Germains : Postalamus à
vobis, disaient-ils, nmros Coloniœ, monimenta servitii detrahafis. Etiam
fera animalia si clausa teneas , virtutis obliviscuntur. .... Instituta cul-
tumque patrium resumiie (Tacit., Hist, 1. IV).
(1) Agros. ^DiFiciA y\co?,(iv^ ad iitranique ripam fttiminis (Rheni) habe-
bant (Menapii). (Cses., 1. IV, c. 4). Itaque vastatis omnibus eorum agris, vicis
jBDiFiciisQBE incensis, Cœsar exercitum reduxii[ id., I. lîl, c. 29).
Ipse (Cœsar) postea in Morinos eorumque finitimos Menapios arma conver-
tit. Niillum tamen eorum partem subegit; nam illi won urbes habentes , sed
IN TUGURiis HABITANTES [ovr£ jap xSXsig ùXoVTCÇ, uXX £V xdXt/Sxii; dlXl^CO/UiEVoi)
rébus suis pretiosissimis in densîssimas silvas collatis, plus damni invaden-
tibus Romanis intulere quam ab iis acceperuntiJ)\o Cass., Hist. rom., 1. XXXIX,
% 44).
(2) Erat manus certa nulla, non pr^sidium, non oppidum quo se armis de-
fenderet, sed in omnes paries dispersa multitudo (Caes., 1. VI, c. 34). Omnes
Yici ATQUE OMNiA «DiFiciA quœ quisque conspexerat, incendebantur (ibid., c. 43).
On a vu, au chapitre précédent , que la demeure du roi même des Eburons,
Ambiorixj n'était qu'une chaumière placée au centre d'une foret.
— 182 —
entendre par le terme oppidum , dans louvrage de cet au-
teur. Dailieurs pourquoi, tandis que les Ménapiens, les
Morins et les Eburons ne vivaient que dans des chau-
mières e'parses, les Nerviens, les moins civilises et les plus
farouches des Belges-Germains , les Atuatiques sortis tout
récemment des forets du nord et conservant toute la ru-
desse et la férocité des Cimbres, jusque la qu'ils ignoraient
même les premiers ëlémens de Tart militaire; pourquoi,
disons-nous , ces deux peuplades barbares auraient-elle§;
connu plus que les autres peuplades germano-belges , la
construction de villes régulières (1)? Les oppicla des
Nerviens et des Atuatiques ne pouvaient donc être que
de ces retranchemens forme's de palissades et d abattis déjà
décrits par nous au chapitre V, et dans lesquelles les habi-
tans se renfermaient avec tous leurs effets et leurs familles,
en cas de danger (2). Telles étaient aussi les oppida que
(1) Comme de tous les Belges, les Nerviens étaient les plus belliqueux, et
qu'ils employaient tous les moyens possH}les, jusqu'à défendre l'usage du
vin , pour conserver leur ardeur guerrière , c est à eux qu'on pourrait avec
raison attribuer les causes que César rapporte de la vie nomade des Ger-
ipains, et dont une des principales avait pour but de maintenir leur passion
pour la guerre: Agriculturœ non student , neque quisquam a(jH madum eer-
tutn aut fines habet proprios.... ne assiduâ consuetudine eapii, studium hçlli-
gerundi agricultura commutent. (Cses., 1. VI, c. 22].
(2) Nervii, . . . teneris arboribus incisis, atque inflea^is crebris in latitu-
dinem ramis (enatis). et rubis sentibusque interjectis, effecerant. ut instar mûri,
hœ sepes munimenta prœberent^ quo, non modo intrariy sed ne perspici qui^
dem possif. (Caes., 1. II, c. 17).
h' oppidum où les Atuatiques se réfugièrent à l'approche de César, était
fortifiée d'une manière beaucoup plus solide : Aduatici. . . . cunctis oppidis
castellisque desertis , sua omnia in unum oppidum, egregiènaturâ munitUm,
€(mtulerunt; quod quum ex omnibus in circuitupartibus altissimas rupes despec-
iusque haberet, iinà ex parte leniter adclivis aditus, in latiiudinetnnon amplius
fepedum relinquebatur ; queni locum dupîici altissimo muro munierant ; ium
magni ponderis Saxa, et prœacutas trabes in muro conlocarant. (Caes., 1. II,
e. 29). Nous avons décrit cette espèce de fortification au chapitre précédent.
_ 183 —
Cësar place chez les Suèves, de tous les Germains les plus
sauvages et les plus adonnes à la vie nomade , au rapport
de César lui-même (1).
§iv.
Habillement des Germains.
Tacite et Pomponius Mêla rapportent que les enfans
des Germains allaient nus , jusqu'à l'âge de puberté , ce
Dion Cassîus ne donne pas, comme les auteurs modernes, le titre de ville à
cet oppidum des Atuatiques, mais celui de château, rsiXoq, dans lequel
ce peuple se réfugia, dit-il, après avoir abandonné toutes ses bourgades ;
Xcopia, KXi Txvra raXXa. Xcopix saXiTTovreç, êç ev t£iXoç to i^pxnXov àv£<7i^t:'j£i(7CCPTCi.
(Dio Cass., 1. XXXIX, c. 4).
Desroches qui prétend que les oppida des Nerviens et des Atuatiques
étaient de véritables villes , en donne les raisons suivantes : « En parlant
des Nerviens déjà soumis, l'historien (César) dit simplement suis opidis uti
jussit; et il n'y a pas plus d'ostentation dans le petit mot qui regarde les
villes des Atuatiques : cunctis opidis castellisque deseriis. Si ces deux phrase»
renferment une imposture, il n'y eut jamais un imposteur plus mal adroit.
Quelle grande impression pouvoit faire sur l'esprit du peuple romain ce mot
oppida, employé aussi souvent qu'il Test ici? Si les Belges n'avoient eu que des
villes telles quelles , l'habile César anroit-il hasardé si sottement une expres-
sion dont cent mille témoins pouvoient démontrer la fausseté ? Que dans ses
lettres au sénat, il ait pallié l'injustice des guerres qu'il entreprenoit , qu'il
ait un peu relevé ses victoires ou exténué ses défaites, ce soupçon pourroit
n'être pas si téméraire; mais qu'il eut fait mention des villes d'un pays où
tout le monde savoit qu'aucune ville n'existoit, c'est ce qui passe toute vrai-
semblance. » (Hist. anc. des Pays-Bas, p. 229). A tout cela il suffit de ré-
pondre que le mot oppidum n'avait pas toujours la signification de ville, et
que César lui-même ne l'a ordinairement employé que pour désigner une
bourgade, puisque, comme on Ta dit, il place des oppida dans la Germanie
(chez les Ubiens et les Suèves), où, suivant son propre témoignage, celui de
Strabon, de Tacite et d'autres auteurs anciens, il n'existait pas ombre de
ville.
(1) Paterculus, en parlant des Lombards, peuple de race Suève, les appelle:
Gens etiam Germanà ferocilate ferocior (Paterc, Ui^t. rom., \. II, c. 106).
— 184 —
qui nous parait difficile à croire eu égard au climat rigou-
reux de la Germanie et du nord des Gaules , à Tëpoque où
vivaient ces auteurs (1). Tacite ajoute que les hommes faits
étaient eux-mêmes sans vêtemens dans Imtërieur de leurs
habitations (2). Il est vrai que Thabillement même des Ger-
mains était tel qu il laissait une partie de leur corps à nu.
Pour tout vêtement ils n'avaient qu'une saie attachée avec
une agraffe , ou a défaut d'agraffe, avec une épine (3). Ces
saies étaient faites de peaux d ours , de taureaux sau-
vages et de loups , mais principalement de peaux de rhen-
nes , animal alors très-commun dans les forêts de la Ger-
manie et de la Belgique (4). César dit que ces peaux dont
les Germains portaient le poil en dehors et qu'ils bigar-
raient de couleurs variées et d'écaillés de poissons mon-
strueux, étaient si courtes qu'elles ne leur couvraient que
fort imparfaitement le haut du corps. (5). Pomponius
(1) In omni domo nudi ac sordidi (Tacit., M. G , c. 20). Maximo frîgore
nudi agunt antequam pubères^ et longissima apud eos pueritia est (Pomp.
Mêla, 1. m, c. 3j.
(2) Intecti totos dies juxta focum atque ignem agunt (Tacit.. Jïf. G., c. 17^.
(3) Tegumen omnibus sagum, fibula, aut si desit, spinâ consertnm (Tacit..
M. G., c. I7j.
(4) Gerunt et ferarum pelles , proximi ripœ exquisitiiis , ulteriores negli-
genter, ut quibus nullus per commercia cultus ; eligunt feras etdetracta ve-
lamina spargunt maculis pellibusquebellicarumquas exterior oceanus atque
ignotum mare gignit (Tacit., M. G., c. 17). Germani intectum rhenonibus
corpus tegunt (Sallust. apud Isidor.). Voir aussi Tacit, His t., \. II. Herodian.,
1. IV. Sidon. Apol., 1. IV, ep. 2 et 20, et Paneg. Major.
Les Hérules, les Goths et les Francs étaient encore couverts de peaux au
5* siècle (Paul Diac, 1. XVII. Rutil., Itin , 2). Il en était de même des
Saxons au 7^ siècle (Luitprand, in legatione).
[^) Pellibus aut parvis Rhenonum tegumentis utuntur, magna corporis
parte nuda. (Cses., 1. VI, c. 21.) Jltque in eam se consuetudinem adduxerunt,
ut lacis frigidissimis, neque vestitiis, prœfer pelles habeant quidquam, qua-
rumpropter exiguitatem, magna est corporum pars aperta (Cses.. 1. IV, c. I,
et Senec.j de Ira, 1. I, c. 11 ).
- 185 —
Mêla assure que la saie des Germains e'tait aussi faite
d'e'corces d'arbres (1). Cependant Thabillement des per-
sonnes distinguées était , sinon plus beau , au moins beau-
coup plus commode et plus adopté au climat que celui
du commun des Germains. Il était proportionné aux mem-
bres du corps et laissait distinguer toutes les articulations,
à peu près comme les habits serrés de nos jours (2). Cet
habit était, comme les autres, fait de peaux d'animaux, avec
leur poil, ou d une toile grossière. Celui en peau était collé
contre le corps et s'étendait jusqu'aux poignets et au cou-
de-pied. Il portait le nom de 77za^^rwc<^, et ceux qui en étaient
vêtus semblaient transformés dans l'animal même dont ils
portaient la dépouille (3). Les braies ou culottes faites en
laine, étaient généralement plus larges, mais ne descen-
daient que jusqu'au genou et laissaient la jambe nue (4).
Suivant Strabon , les vétemens des Belges , confectionnés
de cette matière , portaient le nom de lœnce (5).
Beaucoup d'auteurs modernes ont mal compris le mot rhenones ; les uns
l'ont traduit ^diV féaux de souris ; les autres ont cru qu'il signifiait les ha-
bitans limitrophes du Rhin. Cependant il n'est pas difficile de voir qu'il
s'agit de peaux derhennes. Voir Isid., Hisp. orig., 1. XIX, c. 3. Paul Diac,
1. 1. Servius, in Georg., III. Cleffel , Antiq. Germ., c. 6, § 1.
(1) Viri sagis velantur aut lihris arhorum (P. Mêla, 1. III, c. 3). Ce n'était
pas proprement l'écorce, mais la première enveloppe de l'arbre (Cluver.,
Germ. antiq., 1. I, c. 16),
(2) Locupletissimi veste disiinguuntur ^ non fluitante , sicut Sarmatœ ac
Parthi ., sed stricta et singulos artus exprimente (Tacit., M. G., c. 17). Voir
aussi : Sidon. Apollin.,1. IV, epist. 20. Idem, Carm. 5. DeBuat, les Origines
ou Vanc. gouvern. de la France, de V Allemagne et de T Italie, tom. 2 , p. 286.
(3) Masti-uca vestis Germana ex peliculis feraruin ; qui eo induuntiir quasi
in ferarum habitum transformantur (Isid., Orig., 1. XIX, c. 23).
(4) Sidon. ApolL, 1 IV, ep. 20. Id. Carm., 5. Paul Diac, l. IV, c. 7. Lucan.,
Phars., 1. 1. Hygin., I. 1. Agath., 1. II. Isidor., Orig., 1, XIX, c. 22.
(5) Belgœ saga ferunt, comam alunt , hraccis induuntur circum extensis ;
loco tunicarum, ufuntur veste et fissili mancita usque ad pudenda et nates
demissa. Lana eorum aspera est, sed ipsa propè pcllcm detonsa ; ex ea
densa saga texunt quas lœnas vacant (Straho, l. IV).
--^ 186 —
La chaussure des Germains consistait en une simple
peau roulée autour du pied ou dans des souliers faits en
jonc, en bois, en fer, etc. La chaussure la plus ordinaire
était celle en bois. L'Edda la donne même pour chaussure
aux dieux (1).
Les Germains comme les Gaulois , aimaient beaucoup a
porter pour oi-nement des colliers et des bracelets, à la dif^
ference cjue ceux des Gaulois étaient , chez les personnes
riches, d or ou d'argent, tandis que ceux des Germains
étaient d'une matière moins précieuse.
Les anciens n'ont rien dit de la coiffure des Germains ,
mais d'après les antiquités découvertes en différens en-
droits , on voit qu'ils portaient des bonnets semblables au
pileus des Romains et des bonnets ou chapeaux moins élevés
que ce dernier (2). Néanmoins ils allaient la plupart du
temps tête nue. Ils portaient les cheveux longs , les entre-
tenaient avec un soin extrême, et, comme les Gaulois, em-
ployaient plusieurs ingrédiens pour les rendre d'une cou-
leur ardente(3). Aux hommes libres seuls il était permis de
On trouva en 1701, dans un tombeau de Germain, découvert au village de
Monkeloh, dans le Holstein, des fragmens de toile d'un tissu plus grossier
que celui de la plus grosse toile à sacs; le fil était aussi épais que de la ficelle
(Clefiel, Antiq. Germ., c. 5, § 6). — Voir aussi Mone, 2" th., p. 64.
(1) Edda 21. Cleffel, c. 4, § 4-8. On mettait des souliers aux morts pour
qu'ils pussent passer plus facilement par les chemins étroits et scabreux qui
conduisaient au Valhalla d Odin : Mos est calceos leihaïes (helsko) homîni-
bus alligare , qiiihus iter ad Valhallam calcent [Gisîa Sursonar saga, apud
Cleirel,p. 251).
(2) Durondeau, p. 5. Cleffel, c. 4, § 9.
(3) Caustica teulonicos accendit spuma capillos.
(Martial., Épigr., 1. XIV}.
Quod hurgundio cantat esculentus
Infundens acido comam hutijro
(Sid. Apol. Carn., i3).
Cœrula quis stupuit Gerinani lumina, flavatn
Cœsariem et madido torqucntis cornua cirro.
(Juven.)
Voir aussi Pline, l. XXVIII , c. 12. Lex Burg.. addit. I, tit. 5. Lex Sal,
tit. 26. Lex Jlam. , tit. 6.5.
— 187 —
porter une longue chevelure; c'est à cette marque et au
port d'armes qu'on distinguait Fingënu de Fesclave et de
laiFranchi (1). Ils les portaient ordinairement partage's sur
le front et tombant en boucles sur les épaules et la nuque
du cou (2). Les Suèves les relevaient sur le sommet de la
tête où ils se re'unissaient en forme de nœud (3). Les Saxons
se rasaient les cheveux de devant et laissaient croître ceux
de derrière (4). Le voeu le plus solennel , que put faire un
Germain , e'tait de se laisser couper les cheveux et de les
consacrer aux dieux, après avoir vaincu Fennemi, ou vengé
une grave insulte (5). Dans toute autre occasion, c'était Im-
jure la plus ignominieuse qu'on put lui faire que de lui
raser la tête (6).
Les Germains ne portaient point de barbe, mais se lais-
(1) Cependant chez les Francs il n'y avait que îe roi qui put porter les
cheveux longs ; le reste de la nation se les coupait en rond : Idque velut in-
signe qnoddam eximiaque honoris prœrogativa régie generi apud eos tri-
huUur. Suhdili enim orhiculatim tondentur, neque eis frolixiorem comam
alere facile permittifur ( Ag^ath., 1. 1. Gregor. Turon, , Ilist. , 1. III, c. 18.
l.Vl, c. 24).
Chez les Goths les nobles jouissaient seuls du privilège de porter les cheveux
longs; on les appelait pour cette raison criniti, capillatî, crinigeri , cristnti.
(2) Greg. Tur.. HisL, 1. VI, c. 24. AVitichind-, Jmial Saxon., I. I,
Lucan..l! I.
(3) Insigne gentis , obliquare crinem nodoque suhstringere ; sic Suevi à
cœteris Germanis, sic Suevorum ingenui à servis separantur (Tacit, M. 6r. ,
c. 38 ). Martial attribue la même mode aux Sicambres.
Çrinibus in nodutn tortis venere Sicamhri.
(Martial, in spectac. epig. 3.1
Séneque étend cet usage a toute la Germanie ( Seneca, epist. uU. et lib. III,
c. 26 de ira. )
(4) Tacit. . M. G., c. 31. Greg. Tiir.,mst., 1. III, c. 15. CleffeL p. 317-319.
(5) Greg. Tur., 1. Ill, c. 18. 1. VI, c. 24. 1. IX, c. 38. Clcffel, p. 9, § 9.
— Un attentat à la chevelure était puni plus sévèrement qu'une grave blessure
[Lex. 5a/., tit. 26).
(6) Greg. Tur., 1. III, c. 18, 1. VI, c. 24, 1. IX, c. 38. Cleffel, c. 6, § 9. —
Couper les cheveux a un Germain entraînait une punition plus grande que
de lavoir blessé grièvement [Lex «Sa/., tifc. 26).
— 188 —
saient croître de grandes moustaches (1). Quelquefois ils
faisaient vœu de ne pas se raser jusqu'à ce qu'ils se fussent
venges d'un ennemi ou lave's d'un affront sanglant qu'ils
avaient subi. (2).
Soit par propreté , soit par principe de santé et pour
s'endurcir le corps et se rendre les membres plus souples ,
dès qu'ils se levaient le matin , ils se mettaient au bain , au
sortir duquel ils prenaient leur repas (3).
L'habillement des femmes germaines, différait peu de
celui des hommes, si ce n'est qu'il était, chez les personnes
de marque, de lin bordé de pourpre et que la partie supé-
rieiure de la robe des femmes était sans manches et lais-
sait les bras à découvert. « Elles ne se cachent pas même
le haut de la gorge , dit Tacite , (juoique le mariage ,
chez ces peuples , soit un engagement sérieux et leurs
mœurs à cet égard les plus dignes de louange (4). »
Les jeunes filles portaient les cheveux flottans ; de là le
terme in capillis esse , employé dans les codes germaniques
pour désigner une jeune fille. Les femmes mariées les re-
levaient en forme de nœud sur le haut de la tête ; dans
plusieurs tombeaux de femmes germaines on a trouvé
des anneaux de cuivre qui servaient à cet usage (5).
(I) Albet aquosa actes ac vultibus undique rasis;
Pro barba, tenues pet arantur pectine cristœ.
(Sid. Apol. carm,, 5).
Dans le portrait que Sidonius Apollinaris trace de Theodoric, roi des Goths ,
il dit de ce prince ; Pilis intrâ narium antra fructicantihus cottidiana suc-
cisio. Barba concavis liirta temporihus, quant in suhdita vultus parte surgen-
tem stirpitus tonsor assidiius gênas adusque forp^^cïbus evellit.
Lorsque l'empereur Othon le Grand, prit la coutume de porter la barbe
longue, les Allemands lui reprochèrent de ne pas respecter les usages anciens
de la nation, contra morem antiquam. (\\ iticbind , Annal. Saxon., 1. I).
(2) Greg. Tur., 1. Y, c. 15.
(3) Tacit., M. G., c. 22. Cœs., I. Vï.
(4) Tacit., c. 18.
(5} Splendida nezueral tortum redimicula crinem
— 189 —
§V-
Iiois et coutumes relatives au mariage, conditions des femmes chez
les Germains.
César , Tacite et d'autres écrivains anciens nous vantent
la pureté de mœurs des peuples germains (1). Suivant
ces auteurs les Germains regardaient comme infâmes ceux
qui avaient connu les plaisirs de Tamour avant l'âge de
vingt ans (2). Cependant les Lombards permettaient aux
hommes le mariage à l'âge de dix-huit ans (3) , et chez les
Visigoths , un homme pouvait être uni à une enfant encore au
berceau , mais les lois de ce peuple défendaient a une femme
de se marier a un homme qui ne fut pas plus âgé qu elle (4).
La polygamie , bien que tolérée par les lois des Ger-
mains , n'était guère en usage que chez les personnes les
plus distinguées par leur rang, ou par leur fortune; le com-
mun du peuple se contentait d'une seule épouse (5). Les
lois germaniques étaient plus sévères à l'égard des femmes ;
chez quelques peuples germains , une femme ne pouvait
point convoler en secondes noces : « Beaucoup plus rigides^
Et varicata vagum stringebat vitta capillum.
( Saxo. Gram., 1. VI. )
Cleffel.,c. 9,§14.
(1) Tac, 31. G., c. 20. Caes., 1. VI, c. Salvian. de Guhern. Dei, 1. VII.
(2] Intra annumvicesimum fœminœ notitiam hahuisse in turpissimis hahent
rehits. ( Cses. , 1. VI ). Les Saxons exigeaient le même âge pour le mariage
( Specul. Saxon, 1. 1 , art. 42 ).
(B) Si infans anfe X et VIII annos, quos nos instifuimus ut sii légitima
œtas y sponsalia facere, voluerit etc., {Lex. Luilprandi, tit. 73. ^ 1).
(4) Lex. Visig. , I.V.
(5) Tacit. , M. G., c. 19. Arioviste avait deux femmes , l'une Suève de nais-
sance, l'autre née dans la Norique ( Gœs. 1. I , c. 53).
Les épouses légitimes de Chilperic étaient en grand nombre. ( De Buai,
les Origines ou l'anc. gouvernem. de la France, de V Allemagne, etc,^ t. 3,
p. 336).
— 190 — .
dit Tacite, sont ces cite's qui ne permettent le mariage
qu'aux filles, et où l'on ne tend, l'on n'aspire qu'une seule
fois à la dignité d'ëpouse ; aussi, n ont-elles jamais qu'un
e'poux, comme elles n'ont qu'une vie, qu'un corps, sans
autre perspective, sans désir ultérieur, sans aimer rien
dans le mari que le mariage (1). « Une veuve ne pouvait
contracter de nouveaux liens qu'un an après le décès de
son premier époux.
Plusieurs formalités étaient requises pour le mariage;
l'égalité de condition; que les parties contractantes ne fus-
sent point unies par les liens du sang, et avant tout le consen-
tement delà femme et de ses proches. La femme étant dans
une tutelle perpétuelle, dans celle de son père d'abord, et
après la mort de celui-ci dans celle de ses frères ou, à leur
défaut, dans celle de ses plus proches parens ; celui qui dé-
sirait l'obtenir en mariage (2), était obligé, pour ainsi dire,
de Tacheter de ses tuteurs , au moyen d'une certaine quan-
tité de bétail ou a tout autre prix (3).
(1) Tacit., j?/. G., c. 19.
(2) Toulotte , t. 3, p. 36 Tacit. , M. G. , c. 18.
(3) Fredeg., c. 18. Reynier, p. 61. Lex. Rip., tit. 74. Alam., tit. 54 , § 1 ,
c. 2. Visig., 3, 2, S. Toulotte, t. 3 , p. 35.
« Dans certains cas, les codes des barbares, permettaient à la femme
d'agir par elle-même. Cette faculté lui était laissée, par exemple, lorsque
son tuteur refusait de consentir h son mariage par des motifs qui n'avaient
aucun fondement Le contrat des fiançailles se faisait et se
concluait avec le tuteur : le futur époux donnait une somme d'argent, ou
livrait certains objets, à titre de présent nuptial de la femme, au profit du
tuteur ou de ceux des parens de la femme que la loi autorisait h le recevoir.
Le fiancé promettait quelquefois au tuteur le prix convenu , et Ton comptait
sur sa parole. On donnait ordinairement une bague , à titre d'arrhes, pour
confirmer le marché ( Vis. III, 1-3. — Edict Theod.. 93. — Thuring, tit. 10,
§ 2. Intersunt parentes et propinqui et inunera prohant ; in îiœc mimera uxor
accipitur f Tacit., de Mor. Germ. , c. 18). Quand la loi ne fixait pas le mon-
tant du prix nuptial , il était déterminé par les conventions des parties con-
tractantes, ce qui arrivait le plus souvent (Sa-r., tit. 6 et 7). La veuve était
Dans le choix d un ëpoux, la femme avait ordinairement
plus d'ëgard aux qualités morales de Tliomme auquel elle
voulait unir son sort , à la réputation qu il s'était acquise
par sa bravoure, qua ses qualités physiques (1). Quelque-
fois, lorsqu'une fille avait plusieurs amans, elle devenait le
prix de la valeur et appartenait à celui des rivaux que le
sort des armes avait favorisé (2).
Dès qu'un Germain avait rempli les conditions requises
pour obtenir une femme en mariage, il ne pouvait renon-
cer au contrat sans raisons plausibles. Il en était de même
de la femme qui avait donné son consentement : « Chez les
Visigoths, la femme qui épousait un homme après avoir été
la fiancée d'un autre, devenait l'esclave de celui-ci (3), et
l'homme qui épousait une femme qui avait été la fiancée
d'un autre, devenait l'esclave du fiancé (4). Chez d'autres
toujours, quant au mariage, sous le pouvoir d'uu tuteur {Leg. Sal. ); mais
lorsqu'elle convolait en secondes noces, les héritiers de son premier mari
avaient le droit, chez quelques nations, de partager le prix nuptial avec les
parens de la femme { Long.^ It, 1, 4 et 5. Burg., tit, 69, § 1 ). Les Bour-
guignons autorisaient une femme qui se mariait pour la troisième fois, h
conserver pour elle seule, tout ce qu'elle obtenait a titre de prix nuptial.
« On prononçait les peines les plus graves contre le mari ou la femme qui
s'était marié sans avoir préalablement obéi a la loi en ce qui concernait la
cérémonie des fiançailles ( Rip. , tit. 35, § 3. Long., II, 1. I. Fris., 9,^4.
Thuring., tit. 10, §2. Sax., tit. 6. Fû., III, 2, 8. Alam., tit. 54, § 2,3).
Mais lorsqu'une fille avait un frère qui . par des motifs déraisonnables . refu-
sait de la donner en mariage; elle pouvait chercher un mari sans avoir be-
soin de son consentement ( Vis., III, 1, 8.) » ( Toulotte, t. 3, p. 36-38. )
La loi salique n'indique pas le prix qu'on payait pour obtenir la main
d'une jeune fille; elle ne parle que de celui qu'on exigeait pour une veuve.
Elle lui donne la dénomination de reiphiis. Chez les Lombards, le prix
statué pour une veuve était moindre que celui fixé pour une jeune fille
[Lex. Lougoh., tit. 2, ^ 4).
(1) Locenius, Hist. Suev., 1. 1. Cleffel, c. 1, ^ 10-11.
(2) Cleifel, c. 1, § 7. — Les Germains avaient souvent recours aux philtres
et aux amulettes pour inspirer de l'amour ù une femme ( id. c. 1 , § 9 ).
(3)Lex. Vis.,}, m, 1,8.
(4) Lex. Bav., tit. 7 et 16.
-~ 192 —
nations un pareil homme e'tait tenu de payer une composition
forte aux parens et a la fiancée ; il devait , en outre , une
amende au roi (1). L'homme était obligé, par la loi des
Lombards, d'épouser dans le délai de deux ans, la femme
avec laquelle il était fiancé. Ce temps écoulé , il perdait le
prix nuptial, et encourait les peines qui avaient été stipu-
lées dans le contrat des fiançailles ; la femme pouvait former
un nouveau contrat de ce genre (2). Mais un homme n'était
point contraint d'épouser sa fiancée lorsqu'elle était atta-
quée de la lèpre, qu'elle devenait folle, ou qu'elle avait
perdu entièrement l'organe de la vue ; a ces trois exceptions,
il faut ajouter le vice qui dépare la plus belle vie, selon
l'empereur Julien, Y incontinence. Ce dernier empêchement
facultatif du mariage devait être basé , non sur de sim-
ples soupçons , mais bien sur des preuves dûment acqui-
ses (3). Quand on abandonnait une femme après la céré-
monie des fiançailles pour en épouser une autre, on £e
rendait coupable d'insulte envers la famille de la délaissée ,
il fallait payer une composition a ses parens. Dansla crainte
qu'un pareil abandon ne fut une tache à la réputation de
cette femme, la loi des Bavarois, non satisfaite sur l'amende,
voulut que l'homme jurât, avec douze de ses parens , qu'il
avait renoncé a sa fiancée, seulement à cause de son amour
pour la femme qu'il avait épousée, et non parce cjue la pre-
mière avait commis une faute, ou parce qu'il avait pris ses
parens en aversion (4). S'il refusait de prêter ce serment,
il devenait l'ennemi mortel de la famille dans lac|uelle il
avait fait son premier choix (5). »
(1) Lex. Sal, tît. 14, § 8, 9. Long., II, 2, I.
(2) Lex. Long., II, I, 2.
(3) Long., 1. II, L 3.
(4) Bavar. , tit. 7. § 15. Procop. Hist Goth.
(5) Toulotte et Riva, t. 31, p. 38-41.
— 103 —
Les femmes germaines en se mariant ne recevaient
point de dot de iem^s parens ; c'était Fëpoiix t|ui était obiigë
de la lem" donner. Elle consistait du temps de Tacite en
bœufs, en chevaux et en armes, objets qui alors formaient
Tunique ricbesse du Germain (1). Cesobjets si peu propres
au sexe, avaient, suivant le même auteur, un sens mysté-
rieux; ils marcjuaient que la femme devait partager les
périls et les travaux de l'homme ; qu'avec lui dans la paix,
qu'avec lui dans les camps , elle devait unir le courage à
la patience : « par ces bœufs accouples, par ce cheval
équipe , par les armes donne'es, elle apprend cju ainsi elle
doit vivre, qu'ainsi elle doit mourir; qu'elle doit les con-
server dignes d'être transmises à ses enfans, d'être données
en dot a sa belle fille , cjui, à son tour, les fera passer à sa
postérité (2). »
La femme avait droit de jouir de son douaire dès le jour
de son mariage. Suivant la loi des Allemands , elle en était
maîtresse absolue (3), mais celles des Francs et des Bour-
guignons ne lui en accordaient que l'usufruit, et après sa mort
(1) Tflunera non ad delicias muliehres quœsita, nec quibus nova nupta co-
matur, sed hoves el frenatum equum et scutum cuin frameà gîadioque. (Tacit.,
ïleynier prétend que Tacite a confondu la dot avec les présens que i'époux
était obligé de donner aux parens de sa fiancée ; cependant les codes ger-
maniques distinguent clairement la dot du prix dont i'époux était convenu
avec les parens de la fille pour obtenir sa main. (Lej-. Alam., tit. 55, § 2,
66, § 1. Sal, tit. 8. Bajuv., c. 19, § 2. Rip., .tit. 39, § 1-2. Burg., tit. 62.
Longoh., 1. II, tit. 4, § 2-3). Voir aussi Hachenberg , Germania média, diss.,
5, § 6.
(2) Tacit., M. G., c. 18. — Voir cependant Cleffel , c. 1, § 13.
Au 5^ siècle les difïérens objets donnés en dot. dont parle Tacite, furent
remplacés par une somme d'argent que la loi des Ripuaires fixe à 50 solidi
(Bip., tit. 37, § 2). Chez d'autres peuples elle variait suivant la naissance ou
le rang de la femme ( Vis., III, 1, 5, 9. Bavar., tit. XIV. Toulotte, t. S,
p. 42).
(3) Lex. Alam., tit. 55..
Tome I. 13
_ 194 —
il devait revenir au donateur, a son fils ou a ses agnals (1).
Une veuve perdait aussi sa dot en contractant de nouveaux
liens (2) ; mais s'il ne lui avait pas été assigne' une légitime
après la mort de son premier époux, elle avait toujours droit
à la moitié des biens acquis pendant le mariage, La femme
gardait encore son douaire , si son époux la répudiait sans
motif plausible et si elle avait obtenu elle même le divorce
pour de justes raisons. Quand le divorce avait lieu par con-
sentement mutuel, une convention entre les deux époux
réglait ce cjui concernait le douaire (3). Ces différentes
clauses ont pu toutefois n'avoir été établies qu'à, l'époque
de la rédaction des codes germaniques, au 5"^^ siècle; les
documens nous manquent pour constater leur existence a
une époque antérieure.
Outre la dot , l'épouse recevait de son mari , le lende-
main de ses noces, un don appelé morgengaba , (don du
matin) , qui devenait sa propriété absolue, si elle avait
des enfans et qu'elle restait veuve (4). Ses parens y ajou-
taient ordinairement un présent, qui, dans les codes germa-
niques , porte le nom de faderjium ou fadelphium (5).
(1) Lex. Sal, tlt. 8, § 2-4. Burg., tlt. 42, § 1, 62, J 2. Sax., tit. 7.
(2) Lex. Burg., tit. 42. Baj'uv., tit. 14, §7.
(3) Toulotte , t. 3, p. 43.
(4) Tarn in dote, quam in morganigiba, hoc est matudinaci dono. (Greg.
Tur., 1. IX, c. 20. Marciilphi Formulœ, 1. II, form. 15). La loi des Allemands
fixe le morgengaba h 12 sols : Si autem ipsa fœmina dixerit : maritus meus
dédit mihi morgangheba, compiitat quantum valet in auro aut in argento,
aut in mancipiis, aut in equo , pecuniam XII solidos valentcm. {L. Alam.,
tit. 57, § 3).
La loi des Lombards confond ce douaire avec le morgengab, et fixe le tout
au quart des biens de l'époux. Ce code parle en outre d'une autre donation
que l'époux faisait a la fiancée et qui portait le nom de Metliium, Mephium
ou Meta, {L. I, tit. 1, § 4. 1. II, t. 4, § 3).
(5) Vidua habeat sibi morgengab et methium. De faderfîo autem, id est,
de alio dono, quantum, paier aut frater dederit ei qnando ad maritum ambu-
laverit, m.iitàt in confusum cum aliis sororibvs. (^Lex. Longob., 1. II).
10".
X •wJ
Tacite ni aucun autre écrivain romain n ont décrit les cé-
rémonies qui avaient lieu lors delà célébration du mariage
chez les Germains ; mais les codes germaniques répandent
quelque lumière sur ce sujet. Ils nous apprennent que la
célébration du mariage avait lieu en présence des parens
et des amis des fiancés et devant le juge du lieu (1) , mais
que cet acte public ne pouvait se faire dans la maison de
l'épouse, sous peine du fouet. Après que les parties contrac-
tantes avaient déclaré que c'était de leur consentement li-
bre et mutuel qu elles s'engageaient dans lesliens du mariage,
les parens de la fille la mettaient entre les mains de son pré-
tendant cjui lui fixait au doigt un anneau de fer et déposait
dans sa main une pièce de monnaie (2). L'épouse offrait
de même un anneau a l'époux. Un baiser cju'ils se donnaient
mutuellement terminait la cérémonie(3). On offrait ensuite
un sacrifice a Freya ou à quelque autre divinité favorable
aux mariages ; après quoi , l'épouse , voilée et les cheveux
éparsetflottans (4), était conduite par ses parens, ses amies
et des paranymphes , qui égayaient la marche par le chant
d'épithalames, à la demeure de son époux, escorté de même
par ses proches et ses amis et précédé par des baladins (5).
Un festin était préparé dans cette dernière : on passait la
journée dans la joie et les plaisirs, et la nuit venue, les pa-
(1) Capitul, î. VIÎ, c. 133. 1. Vîïl, c. 468.
(2) Au 5^ siècle, un sou ou un denier.
(3) Cleffel, c. 1, § 12. Hachenberg, p. 115.
(4) Il est souvent parlé dans les codes germaniques de velaiione conjugali.
— Hachenberg prétend que les nouveaux époux avaient la ièÏQ rase, mais
Clefîel prouve fort bien que c'aurait été agir contre les coutumes de la
nation.
(5) Pervenit ad nos çuod dum quidam ad suscipienclmn sponsam cujusdam
sponsi ciim Paranymphis ac Trotingis anihidarcnt, jjcrversi homines aqiiam
SGvdidam et stercoratam super ipsani jactasiicnt , de. [Le.r. Lottgoh., 1. ï.
lit. 17. §8).
->- 198 —
ranymphes conduisaient la mariée au lit nuptial (1), Le
lendemain des noces , les époux recevaient les complimens
de leurs parens et amis , qui ne partaient point sans avoir
fait quelque présent aux nouveaux mariés (2).
Les mariages entre oncles, tantes, neveux, balles-sœurs,
cousins germains et autres proches parens sont strictement
défendus par tous les codes des Germains (3). Cependant
nous lisons quen 534, Hadwig, roi des Warnes, peuple
saxo-frison , épousa sa belle-mère , et qu au 9"^^ siècle de l'ère
vulgaire, les habitans de Tile de Walcheren se mariaient
même avec leurs propres sœurs et mères (4). Le prix que
les Germains attachaient à la liberté, semble les avoir
rendus beaucoup plus sévères sur les alliances contractées
entre personnes de condition inégale : les codes des Ger-
mains condamnaient à la peine capitale ou a la servitude,
l'homme ou la femme de condition libre qui s était allié à
une personne en état de servilité (5).
Tacite fait l'éloge de la chasteté des femmes germaines et
(1) Un capitulaire engage les jeunes époux a passer les deux ou trois pre-
mières nuits des noces dans la prière, avant duser des droits du mariage : Et
hiduo vel triduo in orationibus vacent et castiiatem cusiodiant , ut bonœ sobolea
generentur et Domino suis in actionibus placeatit (Capitul., 1. VII, c 358 .
Il fallait avoir une dévotion bien fervente pour obéir h ce précepte cruel.
(2) Greg. Tur., 1. VI, c. 40.
(3) IVupiias prohibemus incestuas ; itaquc uxoremhahere non îicet socrum,
tiurum, privignam, novercam, p,liam fratris, filiam sororis, fralris uxorem,
uxoris sororem. Inter se nulla prœsumptione jungantur. Siquis contra hoc
fecerit, à loci judicibus separeiur et omnes facultaies amittat, guas fiscus
adquirat. Si minores personœ sunt, quœ se ilUcita conjunctione pollaerunt,
careant liberiate. {Lex. Alam., tit. 40, § 1, et Lex. Long.^ 1. II, tit. 8, § 1.
Sal, tit. 13, § 12, tit. 14, § 16).
(4) Raepsaet, Analyse de VHist. des droits civ. et polit, des Belges et
Gaul, t. I, p. 132.
(5) Lex. Sal. tit. 14. — Cependant un article du code salique admet à
une composition de 600 deniers, le franc ingénu qui aurait épousé une femme
— 197 —
de leur fidélité à la foi conjugale. « De tous côlës, bornées
par la vertu, dit-il, elles ne connaissent ni les spectacles en-
chanteurs, ni ces repas qui allument les passions. Quant
au commerce mystérieux des lettres , hommes et femmes ,
tous, également, l'ignorent. »
Aussi le crime d'adultère était-il très-rare chez les Ger-
mains, et pour cette raison puni avec d'autant plus de sévé-
rité : « dans une nation si nombreuse, observe le même histo-
rien, peu de femmes adultères et qu'on punit sur-le-champ
à la discrétion des maris ; les cheveux coupés, toute nue, la
coupable, en présence des parens, est chassée de la maison
par le mari, qui la poursuit dans le village en la chargeant
de coups ; car point de grâce pour une femme déshonorée ;
de condition servile, et en outre, à celle de 120 deniers, s'il s'était marié
sans le consentement du maître de sa femme.
Les codes saxon, bourguignon, visigoth et lombard condamnent, comme
le code salique,à la peine de mort ou à la servitude , ceux qui s'étaient aliiés
à une personne de condition servile. Le code lombard permet même aux
plus proches parens de la femme qui épousait un esclave , un serf ou un
alTrancbi, de la tuer ou de la vendre comme esclave hors du pays. {Lex.
Long., 1. II, c. 9, § 2 ). Celui des Allemands accorde h la femme libre, con-
vaincue d'entretenir commerce avec un esclave, trois ans pour se repentir.
Ce délai expiré, si elle ne s*amendait point , elle était elle-même réduite en
servitude.
Les dispositions du code ripuaire relatives au mariage entre personnes de
condition différente, sont des plus bizarres : la loi ordonne que le juge du
canton présentera à la femme qui s'était alliée à un serf ou h un esclave, une
épée et une quenouille; elle restait libre, si, saisissant Tépée, elle en
perçait l'esclave ; si, au contraire, elle choisissait la quenouille, elle parta-
geait le sort de son coniplice [Lex. Rip., tit. 58, § 18).
Voir aussi Reynier, p. 151. Hachenberg . D/sser^., V. Cîeffel, c. I. Tou-
lotte et Riva, tom. 2, p. 95, 394, tom. 3, p. 21.
lia rigueur que les lois des Germains déployaient contre les personnes du
sexe masculin coupables de mésalliance, ne regardaient que les mariages faits ,
publiquement. [Lex. Sal., tit. 27). Il était permis de prendre une femme
esclave pour concubine, mais les enfans qui naissaient de ce commerce, par-
tageaient le sort de leur mère. (De Buat, tom. 2, p. 101),
— 198 —
ni jeunesse, ni beauté, ni ricîiesse ne lui feront trouver un
parti : personne ici ne plaisante sur le vice; ni corrompre,
ni être corrompu ne s'appelle la mode du siècle {nec cor-
rumpere nec corrumpi sœciilum vocaîur) (1). »
Le code des Lombards permet a l'ëpoux oiFensé, de tuer
la femme et son complice surpris en flagrant délit (2). Les
Saxons condamnaient une femme adultère a être étranglée
et brûlée, et le séducteur a être pendu sur son tombeau.
Quelquefois la coupable était tuée à coups de couteau par
les femmes de son village et des lieux voisins (3). Le code
bourguignon permet au mari , comme le code des Lom-
bards, de tuer sa femme et son amant surpris en adultère;
mais ce qui paraît assez singulier , c'est que ce code statue
que si l'époux ne tue que Tun des deux, il sera condamné
a la composition du meurtre (4). Le code des Bavarois
(1) Tacit., M. G,, c. 9. — Il est facile de voir daas la dernière phrase un
reproche adressé par Tacite à ses compatriotes. — Voir aussi Werner Ro-
levinc, de situ ac moribus Westphal , î. I, c. 7.
Luitprand, roi des Lombards convertit en loi la punition infligée, du
temps de Tacite, h la femme adultère : Puhîicns in quo loco facium fuerit,
comprehendit ipsas rtiuliercs et faciat eas decalvare et fuslare per vicos vici-
nos ipsius loci. — Van Alphen rapporte qu'anjourdhui on inflige encore la
même punition aux femmes adultères, dans quelques villages des environs
^'- de Cologne. {GescJiichte des franJiischen rjieinufers , 1* th.).
(2) L. Long., I. I, tit. 33, § 2.
(3) In anliqua Saxonia uhi nulla est Christi cognitio, si virgo in paterna
domo stuprata, vel malrona fuerit adulterio polluta, strangulatani illam cre-
mari et supra sepulchri foveam suspendi violatorem , aut cingiiîo tenus vesti-
bus recisis, flagellari , castis matronihus oppidatim pungentibus , donec in-
terimant. (S. Bonifacii epist. ad Edoaldum Anglor. princip.).
(4) L. Burg., tit. 68. — Suivant le code des Visigoths, si un mari outragé
ne tuait pas le coupable surpris en flagrant délit, celui ci devenait son esclave
[Lex. Visig., 1. III, tit. 4, § 2 et 3). Une femme ayant commerce avec un
homme marié, devenait l'esclave de l'épouse de ce dernier. {Lex. IIî,tit. 4,
§ 9). Les lois des Lombards permettaient même à un esclave de se venger
\ de son propre maître surpris en adultère avec sa femme.
-^ 199 —
montre plus d'indulgence pour les adultères que les au-
tres lois barbares; il ne les condamne qu'à une simple
amende (1).
Les Germains te'moignaient une ve'ne'ration particu-
lière pour les jeunes filles mortes en ëtat de virginité';
ils les plaçaient parmi les déesses qui habitaient l'Olympe
d'Odin (2). C'est pour cette raison que le yiol et tout atten-
tat a la pudeur étaient punis avec une extrême sévérité ; la
loi des Bourguignons punit de mort l'esclave qui aura violé
une jeune fille libre, et si c'était du consentement de celle-
ci qu'il avait eu commerce avec elle , ils étaient condamnés
tous deux au mémesupplice. Si les parens de la jeune fille
préféraient de la laisser vivre, elle devenait esclave du
fisc (3). La loi des Lombards permet aux parens de tuer
leur fille qu'ils surprenaient en fornication avec un homme
libre (4) Les lois des Angles condamnaient le séducteur
d'une jeune fille à perdre les parties viriles et les yeux (5).
Enfin, la sauve-garde que les Germains donnaient à l'hon-
neur et a la pudeur du sexe , s'étendait si loin, que des lois
particulières statuaient des peines contre celui qui aurait
touché indécemment le sein ou la robe d'une femme, délit
(1) L. Bajuv.f 1. I, tit. 6, c. I.
(2) Edda, c. 30.
(3) Lex. Burg., fit. 35, § 1-3.
(4) Lex. Longob., 1. 1, tlt. 32, ^ 1.
Les Germains en faisant celte loi , paraissent avoir eu pour but, non pas
seulement de venger Thonneur outragé cVune fille , mais aussi celui de ses
parens : Crebro etiam direnint (parentes) hoc sese ex aniiqiiorum tradilione
accepisse, ut contumaces proies priùs interimerent, quam scandalum aniicis
proveniret intolerahiU (Werneri Rolefinc, de situ et morih. Westphal.).
(5) Quià virgo cum conumpitur, memhrum amittit, et ideo corruptor pu-
nitur in eo in qiio deliquit ^ oculos igitur amiltat ^ propter aspectum decoris
quo vivginem concupivit,' amittat et testiculos, qui calorem stupri induxe-
runi. (Henricus de Bractonâ, apud Cleffel, c. 1, § 16).
auquel le code des Lombards donne le nom à'Horgrifft(l).
Le divorce était permis chez les Germains , mais seule-
ment pour des cas graves (2). La femme qui abandonnait
son mari , était condamnée par la loi des Bourguignons a
être e'touIFée dans un bourbier (3) ; mais le mari qui ren-
voyait sa femme sans un juste motif, n'était tenu qu'à
lui payer une somme pareille à celle qu il avait comptée à
ses parens pour obtenir sa main_, et a une amende de 12
sols (4). Celui qui avait promis le mariage a une jeune fille
et qui récusait ensuite sa promesse, devait jurer avec 12
témoins cjue ce n'était pour aucun crime, mais par simple
dégoût , qu'il abandonnait la femme (5),
Le but principal que se proposait un Germain dans lema-
(1) Lex. Sal, tit. 2*2.
Une loi des Lombards porte : 51 indumenta super genucula elevaverii
(niMiLzoïioM vocatif) , cum 12 solid. componai.
(2) La loi des Bourguignons et l'édit de Théodoric ne le permettent que
pour trois cas : pour adultère, maléfice et violation des tombeaux. Chez les
Visigoths, la femme était autorisée à divorcer lorsque son mari était con-
vaincu d adultère, lorsqu'il avait autorisé un étranger à la violer, ou lors-
quil avait commis le crime contre nature. Les Francs permettaient à la
femme de se remarier lorsque son époux était réduit en esclavage ou con-
damné à l'exil. (Greg. Tur., 1. XIX, c. l9. Capit. pepini n° 752, ^ 9. Touîotte,
tom. 3, p. 113).
« Celui, dit la loi salique, qui ayant épousé une femme corrompue par
son frère, en épouse une seconde qu'il trouve également corrompue, ne peut
pas la quitter; et s'il en épouse une troisième, il est obligé de revenir a la
seconde, et la troisième peut se remarier.
» La femme qui se laisse séduire par le père de son mari, ne peut jamais
se remarier, non plus que son complice ; le mari de cette femme peut en
épouser une autre.
» Si une fille mariée malgré elle, quitte son époux, ses parens peuvent la
donner a un autre. » (Touîotte et Riva, tom. 2, p. 95).
(3) Si quœ mulier maritum suuni, cui légitimé Juncta est, dimiserit, nece-
iur in îuto. [Lex, Burg., tit. 24, ^ 1).
(4) Ibid., § 2. Bajuv., tit. 7, c. 14.
(5) Lex. Bajuv.^ tit. 7, c. 15.
2^
riage , était de devenir le père d'une nombreuse ligne'e; parce
que plus sa famille était nombreuse, plus il était honore et
respecte , et plus aussi il acquérait d'influence dans son
canton; car, chez les Germains, comme chez les Arabes et
les sauvages de nos jours , le chef de la maison commandait
en roi à sa famille , sans avoir toutefois droit de vie et de
mort sur sa femme et ses enfans (1). « Se borner a un cer-
tain nombre d'enfans, dit Tacite, ou se défaire de ceux qui
naissent passé ce nombre, est, chez les Germains, une abomi-
nation, et ici les bonnes mœurs sont plus efficaces qu'ailleurs
les bonnes lois. Selon qu'on a plus ou moins de parens, plus
ou moins d'alliés , on est plus ou moins considéré dans sa
vieillesse, et il n'y a nul avantage a ne pas avoir des en-
fans (2). » Les lois des peuples germains témoignent encore
mieux du prix que ces derniers attachaient a la paternité :
elles fixent des compositions doubles pour le rapt d'une
femme enceinte, et punissent rigoureusement les destruc-
tions du fruit dans le ventre de la mère. Le code ripuaire con-
damne à une triple composition le meurtrier d'une femme
enceinte, et la loi des Bavarois a deux cents coups d'étrivières
celui qui aura donné à une femme grosse , en état de servi-
lité , un breuvage pour la faire avorter. Si le crime avait
été commis envers une femme libre , le coupable était ré-
duit en esclavage.
Les dispositions contenues dans les codes barbares prou-
vent également le respect dont on entourait une mère de
(1) La loi des Visigoths permet seulement au père et à la mère, au grand-
père et h la grand'mère. d'user de moyens de correction modérés à l'égard
de leurs enfans , lorsque ceux-ci cohabitaient enf,ore avec eux. Un enFaiic
coupable d'ingratitude ou d'irrévérence était puni, par ordre du juge et à
la plainte des parens, de cinquante coups de fouet, et perdait tout droit à la
succession paternelle. (Le.r. Visig., tit. 5, ^ 1),
(2) Tacit., M. G., c. 19.
— 202 —
famille : le code ripuaire et la loi salique soumettent l'as-
sassin dîme femme âgée de moins de quarante ans et mère
de famille, a la peine portée contre le meurtrier d'un
antrustion , c'est-a-dire , à une composition triple de celle
fixée pour le meurtre d'un homme libre de condition ordi-
naire (1).
S'il faut en croire Tacite, les neveux du côté maternel n'é-
taient, chez les Germains, pas moins chers à leurs oncles
qu'à leur père : « Quelques-uns, dit-il , persuadés que ce
droit du sang est plus sacré et plus inviolable, prennent
de préférence les enfans de leurs sœurs , comme des otages
qui lient plus étroitement un plus grand nombre de pa-
rens. Les enfans toutefois héritent chacun de leur père et
jamais on ne fait de testament (2). A défaut de ligne di-
recte, les plus proches collatéraux recueillent la succes-
sion (3). «
(1) Lex.Rip., tit. 12.
(2) ISullum teslamentum. — Cependant la loi salique semble prouver le
contraire, en ordonnant que l'héritier sera tenu de dîner avec le testateur et
trois témoins , pour marquer que le testament avait été fait de mûre délibé-
ration, (i. Sal., tit. 49). Cette coutume pouvait toutefois ne pas encore
exister h l'époque où écrivait Tacite.
(3) Tacit., i/. G., C.20.
Néanmoins les codes barbares témoignent que les lois qui concernaient le
droit de succession n'étaient pas les mêmes chez tous les peuples germains.
Chez les Thuringiens, les fils d'un homme mort intestat^ recueillaient toute
la succession: à leur défaut, les filles et les sœurs du défunt, s'il n'y avait
point d enfans, possédaient l'argent et les esclaves. Le plus proche parent
mâle héritait de tous les biens, si la personne morte ne laissait ni enfans,
m sœur, ni mère. A défaut de mâles, la succession appartenait aux femmes
du degré le plus proche. {L. Thur., tit. VI. § 1, 2, 3,4 et 8. Toulotte, tom. 3,
p. 141).
Chez les Bavarois, les biens du père se partageaient entre les fils, et ceux
de la femme entre les filles. L'enfant provenu d'une esclave ne participait
pas à la succession du père. (L. Bajuv., tit. 11, c. 8). — Chez les Lombards,
les enfans naturels avaient un tiers des biens de leur père défunt, mais les
enfans iiiégitinies, nés du commerce avec une esclave, n'avaient aucun droit
^- 203
Une loi générale chez tous les peuples germains, c'était
que le fils, ou , a son défaut , le plus proche des agnats hé-
ritât des armes et de tout ce qui avait été a l'usage particu-
lier du défunt , sous le nom de Heergewette. Les habits de
femme et les ustensiles déménage devenaient, sous le nom
de gerade, le partage de la veuve du défunt ou de ses
cognats (1).
à la succession, si le père était mort intestat. {L. Long., 1. II, c. Î4. Toulotte,
tom. 3, p. 145). A défaut d'enfans, la loi des Bavarois accordait à la femme
du défunt la possession de la moitié de ses biens, aussi longtemps qu'elle
restait veuve; l'autre moitié échéait aux parens de l'époux jusqu'au 7^ degré.
A leur défaut elle appartenait au fisc. {L. Baj., tit. Il, c. 9).
Chez les Gotiis, hommes et femmes, parens au même degré, partageaient
également la succession du mort intestat. Les codes ripuaire, salien, saxon
et bourguignon donnent la préférence aux mâles, et excluent les femmes du
même degré qu'eux. Chez les Bourguignons, les sœurs excluaient leurs frères de
la succession de la sœur morte dans le célibat. « 11 paraît, dit Toulotte, que
chez les Francs-Ripuaires, les enfans des deux sexes recueillaient la succes-
sion de leurs père et mère, libre de toutes dettes et charges, déduction faite
préalablement des compositions légales et des amendes que devait le défunt;
mais tous les autres parens , qui recevaient de la succession la valeur d'un
solidus , et qui avaient touché son iveregild, s'il avait été tué, étaient tenus
de payer ses dettes et d'assurer l'exécution de ses actes. {Leg. Rip., tit. 67
et 79. Leg. Tlmring., tit. VI. § 5). Chez les Bourguignons, l'héritier était
obligé , dans tous les cas, de payer toutes les dettes de son ascendant, à moins
qu'il ne renonçât à la succession. Si un homme avait été condamné à être
pendu, ses héritiers n'en recueillaient pas moins sa succession. {Leg. Rip. y
tit. 79. Vis., l. YI, c. 8. Burg., tit. 47, ^ 3). » (Toulotte, tom. 3, p. 146).
11 est inutile de consigner ici les dispositions des codes germaniques rela-
tivement a Ihéritage des terres, parce qu'à l'époque dont nous nous occu-
pons dans cet ouvrage, les Germains ignorant encore la propriété fon-
cière, ces lois ne peuvent avoir été décrétées que depuis le 5'= siècle lorsque
ces peuples devinrent maîtres de la Gaule. — Pour des détails plus am-
ples sur le droit de succession chez les différons peuples teutons , voir Tou-
lotte et Riva. tom. 3, chap. 3 et 4.
(1) Dithmari ISotœ in Taciti Mor. Germ., c. 18. Tacit.j ibid., c. 32. Lex.
Burq., tit. 5, c. 4.
— 204 —
§ VI.
Armées, armes et tactique militaire des peuples germains.
Comme les Gaulois, comme tous les peuples barbares, les
Germains croyaient que le me'tier des armes était la seule
occupation digne d'un homme libre , le seul moyen propre
à acquérir de la gloire, le seul art à cultiver (1). Depuis la
tendre enfance jusqu'à lextréme vieillesse, ce mâle exer-
cice absorbait toutes les facultés morales et physiques du
Germain. Tout dans 1 éducation dun Germain tendait à
le rendre habile dans le maniement des armes. On l'ac-
coutumait dès sa naissance a supporter la fatigue et à braver
les intempe'riesdu climat et les privations de la vie avantu-
reuse des camps. A peine sorti du sein maternel, l'enfant
était, dans la saison même la plus rigoureuse, plongé nu
dans l'eau d'un fleuve ou d'une rivière (2). Souvent c'était
la mère elle-même qui portait à la rivière l'enfant auquel
elle venait de donner le jour. L'épée et le javelot étaient
les premiers objets que maniaient ses tendres mains. C'é-
taient, suivant l'expression de Tacite, les jeux de son en-
fance (3).
Parvenu à l'âge de puberté, le jeune Germain était
introduit dans l'assemblée nationale par un des chefs, par
(1) Germanis quid animosius ? quid ad încursuum acrms? quid armorum
eupidius? quibus innascuntur, inniitriunturque? quorum unum illis cura
est, in alla negligentibus. (Seneca, de ira, c. 11).
(2) Quis quœso nostrum sustineat modo ediium infantulum et ah utero
adhuc calentem ad fiumen déferre ibique, ut apud Germanos fieri aiunt,
i-eu candens ferrum, in frigidam aquam immergendo, simul de naturâ vigore
periculum facere, s'unulque corpus ipsum roborare. (Galenas, I. l,de tuenda
sanitate).
(3) m lusus infantiœ , hœcjuvenum œmulatio . persévérant senes . (Tacît.,
M. G., c. 32).
205 -
son père ou un de ses parens. 11 y recevait de leurs mains un
bouclier et une frame'e : « C'est là, dit Tacite, leur stage,
c'est la le premier grade pour leur jeunesse ; on les regarde
jusqu'alors comme membres de la famille, maintenant ils
le deviennent de l'état (1). »
La manière de déclarer un jeune homme propre à porter
les armes, était de lui ceindre l'ëpëe, aprèslui en avoir donne
trois coups surl'e'paule. Par cette cëre'monie, introduite plus
tard dans les lois de la chevalerie, il sortait de la tutelle et
devenait citoyen actif. Avant cet acte solennel, il n'était
point permis au Germain adolescent, sans en excepter le
fils même du roi , de s'asseoir a la table de son père (2).
Se distinguer alors par des actions d'éclat était le moyen
le plus puissaiîtd'obtenir la considération de ses concitoyens
et de parvenir aux premières dignités de l'état (3). « Lors-
qu'une cité languit dans une longue paix , presque toute sa
jeune noblesse , sans être appelée par les nations c|ui se font
la guerre, y va servir, parce que le repos est un état vio-
lent pour les Germains, que les dangers leur abrègent la
route de la gloire , que le prince n'entretient une cour
nombreuse {magnum comitatum) qu'avec la guerre et les
rapines; car ils n'exigent de sa libéralité que le cheval
de bataille et cette victorieuse framée teinte du sang de
(1) Tacit., 31. G., c. 13.
« Les garçons et les filles étaient considérés comme enfans jusqu'à leur
quatorzième année. Avant d'être parvenus à cet âge, ils avaient leurs parens
pour tuteurs naturels. La majorité était fixée h quinze ans chez les Bourgui-
gnons et chez les Francs-Ripuaires. {Rip., tit. 74 et 81. — Burg., tit. 84,
^ 1 et 2 ). A l'âge de treize ou quatorze ans, les filles des Anglo-Saxons
avaient la libre disposition de leur personne; les fils pouvaient choisira
quinze ans la carrière qui leur plaisait davantage. (Turner, IV, p. 55). »
(Toulotte, tom. 3, p. 125).
(2) Paul. Diac, Hist. Longoh., 1. I, c. 15.
(3) Tac, M. G., c. 7.
remiemi. Sa laîale grossièrement servie , mais abondante ,
leur tient lieu de solde; sa munificence est uniquement
fondée sur le butin , sur le pillage , et vous ne persuade-
riez pas aussi aisément aux Germains de solliciter la terre ,
d aspirer à ses faveurs annuelles , que de provoquer l'en-
nemi, que de s'attirer ses coups; bien plus, suivant eux,
c'est faine'antise et bassesse de payer de ses sueurs, ce qu^on
peut avoir au prix de son sang.
c( Une illustre naissance ou les grands services d'un père
sont l'appui des plus faibles enfans pour monter a la dignité
de prince. Sitôt cju'ils comptent leurs années par d'honora-
bles épreuves, les autres Jeunes gens s'attachent a leur per-
sonne , et l'on ne rougit point du titre de compagnon d'ar-
mes; au contraire, ce service même comporte une distinction
de rangs que règle l'estime du chef, et il y a e'mulation chez
eux a qui sera le plus avant dans ses bonnes grâces ; chez les
princes à qui aura le plus nombreux et le plus fidèle cor-
tège ; voilà leur gloire , voila leur puissance , c'est d'avoir
sans cesse autour d'eux un essaim de jeunes gens d'élite ,
leur ornement durant la paix, leur sûreté durant la
guerre Dans un combat le prince et ses compagnons
d'armes ne se quittent point; il serait honteux à lui de leur
céder en valeur , honteux a eux de ne pas l'égaler ; mais une
infamie, un opprobre dont ils ne se laveraient jamais , se-
rait d'avoir survécu à la bataille où il aurait péri ; le cou-
vrir , le défendre , grossir même sa gloire de leurs propres
exploits , voilà le plus sacré de leurs engagemens ; le prince
combat pour la victoire, eux pour le prince (1). »
Ce passage nous apprend que ces solduril des Gaulois ,
ces compagnons dévoués à la vie et à la mort à un chef il-
(1) Tacit, M. G., c. 13. Cœs., 1. VL c. 23. Amm. MarceîL, I. XVI. Aim.,
L I, c. 12. De Buat, tom. I, p. 81, ni.
— 207 —
lustre, existaient de même chez les Germains. Dans les
codes de ces derniers ils portent le nom à' anstrustiones ^
leiicli ^ vas si (1).
Tous les ans il se tenait au mois de mars une assemblée
générale de chacjue peuplade, où tout homme pubère était
tenu de se présenter avec ses armes. La on délibérait de la
guerre et on fixait le contingent des troupes à fournir pour
la prochaine campagne ; car dans les guerres ordinaires il
n'y avait que la moitié ou le tiers de la population mâle ,
qui fut mise en réquisition ; mais lorscju il s'agissait de dé-
fendre la patrie contre mi ennemi formidable , personne
n'était exempt du service militaire, chez les Germains ,
comme chez les Gaulois (2).
On attendaitpourse mettre en campagne, que les herbes
fussent venues, «et c'est même, dit De Buat, la raison pour
laquelle le plaid de mars, cessa d'être fixé au premier de
ce mois, et se tint communément beaucoup plus tard (3).»
(1) Greg. Tur., 1. IX, c. 29. Jppend. Greg., c. 54, 41. Gesta regum
Francor., c. 13. Leg. Barhar. irnssim.
Ce furent les antrustions d'Ambiorix qui soustrairent ce roi des Eburons
aux poursuites de César en se dévouant pour lui (Cses., 1. \ I, c. 30).
Le mot antmstio dérive probablement du teuton trewest (très-fidèle)
(Reynier, p. 125). Cette étymologie est préférable à celle que de Buat donne
de cette dénomination qu'il fait venir de truste : « parce que, dit-il, pour
parler le langage de ce temps-là, ils étoient la consolation de ceux qui ser-
voient le roi. » (De Buat, tom. 2, p. 117). Cependant truste signifie plutôt foi,
fidélité, et plusieurs auteurs traduisent le mot antrustion ^^ar homme dans
la foi du prince {in truste domini). Voir Toulotèe, tom. 2, p. 144.
(2) Cses., 1. Il et 1. IV, c. 18.— Sous Charlemagne il ny avait plus que
ceux qui possédaient trois mansi (36 acres de terre) qui fussent obligés de
se rendre en personne à Tarmée; celui qui ne possédait qu'un manoir, était
tenu de contribuer avec les possesseurs de deux autres manses à l'équipe-
ment d'un bomme de guerre.
(3) De Buat, tora. 2, p. 526. « Lorsque l'armée devait se mettre en cam-
pagne , dit le même auteur, on cnvoyoit ordre aux comtes de faire conserver
les deux tiers des berbes dans les lieux par où dévoient passer les troupes.
~ 208 —
A 1 époque fixée par l'assemLlëe , au plaid du champ de
mars, pour la revue ge'ne'rale de l'armée qui devait entrer en
campagne, le chef de chaque canlon publiait le ban parle
cri aux armes et en levant l'ëtendard (1). Alors chaque
homme mis en réquisition, devait se présenter a l'appel,
avec armes et bagages , muni de vivres pour trois mois et
d'habits pour une demi-annëe (2).
Nous avons vu , dans le chapitre pre'ce'dent , que les lois
des Celtes condamnaient a un cruel supplice, non-seulement
ceux qui manquaient de se rendre à Farmëe, mais ceux
même c{ui ne se trouvaient point à l'appel, au moment dé-
signé. Les codes des Germains se montrent moins sévères :
ils ne punissent le coupable que d'une simple amende qui
portait le nom à'herebanum ou aribanuni, excepté lorsque
l'éruption des ennemis, était suivie de la dévastation de la
province ; alors il y avait peine de mort contre celui qui
ne se rendait pas aux ordres du comte (3). La désertion ,
lorsqu'on était en présence de l'ennemi et la trahison étaient
aussi punis avec la dernière rigueur; tout autre délit con-
tre la discipline ne l'était cjue par une simple amende (4).
C'étoît là le seul cas où Ton fit pâturer les herbes des propriétaires dans le
temps où elles étoient en défense, etc. » (De Buat, tom. 2, p. 527).
(1) De Buat, tom. 2, p. 449.
(2) Telle était la loi sous Charlemagne; mais elle datait d'une époque
antérieure; car dans le capitulaire où cet empereur fixe l'organisation des
armées , il dit : « Nous avons ordonné que, suivant Yaticienne coutume, on pu-
bliât Tordre, et qu'on observât la même manière de se mettre en campagne.
En conséquence nous voulons qu'on se fournisse de vivres, dans chaque pro-
vince, pour trois mois, et d'armes et d'habits pour une demi-année. » (Bar-
Qmet. Hist. du gouvernem. féodal, p. 20).
(3) Hachenberg, Biss., IV, § 22. Reynier, p. 134 et 299. De Buat, tom.
1, p. 103, tom. 2, p. 449. — Sous Charlemagne, un antrustion était con-
damné a se passer de vin et de viande autant de jours qu'il s'en était écoulés
avant qu il n'eut réjoint larmée après le terme fixé. [Cap. Car. Mag. ad Aq.
Palat, ann. 807, § 4, 2. Toulotte et Riva, tom. 2, p. 172).
(4) Toulotte et Riva, ibid.
-^ 209 —
La force principale des arme'es germaniques consistait
dans l'infanterie (1); César le dit nommément des Ner-
viens (2). Quelques peuplades faisaient néanmoins excep-
tion à cet égard : tels étaient, pour la Belgique, les Trevi-
riens, dont la nombreuse cavalerie jouissait dune haute
renommée dans toute l'étendue des Gaules (3).
Les chevaux des Germains, quoique petits, frêles et d'une
chétive apparence , étaient parfaitement exercés aux évo-
lutions militaires (4). La cavalerie servait principalement
aux escarmouches et a la première attaque (5). On la mêlait
aussi avec l'infanterie qui, dit Tacite, observait avec pré-
cision tous les mouvemens des chevaux (6).
Les armées des Germains , rangées en ordre de ba-
taille , figuraient un triangle dont les angles et les cotés
étaient formés par des soldats d'une bravoure éprou-
vée (7). ce Le grand moyen, dit Tacite , d'inspirer du cou-
(1) In universum œsîimanti plus pênes peditem rohoris. (Tac, 31. G.,
c. 6). — a Les armées françaises étaient tontes composées dinfanterie : Is
peu de cavalerie qu'on y voyait, se rangeait autour de la personne du mo-
narque, quand il commandait lui-même : elle était formée des leudes et
des convives du roi , dont une des principales fonctions était de servir et
d'accompagner le prince à l'armée et dans les lieux qu'il avait choisis pour
sa résidence. » (Barginet, p. 19).
(2) Nervii antiquitus, quum cquitaiu nihil passent {neque enim ad hoc
tempus ei rei student , scd quidquid possunt, pedestrihus valent copiis), etc.
(Cœs., 1. II, c. 17).
(3) Equités Treviri, quorum inter Gallos virtutis opinio est singulan's.
(Cœs., 1. IL c. 24).
Hœc civitas longé p^wrwn^wi intius Galliœ equitatu valet, magnasquc
hahet copias pediium. (Id., 1. V, c. 3).
(4) In rectum aut uno flexu de.rtros agunt, ità eonjuncio orbe, ni nemo
posterior sit (Tac, M. G., c. 6),
(5) Cœs., 1. I, c 48.
(6) Tac, M. G., c. 6.
(7) Acies per cuneos componitur. (Id,, c. 6).
Erat lis (Francis) forma aciei instar cunei ^ literœ fguram referens ,
Tome L 14
-- 210 —
rage aux Germains, c'est de ranger leurs troupes en coins
ou en escadrons ( Turmam a ut cuneum (1) ), non au ha-
sard, ni d'après un assemblage fortuit, mais suivant les
degrés du sang et de la parenté. C'est sans relâcher alors
ces doux liens , de tenir assez près d'eux leurs femmes et
leurs enfans , pour que les hurlemens des unes , pour que
les cris des autres se puissent faire entendre : voilà les té-
moins les plus imposans pour eux , voilà leurs panégyristes
les plus acrédités : c'est à leurs mères , c'est à leurs épouses
qu'ils vont montrer leurs blessures ; loin de pâlir à cette
vue ou dans cette recherche, elles raniment les combattans
par des rafraîchissemens et des exhortations.
» Reculer pour retourner à la charge , c'est plutôt , sui-
vant eux, prudence que lâcheté. Ils emportent leurs morts
dans la chaleur même de l'action. Y laisser son bouclier
est le comble de l'opprobre ; comme une personne convain-
cue de cette infamie , ne peut assister aux sacrifices , ni en-
trer dans les assemblées , plusieurs guerriers retirés , ont
abrégé leur déshonneur en se donnant la mort (2). »
A la tête des armées se trouvaient les troupes d'élite for-
mées des guerriers les plus braves , choisis au nombre de
cent dans chaque canton (3). Chaque division d'une armée
se ralliait autour d'un étendard portant pour emblème la
figure d'un animal (4). L'armée était flanquée de chariots
anteriori sui parte in acutum desinens. (Agath., Hist. Justin., 1. II).
Dans les campemens. les Germains choisissaient ordinairement les Lords
d'une rivière. (Hirtius, 1. VIII, c. 36).
(1) Les armées des Francs étaient divisées en régîmens, appelés scari ou
scarœ. (Aim , 1. IV, c. 26. De Buat, tom. 2, p. 447, 451).
(2) Tacit., M. G., c. 6.
(3) Tacit., M. G., c. 6. Cœs., 1. 1, c. 48.
(4) Effigiesque et signa quœdam detracta îucis inprœlium fenmt. (Tacit.,
iV. G., c. 7, et Hist, 1. IV. Plutarch.. m ^lario).
— 2Î1 —
armés de faux {rhedœ^ (1), et dans lesquels étaient placés
les femmes , les vieillards et les enfans qui animaient les
combattans par leurs cris, comme les bardes par leurs
chants de guerre (2).
Les armes offensives du Germain étaient la pique, la
hache d'armes , le javelot, Tépée et la lance. La pique, à
laquelle ils donnaient le nom àeframée, avait le fer court
et étroit , mais si bien acéré et si maniable que les guerriers
combattaient avec cette arme de loin comme de près. Elle
était particulièrement d'usage dans la cavalerie, c|ui, suivant
Tacite, n'était armée que de la framée et du bouclier (3).
La hache d'armes était k deux tranchans ; celle qui
avait un long manche s'appelait hallebarde.
L'épée était de deux espèces : l'épée courte, le plus souvent
recourbée , s'appelait swerd et pendait a un ceinturon , qui
passait sur l'épaule droite (4) ; le glaive , long , large et sans
pointe, éldiiinoxTimé spadoxxspada (espadon). C'était l'arme
dont s'étaient servis les Cimbres , au rapport de Plutarque ;
néanmoins. Tacite remarque que de son temps l'épée et la
lance étaient encore de peu d'usage chez les Germains (5).
Les drapeaux des Francs portaient la figure d'un lion et d'un serpent,
ceux des Gotlis celle d'un dragon en temps de guerre, et celle d'un agneau
en temps de paix.
(1) Cses., 1. I, c. 51. 1. IV, c. 14. Tit. Liv., 1. X, c. 28. Pers., Sat. 6.
(2) Les Germains sonnaient la charge au moyen d'un cor qui rendait un
son rude et sauvage : Horridum helUceqme terrori convenientem sonum. (Diod.
Sic, 1. V. ^
yangiones, Batavique trucsem quos œre recurvo
Stridentes acuere tubœ.
(Lucan., Phars., 1. ï).
(3) Hastas, vel ipsorum vocabulo frameas, gerunt, angusto et brevi ferro^
sed ita acri et ad usum hahili, ut eodem telo, proui ratio poscit, vel conti-
nus vel eminùs pugnent. Et eques quidem scuta frameâque contentais est.
(Tac, M. G., c. 7).
(4) Mallet. Introd. à VHist. du Danemarc , p. 151.
(5) Rari gladiis aut majorihns lanceis tttuntur. [M. G., c 6).
— 212 —
Il ne paraît pas qu'ils se servissent déjà alors de Tare et de
l'arbalète ; cependant Strabon les donne pour armes aux
Belges.
Les armes de'fensives du Germain étaient le bouclier , le
casque et la cuirasse (1) mais les deux derniers , faits
ordinairement de cuir, paraissent n'avoir été portés que
par les chefs ou les personnes les plus distinguées. Le com-
mun des guerriers marchait au combat le corps presque
nu et la tête découverte, ou affublée d'une peau d'animal
sauvage (2).
Les boucliers , d'osier ou d'un bois léger , étaient de
forme oblongue et peints de diverses couleurs (3). « On
s'en servait non-seulement pour repousser les traits de
l'ennemi , mais encore , dit Mallet, pour porter les morts
en terre , pour épouvanter l'ennemi en frappant dessus ,
pour former, au besoin, des espèces de couverts et de tentes
quand on campait en rase campagne , et que le temps était
mauvais. Dans les batailles navales , ils n'étaient pas d'une
Cependant il est fait expressément mention de la lance dans la loi des
Ripuaires. [Lex Ripuar., tit. 36). Les Saxons portaient mie espèce d'épées
qui leur était particulière : elles étaient longues , courbées comme des faux , et
avaient leur tranchant dans un sens opposé à celui de ce dernier instrument. Ils
donnaient a cette arme le nom de seaxes ou seaxen et prétendaient en avoir
reçu le nom de Saxons. Ils portaient outre cette épée. qui leur pendait au
côté droit, un couteau et un poignard tenu dans une gaîne séparée. (Strutt,
l'Angleterre ancienne, tom. 1).
Du temps de Charlemagne , la lance était devenue Tarme la plus noble et
de l'usage le plus général. (Leges Francor., l. III, c. 4. Capitul., Car, M.,
(1) Spata cum scogilo, bruniam (loricam), hehnuni cum directo [al. con-
dricto), hainhergas, scutum cum lancea. [Lex. Ripuar., tit. 36).
(2) JVndi aut sagulo levés; nulla cuUùs Jactatio.... Paucis loricœ, vix uni
aUerive cassis aut galea. (Tac, M. G., c. 6, Annal., 1. I, c. 13).
(3) Ne scuta quidem ferro nervoque firmata, sed viminum textus, vel
tenues et fucaias colore tabulas. (Tac, Annal., 1. I, c. 13. M. G., c. 6. Caes.,
1. III, c. 33).
- 213 —
moindre utilité , car si la crainte de tomber entre les mains
des ennemis obligeait quelqu'un à se jeter dans la mer , il
pouvait aisément se sauver h la nage sur son bouclier
Enfin on se faisait quelquefois un rempart de ses boucliers,
en les serrant les uns contre les autres , en forme de cercle,
et a la fin de la campagne , de retour chez soi , on les sus-
pendait aux murs de sa maison , comme le plus bel orne-
ment dont on put la décorer (1). »
l^îallet prétend qu'il n'était pas permis a tous les Ger-
mains indifféremment de porter des boucliers peints ou
gravés. « Quand un jeune homme, continue-t-il, était pour
la première fois enrôlé, on lui donnait un bouclier tout
blanc et tout uni , qu'on nommait écu d'attente. 11 le por-
tait jusqu'à ce que, par quelque action d'éclat, il eut obtenu
la permission d'y faire graver les marques glorieuses de sa
bravoure ; c'est pour cette raison , qu'il n'y avait que des
princes ou des hommes distingués par leurs services , (}ui
osassent porter des boucliers ornés de quelque symbole ;
le commun des soldats ne pouvant guère obtenir, surtout
dans la suite des temps , une distinction dont les grands
étaient si jaloux. Déjà même dans l'expédition des Cimbres,
la plus grande partie de l'armée n'avait, au rapport de
Plutarque , cjue des boucliers blancs. Dans la suite , mais
longtemps après, ces symboles que les guerriers illustres
avaient adoptés , passant des pères aux fils , produisirent
dans le nord , comme dans le reste de l'Europe, les armes,
ou armoiries héréditaires (2). »
La description qu'Agathias, historien du 6« siècle, nous
donne des armes des Francs, est un résumé de tout ce que
nous venons de dire sur la manière dont les Germains s'é-
(1) Mallct, Introcl à l'JIisf. du Dancm., p. 152.
(2) Mallet, p. 153.
— 214 —
quîpaient pour la guerre. « Ils ne savent , dit-il , ce que c'est
que de cuirasse, de cuissars , ni de bracelets ; la plupart
ont la léte découverte, et il y en a très-peu qui portent des
casques; ils sont nus par devant, et par derrière jusqu'à la
ceinture , ils ont le reste du corps couvert de peaux ou de
toile ; ils ne se servent presque point de chevaux , parce-
qu ils sont merveilleusement exerces dès leur première jeu-
nesse a combattre a pied, selon la coutume de leurs pays.
Lepëe et le bouclier (1) leur pendent au coté gauche ;
ils n'ont point de frondes, de dards, d'arcs, de flèches ni
d'autres armes propres à être jete'es de loin. Ils se servent
principalement de haches qui coupent des deux cotes et
do javelots , cjui n'étant ni fort grands , ni aussi trop petits,
mais médiocres , sont propres, et à jeter de loin dans le be-
soin , et à combattre de près (2). Ils sont tous garnis de
lames de fer, de sorte qu'on n'en voit point le bois. Au-des-
sous de la pointe il y a des crochets fort aigus et recourbés
en Ifâs en forme de hameçon. Quand le Franc est dans une
bataille, il jette le javelot; s'il entre dans le corps de l'en-
nemi, il est difficile de l'en retirer, à cause des crochets ,
qui sont enfoncés dans les chairs, et qui causent de grandes
douleurs de sorte que quand la blessure n'aurait pas d'ail-
leurs été mortelle , elle ne laisse pas de causer la mort ; si le
javelot ne perce que le bouclier, il y demeure attaché et traîne
(1) Les Francs portaient des boucliers faits de peaux de bétes fauves, pi-
quées et matelassées. Pour marquer le centre de la partie convexe du bouclier,,
ils y attachaient un cercle de laiton. Plusieurs de ces cercles placés dans un
ordre concentrique servaient a distinguer, par leur nombre, le rang et les
services des guerriers. Ils contribuaient aussi à rendre les coups moins sen-
sibles. Caylus donne le dessin de plusieurs boucliers de cette espèce trouvés
à Bavai.
(2) Clodovœus lustrans exercitum. ad[militem ait : neque liasta, nefjnc
gladins, neijne hipennis (tua) utilts est, (Greg. Tur., 1, II, c. 27).
— 215 —
à terre par le bout d'en bas. Il est impossible a celui qui en
est frappé de l'arracher à cause des croche Is qui le retien-
nent; il ne peut non plus le couper a cause des lames qui le
couvrent. Quand le Franc voit cela , il met le pied sur le
bout du javelot et pèse de toute sa force sur le bouclier, tel-
lement que le bras de celui qui le soutient venant a se las-
ser, il de'couvre la tête et l'estomac; ainsi il est aisé au
Franc de le tuer, en lui fendant la tête avec sa hache , ou
en le perçant d'un autre javelot. Telles sont les armes dont
ils se servent , et telle est la manière dont ils combat-
tent (1). «
Pour un Germain les armes étaient la plus précieuse des
propriétés; il ne les quittait jamais; a Les Germains ne
font rien , dit Tacite , ni en particulier , ni en public, sans
avoir leurs armes (2), Elles les accompagnaient aux as-
semblées publiques, aux festins j aux tribunaux, dans les
sanctuaires des dieux et jusque dans leurs tombeaux. » Les
armes étaient même regardées par les Germains comme des
objets sacrés; chez les Golhs, une épée nue était l'emblème
du dieu des combats (3). C'est sur leurs étendards et leurs
framées, que les peuples germains prêtaient les sermens
les plus solennels et que les individus s'obligeaient dans
tous les contrats particuliers (4). Plusieurs de leurs codes dé-
(1) Agathias, Htst. de Justînien, 1. II, c. 3, trad. du présid. Cousin. Voir
aussi Sid. Apoll. 1. IV, ep. 20. De Buat, tom. 2, 1. IX, c. 8.
(2) Wihil autem, neque publicce neqiie privatœ rei, nisi armaii agimf.
{M. G. c. 13).
(3) Gladius harbarico rita fgitiir midus, iit Martem colunt. (J ornùndcs ,
Hist. GoiJi. et Amm. Marcell., I. XVII, c. 12).
(4) Educiisque mucronibus, quos pro numinibus colunt {QiiRdï) , Juravere
se permansuros in fde. (Amm. Marcell., 1. XVII, c. 12).
Jurabant etiam (Saxones), juxta ritem gentis suœ, super arma gentis suœ.
[Annal, fuld. ad ann. 785. Aimoin,, Hist Franc, 1. IV, c. 26; et Fredeg.,
Chron.j c. 74).
— 216 —
fendent strictement l'alie'nation des armes (1). Chez les
Saxons la privation des armes équivalait à la perte de la
liberté.
Tous ces instrumens de guerre dont on se servait aux
sièges des villes avant la découverte de l'artillerie , étaient
totalement inconnus aux anciens Germains (2). César
rapporte que lorsque les Atuatiques virent qu il faisait con-
struire une tour de bois, pour s'en servir a l'attaque de \ oppi-
dum, où leur armée s'était réfugiée après la défaite des Ner-
viens, ils se moquèrent de son projet , ne pouvant concevoir
que des hommes de la taille des Romains , pussent remuer
cette énorme machine et la faire approcher de leurs rem-
parts. Mais lorsque la tour fut au pied de leurs murs
et prête a les battre en brèche , ils se rendirent à discré-
tion, disant qu'ils ne pouvaient concevoir que les Romains,
en faisant mouvoir avec tant de célérité des machines d'un
poids si considérable , ne fissent la guerre sans le secours
des dieux (3). Les Germano-Belges, en attaquant une place
forte, se contentaient d'y lancer une grande quantité de
pierres et de traits pour faire déloger ceux qui défendaient
les remparts ; après quoi ils s'approchaient des portes et
tâchaient de s'y introduire en y mettant le feu (4). Lors-
Les Gaulois regardaient également comme le serment le plus solennel,
celui qui était prêté sur les armes et les étendards. (Csss., I. VII, c. 2). Voir
aussi : Lex Alam , tit. 89. Lex. Bajuv., c. 22, tit. 4. Lex. Ripuar., tit 33,
§ l. Lex Sax., tit. 1, § 8. Lex Longoh., I. II, tit. 55.
(1) Ne quis spatham suam in ipsatn capitis redemptionem dure cogcretur.
(2) JVihil tant ignarurn barbaris, quam machinamenta et astus oppugna-
twmim; at nobis ea pars militiœ maxime gvara est (Tacit., jénn., 1. Xll.
Nist., l. IV).
(3) Non se existimare, Romanos sine ope divina belhim gerere, qui iantœ
altitndinis machivatioues tanta celeritate promovere ( et ex propinqvilale
pugnare) possent. (Cxs., 1. II, c. 31 et 30).
(4) Caes., l. II, c. 6.
h'oppidum des Atuatiques était, comme nous l'avong dit plus haut, soli-
- 217 —
que les Nerviens attaquèrent le camp de Quintus Cicéron,
ils avaient dëja appris de quelques prisonniers romains , à
assiéger les places fortes d'une manière plus conforme à la
tactique militaire. C'est pourquoi ils commencèrent par
investir le camp romain et par se mettre eux-mêmes en
sùretë contre les sorties delà garnison, en l'entourant d'une
circonvallation , consistant en un rempart de terre de 10
milles de circuit^ sur 11 pieds de hauteur, flanque de tours
en bois et entoure d'un fossé de 15 pieds de largeur. Mais
manquant encore d'instrumens nécessaires pour exécuter
cet ouvrage, ils détachèrent la terre avec leurs épées et l'en-
levèrent de leurs mains et au moyen de sacs ; néanmoins ils
l'achevèrent en moins de trois heures de temps (1) ! César
lui-même admira ce travail (2). Cet auteur parle d'un stra-
tagème de guerre dont usaient les Nerviens, et cjui prouve
la sagacité de ce peuple barbare : comme leurs pays était
couvert de forêts, ils avaient imaginé de se servir de ces der-
niers comme d'un moyen de défense naturelle : pour empê-
cher la cavalerie ennemie de pénétrer sur leur territoire,
ils en bouchaient tous les abords, en construisant avec le
dément fortifié par un mur en pierres et en bois, a la manière de certains
forts gaulois, et c'est sans doute des Celtes que les Atuatiques avaient
appris ce système de fortification.
(1) Vaîlo pedum XI, et fossampedum XV, hiberna cingunt. Hœc et superio-
rum annorum consuetudine à nostris cognoverant. et quosdam de exercitu nacti
captivos, ab his docebantur. Sed imlla ferramentorum copia, quœ sunt ad
liunc usum idonea , gladiis cespitum, circumçidere, manibns, sagulisque ier-
ram exhaurire cogebantur. Çua quidem ex re hominiim multihido cognosci
potuil ; nam minus Jioris tribus, niillium X in circuitu miinitionem perfe-
cerunt : rcliquisque diebus turres ad aliitudinem valli, faîces testndines-
que, quas iidem caplivi docueranl , parare acfacere cœperunt. (Cœs.. 1. V,
c. 42).
(2) Institutas turres , iestudities , munitionesque hoslixim admiratur. (Id,,
1. V, e. 52).
Il faut voir dans César tout ce qui concerne ce siège mémorable pour se
faire une idée de la tactique militaire des Nerviens.
— 218 —
Lois taillis et les branches des jeunes arbres, des haies vives
qui avec le temps formaient une barrière impénétrable (1).
§ VII.
Chasse et autres divertissemens chez ies Germains.
La chasse , retraçant l'image des combats , devait néces-
sairement être du goût d'un Germain, dont toutes les idées
ne se portaient qu a la guerre. Aussi les Germains aimaient-
ils avec passion cet exercice qui , dans les momens de paix
et de repos, nourrissait leurs forces et entretenait leur esprit
belliqueux. Il est vrai que Tacite avance qu'ils n'y don-
naient que peu de momens et qu'ils lui préféraient l'inaction
et la débauche (2) ; mais cet auteur est ici en contradiction
manifeste avec César (3) et avec les documens anciens les
plus authentiques, particulièrement avec les codes germa-
niques. Les peines sévères que ces derniers portent contre
les délits de chasse , tel que le vol de chiens, et les races nom-
breuses que les Germains possédaient de ces derniers (4) ,
sont une des preuves les plus frappantes du plaisir que
(1) Cses., 1. II, c. 17.
(2) Quoties hella non ineunt, non multurn venatibus, plus otium transi-
gunt, dedili iiommo ciboque (Tac, M. G., c. 15).
Quelques éditions ont cependant : multum venatibus.
(3) Vita omnis in venationibus atque in studiis rei militaris consislil.
(Caes.,1. VL c. 21. 1. IV, c. 2).
Eginhard déclare qu'aucun peuple sur la terre n'égalait les Francs dans
l'exercice de la chasse : Exercebatur assidue venando , dit-il, en parlant de
Charlemogne, quod illi gentilium eral , quia vix iilla in terris natio inve-
nitur quœ in hac arte Francos possit œquare. Et ailleurs : filios quam pri-
vium œtas patiebatur, more Francorum equitare, armis ac venationibus exer-
ceri j'ubet. (Eginhardi vita Car. Magni, et auctor anonymus, de Gestis Dagob.
reg. c. 2).
(4) Canis accepforiliiis , canis argutarîus , canis bibarliuni, canis ductor,
canis petrunculeius , canis triphunt, canis segutius, canis velfi'eus , canis
tirsatitius. (Lindemb., Gloss. et Reynier, p. 139).
— 219 —
cette nation trouvait a la poursuite des animaux sauvages,
qui peuplaient les vastes forets de leur patrie.
Les codes des Allemands et des Bavarois fixent une com-
position fort élevée pour le meurtre d'un homme cause' par
un chien de race; si le propriétaire du chien refusait de
payer Famende , on bouchait toutes les ouvertures de sa
maison à l'exception d'une seule dans laquelle on suspendait
le chien , et oii il restait exposé jusqu'à ce qu'il fut tombé
en pourriture. Le maître de l'animal ne pouvait entrer
dans sa demeure ou en sortir c[ue par ce seul conduit (1).
Le code des Bourguignons statue une peine plus bizarre en-
core pour le vol d'un chien de chasse : elle condamne le
voleur a une amende de sept sols et à baiser le derrière de
l'animal en présence du peuple assemblé (2). La loi salique
porte la composition d'un chien de chasse volé , a 15 sols,
et a 45 sols, si le chien est dressé. Elle établit de même une
amende contre celui qui volerait un cerf, ou un sanglier
mis aux abois par les chiens d'un chasseur (3).
C'était principalement dans la saison de l'automne, que
les Germains se livraient au plaisir de la chasse, et ces
chasses d'automne devinrent même dans la suite pour les
rois francs, une espèce d'étiquette obligée (4).
(1) Si canis alienus hominem occident, médium W eregildum solvat{ào-
minus ejus); et si totum Jf eregildum qiiœrant, omnia ostia sua claudantur,
et per unum ostium semper intret et exeat; et de illo limitare in novem
pedes suspendafur, usqiie dum toius putrescat;^ et uhi putridus cadat et ossa
ipsius ihi jaceant ^ per alium ostium nec intret nec exeat,' et si canem ipsuin
inde jactaverit, aut per aliud ostium, intraverit in casam, ipsum W eregildum,
médium reddat. [Lex. Alam., tit. 99, § 22).
(2) Si quis canem veltraceum, aut segulium, vel petrunculeum prœsump-
serit inviolarc, jubemus ut co?ivicius , coram omni populo, posteriora ipsius
(canis) osculetur. [Lex. Burg., additam., 1, tit. 10).
(3) Lex. Sa!., tit. 6,§ 1, 2, tit. 35.
(4) Eginl).. Fila Car. M., Le Grand d'Aussy, Tic privée des Franc,
tom. l,p. 377.
— 220 —
Après la description que nous avons faite , dans le cha-
pitre précédent, de la manière de chasser des Gaulois, il
nous reste peu de chose à dire sur celle des peuples germains
qui était exactement la même. Les Germains aimaient de
préférence la chasse des animaux féroces, tels que les ours,
les bisons , les chevaux sauvages et les loups , parce qu elle
présentait plus de dangers à courir, et que par conséquent,
elle rappelait davantage les périls des combats (1).
Les Germains avaient Fart d'apprivoiser les cerfs pour
s'en servir à la chasse d'animaux de même espèce , qu'ils
attiraient ainsi dans des pièges et a la portée des coups du
chasseur. Les codes anciens établissent différentes peines
contre ceux qui portaient atteinte à la propriété de ces
bêtes fauves , changées en animaux domestiques (2).
Une chasse qui paraît avoir été particulière aux peuples
germains , est celle à l'épervier et au faucon. Il en est fait
fréquemment mention dans les codes germaniques : la loi
salique et celle des Bavarois , condamnaient a une amende
celui qui volait un oiseau de proie {^accipiter ^ sparvus) ^
dressé a la chasse. Le code des Bourguignons renferme une
loi des plus bizarres , relative au vol d'un épervier : le
(1) Cses.. 1. VI, c. 26. Pomp. Mêla, 1. III. De his camhiis qui ursos vel
BUB.vLOs, id est magnas feras, quod scaarzuuild (gros ^xhiQv) dicimus, perse-
(juantur, etc. {Lex.Bajuv. , tit. 19, c. 7 ).
On prenait les loups dans des pièges dressés à cet effet (des j^as de îotq}):
Jubermus ut quicumque à prœsenti tempore occidendorum liiponim studio
arcus posuerint , statim hoc ipsum vieillis suis eodem die vulgantes , cognas^
cant; ita ut 1res linsas ad prenoscenda positi arcus, indicia d il i g en ter ex ten-
dant, ex quibus duœ superiores sint. {Lex. Burg., tit. 46).
(2) Lex. Sal. , tit. 35. ^2 et seq.
De eo qui hisontem vel cetera animalia furaverit vel occ'iderii, etc. [L. Alam.,
tit. OD). Si ursus alienus occisus aut inviolatas fuerit, solvat eum sol. 12.
( tit. 100 ). Siqiiis bisoiitem, bubalum vel cervum qui prurgit (brnjjit, burgit)
furaverit aut occiderit, duodecim sol. componat. (tit. lOI). La loi salique con-
damnait a une amende celui qui avait volé ou tué un cerf domestique.
coupable y est condamne a se laisser manger par cet oiseau
six onces de chair de ses fesses , ou de payer six sols au
maître de Te'pervier (1). ^"
Les rois francs et ceux de la race carlovingienne se plai-
saient beaucoup a la chasse au faucon. Cette chasse devint
un délassement auquel les habitans de toutes classes pri-
rent part. Charlemagne se yit même oblige' de la défendre
aux ëvéques , aux supérieurs des monastères , et jusqu'aux
religieuses (2).
Outre la chasse , les Germains avaient plusieurs autres
espèces de di vertissemens pour occuper leurs loisirs ; tel était
surtout un jeu militaire décrit par Tacite , et parfaitement
en harmonie avec le caractère farouche et guerrier de cette
nation : « une seule espèce de spectacles , dit cet auteur,
la même dans toutes leurs sociétés : des jeunes gens, pour
s'amuser, sautent nus au milieu de framées et d'épées me-
naçantes : cet exercice a tourné en art, l'art enbonne grâce
( ars decorem)^ sans toutefois qu'ils y envisagent ni profit,
ni intérêt, bien que cette hardiesse folâtre porte avec soi
sa récompense , le plaisir des spectateurs (3). «
Une autre récréation des Germains , ou plutôt une pas-
(1) Si quis acceptorem alienum inviolare prœsumserit , aut sex uncias
carnis arceptor ipsè super testones comedat , autcertè si voluerit, sex solides
illi ciii accepfor est, cogatur exsolvere. ( Lex. Burg., tit. II).
(2) Ut episcopi et abhates et abattissœ culpas canum non habeant. née
falcones y nec accipitres. 7iec jocolatores.
L'abbaye de Saint-Hubert, dans les Ardcnnes, était obligée, avant la ré-
volution française, d'envoyer, tous les ans, aux rois de France, six oiseaux
dressés et six cbiens courans.
Quelques codes germaniques défendent de saisir ou de donner en com-
position des armes et Vepervier. [Lex. Longob., 1. I, tit. 9, § 33. Anseg. Capit,
l.IV, §21).
(3) Tac, M. G., c. 24.
Les Goths, dit la chronique d'Isidore, aiment extrêmement a lancer de«
— 222 -^
sion qui avait souvenl les résultats les plus funestes, étaient
les jeux de hasard : « Dans le jeu des des, dont ils s'occu-
pent a jeune sérieusement, continue Tacite, les Germains,
chose étonnante , prennent si fort à cœur le gain ou la
perle, que lorsqu'ils sont ruinés, ils finissent , pour der-
nière ressource, par risquer d un seul coup leur personne et
leur liberté : celui qui a petdu , va au-devant de ses fers ;
quoique plus jeune , quoique plus fort, il se laisse garotter
et vendre ! tel est, sur ce travers , leur entêtement , qu'ils
appellent, eux, point d'honneur. Quant à cette sorte d'es-
claves, ils s'en défont par voie d'échange, pour s'affran-
chir aussi eux-mêmes de la honte d'une semblable vic-
toire (1).»
Parmi les exercices et divertissemens des Germains , il
faut encore compter la nage, dans laquelle, suivant César,
Tacite et d'autres auteurs anciens , ils étaient très-habiles.
traits, a s'exercer au maniement des armes, et c'est leur usage journalier
que de représenter des combats dans leurs jeux.
Ij'espèce de danse au milieu d'épées menaçantes, s'est conservée dans
quelques villages de la Flandre, jusque dans la seconde moitié du 18" siècle.
En 1776, le maïeur d'Hornebeek défendit ce divertissement dangereux aux
liabitans de ce village, lesquels alors substituèrent aux épées. des baguettes de
coudrier. Voici Tordre de cette danse : il y avait buit ou dix paysans rangés
en cercle, et tenant chacun , d'une main, une baguette (avant 1776, une épée)
et de l'autre, la pointe de la baguette de leur voisin. Au milieu du cercle était
placé un homme, nommé vlegeraere, qui dirigeait la danse. Aucun des dan-
seurs ne pouvait lâcher la pointe de la baguette de son voisin , à moins que
le vlegeraere n'eut donné l'ordre de rompre le cercle et de se former en ligne.
Alors même il n'y avait que celui qui se trouvait le premier et celui qui for-
mait la queue de la ligne qui eussent la main libre. Au signal donné, les
danseurs faisaient les sauts et les tours les plus étranges . et se démenaient
avec tant de violence, que quoiqu ayant le haut du corps simplement couvert
de la chemise, ils se trouvaient en nage a la fin de ce singulier exercice.
Pendant la danse, une jeune fille chantait, ou plutôt hurlait des tons sau-
vages, en frappant sur un banc avec un bâton, en forme démesure.
(1) Tacit., i¥. G., €. 24.
^ 223 —
On voit dans FEdda (c. 24) et dans plusieurs sagas des Scan-
dinaves , que ces derniers n'ignoraient point lart de pati-
ner , mais le silence des anciens semble prouver que cet
amusement n était point connu des Germano-Belges et des
Germains méridionaux.
§ VIII.
Condition politique ; gouvernement et lois des peuples germains.
Les Germains , comme les Celtes , comptaient quatre
classes d'habitans : des nobles {adelingi), des ingénus ou
hommes libres, non-nobles {frilingi, ruoda), des affranchis
(lazzi:, frilazzi)^ des serfs et esclaves.
Quelques auteurs modernes ne veulent point reconnaî-
tre chez les Germains la distinction de nobles et de rotu-
riers, mais Tacite et les codes germaniques distinguent
parfaitement ces deux classes de citoyens (1).
On diffère encore d'opinion sur la question : s'il y avait
chez les Germains une noblesse héréditaire ou seulement
une noblesse personnelle qui s'acquérait par des services
rendus à la patrie ou par des charges éminentes (2). Nous
croyons avec M. Raepsaet , a l'existence de l'une et de l'autre
noblesse : a Chez les Germains, dit ce savant, il y avait deux
(1) Tacit., J!!/. G., c. 7, 11 et 35.
Quatuor differentias geus illa constitit, dit Adam de Brème , en parlant
des Saxons, no&i'Zmw siclicetet liberorum et îibertonim atque servorum. Nithard
dit la même chose (1. IX). Les lois des Angles et des Warnes, distin-
guentle noble {adilingue) de Tingénn. {Lex. Angl. et Jfarin.^ tit. 1-5). Il en
est de même de la loi des Frisons. ( tit. 1, de Homic. ). Voir aussi Reynier ,
p. 87.
(2) Lettres sur V Origine de la noblesse française. Lyon, 1763, in-8''.
Boucquet,ie droit public de France, éclairci par les monumens. Paris, 1756,
in-4°, DeBuat.tom. 1, passiin.
— 224 —
espèces de noblesse; Tune personnelle et lautre titulaire a
raison des fonctions dont un individu élait revêtu; les uns
c'iaient nobles de race , les autres l'étaient à titre de grands
officiers du gouvernement. Ces deux classes de nobles dis-
tinguées de celle du peuple, plehs, sont les mêmes que nous
avons reconnues sous la période franque , sous le titre de
majores privilegio et proceres potestate. Les premiers
étaient ceux qui étaient dans la foi immédiate du roi , an-
trustiones , vassi dominici ^ pueri régis , in truste dominiez ,
les autres étaient des officiers du roi , etc. Les deux classes
avaient séance au placitum regium ou états-généraux ; les
premiers pour leurs personnes, les autres comme repré-
sentans de leur ressort (1). w
Les nobles germains , quoiqu'ils n'eussent pas le même
pouvoir que les nobles chez les Celtes, jouissaient de
quelques prérogatives particulières. C'était parmi eux
qu'on choisissait les rois (2). Ils avaient la première
voix délibérative , après le roi , dans les assemblées natio-
nales (3). Enfin c'était ordinairement parmi les nobles
qu'étaient élus les premiers fonctionnaires publics. Dans
tout autre cas , les hommes libres de naissance , quoique
(1) Raepsaet, Hist. des États- Généraux et provinciaux des Gaules, c. 5,
sect. 2.
Tacite distingue plusieurs degrés de noblesse chez les Germains, {M. G.,
c. 13). Voir aussi Toulotte, tora. 2, p. 4. De Biiat, tom. 1, p. 128.
i^l) Reges ex nohililate^duces ex virtute sumunt.iTdiC..^ M. G., c, 7). Omnes
re ges illi( longohardici) fuerunt adelingi, idest, de nohiliari prosapia, guœ
apud ilîos ADALiSGA. (Goth. frid. viterd. chron. ad ann. 777). Eos (Franros)
juxta pagos vel civitates reges crinitos super se creavisse prima et nohiliori
suorum familiâ. ( Greg. Tur. , 1. II, c. 9). Chez les Saxons et les Bavarois,
le roi devait être issu de père et mère nobles ; mais chez les Francs . on ne
considérait que la condition paternelle. (Greg. Tur. , 1. V. c. 20 ).
(3) Boucquet prétend cependant, quoiqu'à tort, nous paraît-il, que les
Leudes n'avaient point séance aux plaids généraux. ( Boucquet, le Droit pu-
hlic de France , etc.. p. 9G ).
— 225 —
quoique simples roturiers , jouissaient des mêmes droits
que la noblesse : ils pouvaient, comme les nobles , prétendre
aux emplois civils et militaires, ils sie'geaient comme eux ,
aux assemblées publiques , ne payaient aucun impôt (1) et
étaient uniquement astreints au service militaire, qui,
chez les Germains, était plutôt regard ëcomme une pre'ro-
gative honorifique , que comme une charge (2). C'était
même dans la classe du peuple qu'on choisissait souvent
le chef de Farme'e (hertzoge, ducs), dont le pouvoir,
en temps de guerre , e'tait supérieur à celui du roi ,
et dont les devoirs consistaient, disent Toulotte et Riva ,
« à se montrer capable de discuter sur le droit , d'ad-
ministrer la justice, de commander l'armée , de bien mon-
ter a cheval et de manier les armes avec dextérité (3).»
La condition politique du peuple, chez les Germains,
était donc bien diiGférente de celle des plébéiens gau-
lois.
Le sort d'un homme , qui , ayant vécu dans l'esclavage ,
obtenait ensuite sa liberté, était au contraire assez misé-
rable , celui excepté d'un affranchi du roi , qui souvent ob-
tenait toute la confiance de son illustre patron et parvenait
même aux premières charges de l'état (4). Le peu de con-
(1) De Buat, tom. 1, p. 153-157, I61-1G3.
(2) Tacit., M. G., cil. Hachenberg, Biss., Il, § 12. Néanmoins chez les
Tréviriens, le pouvoir paraît avoir été presqu'entièrement entre les mains
des nobles. (Cses., 1. V, Desroches, Hist. arie, des Pays-Bas, Autrich ,
P- 57 ).
(3) Lex. Alam., tit. 35. Bavar., lit. 1, c. 10. Witikind, An7i. Sax., I. I,
Mezerai, Abrégé chronol. , de F Hist. de France, tom. 1. Toulotte et Riva
tom. 2, p. 226. — Cependant chez les Francs, c'était ordinairement le roi
qui commandait en personne les armées. (De Buat, tom. 2, p. 445, 520. Ton-
lotte et Riva, tom. 2, p. 131 ).
(4) VoirBoucquet, p. 190. De Buat, tom. 3, p. 389, tom. 2, p. 107. Greg.
Tur., 1. V, c. 49 , 50. 1. VI , c. 32. Toulotte et Riva , tom. 2 , p. 404.
TOMB I. 15
— 226 -
sidération dont jouissait un affranchi a été cause sans doute,
que chez les Saxons, les affranchis étaient, suivant plusieurs
auteurs anciens, compris dans la classe des esclaves (1)
et que le code lombard ne les compte dans celle des
hommes libres ingénus qu'à la troisième génération (2).
«Les aflfranchis , dit Tacite, presqu aussi peu considérés que
les esclaves , ne jouent de rôle que rarement dans les fa-
milles, jamais dans l'état , à moins que le gouvernement ne
soit despotique; car alors ils s élèvent au-dessus des hommes
libres et même des nobles ; ailleurs , comme on tient dans
l'abaissement les esclaves rendus a la liberté, la liberté s'en
glorifie (3). »
Il y avait deux espèces d'afifranchis , ceux qui recevaient
avec une pleine liberté , le droit de disposer librement des
propriétés qu'ils avaient acquises depuis leur affranchisse-
ment , et ceux qui ne recevaient qu'une demi liberté et ne
pouvaient agir en rien sans le consentement de leurs pa-
trons. On appelait cette dernière espèce d'affranchis ,
aldi^ liti,frilazin{4t).
Il y avait aussi différentes manières d'affranchir un
homme en état de servilité : celle de donner des armes à
l'esclave en présence du Juge ; celle du thinœ^ qui avait lieu
du consentement du maître, ou malgré lui , s'il avait tenté
de séduire la femme de son esclave , etc., etc. (5). L'affran-
(1) Nithardî, /^isf. Franç.fl. IV.Hucbaldus, Vita s. Lebuini. Wern. Ro-
levinc, de situ et morib. Jfestphalor, 1. Il , c. 1.
(2)i.io«^.,l. II, tit. 14, § 17.
(3)Tac., ^. <?., c. 15.
(4) Lex. Long. , 1. II, tit. 34, § 12, tit- 35 , § l et 2, 1. III , tit. 20. Lex,
Sal, tit, 28. Tfisig.^ 1. IV, tit. 5,^ 7. Ripuar, tit. 61,^ 1. — L'acte par lequel
on affranchissait entièrement Y Aldus portait le nom à'amund, (Lindebrog.,
Glossar v. Amund).
(5) Reynier, p. 9K
— 227 —
chissement le plus complet eL le plus solennel est celui qui
se faisait par la ce'rëmonie dite le jet du denier : le maître
conduisait devant le roi l'esclave auquel il voulait donner
la liberté' ; ce dernier tenait en main une pièce de monnaie
que son maître lui faisait jeter en présence du souverain ,
ou que celui-ci faisait tomber lui-même de la main de l'es-
clave. Ces afifranchis qu'on nommait denariaux ( denaria-
les)^ étaient sous la protection particulière du roi et il était
défendu de les réclamer. Le fisc était leur unique héritier,
s'ils ne laissaient point d'enfans (1). Ils ne pouvaient eux-
mêmes hériter de leurs'agnats, qu'après la troisième géné-
ration. Les lois barbares élèvent la composition d'un dena-
rial à un tiers de plus que celle de l'esclave devenu citoyen
romain (2).
Les afifranchis qui s'étaient rendus coupables d'un crime
grave, qui avaient épousé une esclave ou s'étaient montrés
ingrats envers leurs patrons , retombaient en esclavage (3).
Le mariage entre l'afifranchi et une personne de la famille
de son patron était sévèrement défendu : le code des Ri-
(1) Sous Charlemagne , le fisc héritait même d'un affranchi père de fa-
mille; il ne pouvait disposer de ses hiens que par acte intervif ou par acte
pour cause de mort. ( Capit. Carol., M., a. 811, art. 6).
(2) lex. Rip., tit. 59, § 4. Sal tit. 62. De Buat, tom. 2, p. 105, 106.
Plusieurs modes d'affranchissement chez les Germains, devenus maîtres
des Gaules , n'ont dû avoir été introduits que depuis le 5® siècle ; tels sont
<ienx per tabularium, per epistoïam et devant l'église.
Les Lombards et les Anglo-Saxons, usaient quelquefois d'une cérémonie
assez bizarre en affranchissant un esclave: « Le maître livrait Fesclave h
un homme de condition libre; celui-ci, à un second; le second à un troi-
sième; ce troisième à un quatrième, ce dernier le conduisait dans un lieu où
quatre chemins venaient aboutir; il l'informait alors qu'il pouvait prendre
tel chemin que bon lui semblerait. » (ïoulotte et Riva, tom. 2, p. 454).
(3) Sur les obligations mutuelles du patron et de l'affranchi . voir Tou-
lotte et Riva, tom. 2, p. 457-462.
— 228 —
puaires condamne a la peine capitale l'esclave qui aura
e'pousé la veuve de son ancien maître.
La condition des esclaves chez les peuples germains ,
peut être assimilée à celle des serfs du moyen âge : « Les
esclaves de la maison, dit Tacite, n'y restent point attache's,
comme les nôtres, à certains emplois : chaque serf a sonre'-
duit et ses foyers ; le maître lui demande tant de blé, tant
de bétail, tant de fourrures, comme à un colon, et cette
redevance fournie, le maître n exige pas davantage de son
esclave; le service domestique se fait par lesenfans et par
la mère de famille (1). Mettre un esclave aux fers, l'excé-
der de coups et de travail , n'est point la coutume du Ger-
main (2). yy
Chez les Germains , un homme tombait en état de servi-
lité pour différentes causes , par naissance , par le droit de
la guerre , pour des crimes graves , pour dettes , en s'al-
liant a une femme esclave , en trafiquant de sa liberté (3).
On devenait encore esclave du fisc lorsqu'on ne pouvait
payer l'amende a laquelle on avait été condamné par la
loi ; mais cet esclavage n'était que temporaire.
Lorsque Tacite avance qu'un Germain qui tuait son
esclave , jouissait de l'impunité , il se trompe ; car les lois
barbares punissaient le meurtre d'un esclave , n'importe
(1)11 y avait cependant des esclaves domestiques, exerçant différens mé-
tiers, tels que ceux de forgeron, de charron, etc., {Lex. Sal. , tit. 2. § 5.
Long., 1. I, tit. 2, § 7. Jlavi., tlt. 9) : mais cette classe d'esclaves était peu
nombreuse. (DeBuat, tom. 2, p. 73, 383).
La division des esclaves en villani, bordarii, casati, adscriptiîii, fiscalini,
mancipia prîvatorum, etc., ne date chez les peuples germains, que du 5" siècle,
et dérive évidemment des lois romaines.
(2) Tacit, J!f. G., c. 25.
(3) Hachenberg , Biss., II, § 15. Lear. Fris., tit. 2,§ l. Long., 1. III, tit. 9,
^5. Ansegisi Capitul, 1. I, ^ 120. Bïarculphi Fonmdœ ^ 134, 136.
-^ 229 —
par qui il eut ëlë commis. La composition pour ce crime
était, il est vrai, moins forte que celle que la loi exigeait
pour l'assassinat d'un homme libre (1) ; mais , par com-
pensation , le crime commis par un esclave entraînait une
peine moins sévère que s'il eut été commis par un ingénu ;
ainsi le code frison veut que la composition soit d'un tiers
plus élevée si le coupable est noble, et diminuée de moitié
s'il est affranchi ou esclave (2).
Ce qui prouve l'état d'abaissement dans lequel les af-
franchis étaient tenus chez les Germains, c'est que, comme
les esclaves, ils ne pouvaient point témoigner en justice (3)
ni remplir aucune charge publique; il n'y avait d'excep-
tion à cet égard , que pour les afifranchis du roi qui rem-
plissaient même souvent les fonctions de Juge (4).
Le gouvernement de la plupart des peuples germains ,
était une monarchie démocratique ; quelques peuplades ,
mais en petit nombre, obéissaient a des rois absolus ; et d'au-
tres, tels que les Lombards et les Saxons , se gouvernaient
en république (5). Mais c'est à tort que César a dit que
(1) Dans le code bourguignon , la composition d'un esclave est évaluée au
prix de quatre chevaux. ( Lex. Buvg., tit. 4,§ 1, tit. 5, § 3. Alam., tit. 95.
Fris., tit. 15, § 4).
(2) Lex. Fris. Épilog., Visig., 1. VII, tit. 2. § 14. Long. , i. 1, tit. 2, § 5.
Sal, tit. 13.
(3) Boucquet, le Droit public de France, ete., p. 19K
Servo penitus non credatur si super aliquem crimen ohjecerit aut si eliatn
dominum suum in crimine impeticrit. Nain etiamsi in iornientis positus expo-
nat quid objicifiir, credi tamen nullomodo oportehit. (Capitul. Anseg. ,1. VI,
c. 146, Lex. TFisig., 1. II, tit. 5, § 6).
(4) Boucquet, p. 190. De Buat, tom.2, p. 107. — Cependant jamais ils ne
pouvaient prétendre a la noblesse. (De Buat, tom. 1 , p. 120.)
(5) Quod pagos , tôt penè duces , dit le poète saxon, en parlant de sa na-
tion, ( Pœta Saxo. ad. ann., 700). — Antiqui Saxones, dit le vénérable Bede'
regem non habebant, sed safrapas plurimos genti suœ prœpositos, qui in-
— 230 —
tous les peuples germains , sans exception , n e'taient com-
mandes que par des chefs temporaires, et en temps de guerre
seulement (1); tous les documens anciens attestent le con-
traire. Cësar lui-même en paraît convenir, lorsqu'il parle
des rois des peuples germano -belges, les Eburons, les
Nerviens et les Trëviriens (2).
Souvent même une peuplade e'tait gouvernée par deux
rois à la fois; tels étaient chez les Germano- Belges , Am-
biorix et Cativulcus, rois des Eburons; Induciomare et
Cingetorix , rois des Tréviriens (3). Chacun de ces chefs se
trouvait ordinairement à la tête d'un parti. Ces divisions,
si elles contribuaient a consolider la liberté et Findépen-
dance du peuple et formaient une puissante barrière contre
le despotisme auquel aurait pu tendre un chef ambitieux ,
étaient aussi un levain de discorde et de division et devaient
être la cause continuelle de dissentions intestines (4). Cepen-
dant , ce qui constitue un titre de gloire pour les Germano-
gruenti helli artîcuïo, mittunf œtjualiter sortes, et quemcumque sors ostende-
rit, hune tempore helli ducem omnes sequuntur et huic obtempérant Peracto
autem bello , rursum œquales potentiœ omnes fiunt (Beda Venerab., flist.
eccîes. Angliœ, cil. "Werner Rolevinc, de situ ac morïb. Westphal., 1. III,
«• »•)
Les Lombards ne furent régis par des rois qu'après leur émigration en
Italie, au 7^ siècle; antérieurement leur gouvernement était semblable à
eelui des Saxons.
(1) Çuum hélium civitas, mit inlatum défendit, aul inferl, magisiratus
qui ei hello prœsint, ut vitœ necisque haheant potestatem , deliguntur. In
pace nullus est communis magistraius , sed principes regnorum atque pago-
Tum inter suos jus dicunt controversiasque m,inuunt. (Caes,, 1. VI, c. 23).
Ce que César dit du pouvoir illimité des chefs d'armée chez les Germains
nous semble être contredit par les paroles suivantes de Tacite : Buces exem-
plo polius quam imperio, si prompii, si conspicui, si ante aciemagant, ad-
miratione prœsunt. (Tac, 31. G., c. 7).
(2) Caes., I. V, c 3, 27. 1. II, c. 23.
(3) Caes., 1. V, c 3 et 24.
(4) Caes., I.V, c. 3. I. 'VI, c. U.
- 231 —
Belges, c'est que lorsque leur indépendance fut menacée
par les Romains , ils mirent généreusement de côté tout
esprit de parti et réunirent leurs forces pour résister de
concert aux efforts d'un ennemi formidable qui venait de
faire passer sous le joug toutes les autres parties des Gaules.
Certes , si tous les peuples gaulois avaient déployé autant
d'énergie et de courage que les Nerviens, les Tréviriens,
lesEburons, les Atuatiques et les Ménapiens, il est pro-
bable que César, eut dû renoncera la conquête des Gaules.
Alors peut-être, ce guerrier superbe , dont l'orgueil aurait
plié devant la valeur de peuplades regardées comme des
barbares et des sauvages par les conque rans de l'Asie et
de l'Afrique , n'eut point osé songer à l'asservissement de
sa patrie. Oui, la conquête des Gaules par César, doit
avoir décidé la chute de la république romaine et influé
sur les destinées du globe entier 1
Les rois chez les peuples germains , étaient , suivant Ta-
cite, comme nous l'avons déjà observé , tirés du sein de la
noblesse et élevés au trône par le suffrage unanime de
l'assemblée nationale. Cependant tous les nobles, indistincte-
ment , ne pouvaient point prétendre a cette dignité ; il y
avait une race royale (1). Mais comme la royauté était
élective , on n'avait pas toujours égard a la primogéniture
des fils du souverain : l'enfance et l'incapacité étaient des mo-
tifs d'exclusion; car on requérait d'un roi qu'il fut robuste,
brave et en âge de commander, lequel , chez les Francs,
était celui de dix-sept ans accomplis (2). Si aucun des fils
du roi ne réunissait ces qualités, ils étaient privés du droit
(1) Tacii, Ilist.AAY.
(2) De Buat, tom. 1, p. 23, 26; tom. 2, p. 335. — Chez les Francs Ri-
ptiaires, les rois n'étaient majeurs qu'à vingt-quatre ans : « Nos rois de la
troisième race, dit le comte de Buat, furent d'abord majeurs à vingt-un
— 232 —
de régner et on élisait en leur place une autre personne
de lignée royale. On avait cependant parfois égard à l'âge
du prétendant, et sa minorité ne mettait pas toujours ob-
stacle à son élection ; mais dans ce cas , tout en portant le
titre de roi , il ne pouvait en exercer l'autorité ; un conseil
de régence, composé de ses plus proches parens et des
personnes les plus notables dans la nation gouvernait en
son nom jusqu'à ce cju'il eut atteint l'âge requis par la
loi (1).
L'élection dW roi se faisait par tous les hommes libres,
sans distinction de rang , réunis en assemblée natio-
nale (2).
Le mode de l'inauguration consistait à élever le prince
sur un bouclier , que les personnes les plus distinguées
parmi les nobles et les hommes libres roturiers, soute-
naient de leurs épées croisées (3). Lorsque le monarque
avait , de cette manière , fait deux ou trois fois le tour de
l'assemblée , aux acclamations de la multitude , tous les
hommes libres venaient lui prêter le serment de fidé-
lité (4), par lequel ils lui promettaient de l'aider fidèle-
ans, selon la loi saxonne, qui étoit leur loi nationale; car ils sortoient vrai-
semblablement des Saxons établis en Normandie. « (DeBuat.tom. 2, p. 335).
(1) DeBuat, tom. 1, p. 25.
(2) De Buat, tom. 1, p. 55. — Sous la seconde race des rois francs,
ceux-ci s'arrogèrent le droit de nommer eux-mêmes leurs successeurs. (Id.,
ibid., p. 37, 40.)
(3) Greg. Tm., Hist. Franc, 1. VII, c. 18; 1. VIII, c. 3. De Buat, tom. 1,
p. 31. Indicamus parentes nostros Gothos inter procinctuales gladios, more
mujoruni scuto siipposito, regalem nobis, prœstante deo , contulisse dignita-
iem. (Cassiod., Var.. 1. X, c. 24).
(4) Dans un capitulaire de l'an 793, le roi Pépin ordonne que le serment
de fidélité soit prêté « par tout le peuple , tant les enfans depuis l'âge de
douze ans, que les vieillards, lesquels viennent au plaid et peuvent remplir
les ordres des seigneurs (rois) et les conserver.» {Capit. Pepini. c. 36, an 793.
De Buat, tom. 1, p. 105).
— 233 —
ment de conseils et d'assistance , selon leur qualité et mi-
nistère et de ne jamais se soustraire à son obéissance (1).
Après avoir prêté serment de fidélité, les vassaux du roi
ou antrustions , faisaient Fade de recommandation , par
lequel ils se déclaraient Thomme du prince et lui juraient
un dévouement sans bornes (2). Le roi , de son côté, pro-
mettait à ses sujets de les protéger contre les ennemis du
dehors ; de les mettre a couvert contre les violences du de-
dans, de leur rendre bonne justice et de les récompenser
selon leur mérite (3).
Chez une nation aussi idolâtre de la liberté, que Tétaient
les Germains , le pouvoir des rois devait être fort limité ;
aussi ne'taient-ils, à proprement parler, que les premiers
entre leurs égaux , primi inter pares |(4). Quoiqu'ils eus-
sent la première voix dans les assemblées nationales , leur
vote n'avait guère plus de prépondérance que celui de tout
Germain libre et en droit de siéger au champ de Mars. Lors-
que le peuple se rendait au vœu exprimé par son chef, ce
n'était que par simple conviction et pour aucun autre mo-
tif (5). Le pouvoir du roi purement exécutif était donc en-
tièrement subordonné à la volonté populaire ; nous en avons
un exemple dans l'Histoire de la Belgique : César rapporte
(1) DeBuat.tom. 1, p. 31.
(2) Idem., ibid., p. 78.
(3) Idem., ibld., p. 92.
(4) Nec regibus inpniia aut libéra potestas. (Tac, M. G., c. 7).
En parlant, de l'émigration d'une partie des Frisons sur le territoire ro-
main, sous le règne de Néron, Tacite dit que les moteurs de cette expédi-
tion furent les rois frisons, Yerritus et Malorix; pour autant, ajoute-t-il ,
que l'on peut donner le nom de rois aux chefs des Germains : Auctoribus
Verrito et Malorige , qui nationem eatn regebani ; in quaiilum Germani
regnantiir. (Taclt,, Annal., 1. XIII).
(5) Avcioritaie svadendi magis , quam jubendi potestate. {Tac, M. G.,
cil).
-^ 234 —
qu'Amhiorix , roi des Eburons , pour se disculper de la
part active quil avait prise a la révolte de ces derniers
contre les Romains , allégua qu il n'avait fait que se con-
former a la volonté du peuple dont le pouvoir était égal
à celui du souverain (1),
Ce qui prouve encore combien , chez les Germains > le
pouvoir du roi était subordonné a celui du peuple , c'est
que même sous les deux premières î"aces des rois francs , à
une époque oîi le pouvoir des rois était beaucoup plus
étendu, que dans celle dont nous nous occupons, il suffi-
sait que l'assemblée nationale eut reconnu dans le monar-
que l'incapacité de régner, pour qu'il descendit du trône
et qu'un nouveau roi lui succédât (2).
C'était un principe fondamental de droit public chez les
Germains , de ne jamais accorder le pouvoir souverain à
une femme. Les codes barbares sont unanimes à cet égard,
et Tacite ne connaît qu'une seule peuplade germaine, qui
dérogeât à cette loi générale : c'étaient les Sitones, peu-
plade suève, placée aux dernières limites septentrionales,
du territoire occupé par les Suèves. « Tant chez eux dégé-
(1) Neque id quod fecerat, de oppugtiatione castrorum, aul judicio aut
voluntate sua fecisse , sed coacti civitatis. Suaque esse hujusmodi imperiof
ut non minus habcret juris in se multitudo, quant ipse in multitudinem. (Caes.,
1. V, c. 27).
Sous la première race des rois francs, les prérogatives royales consistaient ;
1° flans le droit de commander les armées;^ 2* dans TadminFstration de la
justice; 3° dans l'administration civile et militaire du gouvernement; 4° dans
la sanction des lois décrétées par l'assemblée nationale; 5° dans les affran-
chissemens et les émancipations ; 6° dans le droit d'accorder la hoirie à
défaut d'enfans : 7° dans celui d'accorder des lettres de grâce; 8° dans celui
de convoquer et de présider les assemblées nationales, et, 9°, dans le droit de
nommer les fonctionnaires publics, h l'exception des juges ou rachimbourgs
qui recevaient leur nomination du peuple.
(2) De Bnat, lom. 1, p. 32 et suiv.
— 235 ~-
nère, s'ëcrîe cet historien, non-seulement la liberté , mais
même la servitude (1) ! »
Les hommes libres, chez les Germains, n'étant assu-
jettis à aucun impôt , les revenus des rois consistaient
uniquement dans la part qui leur revenait du butin pris sur
Fennemi (2) , dans les biens dévolus au fisc , dans une partie
des amendes, que payaient les personnesreprises en justice,
dans les présens qu'ils recevaient des peuples étrangers et
dans les dons gratuits que les Germains faisaient annuel-
lement à leur chef. Ce dernier article n'était pas la partie
la moins importante de la liste civile, pour me servir d'une
expression toute moderne, des rois germains : « Les cités,
dit Tacite , après une taxe volontairement repartie entre
les membres de la société {ultro ac viratim) , donnent aux
chefs une certaine quantité de grains ou de bestiaux , c[ui ,
reçus comme un honorifique , fournissent au nécessaire. Ce
qui ne les flatte pas moins , ce sont les présens que leur font
les étrangers , non pas seulement ceux qui leur sont offerts
par des personnes privées, mais davantage encore ceux qui
le sont au nom d'un peuple entier, et qui consistent en
(1) Cetero similes, uno dijferunt quod femina dominatur ; in tantum non
modo à lihertate . sed eiiam a servitute dégénérant. (Tac, 31. G., c. 45).
Sous les rois francs , l'autorité des reines paraît avoir été très-grande.
Voir De Buat, tom. 2. p. 341 , et sur la condition des filîes du roi , le même
auteur, tom. 2, p. 345.
(2) Greg. Tur., 1. Il, c. 27.
I3ans le partage du buiin, le roi n'avait pas le droit de choisir ce qui lui
plaisait davantage; c'était au sort à en décider, et souvent le soldat le plus
pauvre de l'armée recevait une part plus large que le souverain lui-même.
L'anecdote si connue du vase de Soissons , rapportée par Grégoire de Tours,
prouve que sous les premiers rois francs ee principe d'égalité était encore
observé. C'est en même temps une nouvelle preuve des bornes étroites dans
lesquelles était circonscrits l'autorité des rois germains. (Voir Grcg. Tur,^
1. IV. c. 14).
— 236 —
coliers , en phalères , en chevaux de prix et en belles ar-
mures (1).
Le pouvoir royal n'étant comme on l'a dit , que pure-
ment executif chez la plupart des Germains ; c'était donc
le peuple réuni en corps ou en assemblée nationale , qui
exerçait exclusivement le pouvoir législatif. Si le roi prenait
part a la délibération, ce n'était qu'en sa qualité de citoyen,
et s'il y occupait la première place , il la devait , non a son
autorité , mais a la déférence qu'on portait à son caractère
élevé et à ses augustes fonctions (2).
Dans ces assemblées populaires (3), la discussion ne rou-
lait pas seulement sur la législation , mais sur tout autre
objet d'un intérêt majeur (4) : on y décidait de la guerre
(1) Tac, M. G., c. 15.
Pour preuve que les Gothins et les Oses n'étaient point d'origine germa-
nique, quoiqu'habitant la Germanie, Tacite dit qu'ils se laissaient charger
d'impôts, comme les Gaulois : Gothinos gallica , Osos pannonica lingua
coarguit non esse Germanos, et quod tributa patiuntur. [M. G., c. 43).
C'était en faisant des dons aux rois puissans que les peuples faibles s'as-
suraient leur protection. C'était même souvent une des conditions auxquelles
le vainqueur accordait la paix au peuple vaincu.
La coutume d'offrir annuellement des dons au souverain, se conserva
jusque sous les rois de la seconde race; mais dès le règne de Louis le Débon-
naire ces présens étaient une marque de vasselage. (De Buat, tom. 1, p. 207.
Boucquet,p. 79 etsuiv.) — Sous les rois francs la reine et le chambrier étaient
chargés du soin des dons annuels qui ne consistaient, ni en comestibles, ni
en boissons, ni en chevaux. (Hincmar. de Ord. Palat, n. 22, opusc. 14).
(2) Cependant sous les rois francs de la seconde race, lorsque l autorité
du souverain s'était considérablement accrue, ce dernier jouit seul du droit
de convoquer rassemblée nationale. (Toulotte, tom. 2, p. 132. Barginet,
p. 66).
(3) Concilium, congressus (Tacite); chez les Francs: mallum, placitum
regium , générale j)lacitiim ; dans la suite : pîena synodus, conventus, con-
cilium; plus tard encore : parliamenium ^ haute cout\ cours plènières, états
généraux; et en Belgique: Hooge vierschaeren, staeten generael, ryhstan-
den. (Voir Raepsaet , Ilist. des états gcnér.).
(4) De ininoribus rehus principes consultant, de majoribus omîtes. (Tac,
i/. G., c 11 et 12).
— 237 —
et de la paix; c'était la quêtaient élus les juges et les ma-
gistrats des cantons et des villages {principes qui perpagos
vicosque JUS reddunt (1)); qu'on réglait tout ce qui avait
rapport à la succession au trône; qu'on accordait le droit
de cité et que le jeune Germain, parvenu à l'âge de virilité,
était reconnu solennellement pour membre actif de la
société. Enfin l'assemblée constituée en tribunal suprême,
jugeait des crimes de haute trahison et de toutes autres
causes majeures, qui n'avaient pu être décidées devant les
tribunaux ordinaires (2).
Tout homme libre et pubère avait droit d'assister aux
assemblées nationales : « Sans distinction de rang, dit Ta-
cite, ils prennent séance et en armes (3). On fait silence,
dès que les prêtres, revêtus alors de la puissance, même
coactive, le jugent à propos ; puis le roi ou le chef, chacun
suivant son âge , sa noblesse , ses grades militaires , son ta-
lent pour la parole , se fait écouter, moins par le droit de
commander que par celui de persuader (4). Si l'avis dé-
plaît, on le rejette avec murmure; s'il convient, tous
(1) Tac, M. G. — Sous les rois francs, ceux-ci eurent le droit de nomraer
les gouverneurs des provinces et autres fonctionnaires publics, à l'exception
des juges (rachimhurgi) dont l'assemblée nationale se réserva toujours la
nomination.
(2) Voir De Buat, tom. 3, p. 140.
(3) Ce n'est que sous les rois francs de la seconde race qu'exista la dé-
fense de se présenter armé aux plaids généraux.
(4) Toulotte et Riva ont entendu par ces paroles de Tacite : mo:v rex vel
princeps, prout œtas cuique , prout nohililas , prout decus hellorum , prout
facundia est, auditur, auctoritate suadendi rnagis quam jiibendi potes-
tate , que le peuple ne proposait point dans ces assemblées, et que même il
n'y avait pas droit de délibération. (Toulotte et Riva, tom. 2, p. 14). Cette
assertion nous paraît invraisemblable, au moins pour lépoque où écrivait
Tacite; elle n'a de fondement que si on l'applique à l'état des Francs sous
les deux premières races,' parce qu'alors le peuple n'assistait plus en masse
aux assemblées publiques, et y était représenté par ses magistrats.
— 238 -^
ensemble agitent leurs framëes comme une marque de
satisfaction ; car Fapplaudissement le plus flatteur pour un
Germain , est le bruit des armes (1).
Il s'écoulait souvent plusieurs jours avant qu'une assem-
blée aussi nombreuse ne fut complète (2). Mais l'esprit
indépendant du Germain n'aurait pu se soumettre a cette
loi cruelle des Gaulois qui condamnait à un affreux sup-
plice , le citoyen qui ne se trouvait point au lieu marqué
pour la réunion au jour fixé ; aussi chez les Germains ,
comme nous l'avons déjà fait observer ailleurs , cette peine
se bornait-elle a une simple amende.
Hormis les cas imprévus, les assemblées publiques
n'avaient lieu qu'aux jours de la nouvelle et pleine lune (3) ;
« Car, dit Tacite , ils regardent ce temps comme le plus
propre aux auspices sous lesquels on doit commencer les
affaires ; et ils comptent , non comme nous par les jours ,
mais par les nuits , la nuit leur semble précéder le
jour (4), »
Les assemblées nationales des Germains, se tenaient or-
dinairement en rase campagne, ou dans une foret sacrée (5).
(1) Tac, M. G., cil.
Sidoine Apollinaire parlant d'une assemblée nationale des Visigoths tenue
à Toulouse, par ordre de leur roi Théodoric, dépeint ces barbares siégeant
au conseil, l'épée au côté, vêtus dhabits de toile, sales et en lambeaux, et
chaussés de mauvaises guêtres en peau de cheval. (Sid. Apoll. paneg. Aviti.)
(2) Illud ex liberfate vitiiim f qiiod non simul , nec jiissi conveniunt; sed
et aller et tertius dies cunctatîone coeuntium absumitur. (Tac , M. G., c. 11),
(3) Coeunt, nisi quid fortvitum et suhituni inciderit, certis diebus, quum
aut inchoatur luna aut impletur. (Tac, M. G., c. H).
(4) Tac, ibid. — Cette coutume de compter par nuits s'observe aussi dans
tous les codes germaniques.
(5) Tacit.j, Hist.f 1. m. Pipptnus conventum , more francîco, in camputn
egit [Ann. Franc, et Ann. Bertin. ad ann. 767), — Dans le 2* capitulaire,
§ 13 de l'an 809, Charlemagne ordonne : iit in locis ubi malins publicus
haberi solet , tectum taie constituatur, qtiod in hiberno et œstate observandus
^esse possit.
~~ 239 -
Le centre du champ était marqué par un poleau auquel
était attaché un bouclier (1).
Ces assemblées étaient ordinairement accompagne'es de
festins; mais, comme nous layons dit précédemment , une
loi fort sage ordonnait de décider a jeune les affaires dont
on avait délibéré la veille à table.
L'assemblée la plus solennelle se tenait au premier de
mars (2). C'était la principalement qu'on traitait de la
guerre et de la paix. On y faisait la revue des armées et le
roi y recevait les dons gratuits du peuple : a Dans le champ
de Mars, disent les annales de Fulde, en parlant des rois
fainéans, celui qu'on appelait roi, porté sur un char traîné
par des bœufs, séant dans un lieu élevé et vu une fuis par
an de ses peuples, recevait les dons qui lui étaient offerts
solennellement (3). »
(1) Lex SaL, tlt. 47, § 1, tit. 49, § 1.
(2) En 755, Pépin la remit au premier de mai : Fenit Thassilo ad Martis
Campum, et mutaveriint Martis Campum in mense MaïQ. ( Annal. Petav.,
a» 755. Fredeg., an. 766. Vita S. Remigii).
(3) Annal, fuld., ad ann. 751. — Francorum regibus mons erat, Kalen-
dis Martii prœnidere et salutare, ohsequia et dana aecipere et respondere, et
sic secum usgue ad alium llariium permanere. (Sigeb. Gembl., Chron., ad
ann. 662. Alb. Stad., a. 751. Fragm. Annal, veter. a. 777. Chron. Hildesh.
a. 750). — Hahitum à Ludoviro Pio Aquisgrani gêneraient populi conven-
ttim, AD JUSTITIAS FACIESDAS ET OPPRESSIONES PAUPERCM RELEVANDAS. (Annal.
Francor., a. 814. — Transacio vero anno , jussit (Cblodoveus) oinnem cum
armorum apparaiu advenire phalangam ^ ostensuram in campo Martio suo~
rum armorum nitorem. (Greg. Tur., 1. II, c. 27). — Singulis annis in Kal.
Martii générale cum omnibus Francis, secundumpriscam cansuefudinem, con-
cilium agebat {Ve\>^'mus)', in quo , ob regii nominis rererentiam, jubebat,
donec ab omnibus opiimaiibus Francorum donariis acceptis , verboque pro
pace et defensione ecclesiarum Dci et pupillorum et viduarum facta, rap-
tuque fœminarum et incendio solido decreto interdicto , exercitui quoque
prœcepto dato, ut, quacunque die illis nunciaretur, parati essent in partent ,
quam ipse disponeret, proficisci. (Annal. Metens., a. 692). — Voir aussi : Hadr.
Valesii rerum Franc, 1. XXIII. De Voigt, IVotitia veter. Francor. regnif
^ 240 —
Chaque gens ou peuplade germaine, ou germano-belge,
qui constituait une nation indépendante, avait ses assem-
blées générales ; mais il est probable que les peuples qui
e'taient sous la dépendance , ou , comme dit César, sous la
clientelle d'un autre peuple , tels que les cinq petites peu-
plades dépendantes des Nerviens , n avaient point d'assem-
blées nationales , mais qu elles pouvaient siéger a celle du
peuple principal.
Dans un danger imminent , lorsqu'il s'agissait du salut
de tous et qu'un ennemi formidable menaçait d'anéantir la
liberté et l'indépendance nationale , plusieurs peuplades ,
et même des peuples ennemis , formaient une ligue et réu-
nissaient leurs forces pour résister à l'ennemi commun.
C'est ainsi que , lorsque César se préparait à envahir la
p. 140. Eginhardii Vita Caroli M. cum comment. J. F. Besselii etnot. J.Bol-
landiyC. 2, p. 18.
Quelques additions a la loi salique ordonnent que les chevaux qui auront
été offerts au roi, en don annuel, soient désignés par le nom du donateur,
afin qu'on connaisse ceux qui ont satisfait a ce devoir : Et hoc nohis prœ-
cipienduni est, ut quicumque in dono rcgio cahallos detulerint , in unum
quemque suum nomen haheant scriptuvi. (Ca^it. ad Leg. Sal .§ 19}. — Il pa-
raît par une épitre de Frotaire, évêque de Toul, que les présens annuels
offerts au roi se faisaient souvent en chevaux. (Frothar., ep. 21). — Voir aussi
Annal Met. a. 753 , 758. Jnnal. Bert. a. 758.
Sous les rois de la seconde race , les dons annuels ne furent plus offerts au
plaid de mai, mais dans l'assemblée qui se tenait alors à la fin d'août ou au
commencement de septembre, et dont l'institution paraît remonter au règne
de Pépin. Dans cette assemblée, a laquelle n'assistaient que les principaux
seigneurs et les conseillers du roi, on préparait les matières à soumettre à la
délibération du peuple au champ de mai : Cœterum aufem, propter dona ge-
neraliter danda , alind placitum ciiîn seniorihus tantùm et prœcipuis consi-
liariis hahehatur ; in quojam fiituri anni status tractari incipiebatur, si forte
talia aliqua se prœmonstrahant , pro quibus necesse erat prœmeditando ordi-
nare. (Hincmar., n° 50).
Sous les derniers rois carlovingiens , les assemblées annuelles ne se tinrent
plus régulièrement ni a des époques fixes. Plus tard elles cessèrent entière-
ment.
_ 241 —
Belgique , non-seulement toutes les peuplades germano-
belges conclurent entre elles un traité d'alliance offensif et
défensif , mais cju elles y admirent même les peuples gallo-
belges , malgré la profonde antipathie qui existait entre les
Germains et les Celtes (1). Une alliance semblable fut for-
mée entre les peuples septentrionaux des Gaules et quel-
ques peuples germains , lors de la révolte des Bataves sous
le règne de Vespasien. Mais de toutes les confédérations
formées par les Germains, pour résister à l'ambition et à la
soif de concpétes cjui possédaient les Romains, les plus
célèbres furent sans contredit les ligues francpe et saxonne
qui datent du 3^ et du 4^ siècle de l'ère vulgaire.
Outre les assemblées générales auxquelles assistait une
peuplade entière, il y avait dans chacjue district des assem-
blées cantonales qu'on ne peut mieux comparer qu'à nos
états provinciaux. Le peuple ne parait point avoir siégé
en corps a ces assemblées particulières où ne se traitaient
que les affaires qui concernaient le canton. 11 est probable
qu'il y était représenté par ses délégués (2).
(1) Cœs., 1. Il, c. S.
(2) Raepsaet prétend, au contraire, que le peuple assistait en masse aux
assemblées cantonales, mais que dans les assemblées générales il était re-
présenté par ses magistrats : « Sous les deux premières races de nos rois .
comme sous la période germanique , dit-il, le peuple était représenté dans
les états-généraux et provinciaux, par ses magistrats ; mais ceux-ci n'en
étaient que les mandataires, puisque le peuple délibérait en personne dans
sa commune ou sa centurie.» (Raepsaet, Hist.des états- généraux , c. 1 et 2)
Certes, cette opinion est en contradiction avec les paroles de Tacite et le
témoignage de tous les auteurs anciens; ce n'est que depuis l'établissement
des Francs dans les Gaules, et même seulement a la fin delà première race
des rois francs , que le peuple cessa d'assister en masse aux assemblées na-
tionales qui, à dater de cette époque, ne furent plus composées que des évo-
ques et des nobles. De ces derniers , les uns ( antrustiones ^ vassi dominici ,
pueri régis) y siégeaient pour leurproprepersonne; les autres [majores privile-
gio , proceres potestaie, majores et minores ad rempuhlicam procurantes) , y
TOMB I. 16
^ 242 ~
Le territoire de chaque peuplade germaine était partage
en districts, (gauweji, comifatiis) , subdivise's en cantons
(viciy biiurten) , qui Tétaient à leur tour en décuries (1).
Chaque district était gouverné par un magistrat qui réunis-
sait le pouvoir civil et militaire et portait le nom de grajio,
grau on grave (2). Chaque canton Tétait par un centenier, et
chaque décurie par un décurion (decanus). Sous la période
germanique, ces difFérens magistrats étaient élus par le
peuple; mais sous les rois francs, ils le furent par ces der-
niers. Les centeniers formaient le conseil du grafio qui ne
pouvait prendre aucune résolution sans avoir obtenu leur
avis (3). A des époques déterminées , tous les huit ou quinze
jours, ils s'assemblaient chez le grafion , pour délibérer
sur les affaires du district et pour Tassister à son tribunal.
prenaient place comme représentans de leur ressort. (Hincmarus, epist. 1,
ad Ludov. Balbiim, c. iO. Devoigt, IVot vet. Francor. regni, p. 141).
Voir sur les assemblées publiques sous les rois de la seconde race : Devoigt,
p. 143-144 et la compilation ayant pour titre : des Etats- généraux et des
assemblées nationales. La Haye (Paris) 1788.
(1) Van Loon, Aloude regeringswyze van Holland. '■ — César dit que le
pays des Suèves était divisé en cent cantons [pagi). (Cses., 1. IV, c. 1),
(2) Grafio ou grau signifiait, suivant Putter, gris ,• parce que c'étaient or-
dinairement des personnes d'un âge mûr et expérimentées qui remplissaient
les fonctions de grafion. (Putter, Histor. entwickehing des heutentag. staten-
verfassung des deuischen reichs., 1* th.). Les grafions sont appelés principes
par Tacite. {M. G., c. 12). Les codes barbares leur donnent souvent le nom
de comtes [comités) ^ dénomination d'origine romaine.
Les ducs qui, sous les rois francs, réunissaient également le pouvoir civil
et militaire, mais dont l'autorité était beaucoup plus grande que celle des
grafions, étaient également des magistrats d'origine romaine : chez les Ger-
mains Vhertzog , qu'on traduit par le mot duc, était un chef militaire, qui
n'avait aucune autorité en matière civile.
(3) Centeni singulis (principibus ) ex plehe comités, concilium simiil et
auctoritas , adsunt. (Tac. M. G., c. 13). Voir aussi : Additam. Leg. Sal.,
tit. 1, § 10 et 17. Lex. Longoh., c. 35, § 2.
Desroches croit que chaque centenier commandait a cent familles.
{Hist. anc. des Pays-Bas Autric. , p. 64). César compte chez les Nerviens ,
600 centeniers auxquels il donne le nom de sénateurs. (Cses., 1. II, c.28).
— 243 —
Si nous n^avîons , pour connaître ia législation des Ger-
mains, que les écrits des auteurs romains , ce que nous au-
rions à dire sur ce sujet se bornerait à peu de faits, et la
plupart incomplets, ou inexacts; mais les documens que
renferment les codes des différentes peuplades germani-
ques nous procurent le moyen d'avoir sur cette matière,
des renseignemens plus étendus que sur tout autre point
des antiquite's teutoniques.
La rédaction de ces codes ne remonte, il est vrai, qu'au
5^ et au 6^ siècle de l'ère vulgaire (1) , et plusieurs des lois
(1) Avant cette époque, le droit des peuples germains était simplement
couCiimier et leur législation consistait uniquement en us et traditions orales.
lies coutumes des Ripuaires, des Allemands et des Bavarois, furent mises
par écrit vers Tan 510, modifiées par Cliildebert et Clotairc, revisées et re
fondues , dans la forme que nous les possédons, par le roi Dagobert. Le code
des Bourguignons, appelé loi Gombetle, fut compilé vers l'an 500, par le roi
bourguignon Gondebaud, et augmenté par son fils Sigismond. Les «odes
frison et tburingien, sont au nombre des plus anciennes collections de
lois germaniques ; mais on ignore Tépoque précise de leur rédaction qui
paraît être antérieure a la conversion de ces peuples au cbristianisme. Le
code des Ostrogotbs eut pour auteur le roi Tbeodoric , vers la fin du 5'' siè-
cle : ce code est connu sous le nom àédit de Théodoric. Celui des Visi-
goths, fut rédigé par ordre d'E varie ouEuric et considérablement augmenté
par plusieurs de ses successeurs. La compilation du code des Lombards est
due au roi Rotbaris, entre les années 630 et 646. Les successeurs de ce prince y
firent des cbangemens considérables , et ce code fut entièrement refondu par
les empereurs Cbarlemagne, Louis le Débonnaire, Lothaire et Conrad. De
tous les codes barbares celui dont la compilation paraît être la plus récente
est le code des Saxons , qui ne fut rédigé que sous le règne de Cbarlemagne.
Il existe une grande diversité d'opinions sur l'époque de la première rédac-
tion du code salique ; plusieurs l'attribuent a Pharamond (roi franc dont
l'existence elle-même est contestée), et en fixent la compilation à l'an 422.
Quoiqu'il en soit, la plus ancienne rédaction de ce code tel que nous lé
possédons aujourd'bui , ne remonte qu'au règne de Clovis. Cbildebert y fit
plusieurs modifications et Cbarlemagne le refondit entièrement.
Il n'existe pas moins d'iîJicertitude sur la contrée et le lieu où ce code fut
rédigé et sur le nom qu'il porte. Il serait trop long d'examiner les différentes
opinions émises sur ces questions. On pourra consulter sur ce sujet :DeBuat,
— 244 —
qu^ils renferment , indiquent évidemment une origine
romaine; mais il est facile de distinguer ces dernières de
celles qui sont d'origine germanique et qui retracent dune
manière frappante les coutumes et usages de cette nation à
lëpoque où écrivait Tacite. Les codes salicjue et ripuaire ,
qui de tous les codes barbares offrent le plus d'intérêt à
nous, parce c]u ils constituaient la législation des peuples
germains c|ui habitaient le sol même de notre patrie,
sont aussi ceux qui nous offrent le tableau le plus exact des
mœurs et des usages primitifs des Germains: «On dirait,
dit Mably , cjue les lois saliques et ripuaires sont l'ou-
vrage de ces Germains mêmes dont Tacite nous a tracé le
portrait , tant elles supposent les mêmes coutumes , les
mêmes préjugés, les mêmes vices etles mêmes vertus (1).»
Chez des peuples barbares , nomades et ignorant la pro-
priété foncière , les lois ne pouvaient la plupart concerner
que des délits personnels ou ceux c|ui portaient atteinte à
la propriété des bestiaux , unicjues richesses d'une nation
adonnée a la vie pastorale. Aussi n'est-ce cjue de ces deux
points que s'occupe presque exclusivement la loi salic|ue.
Nous avons déjà parlé dans un des jjaragraphes précé-
dens des nombreux articles de ce code qui statuent des
peines pour le vol ou la mutilation du bétail. On compte
dans le code salique 343 articles de pénalité , et seule-
ment 63 qui concernent d'autres matières. Les délits qui
tom. 3, p. 350 et suiv. L'abbé de Vertot, Dissertation sur l'origine des lois
saliques; Discours sur la loi salique , dans la collection intitulée: des Etats-
Généraux et autres assemblées nationales , tom. 2, et le prologue de la loi
salique lui-même.
(1) Mably, Lettres sur l'Histoire de France, tom. 1, c. 1. — Voir aussi
Tabbé de Vertot, Dissert, sur V origine des lois saliques. Etats- Généraux,
tom. 2, p. 332. J.F. Peppe, Dissert, liist. et critique sur l'orig. des Francs
Saliens et de la loi salique , p. 24.
^ 245 —
y sont prévus , se classent presque tous sous deux chefs : le
vol et la violence contre les personnes. Sur les 343 articles,
de droit pénal, 150 se rapportent a des cas de vol qui , aux
yeux des Gerinains, était re'putë un des crimes les plus
graves dont un homme put se rendre coupable; crime
qui entraînait une punition plus sévère que le meurtre
même (1). Des 150 articles qui concernent le vol, 74 re-
gardent , comme nous l'avons déjà dit , le vol d'animaux
domestiques (2). Les cas de violence contre les personnes
fournissent 113 articles, dont 30 pour le seul crime de mu-
tilation qui y est prévu jusque dans les moindres particula-
(1) Les lois des Bourg-uignons condamnent le voleur au dernier supplice,
et si le vol a été commis par une femme ou un enfant au-dessous de 14 ans,
elles ordonnent que les coupables soient réduits en esclavage ( Lex. Burg.^
tit. 47), Par la loi des Bavarois, un homme convaincu de vol était con-
damné à payer une somme équivalente a neuf fois la valeur de la chose en-
levée; mais si celle-ci avait été prise dans un lieu public, le coupahle n'était
tenu qua la restituer au triple [Lex. Bajuv., tit. 8 , c. 1 et 2). Le receleur
est jugé complice du vol par le code ripuaire [Lex. Rip., tit. 78). « Celui,
dit le code salique, qui, par méchanceté, cachera une chose volée dans la
cour, dans la maison d'un autre, ou dans tout autre endroit, et la cachera a
rinsu du maître, payera . s'il vient à être découvert, 2600 deniers qui font
62 sols. » (^Lex. Sal, tit. 36, § 4). Ce code condamne un homme libre, con-
vaincu d'avoir pris de force à un esclave, un objet de la valeur de 40 de-
niers, à, une amende de 1200 deniers, et de 600 den. si la chose volée est
de moindre valeur ( tit. 37, § 2 et 3 ). L'homme libre qui dépouillait un serf
( ZiWms ) payait au maître 1400 den. ( ibld. . § 5). Un serf accusé de vol ,
était soumis a la question et recevait 120 coups de verges. Si la force des
tourmens l'obligeait a s'avouer coupable, il était condamné à la castration
(tit. 42, § 1 — 4.); s'il ne faisait aucun aveu, il n'en restait pas moins au
pouvoir de celui qui l'avait accusé , pourvu que ce dernier payât au maître
le prix de son esclave ( ib., § 5). L'homme libre qui enlevait quelque chose
. de force a une autre personne libre, ou à une main tierce a qui la chose
avait été confiée en dépôt, payait 1200 den. outre l'intérêt ( tit. 64). Par
un édit de Childebert , le maître qui refusait de faire comparaître devant
le juge un de ses serfs cité pour vol . était condamné à Taracnde porté contre
les meurtriers. [Décret. Childeb., §11).
(2) Vol de porcs, tit. 2, de bêtes à cornes, tit. 3, de brebis, tit. 4, do
chèvres, tit. 5, de chiens, tit. 6, d'oiseaux, tit. 7, d'abeilles, tit 9.
-^ 246 —
rites (1). 24 articles concernent les violences exerce'es
envers une femme (2).
Si les lois des Germains ont établi clés peines très-sévères
pour de prétendus délits personnels dont nos codes mo-
dernes n'ont pas même daigné s'occuper, elles se montrent,
par un contraste assez bizarre , cVune extrême indulgence
pour des forfaits qu'au siècle dernier encore , les lois des
peuples civilisés , faisaient expier par des supplices dont
la peinture seule nous glace aujourd'hui d'horreur. Dans
Jes codes germains, la peine de mort est prononcée pour
des cas très-rares ; Tacite ne compte comme crimes capitaux
chez les Gerniains que la trahison, la lâcheté et la pédé-
rastie (3).
(I) La loi salique entre dans des détails si minutieiii sur chaque délit
personnel, qu'elle va jusqu'à statuer des amendes assez fortes, pour des in-
jures verbales que nous traiterions aujourd hui de puérilités ou de plaisan-
teries : pour avoir appelé quelqu'un vaurien, on payait 600 deniers; si on
injuriait un homme de l'épithète de foireux [eoncagatunî) et de renard , ou
si on reprochait a un guerrier d'avoir perdu son bouclier dans le combat,
120 deniers: pour avoir appelé quelqu'un lièvre. 240 deniers; pour avoir
donné à une femme l'épithète de courtisane , 45 sols ; pour avoir appelé un
homme délateur ou fimssaire, 600 den. ( Lex. Sal., tit. 32 ).
(2] Guizot, Cours d' histoire {lS2d), p. 259.
(3) Tacit., M. G., c. 12.
Si guis liomo régi infidelis exiiîerit, de vita componat et omnes rcs ejus
fi$c& censeantur. (Lex. Rip., tit. 69, § 1). — Ut nullus Bajuvarius alodem
autvitam sine capitali crimine perdat , id est, siaut neceinducis consiliatus
fiierit, aut inimicos in provinciam invitaverit, aut civiiaiem capere ah extra-
neis machinaverit , et exindè prohatus inventus fueril, tune in ducis sii po-
testate vita ipsius et omnes res ejus et pairimonium. (Lex. Bajuv., tit. 2, ^3.
Âlam., tit. 5).
Sous les rois francs, la peine portée contre les traîtres ou les rebelles
fut mitigée ; il n'y eut alors que les coupables persistant dans le crime
qui fussent punis de mort. Le contraire eut lieu pour les crimes d inceste, do
Tol et de rapt : Childebert prononça la peine de mort contre le fils qui au-
rait commis un inceste avec sa propre mère: il ordonna la même punition
pour le rapt, le meurtre avec préméditation , le vol et même pour avoir trou-
0/i
47 -^
Pour tout autre crime et délit , sans même en excepter
le meurtre, la loi ne prononçait ordinairement qu'une
simple composition [wereoiidum) qui appartenait à la
partie lésée , et une amende , appelée fredum (1) , cpu se
payait au juge présidant le tribunal devant lecjuel la cause
avait été portée.
La pendaison était le supplice ordinaire dont on faisait
mourir les criminels condamnés a la peine capitale (2).
« Pour les lâches , les poltrons , les monstres d'impudicité ,
dit Tacite , c'est sous une claie , dans un bourbier fangeux
qu'on les étouffe (3). »
On peut attribuer la cause de l'indulgence des lois bar-
bares pour les meurtriers , à ce c[ue ces lois laissaient aux
proches et aux amis de la victime, eux-mêmes le soin de
venger sa mort sur l'assassin et sa famille entière. « Les
querelles actives et passives de chaque particulier étaient
celles de toute sa parenté. Les inimitiés et les affections n'y
étaient pas seulement héréditaires ; elles étaient pour l'actif^
comme pour le passif, l'affaire actuelle de la famille entière.
Ainsi blesser ou tuer quelqu'un était se mettre soi-même et
toute sa parenté à la discrétion de tous les parensdu tué ou
dublesséjCn quelque degré d'éloignement qu'ils fussent. Tous
l)lé le plaid. [Decretio Childeb. régis et pactum pro tenore pacis dom. CTiilde-
herti et Clotharii regum). Voir aussi Toulotte et Riva, tom. 3, p. 185.
(1) Tac, 31. G., c. 12.
Le mot fredum dérive de fried , paix. Le fredum était donc l'amende k
laquelle on était condamné pour avoir troublé la paix publique, par un délit
quelconque. (De Buat, tom. 2. p. 181). Le fredum égalait , dans les cas graves,
le tiers de la composition (Toulotte, tom. 3, p. 361 ). Les fautes commises
involontairement ou par des enfans qui n'avaient pas atteint l'âge de raison
n'entraînaient point cette amende (Barginet,p. 13).
(2) Tac, Loc. cil.Lex, Sal., tlt. 09, de eo qui hominem de hargo veldefttrcâ
dimiserit.
(3) Tac. , Loc. Cit.
— 248 —
et chacun d'eux avaient droit d'en prendre vengeance, sur
les biens et sur la personne du coupable et de ses parens :
en sorte qu'il arrivait souvent (ju on se trouvait tout a coup
assailli par des inconnus avec lescpiels on n'avait eu nulle
sorte de de'mélës, pour un délit étranger, dont on n'avait pas
même connaissance; telle était la punition du coupa-
ble (1>«
Cet usage qui subsiste encore aujourd'hui chez les
Araires et tous les peuples sauvages, prouve évidemment
combien peu la civilisation des Germains était avancée ,
même à l'époque de la rédaction de leurs codes, qui non-
seulement permettent aux parens de l'homme assassiné
de se venger sur la personne du meurlrier , mais parais-
sent même en faire une loi. L'usage était de couper la
tête à l'ennemi cju'on avait immolé à sa vengeance et de
la planter sur un pieu dans un endroit public, afin de la
donner en spectacle au peuple. La loi sali que défend d'enle-
ver ces trophées barbares sans le consentement du juge ou
sans l'agrément de ceux qui les avaient exposés (2). Aimoin
rapporte que les fils de Sandregisile, duc d'Aquitaine, assas-
siné par ses ennemis, ayant négligé de venger sa mort,
furent condamnés dans une assemblée des Francs, à per-
dre tous leurs biens patrimoniaux (3). « Ce récit, dit le
comte De Buat, suppose que les Francs n'avaient point de
loi contre les lâches, de l'espèce dont il est ici cjuestion;
mais il prouve en même temps que c'était une obligation
aux parens de venger le sang de leurs proches (4). »
(1) Le Paige, Recherches sur les anciennes assemblées nationales , Esprit
des capital., § 4.
(2) Si quis caput hominis qnod inimicus suus in palo miserit, sine
pennissu judicis aut illius qui eum ibi posuit tollere prœsumpserit , DC.
den. quifaciunt. Sol. XF, culp.jud. (Lex. Sal, tit 69 , § 3).
(3) Aimoin,!. lY, c. 28.
(4) De Buat, tom. 3, p. 63 et 144.
— 249 —
Cependant comme le droit de vengeance privée, appelé
Fejda dans les codes germains, avait les suites les plus
funestes pour 1 état , en ce que , non-seulement le meurtre
d'un seul homme faisait perdre souvent la vie a un grand
nombre de citoyens braves et innocens , mais qu'armant
des familles entières , et des familles puissantes , elle cau-
sait parfois des guerres civiles , on permit au coupable et a
sa famille de se rëdimer par une certaine cjuantitë de bes-
tiaux donnes aux parens; on appelait cela, dans la suite, ra-
cheter sa vie, componere de vitâ (1). Un tiers de la composi-
tion du meurtre revenait aux enfans du défunt , le second
tiers à ses plus proches parens paternels et maternels (2), et
le troisième appartenait au fisc, qui, dans les autres cas, pre-
nait, par forme d amende, la dixième partie du montant de
la composition (3). Dans une loi additionnelle à la loi sa-
lique , le roi Childebert défendit les compositions pour
meurtre et porta peine de mort contre les homicides ; mais
cette loi ne fut guère observée ; elle fut même abrogée peu
La vengeance privée exercée par les parens d'un homme tué par un ennemi
n'était pas entièrement tombée en désuétude au 14^ siècle, comme le prouve
le fait suivant : un jour de Tépiphanie, Charles VI roi de France, ayant à
sa table, entre autres convives, Guillaume de Hainaut, comte dOstrevan,
un héraut vint tout à coup couper la nappe devant ce dernier, en lui disant
qu'un guerrier qui ne portait pas d'armes , n'était pas digne de manger à
la table du roi. Guillaume surpris, ayant répondu qu'il portait aussi, comme
les autres chevaliers, la lance e(. l'écu : « mon sire, cela ne se peut, lui répon-
dit le plus vieux des hérauts ; vous savez que votre grand oncle a été tué par
les Frisons, et que sa mort jusqu'à ce jour est restée impunie. Si vous pos-
sédiez des armes , il y a longtemps qu'il serait vengé. » Depuis ce moment,
le comte ne songea plus qu'à réparer sa honte , et il en vint à bout.
( Paulmy d'Argenson, Précis d'une Histoire générale de la vie privée des
Français, Paris, 1779, in-S".)
(1)^ Lex. Sal, tit. 30, 31, 34, 44, 45, 65, 66.
(2) Lex. Sal , tit. 65.
(3)Greg. Tur., VII. 47.
— 250 ---'
de temps après , puisqu'un capitulaire de Charlemagne ,
ordonne que si quelqu'un ne veut point recevoir pour sa
haine {pro faicla ) , le prix fixe' par les lois , il sera conduit
devant Femperear , qui l'enverra dans un lieu où il ne
pourra faire de mal à personne; pareillement, que si quel-
qu'un ne veut pas racheter la haine cju'on lui a jurée, ni en
faire justice, il sera conduit dans un endroit où il ne pourra
plus donner motif à un nouveau crime (1).
Lorsqu'au mépris de la pacification faite , l'un des enne-
mis reconciliés tuait l'autre , il payait la composition du
meurtre et le ban royal , et il perdait la main droite (2).
La composition du meurtre différait suivant la condi-
tion ou le sexe de la personne tuée. La récapitulation des
principaux articles de la loi salique c[ui concernent le crime
d'assassinat en donnera une idée exacte : ce code condamne
à une composition de 8000 deniers (3) , le meurtrier d'un
jeune garçon âgé de moins de douze ans , soit qu'il eut ou
qu'il n'eut pas encore une belle chevelure (sive crinitum^sive
incrinitum){Ji). La composition pour le meurtre d'une femme
enceinte était de 28000 deniers ! la plus forte de toutes les
(1) Cap. an., 779, c. 22. De Buat, tom. 3, p. 63.
(2) De Buat, t. 3, p. 64. Le Paige , Recherches sur les anciennes
assemblées nationales.
(3) Du temps de Tacite, les compositions et les amendes s'acquittaient
encore en chevaux et en bestiaux ( Tacit., M. (?., c. 12 ) ; mais lorsque les
Francs furent devenus maîtres d'une partie des Gaules et qu'ils commencè-
rent h faire un usage plus fréquent de l'argent monnayé , les lois barbares
fixèrent les évaluations en monnaie courante, en laissant toutefois au coupable
la faculté de se rédimer de la manière anciennement usitée ( Lex. Aîa?n. ,
tit. 36).
(4) Lex. Sal., tit. 26, § 1. — Le § 2 de ce titre condamne h une amende
de 1800 deniers celui qui aura coupé les cheveux à un jeune garçon sans le
consentement de sesparens, et le § 3, du même titre, a celle de 2500 den.,
celui qui aura coupé la chevelure à une jeune fille.
— 251 —
compositions désignées dans le code salique (1); celle d'un
enfant tué dans le ventre de la mère ou avant qu il ne fut
âgé de Imit jom^s , était de 4000 deniers (2) ; celle pour l'as-
sassinat d'une jeune fille impubère ou pubère , de 8
deniers , et d'une fille qui avait déjà conçu , de
deniers (3). Celui qui avait soudoyë un liomme pour com-
mettre un meurtre payait 2500 deniers, si le crime n'avait
pas été consommé. Celui qui s'était prêté a le commettre
encourait la même punition (4). Si un serf tuait un serf,
ou une serve , les maitres de part et d'autre tiraient au sort
le coupable (5), La composition du meurtre d'un liomme
libre , par un homme libre , est portée par la loi salique
à 8000 deniers; mais si le meurtiier s'était défait de sa
victime en la précipitant dans un puits ou dans les flam-
mes, il payait 24000 deniers; composition presqu'égals
à celle qu'on payait pour le meurtre d'un antrustion (6).
Celui cjui achevait un homme libre qu il trouvait étendu
dans un carrefour, grièvement blessé et auquel ses ennemis
avaient coupé les pieds etles mains, payait 4000 deniers (7).
La plus forte composition était établie pour le meurtre
d'un antrustion : elle était de 28000 deniers , somme égale
à celle que payait le meurtrier d'une femme enceinte (8).
Toute tentative d'assassinat entraînait également une forte
composition : elle était de 4000 deniers , la moitié de la
(1) Tit. 26, ^4. — La plus faible composition désignée dans le code sali-
que 5 n'est que 7 deniers. C'est l'amende que payait , entr autres , un liomme
convaincu davoir volé un agneau qui tette.
(2) lb.,§5.
(3) Ib., § 6^8.
(4) Tit. 30, §1-3.
(5) Tit. 37, §1.
(6) Tit. 43, § 1-4.
(7) Ibid. , § 9.
(8) Tit. 44, § 2.
— 252 —
somme qu'aurait payée le meurtrier si son projet avait
réussi , et de 12000 deniers si le crime avait e'té tenté contre
un anlrustion ou une femme enceinte (1). Tuer quelqu'un
à table ou dans sa propre maison e'iait re'puté un cas fort
grave : a un meurtre dit Tarticle 44 § 1 de la loi salique ,
commis par complot sur une personne libre qu on aura
assassine'e dans sa maison , sera puni d'une amende de 24000
deniers. » On lit, article 45, § 1 et 2 : « A une table de
quatre ou cinq personnes, si un seul des convives vient à
être tué, les autres répondront de l'assassinat, ou doivent
déclarer le coupable. Cette loi s'étendra jusqu'au nombre
de sept personnes.
« A. une table composée de plus de sept personnes, tous
les convives ne seront point réputés coupables , mais ceux
qui seront chargés d'accusation, se rendront à l'obligatioii
de la loi. »
La loi qui concerne le cas où un homme convaincu de
meurtre ne peut, à cause de son indigence , payer le prix
du sang est tout a fait dans l'esprit des Germains : cette loi
ordonne que celui qui ayant tué un homme , n'aura pas
de quoi payer la composition, amènera devant le juge
douze témoins qui attesteront par serment , son insolvabi-
lité ; qu ensuite il se rendra a sa demeure et y ramassera
de la terre aux quatre angles du bâtiment; cela fait, qu'il
se placera sur le seuil de la porte (2) et qu'il jettera cette
terre par dessusses épaules sur son plus proche parent ,
qui, par cet acte, assumait sur lui la responsabilité du
crime; « si son père, ajoute la loi , sa mère ou son frère
n'avaient pas assez de fortune pour le tirer d'embarras,
(1) Tit. 43, 5 10.
(2) Et stare in durpilo , hoc est, in liminari — Le seuil de la porte s ap-
pelle encore aujourd'hui en flamand dorpel.
— 253 —
il aura recours à sa tante , ou a ses fils , c'est-à-dire à trois
parens du cote maternel. Puis, Yetu d une simple toile,
les pieds nus , il sera condamne à sauter sur une haie hc'-
rissëe d'ëpines , portant un pieu à la main. Les trois parens
viendront au secours de son extrême indigence , et tâche-
ront de payer la moitié de ce cjue la loi exige. Les parens du
côte' paternel en feront autant. Si la pauvreté empêche quel-
qu'un d'entr'eux de solder entièrement , il se déchargera sur
un moins pauvre , pour satisfaire totalement a la loi. Mais
si ce dernier n'est pas lui-même assez riche pour payer la
composition , le meurtrier sera expose à quatre plaids dif-
ferens par celui qui le tient en son pouvoir. Si personne
ne veut le racheter, il pourra le mettre à mort (1). »
Après la trahison, le vol et le meurtre, les crimes re'-
pute's les plus graves dans les codes des Germains , sont la
violation des tombeaux , la castration et le trafic qu'un
homme faisait de la liberté d'un autre. Le code salique
condamne a de fortes amendes ceux qui se rendaient cou-
pables d'un forfait de cette espèce (2), La loi des Ripuaires
établit la même punition pour la castration que pour le
meurtre (3). Celle des Bavarois condamne celui cjui vend
un homme libre , comme esclave , à lui rendre la liberté
et à lui payer 80 sols , et la moitié de cette somme au fisc.
S'il ne pouvait rendre la liberté a sa victime , il devenait
lui-même l'esclave des parens de cette dernière (4). Nous
parlerons ailleurs des peines fixées par les Germains contre
la violation de sépulture.
Après la peine capitale, la peine la plus forte établie par
(1) Tit. 61. ^ unique. — Voir aussi Mone, Geschichte des heidtnthuma im
nordl. Europa, 2^ th., p. 144.
(2) Tit 17, tit. 41, §3-4.
(3) Lex. Rip., tit. 6 et 7.
(4) Lex. Bajuv.. tit. 8, c. 4 et 6, tit. 15, c. 15.
-- 254 —
les codes germaniques est celle de l'exil qui entraînait ordi-
nairement , comme la condamnation à mort , la confisca-
tion des biens du coupable (1),
Une loi qui prouve bien le respect que les Germains té-
moignaient pour la dignité d'homme libre , c'est celle qui
défendait, sous les peines les plus sévères^ de battre de
verges ou de mettre a mort un criminel de condition libre,
à tout autre cju'aux prêtres, qui alors n'étaient censés agir
qu'au nom d'Odin , le dieu des combats , et non pas comme
les exécuteurs d'une loi établie par de simples mortels (2).
Soustraire de vive force un coupable à la punition a la-
quelle la loi l'avait condamné était un crime capital (3).
Si les lois des Germains rappellent sans cesse les égards
dus a l'homme qui avait eu le bonheur de naître libre ,
elles se montrent sans pitié pour les malheureux acca-
blés sous le poids de la servitude : au moindre soupçon ,
l'esclave était mis a la torture et subissait un supplice plus
affreux que la mort même. Pour des délits qui, commis
par un ingénu, n'exigeaient qu'une simple amende, le
serf était battu de verges ou condamné au dernier sup-
plice : la loi salique ordonne qu'un serf accusé de vol et
dont le crime serait de nature a faire condamner un homme
(1) Lex. Rip., tlt. 69, § 1. — Cependant dans le code salique il n'est
question nulle part de lexil ou de la déportation.
(2) Cœteruni , neque verherare quidem nisi sacerdotibiis permissum , non
quasi in pœnam nec ducis jussu , sed velut deo imperaiiti quem adesse hel-
lantibus credunt. (Tac, M. C, c. 17). — Chez les Francs il était défendu
de faire battre de verges un noble : Childericus rex unum Franconem nohi-
lem^ nomine Bodilonem, ad stipem ionsum , cœdere , conirà legemprœcej)it.
(Fredeg., Chron., c. 95). — La loi des Bavarois condamnait à une amende
=de 30 sols celui qui avait lié un homme libre et innocent. ( tit. 41 ,
tit. 7B , 5 i }.
(3) Si quis Jiominem noxium ligatum per vim tuJerit gruftoni, vitam suam
redimat ( Lex. Sal., tit. 34, § 5).
libre à 600 ou 1400 deniers , sera étendu sur le chevalet
et recevra 120 coups de verges (1) : « s'il s'avoue coupable au
milieu des supplices , dit ce code , il sera fait eunuque , ou
payera 240 deniers, qui font 16 sols. Son maître sera reçu
à dommage et intérêt S'il ne veut rien avouer, on pourra
maigre' son maître , le retenir au milieu des tortures , en
donnant en gage le prix de lesclave. Si la rigueur des tour-
mens n'en peut rien obtenir , il restera entre les mains de
celui qui l'avait livre au supplice. Son maître se contentera
d'un certain remboursement (2). »
Tracer un tableau complet et détaillé du droit civil et
criminel des peuples germains, exigerait un travail parti-
culier que ne pourrait admettre le cadre de notre ouvrage.
Un pareil travail fournirait a lui seul la matière de plu-
sieurs volumes. D'ailleurs ce sujet a déjà été traité par des
savans du plus haut mérite, et il serait par trop pré-
somptueux a nous de prétendre résoudre cette question
d une manière plus satisfaisante que ne l'ont fait les Buat,
les Toulotte , les Riva et les Raepsaet. Nous avons donc
borné notre tâche à donner une idée générale de la légis-
lation des Germains , et à faire connaître l'esprit qui
a présidé à la rédaction des codes germaniques.
Nous nous contenterons de citer encore deux lois du
code salique remarquables , non par leur singularité , car
alors il nous faudrait transcrire le code salique pres-
qu'en entier , mais parce qu'elles renferment quelques
détails piquans relatifs aux moeurs et aux usages des Ger-
mains : ces lois sont celles qui concernent les donations et
le prêt. On lit, au titre 48, de afatomie (des donations) :
c( Le jour du plaid , indiqué par le comte ou le centenier, les
{\)Lex.Sal., tit42, ^ 1,
(2) Ibid., § 4-5.
— 256 —
juges s'y rendront portant leurs boucliers. A leur arrivée,
trois hérauts feront trois proclamations. Le donateur jetera
une petite paille dans le sein de celui à qui il veut faire la
donation, en lui déclarant ce c|uil lui donne. Le donataire
se retirera ensuite dans la maison du donateur , et pren-
dra avec lui trois hôtes qu'il nourrira suivant ses facultés.
Tout se passera devant témoins. Mais avant c]ue le dona-
taire puisse jouir du don qui lui a été fait , il doit, avant
douze mois, l'appréhender par mise de fait et justice com-
pétente , formalité qui sera remplie au plaid du roi et de-
vant tout autre tribunal compétent avec les formalités déjà
énoncées. Il sera tenu de donner autant que la première
fois. S'il venait à refuser quelque chose , trois témoins doi-
vent jurer par serment, qu'ils se sont trouvés au premier
plaid, et qu'ils ont été témoins c]ue tout a été accordé;
ils doivent prononcer le nom du donateur et du donataire.
Trois autres témoins attesteront encore c|ue le donataire ,
après s'être retiré dans la maison du donateur, a nourri a
sa table trois hôtes qui y ont été introduits en présence
de témoins. Enfin, trois autres témoins attesteront l'ap-
préhension publique , faite devant le tribunal compétent.
Tout acte de donation demande neuf témoins (1). »
(l) Lex Sal, tit. 48-
Comme la traduction ne peut rendre fidèlement les expressions du texte
de cette loi caractéristique, nous croyons utile d'ajouter ici ce dernier même
malgré son étendue : Hoc convenit ohservare, ut tunginus veî centenarius
mallum indicent, et scutum in ipso mallo haheant, et ires homines causas très
demandare deheant in ipso mallo, et requiratur postea homo gui ei non perti-
net et sic festucam in laisum. jactet , et ipsi in cujiis laisum festucam jaciave-
rit, dicat verhutn defortunâ sua quantum ei voluerit dare. Postea ipse in
cuj'us laisum festucam jactaverit, in casa ipsius manere , et hospiies très sus^-
cipere et de facultate sua, quantum ei datur, in potestale sua habere débet ; et
portea ipse cui creditum est, ista omnia cum testibus collectis agere débet.
Postea, aut ante regem, ant in mallo legitimo illi cui fortunam suam depu-
- 257 —
L article 54, qui concerne le prêt , nest pas moins re-
marquable : si quelqu'un a fait un prêt a un autre, y est-il
dit , et si ce dernier récuse la restitution de Tobjet prêté,
le bailleur l'ajournera de la manière suivante : il se rendra
a la demeure du débiteur, accompagne de témoins, et le
sommera en ces termes : puisque vous ne voulez pas me
rendre ce que je vous ai prêté , je vous somme de me le
rendre la nuit prochaine , suivant la loi salique. S'il per-
siste dans son refus , le créancier continuera à le sommer
pendant les sept nuits suivantes. S'il ne se rend pas encore,
après avoir été sommé en présence des témoins, pendant
sept autres nuits ^ outre le payement du prêt et l'intérêt de
neuf sols dont le capital s'est accru pour chaque défaut , il
payera 600 deniers qui font 15 sols (1),
Le code salique et les autres compilations des lois ger-
maniques contiennent plusieurs autres dispositions non
moins singulières et non moins intéressantes comme docu-
iavit, reddere dehet, et accipiat postea festucain in mallo ipso ante duo-
decim menses ipse quem hœredem depulavit in laisum suiimjactet, et nec
minus, nec viajus nisi quantum ei treditum est Et si contra hoc aliquid
dicere voluerit, dehent très testes jtirati dicere quod ibi fuissent in mallo,
uhi tunginus vel centenarius indixerunt , et quod vidissent hominem illum
qui fortunam suam dédit in laisum illius quemjam elegerat. Festucam jac-
iare et nominare illum dehent qui fortunam suam in laisum electi jactavit ,
nec non et illum in cujus laisum festucam jactavit , et hœredem appellavit ,
similiter nominent , et alteri très testes jurati dehent dicere quod in casa
illius hominis qui fortunam suam donavit, ille in cujus laisuin festucam
jactavit ibidem mansisset , et hospites très vel amplius collegisset, et pavis-
set , et in heudo suo pultes manducassent, et testes collegissent. Ista omnia
alii très testes jurati dicere dehent, quoniam in mallo legilimo vêlante
regem ille qui accipil in laisum suum fotiunam in mallo public o , hoc est
antè theada , vel tunginum , fortunam illam quam hœredem appellavit , pu-
hlicè coram omnibus festucam in laisum ipsius jactasset, et hœc omnia no~
vem testes dehent adfirmare. »
(1) Lex. Sal, tit. 54.
Tome I. 17
— 258 —
mens pour Tliistoire des mœurs et usages des peuples ger-
mains, mais qu'il serait trop long de rappeler ici.
Après avoir donné une idée succincte de la législation des
peuples germains , il nous reste , pour terminer ce chapi-
tre , de faire connaître la manière dont se rendait la justice
dans la Germanie et chez les Germano-Belges.
Il y avait chez les Germains , outre le tribunal extraor-
dinaire formé par l'assemblée nationale au Champ de
Mars , et que nous pouvons assimiler a nos hautes cours de
justice, trois espèces de tribunaux ordinaires, celui du roi,
celui du grafion et celui des centeniers.
Le tribunal du roi était composé des grands de la cour et
des conseillers intimes du souverain ; il était présidé par ce
dernier ou par un grafion délégué par lui. Devant ce tri-
bunal se jugeaient toutes les causes majeures qui n'avaient
pu l'être devant les deux tribunaux inférieurs ; telle était
toute cause dans laquelle un antrustion était intéressé.
Celui-ci cité par un homme libre, non noble, devant le tri-
bunal du grafion, pouvait récuser ce tribunal et en appeler
à celui du roi. C'était au tribunal du roi que se faisaient
les ventes et les transactions entre les hommes libres de
toutes les classes , afin de donner à ces actes une plus
grande solennité ; c'était la encore que se décidaient toutes
les causes matrimoniales (1). Lorsqu'un homme libre plai-
dant devant le plaid du comte se croyait lésé dans son droit,
il pouvait aussi en appeler au tribunal du roi. Enfin c'était
au plaid du roi qu'appartenaient toutes les causes de ré-
bellion, sauf les cas majeurs, les causes de défi, lorsque les
deux partis n'avaient pu s'entendre , les démêlés pour par-
tage de biens, toutes les causes des personnes qui avaient
obtenu le privilège de n'être jugées qu'à ce tribunal, tout
( ) Toulotte et Riva, tom. 2 , p. 190. De Buat, tom. 3, p. 391.
^ 259 —
délit pour lequel un liomme libre pouvait être condamné,
à l'exil , a la prison ou à mort ; toutes les contestations éle-
vées sur le sens des lois , etc., (1).
Le tribunal du roi se tenait ordinairement une fois par
semaine. La loi salique condamne celui qui aura accusé
a ce tribunal un homme innocent ou absent a une amende
de 2500 deniers, si laccusation ne porte que sur des simples
délits , et a celle de 8000, si l'imputation est de nature a
entraîner la peine de mort (2).
Le tribunal du comte ou grafion , était présidé par ce
dernier assisté par sept assesseurs {rachimburgi , tunglni ^
sagibarones , scabini) (3). C'étaient ces derniers qui déci-
daient le point litigieux; car bien que le grafion présidât
le tribunal , il n'y constituait a proprement parler que le
ministère public (4). Le grafion était chargé de l'instruc-
tion de la cause soumise a son tribunal, de la poursuite
des accusés, de faire arrêter et comparaître en justice
ceux contre lesquels des plaintes s'étaient élevées , de met-
tre à exécution les jugemens rendus par la cour et de re-
cueillir les compositions et les amendes auxquelles avaient
été condamnés les coupables, tant ceux qui avaient subi
leur jugement devant son propre tribunal que ceux qui
(1) DeBuatjtom. 3, p. 170.
Observons toutefois que plusieurs de ces clauses ne se trouvent dé-
signées que dans les ordonnances et capitulaires des rois francs de la
première et de la seconde race, et que nous n^avons point de preuves posi-
tives qu'elles eussent déjà force de loi chez les Germains a une époque plus
reculée.
(2) Tit. 20.
(3) Cependant le nombre des assesseurs variait suivant la gravite du cas,
mais au tribunal du comte ils ne pouvaient jamais être moins de sept.
(4) Recij)ienle comité, scahinis judicantihus, Lex. Bav. , 1. II, c. 15, § 2,
Alam., tit. 41. Long.^ I. Il, c. 47, § 1. Capit^ 1. III, c. 56. — Voir aussi
Bouquet, p. 147, 150. 17G.
— 260 —
avaient ëlë cités devantle tribunal du roi (1). La loisalique
porte que si le grafion, invite par la partie inte'ressée, refuse
à se rendre auprès de celui qui a été condamné a une com-
position pour l'obliger a acquitter cette dernière à l'expi-
ration du terme fixé pour le payement , ou s'il se fait payer
par le coupable plus que ne porte la loi , il sera lui-même
condamné à la peine des meurtriers et obligé de composer
pour sa vie (2). Elle oblige aussi les juges qui, après trois
sommations , refuseront de juger une cause , a payer tous
les sept 120 deniers, et 600 deniers s'ils persistent dans leur
refus, après cette première condamnation, ou s'ils sont
convaincus tous les sept d'injustice (3). «Mais, ajoute la
même loi, si, après avoir prononcé avec équité, l'on ne veut
point s'en tenir a leur jugement, et qu'on le regarde même
comme injuste, sans pouvoir le prouver, on sera condamné
à 600 deniers qui font 15 sols^ envers chacun des juges (4).»
Sous les rois francs, un comte convaincu d'avoir donné re-
traite a un voleur , au lieu de le traduire en justice, était
privé de son office (5).
Mais si les lois des peuples germains se montrent sévères
à l'égard des dépositaires de la loi , qui s'écartaient de leur
devoir , elles témoignent d'un autre coté du respect qu'on
portait a ceux c]ui s'acquittaient dignement de leurs nobles
fonctions. Le meurtrier d'un comte, ou d'un juge est con-
damné par la loi sali que à payer 24000 deniers (6).
(1) Lex. Rip,, tit. 32, |2, tit. 51, 84, 89. Sal. 52, 53, 55.
(2) Lex. Sal, tit. 52, 53. Voir aussi le Capitul. de l'an 779, c. 11 et 19.
(3) Ibid., tit. 60, § 1-3.
(4) Ibid., ^4. — Chez plusieurs peuples germains, l'accusé qui récusait le
jugement du tribunal qui l'avait condamné, était obligé de se battre en
champ clos avec chacun de ses juges.
(5) Capit. Chlotharii, tit. 3, c. 8. Capit. a°., 789, c. 24.
(Gj Lex Sal, tit. 56.
^ 261 —
Le comte avait une autorité illimitée dans son plaid.
«Quelque chose qu'il fit, personne n'était en droit de le
contredire, ni de lui résister; et lorsqu'il s'écartait de son
devoir, celui cjui se croyait lésé devait s'adresser au roi
pour en avoir justice (l).))Childebert ordonna que celui qui
troublerait le plaid du comte serait puni de mort (2).
Les causes majeures de la compétence du comte étaient
l'homicide , le rapt , Tincendie , la déprédation , la mutila-
tion, le vol, le larcin et l'invasion des biens d'autrui (3).
Le comte avait sous lui un substitut qui portait le nom
de vi-comte et qui présidait le tribunal des centeniers. Ce
dernier ne pouvait être composé que de trois juges (4),
qui jugeaient en dernier ressort, et on ne pouvait appeler de
leur sentence au grafion que lorsque dans l'instruction de
l'affaire ils n'avaient point observé toutes les formalités de
la loi (5).
Mais le vi-comte et les centeniers ne connaissaient que
des matières contentieuses , excepté les cas d'état et de
propriété (6). Ils concouraient aussi à l'exécution des or-
(1) De Biiat, tom. 3, p. 266 et les autorités qui y sont citées.
(2) Recapitul. legis sal. Decretum Childeb.,^ 7.
(3) De Buat, tom. 3, p. 3.
(4) Lcx. Sal., tit. 56, § 4. — Voir sur les attributs du vicomte sous les
rois francs, De Buat, tom. 3, p. 114.
(5) Ibid.
(6) Lejc. Rip., tit. 58, c. 3. Cap. a', 810, c. 2. — Utnullus homo in pla-
citwin centenarii neque ad mortem . neq^ie ad libertatem suam amittendain
autres reddendas vel mancipia judicetur ; sed ea omnia in prœsetitia comi-
ium vel missorum nostrorum judicentur (Capitul. caroî. M., c. 1,^36). —
Omnis contioversia coram centenariis definiri potest. excepta redliibitione
rerum immobilium et mancipiorum quœ non potest definiri nisi coiam comité
(^37). — Ut ante vicarios nulla criminalis actio definiatur^ nisi tantùm
leviores caussœ quœ facile possnnt judicari ^ et nullus in eorum Jiidicio ali-
quem in servitio hominem conquirat j; scd^er fideijussorem mittantnr usque
ad prœsentiam comitis (§ 69).
— 262 —
donnanees ou bans du roi , et c était a ce titre qu'ils étaient
protecteurs des veuves et des orphelins (1).
Le comte et les juges étaient élus par le peuple , mais
leurs fonctions ne paraissent avoir été que temporaires et
limitées à un certain nombre d'années. On les révoquait
pour cause d'incapacité et d'inconduite , destitution qui ,
sous les rois francs était de droit ordonnée par le souve-
rain (2), Pour pouvoir prétendre à la charge de comte ou
de juge , il fallait connaître les lois ou coutumes de la na-
tion et être exempt de toute infirmité. Les codes barbares
leur recommandent de juger à jeûne (3), de défendre et
protéger la veuve et l'orphelin , de se montrer justes et
humains et de tempérer la rigueur des lois en faveur des
pauvres et des opprimés (4).
Les tribunaux du comte et des centeniers, se tenaient
chez les Francs, tous les huit ou quinze jours, et plus
souvent dans des cas extraordinaires. Le plaid avait
lieu dans un lieu découvert et sous un arbre, ordinaire-
ment un tilleul (5). La loi salicjue ordonne formellement
que les juges y paraîtront en armes; ce n'est que sous les
rois francs de la seconde race c]u'on fit quelques modifica-
tions a cette dernière loi.
Les émolumens des officiers de justice chez les Germains,
consistaient uniquement dans les amendes {freduni) aux-
quelles avaient été condamnés les coupables. Pour les cas
graves , ces amendes équivalaient a un tiers de la composi-
(1) DeBuat, tom. 3, p. 117.
(2) Greg. Tur., i. IV, c. 42 et 48.
(3) Lex. Long. , 1. II, c. 54, § 4 et 2. Sal. addiL, c. 1, c. 15.
(4) Lex. Visig., 1. XXII, c. 1, § 1. Long., 1. 11 , c. 43. Bav., 1. VII, c. 7.
(5) Louis-le-Dcbonnaire ordonna de le tenir dans un lieu couvert et a
l'abri des intempéries de lair [Capit, a" 819, c. 14). Cependant la coutume
d'assembler les tribunaux dans un lieu découvert et sous un tilleul prévalut
dans la majeure partie de la Belgique , jusqu'aux 13* et 14' siècles.
-« 263 —
tion ; dans des causes mineures elles n'en égalaient que la
dixième partie.
Nous avons dit qu'une des attributions du comte était
d'instruire les affaires civiles et criminelles du ressort de
son tribunal et de celui du roi , et de faire comparaître a
son plaid la personne contre laquelle s'était élevée quel-
que charge. Cependant sous la période germanique l'inter-
vention du comte n'était pas toujours nécessaire pour citer
quelqu'un en justice. Le défendeur pouvait, sans le secours
du comte , remplir lui-même cette formalité ; il suffisait
qu'il se rendit avec quelques témoins a la maison de celui
à la charge duquel il élevait la prétention, et qu'il le sommât
de comparaître au tribunal du roi , du grafion ou des cen-
teniers au jour qu'il lui désignait. Si le défendeur était
absent , le demandeur pouvait signifier l'assignation à sa
femme ou a un de ses domestiques , en déclarant qu'il eut
a la communiquer a la personne assignée (1). Dans la suite
les assignations faites avec ces formalités , furent réduites
aux causes d état ou de liberté , d'hérédité ou de pro-
priété. Pour tout autre cas, le comte se contentait de
faire signifier par un officier au défendeur de se présenter
a son tribunal au jour fixé. Le refus de comparaître était
puni pour la première fois, par une amende de 15 sols, et
pour second défaut, par le séquestre des biens; c'est ce
qu'on appelait mettre les biens du défaillant au ban. La
garde de ces biens était confiée aux administrateurs de la
saisie, s'ils étaient bons pour en répondre. S'ils ne pouvaient
remplir cette dernière condition, quelques personnes voi-
sines du délinquant étaient choisies par le comte ou les
centeniers pour être les gardiens du bien confisqué. « C'est
de cette garde , dit De Buat , qu'est venu le mot de garant
et celui de garantie : on appelait ces gardiens y/^e/«^^or^^.
(1) Lex. Sal., tit l,c. 3.
— 204 —
Celait un crime à eux , de laisser rien détourner de tout ce
qui leur avait ëtë confie ; c'était un crime au propriétaire
d'entrer dans sa maison et d'en enlever le moindre effet (1).»
Lorsqu'un homme cité devant une cour de justice , con-
tinuait à faire défaut, un an et une nuit après l'assigna-
tion ^ ses biens sécjuestrés étaient dévolus au fisc, après
qu'on avait prélevé sur leur valeur la somme qu'il aurait
dû payer comme composition en cas de condamnation pour
le délit dont il était accusé , ou a moins que le procès n'eut
été intenté pour l'objet séquestré lui-même, qui alors
devenait en entier la propriété de la partie plaignante , si
elle prouvait y avoir droit (2),
Pour pouvoir intenter une action en j astice, on devait être
homme libre, sans reproche, assez riche pour payer la
composition de la calomnie, en état de répondre au défi
du défendeur et de se battre en champ clos avec lui.
Chacun devait être son avocat dans sa propre cause , et
il n'était permis d'emprunter la voix d'une personne étran-
gère pour soutenir ou combattre l'accusation , que lorsqu'on
était malade ou hors d'état de parler; c'était alors le gra-
fion lui-même ou son substitut qui rendait compte de l'af-
faire , soit pour , soit contre le défendeur. Cette exception
avait aussi lieu nécessairement h l'égard d'un mineur, d'une
femme et d'un esclave , les deux premiers étant en tutelle,
temporaire pour le mineur, et perpétuelle pour la femme,
et l'esclave étant sous la puissance de son maître. C'était
contre ce dernier qu'on intentait l'action lorsque son esclave
ou serf se rendait coupable de quelque délit, et c'était au
maître à prendre la défense de l'esclave , à moins que
par un refus il ne préférât l'abandonner à la discrétion
du plaignant.
(1) Caplt., a° 819, c. U.De Buat, tom.3, p. 26-28.
(2) DeBuat, ibld,, p. 28.
— 265 —
Celui qui accusait quelqu'un en justice, devait se pré-
senter au plaid accompagné de témoins qui attestaient par
serment la validité de l'accusation. L'accusé pouvait , de son
côté , opposer aux témoins de l'accusateur des témoins à
décharge. Le nombre des témoins variait suivant la gra^
vite du cas ; dans les causes majeures on exigeait la présence
de douze témoins (1). Les témoins qui déposaient dans la
cause d'un homme libre , devaient eux-mêmes être de con-
dition libre ; on recevait parfois , il est vrai , la déposition
d'un serf ou d'un affranchi , comme on reçoit de nos jours
celle d un enfant ou d'un homme condamné à une peine
infamante, mais non comme un témoignage légal.
On exigeait de plus d'un témoin cju'il ne fut point dans
l'indigence, qu'il eut atteint l'âge de quatorze ans, qu'il
n'eut subi aucune condamnation infamante et qu'il fut do-
micilié dans le canton ressortissant du tribunal devant
lequel il comparaissait , si ce n'est lorsque l'enquête devait
se faire hors de ce canton.
On ne pouvait exiger d'un homme de témoigner dans la
cause d'une personne de condition inférieure a la sienne ,
excepté dans les causes majeures ou cas royaux et dans celles
qui concernaient les veuves et les faibles (2).
(1) Buodecim personis se ex hoc sacramento exuat (Décret. Childeb. ). —
Cum XIIjuret{Lex, Burg., tit. 8, § 1). Cum duodecim manujuret (Lex. Fris..
tit. 14).
Pour un délit qui n'encourait qu'une légère, amende, il suffisait d'un seul
témoin; pour celui dont la composition était de trois sols, il fallait deux té-
moins ; pour composition de six sols, ou quelque chose de plus, il fallait
cinq témoins: pour un rapt on exigeait cinq témoins oculaires et sept témoins
non oculaires. Le meurtre d'un homme libre requérait vingt-quatre té-
moins, dont douze témoins oculaires.
(2) Sous les rois francs, l'acte de vente d'une terre, devait se passer
devant trois témoins, si la terre était de peu de valeur; devant six, si elle
était d'une valeur médiocre , et devant douze témoins et autant d'enfiins si
— 266 —
Pourétre témoin il ne fallait pas nécessairement avoir vule
fait dont on attestait la vérité' par serment : il y avait deux
espèces de témoins , des témoins oculaires et ceux qui étaient
supposés avoir connaissance de la chose dont ils devaient
rendre témoignage ; mais dans lenquéte qui précédait toute
espèce de serment on n'entendait que les témoins oculaires.
Le défendeur pouvait récuser les témoins appelés pour dé-
poser contre lui; le juge le pouvait aussi, mais seulement
pour des motifs légaux. Si l'on accusait un homme en son
absence, les témoins de l'accusateur n'étaient admis qu'après
un ample examen du juge. Tout jugement devait aussi se
rendre en présence d'un certain nombre de témoins. En
un mot, chez les Germains, tout acte, tout contrat, de quel-
que nature qu'il fut, exigeait la présence de témoins, parce
que c'était le seul moyen d'en constater la validité , toute
transaction, toute cause judiciaire se traitant verbalement.
C'est la la raison pour laquelle ils punissaient le parjure
avec tant de sévérité (1).
Lorsque les dépositions des témoins du demandeur et du
défendeur étaient en contradiction manifeste , le juge ordon-
nait ordinairement que la chose se déciderait entre eux, par
le combat en champ clos. Tous les témoins n'étaient cepen-
dant point contraints à cette épreuve ; on tirait au sort un
elle était d'un prix élevé. I/acheteur acquittait laequisitlon en leur pré-
sence, et en prenant possession de la terre, il frappait sur la joue et tirait
les oreilles aux en fans , afin quils s'en souvinssent et pussent un jour en
rendre témoignage. Cependant si l'acquéreur d'un bien-fonds de grand prix
ne pouvait trouver douze témoins, six ou sept suffisaient (De Buat, tom. 3,
p. 288).
(1) Sous l'époque franque, c'était un privilège particulier au roi que ses
témoins ne fussent pas obliges à faire le serment; ces témoins devaient être
pris parmi les notables du canton ou parmi ceux des voisins qui jouissaient
de la meilleure réputation de probité et de bonnes mœurs (De Buat. tom. 3,
p. 298).
- 267 —
témoin de chaque parti , qui devait combattre pour tous les
autres. Celui que le sort désignait jurait en ces termes : «le
sort a voulu c|ue je fusse témoin , et je prétends justifier
son choix. « Il prétait ensuite un serment particulier, en
levant la main , et en suppliant les dieux de donner la vic-
toire à celui qui avait la justice de son côté. Puis il jurait
encore par ses armes, conjoinlement avec un des autres lé-
moins, de la vérité de son témoignage. Celui des champions
qui succombait dans la lutte était déclaré parjure, et comme
tel , il perdait la main droite. Les témoins qui avaient déposé
avec lui , subissaient la même peine , s'ils ne pouvaient
racheter leurs mains. Les deux tiers de cette composition
revenaient a celui contre lecjuel ils avaient déposé; l'autre
tiers appartenait au roi à titre de fredum (1).
Si celui qui citait un homme libre devant les tribunaux ,
ne se présentait pas ensuite pour soutenir l'accusation, ou
s'il ne pouvait produire des témoins , qui prouvassent la
culpabilité de l'accusé , ce dernier pouvait se libérer par
le serment (2), ou appeler son accusateur a un combat sin-
(l)DeBuat, ibid., p. 295-297.
(2) Toutefois il ne pouvait pas faire le serment tout seul; « il falloit, dit
DeBnat,qu"il trouvât des personnes de la même condition que lui , qui
voulussent jurer avec lui. On les appeloit conjurateurs , pour cette raison.
L'accusé devoit en présenter un certain nombre à proportion de sa dignité.
Suivant un préjugé barbare, on croyoit innocent un homme qui étoit assez
accrédité pour trouver un certain nombre de gens qui voulussent attester son
innocence avecserment.il est évident que ces tonjuratcurs n'ctoient pas des
témoins oculaires , puisque ce n'étoit qu'à leur défaut que Ton recevoit le
serment d'un accusé et de ceux qui se présentoient pour jurer avec lui (Cap,
lib., 4, c. 23). C'ctoit en pareil cas, qtie les personnes qui vivoient sous la
loi Gombette, faisoient jurer des enfansqui n'avoient pas l'usage de la raison.
« Il y a cependant apparence que ces conjurateurs ne se présentoient pas
pour jurer , avant d'avoir examiné ce dont il étoit question ; car suivant la
loi salique (Tit. 50), trois d'entr'eux payoient chacun 15 sols d'amende, et
les autres en payoient chacun 5. lorsqu'il étoit prouvé que celui avec qui
-^ 268 —
gulier, afin d'ëcarter par sa victoire les soupçons qui pla-
naient sur sa personne. De même si Faccusé n'amenait point
des témoins qui attestassent son innocence , on le prenait
e'galement à son serment que l'accusateur pouvait re'cuser ,
mais alors il e'tait a son tour oblige' d'accepter le combat
avec le défendeur.
Bien que la loi admit le combat judiciaire, comme
preuve dans toute cause, tant civile que criminelle, il
n'avait ordinairement lieu que pour des cas graves , tels
que l'accusation de trahison , de meurtre , d'adultère ,
d'incendie, de sorcellerie, de vol et autres crimes de
cette nature ; lorsqu'on contestait à un individu son ëtat
d'homme libre et pour quelques autres causes d'impor-
tance (1).
La permission de se battre en champ clos était accordée
par le roi ou le comte. Le duel avait lieu en leur présence,
ou devant une personne déléguéçpareux; ils commençaient
par exiger des deux parties des gages de bataille , afin de
s'assurer qu'elles se présenteraient au lieu destiné à vider
leur différent à l'époque désignée, cjui était suivant les pro-
ils avoient juré, avoitfait un faux serment (Greg. Tur., Hist. lib., IX, c. 13).
Aussi arrivoit-il quelquefois qu'un accusé ne trouvoit point de conjura-
teurs.
» Je conjecture qu'il les prenoit ordinairement dans sa famille , et que de
là vint l'obligation où étoient ses parens et ses alliés de lui servir de conseil.
Il se justifioit devant sa parenté, et cette justification domestique devenoit
publique, par le serment que prétoient douze d'entr'eux pour l'innocenter.
Comme les parens d'un défendeur dévoient être ses conseillers, ils ne pou-
voient être ses juges : et de la vient encore l'usage où sont aujourd'hui nos
magistrats de descendre de leur banc, lorsqu'un de leurs parens ou de leurs
alliés doit être jugé dans leur chambre. » ( De Buat, tom. 3, p. 275).
(l) Lex. Alam., tlt. 44, ^ 1 et 2, tlt. 84. Eav. tit. 2, c. 2, tit. 8, c. 2, § 6.
Longob., tit. 1, § 7 et 9. Rij)., tit. 57, § 2, tit. 67. Jngl et JVerin. tit. 15 et
16. Fris., tit. 14,^4 et 5. Greg. Tur., 1. Yll.c. 15. — Voir aussi Haehcnberg,
Bisscrt. 3,§ 18.
— 269 —
cédures, de quatorze ou de quarante nuits. Avant de tenter
répreuve, on examinait soigneusement les témoins pour se
convaincre qu'ils n'avaient point sur eux quelque amulette
ou herbe magique et qu'ils étaient armes a armes égales (1).
Des peines étaient portées contre ceux qui troublaient le
combat, ou qui séparaient les combattans avant que le juge
du combat n'en eût donné le signal (2). L'accusé avait le
droit de produire un champion de même condition que lui
pour combattre en sa place ; si c'était une femme , elle y
était obligée ^ à moins qu'elle ne voulut combattre en per-
sonne (3). Quoiqu'on eut le choix de se battre a pied ou à
cheval , les personnes d'un rang élevé n'entraient en lice que
de cette dernière manière (4). Sous la période germanique
et sous les rois francs de la première race on se battait armé
de toutes pièces et à toute outrance (5) ; mais sous les rois
de la seconde race et plus tard ces combats furent moins
meurtriers : on n'y employait alors d'ordinaire que l'écu et le
bâton (6). Celui qui sortait vainqueur de cette épreuve,
gagnait sa cause : si l'accusé était vaincu, il était déclaré
coupable et subissait la peine statuée contre le délit pour
lequel il avait été poursuivi ; si c'était au contraire ,
l'accusateur qui succombait , il payait l'amende de la ca-
lomnie.
11 n'y avait que les hommes de condition libre qui pus-
sent se purger par le serment ou le combat judiciaire ; ceux
qui avaient été condamnés a mort et avaient obtenu leur
(1) Toulotte et Riva, tom. 3, p. 273.
(2) Lex. Bajuv., tit. 2, c. 2.
(3) De Buat, tom. 3, p. 280.
(4) Idem et Aim., 1. IV, c. 108.
(5) Lex. Bajuv., tit. 17, c. 1. Greg^. Tur., Hist. lib. X, c. 10.
(6) Greg. Tur., I. IV, c. 23. Capit., a° 819, c. 15. Ordonn. du Louvre.
tom. 1, p. 36. De Buat., tom. 3, p. 280.
— 270 —
grâce, les affranchis, les serfs ou esclavesde\ aient subir une de
ces épreuves connues sous le nom d'ordalies ( plus lard aussi
sous celui de jugemens de Dieu)^ et en outre la question (1),
lorsqu'ils étaient accusés d'un crime grave. Un esclave pou-
vait néanmoins éviter l'épreuve et la torture, si son maître
voulait attester par serment l'innocence de l'accusé. Sous
la période germanicjue il y avait quatre espèces d'épreuves:
celle du fer chaud , celle de l'eau chaude , celle de l'eau
froide et celle qui dans les documens de ces temps porte le
nom de offa judicialis et de caseus execralis. Celui qui
subissait la première de ces épreuves était contraint de
prendre dans ses mains un fer rougi au feu et béni par
un ministre du culte , ou de marcher dessus à pieds nus, en
présence des juges et du peuple. Si après cette épreuve ses
mains ou ses pieds ne conservaient aucune trace de brûlure,
il était déclaré innocent du crime dont il était accusé. La
seconde épreuve consistait à plonger le bras dans un vase
rempli d'eau bouillante. Les suites de cette ordalie étaient
les mêmes que celles qui résultaient de l'épreuve par le
fer ardent. La troisième épreuve se faisait en jetant l'ac-
cusé dans une eau courante ou un étang, la jambe droite
attachée au bras gauche et la jambe gauche au bras droit;
s'il surnageait il était déclaré coupable. La quatrième
épreuve est moins connue. Elle parait avoir été ana-
logue à répreuve par l'hostie consacrée et le pain béni ,
introduite après la conversion des peuples germains au
christianisme. A cette époque on ajouta aussi aux épreu-
ves judiciaires anciennement usitées , celle de la croix
(1) Lex. Saî., tit. 42, § 1 et 3. Cependant la loi salique obli(je aussi les
personnes libres a subir dans certains cas, surtout pour le soupçon de vol,
l'épreuve du fer chaud et de l'eau froide [Le.v. Sal , tit. 55. Pactum
^hildeb. )
— 271 —
qu'il n'appartient pas de décrire dans cet ouvrage (1),
Après ies difFe'rens moyens employés par les Germains
pour constater la culpabilité' ou Imnocence d un accusé ,
desquels nous venons de parler , ils se servaient encore sou-
vent comme épreuve judiciaire du sort et de la divination ,
moyen tout aussi vain que ceux du combat en champ clos
et des ordalies (2). Le chapitre suivant fera connaître la
manière dont se pratiquait cette superstition.
«Lorsqu'un homme avoit perdu son procès, il donnoit
caution pour le payement des dommages, inteVét et capital;
et dès ce moment ce n'etoit plus a lui que l'impétrant avoit
affaire , c'éloit au répondant. Le temps fixé pour le paye-
ment étoit ordinairement de quarante nuits; mais on en
convenoit quelquefois autrement. Si au bout du temps
marqvié , le répondant refusoit de payer, l'impétrant lui
faisoit plusieurs sommations; après quoi il s'adressoit au
juge (le comte). Celui-ci assembloit sept assesseurs avec les-
quels il se transportoit au domicile du répondant, et il le
sommoit de payer la somme pour laquelle il s'étoit rendu
caution. S'il refusoit encore , les assesseurs évaluoient la
dette et en prenoient le montant sur ses biens : c'étoit à
celui-ci à avoir son recours sur le succombant. Outre la
somme principale , on prenoit encore l'amende encourue
par le refus de payer (3). »
§ IX.
Culte des anciens Germains, funérailles, etc.
Il n'existe chez les auteurs , tant anciens que modernes ,
(1) Voir Hachenberg, Dissert., 3, ^ 19. — 24 et le P. Lebrun, Ilist. criL
4e s superstit.
(2) Lex. Fris., tit. 14.
(3) DeBuat, tom. 3, p. 26.
— 272 —
pas moins de contradictions et d'erreurs louchant le culte
des peuples germains, cjue par rapport a celui des Gaulois.
Suivant César les Germains ne rendaient un culte divin
qu'au soleil , à Vulcain (le feu) et a la lune (1). Gluvier a
conclu que sous ces trois emblèmes, les Germains adoraient
la trinitë : ce Voilà manifestement , dit-il , le seul vrai dieu
et les trois personnes de la trinitë. Le soleil c'est le père ;
la lune, c'est le fils et le feu le Saint-Esprit (2). » Cette
interprétation est sans doute une des plus plaisantes et des
plus ridicules , qu'ait jamais enfantées la manie des sys-
tèmes.
Tacite avait des notions plus exactes que Cësar , sur la
religion des peuples du nord ; mais il n'entre pas dans plus
de détails sur ce sujet que cet auteur. D'ailleurs suivant la
coutume des Grecs et des Romains, il confond les dieux
des barbares avec ceux de Rome ; Mercure , Hercule, Mars ,
Isis , Castor et PoUux sont les seules divinités qu'il connaît
chez les Germains (3).
Parmi les modernes , Schedius , qui a composé un traité
sur l'ancienne religion des peuples septentrionaux de l'Eu-
rope (4), Peloutier et Chiniac ont sans cesse mêlé le culte
des Celtes et des Germains.
Pour acquérir des notions plus complètes et plus exactes
sur la religion des anciens peuples du nord, c'est a l'Edda
(1) Deonim numéro eos solos ducunl quos cernunt et quorum apertè opihus
j'uvantur, Solem etVulcanerrb et Lunam ; reliquos ne fama quidem acceperunt
(Cses., I. VI, c. 21), — Mone croit que par le soleil , Vulcain et la lune, on
pourrait entendre Odin, Tbor et Frigg ou Freyr (2* th., p. 29.)
(2) Cluverii Germ. antiq., p. 202 et ce que Mone dit sur ce passage
(2«th.,p.3l ).
(3) ïac, M. G., c. 9. — Voir Mone , 2« th., p. 25 et 30.
(4) Schedius, de Diis Germanis, sive de veteri Germanorum , Galiorum,
Britannorum^ Vandalorum religione sijntagmata quatuor.
— 273 —
€ode mylliologkjue des Scandinaves et aux sagas ^ poèmes
de leurs anciens bardes (1) , aux codes de lois des peuples
germaniques, aux capitulaiies des rois francs, aux canons
des conciles tenus dans les contrées occupées par des Ger-
mains et a quelques chroniqueurs du moyen âge , qu'il faut
principalement avoir recours.
Tout dans ces anciens documens prouve que , quant au
dogme , la religion de tous les peuples germains , tant de
ceux qui habitaient la Scandinavie ou Textrémité sep-
tentrionale des pays peuplés par la race leutonique, que de
ceux du midi de la Germanie, des contrées voisines du
Rhin et de la Belgique actuelle , était la même (2).
Suivant quelques auteurs modernes , suédois , danois ou
allemands , il exista dans l'antiquité deux cultes totalement
différens chez les peuples du nord. Le plus ancien de ces
cultes, sur lecjuel Ton n a point des données certaines, aurait
subsisté jusqu'au 4e siècle avant Tère vulgaire, lorsque les
Asses ou Alains , qui habitaient dans la Circassie et le Cou-
ban actuels , auraient passé de l'Asie sur les côtes de la mer
du nord et de la mer baltique , où ils auraient introduit
un culte nouveau , le culte de Thor et d'Odin , qui , dans
la suite , devint celui de tous les peuples de la Germanie.
(1) Le code mythologique des Scandinaves est divisé en ancienne et en nou-
velle Edda. L'ancienne Edda, consistant presqu entièrement en chants rimes
et en quelques fragmens en prose, fut, suivant Topinion commune, compillée
au IP siècle par l'Islandais Sàmund le Sage. Elle est divisée en trois parties :
La première, appelée Foluspa , contient l'histoire des dieux et du monde;
la seconde renferme les chants héroïques, et la troisième les dogmes secrets
ou les mythes de la religion. La nouvelle Edda fut composée par Snorro
Sturleson, vers le commencement du 13^ siècle, et renferme l'histoire des
dieux du nord, écrite en prose et entremêlée de quelques pièces de vers.
Les Sagas qui méritent d'être particulièrement consultées dans l'étude de
la mythologie du nord, sont la Jfiîkina et Niflunga Saga, la Volsanga
Saga et la JVorma Gests Saga.
(2) Voir Mallet. mtroduction à VIlisL [du Danemarc , p. 36 et suiv.
Tome L 18
^ 274 —
Tout cela est extrêmement obscur et ne repose en majeure
partie que sur des conjectures ou des documens travestis
par la fable et les mythes. C'est pourquoi, sans nous
étendre davantage sur cette question , nous ne nous occu-
perons dans ce qui concerne le culte des peuples ger-
mains, que de faits positifs et appuyés de preuves authen-
tiques.
L'Edda place dans l'Olympe des peuples du nord , douze
dieux et douze déesses , parmi lesquels Odin ou Wodan ,
occupe le premier rang (1). Ce dieu surnommé le terrible
et le sévère , le père des combats et du carnage , le dépo-
pulateur, l'incendiaire, l'agile , le bruyant , celui qui donne
la victoire , qui ranime le courage dans le combat , qui
Geschiedenis des heidendoms in Europa huiten Griehenland en Rome, naar
Jiet hoogd. van Mone en Munter (Haarl. 1824). 1® deel, hl. 236.
Suivant les uns, Odin. ^and prêtre et espèce de prophète, aurait conduit
les Asses, de l'Asie en Europe, vers l'an 70 avant J.-Ch. ; suivant les autres,
il y aurait eu jusqu'à quatre Odins. Le plus ancien, fils de Bor, venu
d'Asgard ou Asburg, capitale des Asses, à l'embouchure du Don, serait le
Teut ou le Wodan des Germains. Le second Odin , fils d'Hermode , serait
aussi sorti du pays des Asses et aurait enseigné aux peuples du nord la doc-
trine du Walhalla. Le troisième Odin, fils de Triculef, aurait , cinquante ans
avant l'ère vulgaire, fui devant Mythridate et les Romains et serait venu
chercher un asile en Suède. Les quatre fils de cet Odin, seraient devenus
maîtres de la Norwège, de la Gothie, du Danemarc et de l'île de Schoonen.
Enfin le quatrième Odin, proprement l'Odin saxon, aurait vécu au 3'
ou au 4" siècle. ( Suhm , Geschichte des nordisch. fahelzeit, iihersetzt von
Grûter , 1 th., s. 24).
Reynier regarde l'Odin, créateur de la religion des Scandinaves et des
Germains, comme un personnage idéal et n'y voit qu'une allégorie du
soleil triomphant (Reynier, de VEcon. publique et rurale des Celtes, etc.,
p. 229).
(l) « Il y a douze dieux que l'on doit servir; Odin est le premier et le
plus ancien des dieux ; il gouverne toutes choses, et quoique les autres dieux
soient puissans, ils le servent tous comme des fils servent leur père [Edda
Foluspa, c. 10, trad. de Mallot).
-- 275 —
désigne ceux qui doivent être tues, etc. (1), était principa-
lement vëneré comme le dieu de la guerre (2).
Quelquefois Odin porte le nom de Baiilwerk et est
considéré comme Fauteur des maux et des désordres et le
dieu des pendus ; c est ce cjui l'aura fait confondre par les
Romains , c[ui n'avaient cjue des notions peu étendues sur
la mythologie des peuples du nord , avec leur Mercure ,
dieu des voleurs (3).
Quoiqu'Odin fut vénéré comme le dieu de la guerre et
l'auteur de tous les maux , TEdda ne laisse pas de le re-
connaître , en sa cjualité de dieu suprême , pour le père et
le créateur de l'univers; comme tel il portait le nom
à'alvuter (père commun), diherian (le seigneur), de nikar^
nikader (le prothée) , àefiolner et une multitude d'autres
dénominations (4). « Il vit et gouverne pendant les siècles,
dit TEdda , il dirige tout ce qui est haut et tout ce qui est
bas , ce qui est grand et ce qui est petit ; il a fait le ciel et
l'air €t l'homme qui doit toujours vivre. Et avant cjue le
ciel et la terre fussent , ce dieu était déjà avec les géans(5).«
(1) Ëdda, c. 3 et suiv,
(2) JFodan^ id est foriior , hella régit hominiimque ministrat virtutem con-
ira principes (Adam brem.. Hist. eccles., c. 233).
(3) Tac, M. G., c. 9.
Jfodan sane quem , adjecta littera, Gwodan diccerunt , ipse est qui apud
Romanos MerciuHus dicitur et ab universis Germaniœ geniibus ut deusadora-
iiir, qui non circâ hœc tempora , sed longe anteriiis nec in Germania scd in
Grœcia fuisse perhibetur (Paul. Dlac, Hist. Long.). Les derniers mots de ce
passage attestent que le culte d'Odin, n'était point récent dans le nord de
l'Europe. — Voir aussi, Alberici., Trium-Fontium, Chron. ad. Ann., 856.
Saxo Gram., Hist. Dan.,\. VI. Godefr. Viterb. part. l7.Fredeg., Chron. apud
Duchesne, tom. 1 , p. 735. Fita s. Cohimbani, ibid., tom. 2, p. 550. Peloutier,
Hist. des Celtes, t. 5, p. 122.
(4) ((Dans les anciennes poésies islandaises, dit Mallet, on trouve le dieu
suprême (Odin) désigné de plus de cent vingt-six manières difierentes. »
( Mallet, Monurnens de la mythol. et de la poésie des Celtes , p. 45).
(5) Edda Voluspa^ c. 3.
-^ 276 —
On attribuait a Odin une grande connaissance dans la
magie , au moyen de laquelle il pouvait, par un seul mot,
e'teindre un incendie, calmer les orages, prendre toutes
sortes de formes , prédire l'avenir, etc.
L'Edda représente Odin , la tête couverte d'un casque
d'or, et le corps d'une cuirasse d'un travail précieux. Sa
lance , grungnir^ avait été travaillée par les Alves noirs ;
son merveilleux armillaire , drapner , produisait toutes les
neuf nuits un nombre pareil d'armillaires semblables. Il
montait le c\ie.yd\ slèipner qui avait huit pieds (1); il por-
tait une longue barbe, un manteau couleur d'azur , et n'avait
qu'un œil au milieu du front (2). Deux loups, ^eri et freki,
l'accompagnaient partout et étaient nourris de sa propre
main des mets qu'on apportait sur sa table (3) : o Deux cor-
beaux sont toujours placés sur ses épaules et lui disent tout
ce qu'ils ont vu et entendu de nouveau; l'un s'appelle
Hugin (l'esprit), et l'autre munnin (la mémoire). Odin les
lâche tous les jours et après qu'ils ont parcouru le monde,
ils reviennent le soir vers l'heure du repos. C'est pour cela
que ce dieu fait tant de choses et qu'on l'appelle le dieu des
corbeaux (4). »
Odin résidait avec les autres dieux et déesses dans
VAsgard, forteresse bâtie au centre du monde, entourée
de trois rivières et divisée en quatre palais ou grandes salles.
Dans la première de ces salles , appelée Kliscialf^ dont le
toit était d'argent, Odin , assis sur un trône d'or, avec son
épouse Frigga, contemplait a ses pieds la vaste étendue de
l'univers. Dans le second palais nommé Gladheim ( séjour
(1) Edda, c. 8.
(2) Edda, c. 35.
(3) *( L'illustre père des armées , le victorieux Odin , rassasie lui-même
ses deux loups et ne se nourrit qu'en buvant sans cesse du vin. )^[Edda, 20).
(4) Edda, c. 20.
277 —
de la joie) (1), Odin prësidaîL le tribunal des dieux qui se
tenait sous le fiéne ydragsil (2), et y décidait du sort des
(1) « Cette salle, dit TEdda, est la plus grande et la plus magnifique du
monde, on n'y voit que de Tor au dehors et au dedans ( Edda, c. 7 ).
(2) « Ce frêne, dit Jafuahar ( lEdda est écrit en forme de demandes et
réponses, les premières faites par un personnage nommé Gangler, et les
secondes par Harel Jafnahar ) est le plus grand et le meilleur de tous les
arbres : ses branches s'étendent surtout le monde et s'élèvent au-dessus des
cieux. Il a trois racines extrêmement éloignées les unes des autres : l une
est chez les dieux; lautre chez les géans, là où était autrefois l'abîme 5 la
troisième couvre le Niflheim (les enfers) et c'est sous cette racine qu'est la
fontaine de Vergelmer. Le monstre appelé ISydkoggur ronge cette racine par
dessous. Sous la racine qui va chez les géans est une célèbre fontaine dans
laquelle la sagesse et la prudence sont cachées. Celui qui la possède se
nomme 3Iimis ; il est plein de sagesse, parce qu'il y boit tous les jours
La troisième racine du frêne est dans le ciel, et sous cette racine est la
sainte fontaine du temps passé. C'est dans cet endroit que les dieux pro-
noncent leurs sentences. Tous les jours ils s'y rendent a cheval, passant sur
l'arc-en-ciel qui est le pont des dieux Pour Thor, il va a pied au tribunal
des dieux, et passe à gué les fleuves nommés Kormt, etc. Thor est obligé
de les traverser tous les jours à pied pour venir juger sous le frêne ydragsil,
car le pont des dieux est tout en feu. Comment, interrompt Gangler, est-ce
que le pont de Bifrost est en feu? Kar lui dit : ce que vous voyez de rouge
dans l'arc-en-ciel est du feu qui brûle dans le ciel , car les géans des mon-
tagnes monteraient au ciel par ce pont, s'il était aisé a tout le monde d'y
marcher Il y a un aigle perché sur les branches du frêne semant de
mauvais rapports entre l'aigle perché sur les branches du frêne qui fait beau-
coup de choses , mais il a entre ses yeux un épervier. Un écureuil monte et
descend du frêne, semant de mauvais rapports entre l'aigle et IVidJioggur
(le serpent caché sous la racine). Quatre cerfs courent a travers les branches
de l'arbre et en dévorent l'écorce. Il y a tant de serpens dans la fontaine de
Vergelmer, qu'aucune langue ne peut les compter, comme il est dit dans ce
vers : « Le grand frêne souffre plus de choses qu'un homme ne peut croire.
Un cerf le gâte en haut, il pourrit dans les côtés, un serpent le ronge par
dessous.» Et dans ceux-ci :» il y a plusieurs serpens sous le grand frêne, etc.»
On raconte de plus que !es fées qui se tiennent près de la fontaine duposse\
V puisent de l'eau dont elles arrosent le frêne, de peur que ses branches ne
pourrissent, ou ne se sèchent. Cette eau est si sainte que tout ce qu'elle
touche devient aussi blanc que la peau qui enveloppe l'intérieur de l'œuf. Il
y a sur ce sujet de? vers très-anciens, dont voici ic sens: « Le grand et
— 278 —
guerriers qui avaient péri dans les combats. Le troisième
palais Vingolf, ( séjour de l'amitié) était la résidence des
déesses. Le quatrième , le fameux Walhalla , servait de
demem'e aux héros et à ceux qui avaient përi de mort vio-
lente. Ce palais avait 550 portes, et sa toiture était formée
par des boucliers supportés par des piques. Un loup et un
aigle en étaient les gardiens. L'arc-en-ciel était la route par
laquelle les dieux communiquaient avec la terre.
Odin était aussi parfois adoré comme le dieu du soleil ;
c'est sous cet emblème que le reconnaît l'Edda de Snorro
Sturleson. Son œil unique était l'image de cet astre, le dis-
pensateur de la lumière. Considéré comme le dieu du jour,
Odin doit avoir été vénéré sous le nom de Hlôder ou Lodin
(le feu). Le principal sanctuaire du soleil parait avoir été
à Leyra dans la Sélande danoise
Dans les Pays-Bas , Odin était particulièrement vénéré a
G and et dans l'île de Walclieren oîi il portait le nom de
Walcher. Dans Tancienne légende de Saint-Willebrorde,
ce dieu est ^ suivant la coutume des latins, métamorphosé
en Mercure.
Le quatrième jour de la semaine était consacré à Odin ,
sous le nom de Gotendag , Gutendag , Onsdag , Fintzdag ,
Wodestag , Fadertag. Ce même jour porte encore en fla-
mand le nom de fVoensdag. Le dimanche lui était aussi
dédié , comme au dieu de la lumière , sous le nom de
Sonsdag^ sondagar.
Odin avait plusieurs épouses, Jord, Skade, Geydur,
sacre frêne est arrosé par une eau blanche d'où vient la rosée qui tombe
dans les vallées et qui sort de la fontaine du passé. » Les hommes appel-
lent cette rosée, rosée de miel; c'est la nourriture des abeilles. Il y a aussi
deux cignes dans cette fontaine qui ont produit tous les oiseaux de cette es-
pèce. » [Edda roluspa , c. 8. )
— 279 —
Rinda et Frigga ou Freya , (la femme par excellence) (1).
Cette dernière, fille de Fiorgun (2), était la plus considérée
des femmes d'Odin , et tenue par les Danois pour la prin-
cipale de leurs divinités. Frigg était la même que la terre
et THertus {herta , de aerde) de Tacite (3). Déesse des
hymens , elle était invoquée par les femmes enceintes.
Elle dispensait les plaisirs , le repos et les voluptés (4). En
un mot c'était la Vénus des peuples du nord ; et, comme les
Latins, les Germains avaient consacré le vendredi à la
déesse des amours, sous le nom de Freytag ou Freydagar.
On la confondait quelquefois avec la lune , qu'on croyait
avoir , comme Freya, de l'influence sur la génération et la
(i) a C'est d'elle, dit lEdda, que les dames ont reçu le nom qu'on leur
donne dans notre langue. » Edda, c. 13. En effet de Freya paraît dérivé le
mot allemand frau et le flamand vrouw.
(2) L'Edda, au chap. 5, la dit fille et femme d'Odin; sans doute parce
qu'Odin étant considéré comme le plus ancien des dieux et le créateur de
toutes choses, devait dans ce sens être regardé comme le père de Frigga.
Cependant dans un autre passage TEdda donne à la terre Oner, pour père,
et pour mère la nuit, fille du géant IVor.
« C'était l'opinion de tous les peuples celtes , dit Mallet , des anciens
Syriens et des premiers habitans de la Grèce, que l'être suprême, ou le dieu
céleste s'était uni avec la terre pour produire les divinités subalternes,
l'homme et toutes les autres créatures. C'était la dessus qu'étaient fondés la
vénération qu'ils avaient pour elle et les honneurs qu'ils lui rendaient » {in-
trod. à l'Histoire du Danem.^ liv. II, p. 158).
Sur l'allégorie ou le sens mystique du mariage d'Odin (principe actif de la
nature ) avec Freya (principe passif de la nature) , voir Reynier, de VEcon.
piihl et rur. des Celtes, etc., p. 14. — Il est inutile d'avertir qu'il ne faut
point confondre la Freya dont il est ici question, avec son homonyme dont
il sera parlé plus loin.
(3) Hcrthum, id est terram matrem colunt, eamque intervenire relus ho-
minum , invehi populis arbitrantur (Tac. M. G. , c. 40).
Keysier prétend à tort, que l'Hertus de Tacite est le soleil [Keysler,
antiq. Septeni.. p. 158).
(4) « Elle exauce très-favorablement les vœux de ceux quilui demandent
son assistance... Elle aime beaucoup les poésies galantes et il est bon de
l'adorer pour être heureux en amour. » Edda, c. 13.
- 280 —
reproduction des êtres; de la vient que la pleine lune était
regardée comme le temps le plus favorable pour les noces.
Chez les peuples du nord , dont le génie, en tout différent
de celui des peuples méridionaux, ne voyait partout et jus-
que dans le culte , que Timage de la guerre et de la destruc-
tion, Frigga, la déesse des plaisirs, assistait avec son époux
Odin, aux combats, et partageait avec lui les âmes de ceux qui
avaient péri par la guerre (1). On lui attribuait, comme à
son époux, la connaissance de l'avenir . «Frigga prévoit,
dit TEdda , les destinées des hommes , mais elle ne révèle
jamais l'avenir , comme cela parait par ce discours en vers
qu Odin tint à Loke : a insensé Loke! comment veux-tu con-
naître la destinée ? Frigga seule connaît l'avenir , mais
elle ne le découvre a personne (2).» Frigga se transformait
souvent en oiseau , pour mieux épier et découvrir ce qui se
passait dans le monde, sans être reconnue.
Elle avait la garde du palais Wingolf^ où elle résidait
avec les déesses subalternes ; mais sa demeure ordinaire
était le palais Faisal , où elle était servie par Gua et Fui-
ler^ ministres de ses ordres. Lorsqu'elle sortait de son
palais elle était assise sur un char traîné par deux chats.
Après Odin , le premier rang parmi les dieux des Scan-
dinaves et des Germains appartenait a Thor , l'aîné et le
plus vaillant des fils de ce dieu suprême (3). Comme celle de
Jupiter, l'autorité de ce dieu, dont le caractère propre était
une force invincible, s'étendait sur les vents, les saisons
et particulièrement sur la foudre (4); on le regardait
(1) Edda, c. 13.
(2) Edda, c. 10.
(3) Edda. c. 7. — On l'appelait aussi Asa Thor (le seigneur Thor) et
Jku T/i or (l'agile Thor).
(4) Thor, inquiunty prœsidet in aère, qui tonnitrus et fulmina, venlos
imbresque, serena et fruges guhernat (Adam brem. loc. cit.). Thor ctim
scpptro jovem exprimere videiur (Ibid., p. 223).
-^ 281 —
comme le dieu tutëlaire des hommes, et leur prolec leur
contre les gëans et les mauvais ge'nies. C'est pourquoi son
palais , qui contenait 540 salles , était nomme Bilskimer,
asile contre la terreur. L'Edda le considère encore comme
le défenseur et le vengeur des dieux et le plus intrépide
Î3uveur de ï^sgard (1); ce cjui , chez les habitans du nord,
n'était pas regarde comme un talent peu distingue. Le
royaumedeThor, appelé Trudheim ou Trudhwang e r ser\diil_
de séjour aux âmes du vulgaire; il y recevait même celles
des esclaves. Thor ouvrait l'année dont le premier mois
lui était consacré , de même que le jeudi qui , en son hon-
neur , portait le nom de Thorsdag , en flamand Donderdag
(jour du tonnerre). Le chêne était l'arbre de Thor et son
bois servait à nourrir le feu sacré qui brûlait continuelle-
ment sur les autels de ce dieu , parce cju'il fut le premier
qui connut l'emploi de cet élément (2).
On croyait que Thor produisait le tonnerre , en traver-
sant avec fracas l'espace des cieux dans un char traîné par
deux béliers , remplacés plus tard par deux boucs , et la
foudre, en lançant le marteau Tlfe^o/Z^iV ou Miolner. Il por-
tait une ceinture , emblème de l'arc-en-ciel , et des gante-
lets de fer. a Le char de Thor, dit TEdda, est tiré par deux
boucs ; c'est sur ce char qu'il va dans le pays des géans ,
aussi l'appelle- t-on le rapide Thor. Il possède de plus trois
choses précieuses : la première est une massue , nommée
Miolner j que les géans de la gelée et ceux des montagnes ,
(1) Edda, c. 11, 25 et 26.
(2) Gaguin, parlant de Perunns , dieu des Prussiens et probablement
le même que Thor, sous un nom différent, dit : m hiijus laudem et honore m
ifjnis ex quercubus construebaiur. qui diè 7ioctuque perpetuo ardehat et nun-
quam extinguehatur. Quod si neglir/eiifiâ ministroriim ad hoc ofjRcium prœs-
landiim depuiandorum , igncm extingui contingerit , capifali svpplicio affl-
ciehantvr (Gaguini, descript, Prtissiœ, p. 2).
— 282 —
reconnaissent bien quand ils la voyent lancée contre eux
dans les airs; et cela n'est pas étonnant , car ce dieu a sou-
vent brisé de celte massue les têtes de leurs pères et de leurs
parens. Le second joyau qu'il possède , est ce qu'on nomme
le baudrier de vaillance ; lorsqu'il le ceint, ses forces s'aug-
mentent de moitié. Le troisième qui est fort précieux,
sont ses gants de fer , dont il ne peut se passer quand il
veut prendre le manche de la massue (1). »
Tlior eut de Sief, son épouse , dont les bardes ont
souvent chanté la belle chevelure dorée, un fils nommé
Oller ou Huiler qu'on invoquait dans les duels et a la chasse,
et une fille cpi reçut le nom de Thruda. Auprès delà géante
Jarnfane il procréa Mague et Mode qui seuls devaient sur-
vivre à la destruction du monde. Tjalf el Rauska éi2àGni
les fidèles servans d'armes de Thor.
Odin , Frigga et Thor composaient la cour ou le conseil
suprême des dieux germaniques (2). Les divinités du second
rang dont FEdda fait mention sont : Niord^ Freyr, Balder^
Tyr^ Brage, Heimdall, Hoder, Fidar, Vile^ Uller et Forsete,
iWorJ régnait sur la mer et les vents et était père de Freyr et
de Frigga. « On doit rinvoc|uer, dit TEdda, pour c|u il rende
heureuses la navigation , la chasse et la pêche. » On invo-
quait aussi Niord, pour acquérir des trésors et des richesses.
11 n'était pas de la race des dieux, mais de celle des vanes.
Son épouse, Skade, était fille du géant Thiasse ^ et habitait
dans les montagnes avec son père, tandis que son époux
avait fixé sa demeure près delà mer. Cependant ils étaient
convenus de rester ensemble neuf nuits dans les montagnes
(1) Eikla, cil.
(2) Cependant l'opinion est partagée sur le rang qu'occupait Frigga dans
rOlympe du nord. Plusieurs auteurs modernes mettent au rang des dieux
suprêmes Freyr, frère de Frigga, duquel nous parlerons tantôt, et ne regar-
dent Frigga que comme une divinité du second ordre.
— 283 —
et trois sur les bords de la mer. Au reste Niord n était pas
le seul dominateur de la mer ; FOcëan était aussi régi par un
autre dieu, ^gii\ ou Hler^ de la race des Jettes, race plus an-
cienne que celle des Asses. Antérieurement encore , la mer
était le domaine d'un serpent monstrueux qui dans ses re-
plis embrassait la terre entière et portail le nom de Midgar-
son et àe Jormungaudur (ceintre delà terre). L'ëpouse de
Lher, s'appelait ^ûf7^ ou Rauna. Ils avaient pour filles neuf
nymphes.
Outre Niord les vents avaient pour maître Kar. Ce dieu ,
Hier et Loke étaient tous trois fils du vieux Get , ou mau-
vais génie de la terre, Fainjoter.
Freyi\ fils de Niord, présidait aux saisons de Tannée et
donnait la paix , la fertilité et les richesses. 11 était en
même temps vénéré comme protecteur des hyménées.Ea
général on paraît avoir attribué à ce dieu la force générative
et l'avoir représenté avec les attributs du priape romain (1).
Baldei\ second fils d'Odin , était le dieu de l'éloquence (2).
« Il est , dit l'Edda , d'un très-bon naturel , en grande vé-
nération parmi les hommes , si beau de sa figure et d'un
regard si éblouissant qu'il semble répandre des rayons : et
pour vous faire comprendre la beauté de ses cheveux , vous
devez savoir que l'on appelle la plus blanche des herbes le
sourcil de Baîder. Ce dieu si brillant et si beau est aussi très-
éloquent et très-bon , mais telle est sa nature , qu'on ne peut
jamais rien changer aux jugemens qu'il a prononcés (3). »
Tyr, que l'Edda appelle le plus hardi et le plus intré-
pide des dieux, dispensait la victoire. Pour désigner un
(1) Tertins (la troisième idole dans le temple d'Upsal) , est FriggOf pacem
volwptate nique largiens mortalitus. Ciijus eiiam simulacriiin pngunt ingcnti
Priapo (Adam Bremens, 1. IV, c. 234).
(2) Mallct croit quMI était le même que le Belcnus des Celtes.
(3) Eddo, c. 12.
— 284 --.
Isomme d'une valeur éprouvée, on disait il esihra^e com?iie
Tijr (V), Le troisième jour de la semaine lui était consa-
cré et en reçut le nom de Tewes^ Tydes ou Tirsdag, en fla-
mand Diensdag.
Brage, célèbre par sa sagesse , par son éloquence et son
air majestueux, était le dieu de la poésie : « C'est de lui, dit
TEdda ^ que cet art est appelé Bragiir et que les poètes dis-
tingués ont reçu leur nom. La femme, ajoute-t-elle, s'ap-
pela Iduiia. Elle garde dans une boite des pommes dont
les dieux goûtent, cjuand ils se sentent vieillir, parce
qu elles ont le pouvoir de les rajeunir. C'est par ce moyen
qu'ils subsisteront jusqu'à la fin des siècles (2). «
Heimdall ^ ou le dieu aux dents d'or , fils de neuf vierges
et sœurs, éiuit le gardien des dieux ; il se tenait à l'entrée
du ciel, au bout du pont de Bifrost (l'arc-en-ciel ), dans
un château nommé le fort céleste^ afin d'empêcher les géans
de forcer le passage de l'olympe germanique. « îl entend
rherbe croître sur la terre, la laine sur les brebis et tout ce
qui fait le moins de bruit. îl a outre cela une trompette
qui se fait entendre par tous les mondes (3), »
« On compte aussi parmi les dieux, dit TEdda , Hôd^r,
qui est aveugle, mais extrêmement fort; les dieux et
les hommes conserveront un long souvenir de ses ex-
ploits. Le neuvième dieu est le taciturne Vidar^ qui porte
(1) Ne serait-ce pas Tvr que Tacite aurait entendu sous le nom d'Her-
cule? fuisse apud eos (Germauos), et Herculem memorant; primumque
omnium virorum fortium iluri in prœlia caniint ( M. G., c. 3).
Ou cette tradition d'un Hercule venu dans la Germanie, ne se rapporterait-
elle pas à quelque expédition des Tyriens qui, comme on sait, trafiquaient
jusque sur les côtes de la Norwège , où l'opinion la plus vraisemblable place
Tile mystérieuse de Thule. Voir cependant ce que Mone dit sur cette tradi-
tion : Geschichte des heidcnthums in nordl. Evropa, t th., s. 9.
(2) Edda, c. 14.
(3) Edda. c. 15.
- 285 —
des souliers fart ëpals , et si merveilleux , qu il peut , avec
leur secours, marcher dans les airs et sur les eaux; il
est presque aussi fort que le dieu Tlior lui-même, et il
est d un grand secours aux dieux dans les conjectures cri-
tiques.
c( Le dixième dieu, Vile ou f^ali^ est l'un des fils d'Odin
et de Rinda; il est audacieux à la guerre et très-habile
archer. Le onzième est Uller , fils de Si fia , beau-fils de
Thor ; il tire des flèches avec tant de promptitude et court
si bien en patins , que personne ne peut combattre avec
lui. Il est d'ailleurs d'une belle figure, et possède toutes les
qualités d'un héros ; c'est pourquoi il est bon de l'invoquer
dans les duels.
« Forsetc, fils de Balder, est le douzième dieu ; il possède
dans le ciel un palais qu'on nomme Gutner. Tous ceux
qui le prennent pour juge dans leurs procès s'en retour-
nent réconcilies (1).»
Les déesses de l'Asgard e'taient, suivant l'Edda, Frigga,
dont nous avons parlé; Saga; Eira qui faisait la fonction
de médecin des dieux ; la vierge Géfione qui recueillait les
âmes des filles mortes en état de virginité ; la vierge Fylla^
chargée de la toilette de Frigga; Freya la plus illustre des
déesses après Frigga et épouse d'Oder dont elle eut Nona,
« fille si belle, qu'on appelle de son nom tout ce qui est beau et
précieux ; » Siona, Lôvna et Vara toutes trois déesses favo-
rables aux amans ; Vora^ prudente , sage et si curieuse que
rien ne pouvait lui demeurer cache \ Synia, la portière du
palais de Frigga. Elle était aussi préposée aux procès où il
s'agissait de nier quelque chose par serment (d'où venait le
proverbe : Synia est près de celui qui va ?iier^ ; Lyra qui veil-
lait sur ceux que Frigga voulait délivrer de quelque péril ;
(1) Edda, c. 15.
— 286 —
Snotra , déesse de la sagesse ; Gua la messagère de Frigga ;
elle montait un cheval qui courait à travers les airs et les
feux; Soif BU, Rinda, mcre de Yalé et quelques autres ha-
bitantes de rOlympe germanique , mais qui doivent être
plutôt classées parmi les fées et les génies , que parmi les
déesses.
Outre ces divinités générales , chaque peuple germain
avait ses divinités locales et tutélaires. Dans le chapitre
précédent nous avons énuméré la plupart des dieux spé-
ciaux de la Belgique , que Mone regarde comme des divi-
nités d'origine celtique , mais dont plusieurs n'ont peut-
être commencées à être honorées dans cette contrée que
sous la période germanique. Quant au dieu Namiis ^ cjui,
suivant quelques chroniqueurs du moyen âge, aurait donné
son nom a la ville de Namur , il parait douteux qu'une divi-
nité de ce nom ait jamais été vénérée en Belgique. On
peut en dire autant du diable (ou dieu) Ehroin qui, à ce que
prétend Cousin , aurait reçu un culte a Tournai,
Les peuples germains adressaient aussi leurs vœux aux
sources et aux fontaines, aux lacs, aux rivières et aux
fleuves , parmi lesquels on vénérait particulièrement le
Rhin (1) , aux arbres , aux rochers et aux montagnes (2).
(1) ïacit., Hist, 1. IV. Procop., 5eZZ. Goth., 1. II, c. 25.
(2) Arborum illis ( Alemmanis), cultus et amnium colliumque et vallum
( Agath., Hist. Just, 1. I ). Grégoire de Tours parle du culte rendu par les
Francs aux artres, aux fontaines, aux oiseaux et aux quadrupèdes {Hist.
Franc., I. 11,0. 10 et Adam Brenn.).
C'était surtout au chêne, l'arbre de Tlior, que les Germains, comme les
Gaulois, vouaient un culte particulier : Alii (Hessl) etiam lignis et fontihus
vlaneuh, alii apertè sacrificahant arborent qiiamdam mifœ magnitudinis,
quœ prisco paganorum vocahulo appellatur rohur jovis , in loco qui dicitur
Gicesmere, servis secumadstantibus, succindere teiiiavit {Vf ïWihalàus, Fitas.
Bonifacii in act. ss. ord. Bened. sœc. 3 pars., 2° et Kejsler, Jntiq. septent. ,
|)ag. 63 ).
- 287 -
Cette superstition se soutint même longtemps après Tin-
troduction du christianisme en Belgique, comme il conste
par les nombreuses défenses faites par des conciles et les
rois francs (1). Ce n'e'taient pas ces objets matériels mêmes
que vénéraient les peuples du nord , mais les génies dont
ils les croyaient animés ; car dans leur opinion tout objet
dans la nature avait une ame. On prétendait que ces intel-
ligences étaient douées d'une parfaite connaissance de l'ave-
nir , qu elles avaient le pouvoir d'empoisonner les eaux ,
d'exciter les tempêtes, en un mot quelles étaient toute puis-
santes dans l'élément auquel elles étaient identifiées.
Les esprits qui animaient les eaux étaient appelés Nikkers.
On croyait qu'ils se présentaient sous la forme de feux fol-
lets pendant les fortes chaleurs de l'été. Depuis Tinlroduc-
tion du christianisme en Belgique , le vulgaire est dans la
croyance que ces émanations phosphoriques sont les âmes
des enfans morts avant le baptême.
Les esprits ou génies des bois, auxquels les Germains
croyaient , comme les Gaulois, ainsi qu'il a été dit dans le
chapitre précédent, étaient censés rechercher le commerce
des femmes. Ces esprits étaient donc (2) , sous un nom
différent , les incubes et les succubes qui effraient encore
aujourd'hui l'imagination du vulgaire (en flamand, Nacht-
maeren ou NacJitmerrien). « C'était surtout à Fheure de
midi, dit Mallet, qu'on redoutait ces esprits malins, et en
quelques endroits on se fait toujours un devoir de tenir
(1) De arhoribus vel pétris vel fontibus ubi aliqui stulti luminarîa vel
alias observationes faciunt, omnitio mandemus vt iste pessimus usits et
deo execrabilis , ubiciimque invenitur , lollatur et destruatur ( Capitul., I.
a° 789, c, 63). — Si quis ad fontes aut arbores vel lacos votiiin fecerit, aut
aliquis more gentiUum ohtalerit et ad honorem de moniorum comme derit, etc.
( Ibid. , c. 21 ). — simili modo qui ad arborent quem ruslicï sanctum ( Al.,
Sanguinum) vocant, atque ad fontanas adoraverit, aut sacrilegium vel in~
(2) Aiigust. €iv. Bei, 1. XV, c. 22,
— 288 —
compagnie à cette heure aux femmes en couche , de peur
que le démon du midi ne les attaque , s'il les trouve seu-
les (1). >> On divisait les esprits (Jlven) en esprits blancs
et noirs ; et les génies ou fces {Nornen) en bons génies ou
génies lumineux et en génies des ténèbres : a Les génies
lumineux, dit FEdda, sont plus brillans que le soleil , mais
les noirs sont plus noirs que la poix. «Les premiers avaient
leur demeure dans le ciel; elle s'appelait Halfheim. Celle
des derniers était dans l'intérieur de la terre. Parmi les
bons génies on distinguait les fées Urda (le passé )^ Ve-
randi (le présent) et Skulda (l'avenir). Ces trois vierges
dispensaient l'âge des hommes; d'autres assistaient à la
naissance des enfans pour décider de leur destinée (2).
Les peuples du Nord accordaient un grand pouvoir aux
géanset aux nains qui,dans leur croyance, séjournaient dans
les cavernes et les souterrains , s'habillaient de peaux , vi-
vaient de la chasse, déchiraient la chaire crue des animaux
avec leurs dents, attaquaient leurs ennemis pendant la nuit,
les assassinaient et les dévoraient. « Cette espèce de créatu-
res s'était formée dans la poudre de la terre, comme les vers
naissent dans un cadavre. En effet c'était dans le corps du
caniatlonem fecerit, simiîiter médium pretii sui componat in sacro palatio
( Leg. Lultprandi. , 1. Il, tit. 38, ^ 1). — Suwmo decertare debent studio
episcopi et eorum ministri, ut arbores dœmonibus consecratœ , guas vulgus
colit et in tanta veneratione habet , ut nec raniiim nec furculum inde audeat
amputare , radicitus excidantur atque comburantur Ut lapides quoque
quos in ruinosis locis et silvesiribus dœmonwm ludifiationibus decepti vene-
raniur ubi et vota votent et deferunt funditus effodiantur, atque in tali loco
projiciantur , ubi nunquam à cultoribus suis inveniri possint ( Concil Nannet.
can. 20 ). — IVon licet compensas in domibus propriis nec pervigilia festi-
vitatibus sanctorum facere ; nec inter sentes aut ad arbores sacrivos vel ad
fontes vota absolvere (Concil. Autodun. a°, 578). Voir aussi le 22^ Canon du
Conc. de Tours, en 567. Capit. Carol., M. ann., 769.
(1) Mallet, Notes sur VEdda, c. 9,
(2) Edda, c. 8,
— 289 —
géant Fme quils s'étaient engendrés, et qu'ils avaient reçu
le mouvement et la vie. Dans le principe ils n'étaient que
des vers ; mais par l'ordre des dieux , ils participèrent à la
raison de l'homme et à sa figure , habitant toujours cepen-
dant dans la terre et entre les rochers. Modsogner est le
premier et le plus considérable d'en tr 'eux; le second se
nomme Djrin (1). » On supposait aux nains une grande
habileté à travailler les métaux ; ils avaient des cavernes
pleines de trésors à leur disposition. Comme ils étaient
faibles et peu courageux, on se les figurait rusés, artifi-
cieux et déloyaux; on disait qu'ils tombaient sur leurs en-
nemis pendant la nuit et cju'après les avoir tués , ils dévo-
raient leurs cadavres.
Les géans ne jouent pas un rôle moins grand dans la my-
thologie du Nord que dans celle de l'Orient. De même que
chez les Grecs, les géans , dans la croyance des Scandinaves
et des Germains, étaient les ennemis des dieux et continuel-
lement en guerre avec eux. Le pays qu'ils habitaient s'appe-
lait Jo/2mAe//72 ou demeure des Jettes. Nor , le plus ancien
des geans, eut pour fille la nuit, noire comme toute sa fa-
mille. Elle procréa à'Onar la terre et de DagUnger le jour,
brillant et beau , parce que son père était de la race des
dieux. Comme dans la croyance des peuples du nord la
nuit est censée précéder le jour, la première, faisant jour-'
nellement le tour du monde sur son cheval Rinfaxa ( cri-
nière gelée), dont 1 écume qui dégouttait de son frein (la
rosée ) arrosait la terre , était suivie du jour porté par le
cheval Skinfaxa (crinière lumineuse), dont la crinière bril-
lante éclairait l'air et la terre. Une géante, vieille magicienne,
qui demeurait dans la foret de Jarnvid (aux arbres de fer),
(1) Edda, c. 7. et note e de Mallet, sur ce chapitre. — Voir sur la croyance
actuelle de nos paysans aux nains , nos Essais hist. sur les usages , les croy.,
les tradit., etc., des Belges anc. etmod., V" partie, p. 230.
Tome I. - 19
— 290 —
a l'orient de Midgard, donna le jour à plusieurs géans, qui
avaient tous la forme de bétes féroces, et a deux loups, dont
1 un poursuit continuellement le soleil qu il doit dévorer à
la fin du monde; Fautre, appelé M anag armer (^monstre qui
s'engraisse des hommes prêts a mourir) s'attache a la pour-
suite de la lune. Lorsqu'il y avait éclipse d^ lune , les Ger-
mains croyaient que ce loup était prêt à la dévorer (1).
Pour l'effrayer et lui faire lâcher prise, ils jetaient de grands
cris et frappaient sur des instrumens de cuivre. Cette super-
stition subsistait encore en Belgique au milieu du 8^ siècle,
comme nous le verrons dans la seconde partie du liv. 1 de
cet ouvrage.
Un géant , sous la forme d'un aigle, produisait le vent du
nord, en battant des ailes. Le géant 5w^5wr, était regardé
comme l'auteur de Télé; Stormer et Wasedur, pour ceux
de l'hiver.
Le plus terrible ennemi des dieux parmi les géans était
Loke , le calomniateur des dieux ^ V artisan des tromperies^
V opprobre des dieux et des hommes. Ce géant, le mauvais
principe ou le démon des Germains, était fils du géant
Tarhante et de Laufeja. « Loke, dit l'Edda , est beau et
bienfait , mais il a Vesprit mauvais , léger et inconstant; il
surpasse tous les hommes dans cette science qu'on nomme
ruse et perfidie. Il a souvent exposé les dieux aux plus
grands périls , et les en a souvent tirés par ses artifices. » Il
eut de sa femme Sigiiie , Nar^ et plusieurs autres fils, et de
la géante Angerhode (messagère de malheur), trois enfans ,
le loup Fenris , le grand serpent de Midgard et la déesse
Hela (la mort) (2). Les dieux cherchèrent tous les moyens
pour se défaire de Lolie , qui , pour échapper à leur pour-
(1) Edda, e. 10.
(2) Edda, c. 16.
-~ 291 —
suite , se transforma en saumon et se cacha sous une mon-
tagne où il se bâtit ime maison ouverte de quatre cotes ,
d'où il voyait tout ce cjui se passait dans le monde et épiait
les stratagèmes que les dieux imaginaient pour le perdre.
Odin et Kuafer, le plus pénétrant de tous les habitans de
l'Olympe, ne purent y parvenir; mais Thor réussit a se
rendre maître de Loke. On le traîna alors dans une caverne;
et les dieux s'étant saisis de ses fils, Vale et Narfe , changè-
rent le premier en béte féroce qui déchira et dévora le
second, a Les dieux firent de ses intestins des chaînes à
Loke, le liant à trois pierres aiguës, dont l'une lui pressait
les épaules , l'autre les côtés , la troisième les jarrets ; et ces
liens furent ensuite changés en chaînes de fer. Skada sus-
pendit de plus sur sa télé un serpent dont le venin lui tombe
goutte à goutte sur le visage. Sa femme Signie , est assise à
côté de lui et reçoit ces gouttes dans un bassin qu'elle va
vider lorsqu'il est rempli; durant cet intervalle, le venin
tombe sur Loke , ce qui le fait hurler et frémir avec tant
de force que toute la terre en est ébranlée, et c'est ce qu'on
appelle parmi les hommes tremblement de terre\ il restera
la dans les fers jusqu'au jour des ténèbres des dieux (1). »
Les Germains , comme les Celtes , les Scythes et les Sar-
mates , n'élevaient ni temples ni statues a leurs dieux :
« confiner les dieux dans un temple , dit Tacite , les repré-
senter sous une figure humaine, rien suivant eux ne dégrade
autant des êtres d'une matière céleste ; les bois , les forets ,
voila ce qu'ils consacrent a chaque divinité , dont ils don-
nent le nom à ces retraites profondes; et dans leur opinion,
c'est assez les voir que de les respecter (2). » Seulement dans
(1) Edda, c. 30et 31.
(2) Tacit, i)!for. Germ., c. 9, 39, 40, 43. Annal, 1. 1, c. 51, 1. II, c. 12, 1.IV,
c. 73. Hist, 1. IV, c. 14. Amm. Marcel., 1. XXI. Adam Brem. 1. I. Claudian.
de Laudïb. Stilic, 1. I.
— 292 —
les forets sacrées de petites cabanes en bois et de forme cir-
culaire, ou simplement un toit, couvert en chaume et sou-
tenu par quatre poteaux , défendait contre les intempe'ries
de Fair, l'autel et lembléme du dieu qu'on y adorait. Ces
huttes portaient le nom de Harah , Hearg et Havrgr (1).
Les bois sacres étaient ordinairement entourés d'un fossé,
d'une baye vive ou d'une palissade en bois , qu'il était dé-
fendu de briser sous peine de mort. Les lois punissaient aussi
avec sévérité ceux qui coupaient ou même élaguaient les
arbres de la foret ; ceux qui y entraient armés pendant les
sacrifices et ceux qui y auraient lancé une flèche ou toute
autre arme. Le sacrificateur seul pouvait pénétrer dans l'en-
droit le plus secret du bois et qui était sensé la demeure
du dieu. Il y avait même des forets sacrées où il n'était
permis a ceux qui venaient offrir leurs vœux à la divinité
du lieu , que de s'y présenter les bras liés ; et s'ils tom-
baient , ils étaient obligés d'en sortir en se traînant par
terre (2).
Les bois sacrés n'étaient pas exclusivement destinés aux
cérémonies du culte ; on y tenait aussi souvent les assem-
blées nationales et on y rendait la Justice (3). Ils servaient
encore de dépôt aux étendards militaires (4). Le criminel
qui y cherchait un asyle devenait inviolable (5).
(1) Mone, 2« th., s. 95 et 126. Lex Rip., tit. 30, § 2. Tit, 41, § 1 , tit. 72 ,
§ 77. Indicul. swperst. et pagan., § 4.
(2) Tac, M. G., c. 38.
(3) Lex. Sal, tit. 40, 43, § 4, 6, tît. 48, § 1, tit. 76, § 1. Lex. Rip., t. 30,
§ 1,2, tit. 33, §1.
Les Prussiens avaient encore au 12^ siècle un bois sacré dans lequel on
rendait annuellement la justice a un jour désigné. Personne , a l'exception
du prêtre, ceux qui venaient y apporter leurs offrandes et les agonisans ,
n'avaient accès dans le sanctuaire qui était séparé du reste de la forêt par
une clôture en bois (Helmold., Chron. Slav.y 1. 1, c. 83).
(4) Tac, Hist. , 1. IV.
(5) Edda, c 17. Helmold., 1. 1, c. 88.
— 293 ~
Les autels des dieux du nord étaient ordinairement en
pierre et semblables à ceux des Celtes. Ils étaient formes de
deux pierres énormes cjui en soutenaient une troisième en
forme de table. D'autres pierres colossales étaient dispo-
sées en cercle autour de l'autel. Au centre de celui-ci on
voit ordinairement un trou qui parait avoir été destiné a
recueillir le sang des victimes (1). Il est donc incertain si
l'autel druidique, qui existe encore près de Namur, fut élevé
par des Celtes ou par des Germains.
Les simulacres des divinités germaniques comme ceux
des dieux des Celtes, consistaient dans le tronc d'un arbre
ou dans l'arbre même , dans une épée ou dans une pierre
brute et informe (2).
(1) Mone, 2^ tli., s. 48. et ce que nous avons dit des temples gaulois au cha-
pitre précédent.
(2) .... Simulacraque mœsta deorum
Arte curent , cœsisque exstant informia truncis
(Lucan., 1. III, v. 4i2),
Robora numinis instar ( Claudian, de laudih. Stilic). Le célèbre Irmensul
des Saxons ne consistait qu'en un tronc d'arbre : Truncum quoqiie ligneum
non parvœ magnitudinis in altum erectum suh dio locabant, patriâ eum lin-
guâ irminsiil appellantes (Willibaldus, Vita s. Bonif.). Adam de Brème
qui rapporte textuellement ce passage, dit qu'Irminsul signifie en latin
colonne universelle [universaïis coîumna) (Adam. Brem.,1. 1, c. 3). Crantzius
prétend au contraire , que llrminsul n'était pas un simple tronc d'arbre ,
mais représentait un guerrier armé de pied en cap, tenant de la main droite
un étendard sur lequel était gravée une rose, et de la main gauche une ba-
lance , emblème de l'issue incertaine des combats ; que sur sa poitrine était
sculpté un ours, allégorie relative aux âmes des héros morts les armes à la
main, et sur son bouclier un lion, emblème de la force et de la valeur;
que le champ sur lequel était posé cette statue, était semé de fleurs pour
désigner que rien ne paraissait plus agréable aux hommes vaillans que de
montrer de l'intrépidité dans les combats (Crantzius, Saxonia, 1. II, c. 9).
Werner Rolevinc avance que sur l'ïrminsul étaient sculptées les images de
Mars, de Mercure, d'Hercule et d'Apollon, toutes divinités inconnues aux
Germains ( Wern. Rolev., Desitu et morib. TFestph.y 1. II, c. 3). Tout cela
contraste trop avec les mœurs des Germains, pour que tout homme sensé
ne préfère au récit de ces deux auteurs, celui de Willibald, écrivain qui
leur fut antérieur de plusieurs siècles. Witikind, ancien annaliste saxon,
— 294 —
Cësar a montre une grande ignorance de ce qui concerne
le culte des Germains, en avançant dans ses commen-
taires , que les Germains ne connaissaient ni prêtres ni cé-
rémonies religieuses (1); tandis que Tacite parle dans plus
d'un endroit de ses ouvrages des prêtres germains (2) , ce
en c]uoi il est d'accoi'd avec tous les auteurs et documens
postérieurs. Mais dans la Germanie, l'organisation du sacer-
doce, était toute dififérente de celle des prêtres gaulois.
Le nom de druter ou droter^ chez les Saxons dry (maître ) ,
que portaient les prêtres germains , était la seule ressem-
blance qui existait entre ces derniers et les druides des
Gaules. En Germanie on ne voit ni hiérarchie, ni théo-
cratie oppressive de la liberté du peuple. La il n'y avait
ni caste sacerdotale ni suprême pontife (3). Chaque peu-
rapporte que Tétendard des Saxons , sur lequel étaient peints un lion , un
dragon et un aigle les ailes déployées, était fixé au haut de l'Irminsul (Al-
bert! stad., , Chron. p. 100 ).
Les opinions des modernes varient sur la divinité dont Tlrminsul était
Temblême : il y en a qui prétendent que cette colonne était dédiée à Odin ;
d'autres au célèbre Arminius, qui défit les légions romaines commandées
par Vanis, ou U Mars, h Mercure,a Hermion, fils de Mann , etc., (Mone,
2« tli., s. 49. Hachenberg, p. 182).
Charlemagne renversa l'Irminsul en 772 , et le fit déposer dans l'église
d'Hildesheim, où l'on prétend encore le conserver, quoique plusieurs auteurs
modernes soient d'avis que ce qu'on y montre comme llrminsul n'est qu'un
ancien candélabre.
Chez les Cattes , l'emblème de Thor, était un chêne d'une dimension mon-
strueuse [Mirœ mugnitudînis arhor jovis). Cet arbre fut renversé par ordre
de Saint-Boniface ( Willibalt, Vita s. Bonifacii, § 34).
(1) IVeque druides liaient , qui rébus divinis prœsint; neque sacrifciis
student (Cses., 1. VI, c. 21).
(2) Tac, y¥. 6?., c. 10, 11, 40, 43.
(3) Quoiqu'il n'existât point dans Ja Germajiie un souverain pontife comme
dans les Gaules , chez quelques peuplades les prêtres paraissent avoir été
présidés par un chef. Ammien Marcellin fait mention des grands prêtres des
Bourguignons qu'il appelle sinistes. Ils possédaient cette dignité à vie et leur
pouvoir surpassait même celui du roi, au dire du même auteur (Amm.
Marcel!., 1. XXVItL c. 5).
— 295 —
plade avait ses prêtres particuliers et qui ne formaient
point corps avec les prêtres d'aucune autre peuplade.
Cependant, bien que les lois des Germains n'accordas-
sent point aux ministres du culte , un rang aussi distin-
gué et un pouvoir aussi étendu que ceux que posse'daient
les prêtres gaulois, ils ne laissaient point d exercer une
grande influence sur les affaires publiques et particulières ,
par la vêne'ration et le respect que leur témoignait le peu-
ple (1). Ils jouissaient en outre de plusieurs prérogatives
assez remarcjuables , tels que celui de présider les assem-
blées nationales et d'y maintenir le bon ordre , et de pou-
voir^ comme ministres des dieux, infligera des hommes
libres les peines auxquelles ils avaient été condamnés par
la loi (2).
Les bardes étaient-ils comptés au nombre des prêtres ?
la chose parait vraisemblable si l'on observe cjue ce sont
ces poètes qui mirent en vers l'histoire des dieux et la
doctrine mystérieuse d'Odin , connaissances qui étaient
exclusivement du domaine de personnes sacrées. Mais chez
les Germains il faut distinguer , comme chez les Gaulois ,
deux espèces de bardes , les bardes sacrés et les bardes pro-
fanes (3),
(1) « Le pouvoir des princes eux-mêmes, dit Mallet, ne les mit pas tou-
jours à l'abri des prétentions ambitieuses des pontifes dn nord, et Ton pous-
sait si loin le respect pour leurs décisions, que quand ils demandaient aux peu-
ples le sang de leurs rois, on n'hésitait pas à le répandre. » {Introd. à VHist.
du Banemarc, p. 89). Helnioldus témoigne aussi du respect que les anciens
Prussiens avaient pour leurs prêtres iRex apud eos 7nodicœ œsiimationis est,
comparatione flamims ( Helmold., Chron. Slav.).
Le même auteur dit des Labitans de l'île de Rugen: Flaminem suum non
minus quam regem venerantur.
(2) Tacit, i/. G., c. 7et 11.
(3) Voir sur les bardes germains, Tacit,, 31. C, c. 2 et 3. Ilist. , 1. II,
c. 22, 1. IV, c. 18. Jnn., 1. I, c. 65, 1. HT, c. 47. Amm. Marcell., 1. XXXÏ ,
c. 7. Jornandes, de Reh. Gel., c. 5 et 41. ^Eliain. , Var. HisL, 1. XII, c. 23.
Paul Warnefr., de Gest. Lnngob., 1. I, c. 27.
— 296 —
Le culte des Germains admettait aussi des prêtresses (1).
Mone prétend que la différence cjui existait entre elles et
les prêtres consistait en ce qu'elles se livraient exclusive-
ment à la divination et à l'interprétation des augures et
quelles n'immolaient point des victimes aux dieux. Toute-
fois nous lisons que dans la guerre des Cimbres et des
Teutons contre les Romains , ces pré tresses barbares égor-
geaient les prisonniers de guerre offerts en holocauste à
Odin (2).
Les Germains regardaient les femmes en général comme
des êtres animés d'un esprit divin et douées de qualités
surnaturelles (3). Ils ajoutaient une foi aveugle aux prédic-
tions de toute femme qui s'érigeait en prophétesse , et ils
n'auraient osé tenter le sort des armes sans avoir consulté
ces devineresses, connues sous le nom de Truden (magi-
dennes) et d'Haîruner (4) , sur le jour et l'heure les plus
favorables pour attaquer l'ennemi (5).
5
(1) Tac, 31. G., c. 8.
(2) Strab., 1. IV. Tacit, Jnn., I. XIV.
(3) Inesse quin etiam sacrum aliquid et providum putant ; nec mit consi-
lia earuni aspernantur autresponsa negligunt : vidimus suh divo Vespasiano ,
Velledam diù apud plerosque numinitt loco habitant; sed et olim Jturiniam
et complures alias venerati siint, non adulatione nec tamquam facerent deas
( Tac, 31. G., c. 8).
On avait surtout une grande confiance dans les songes des vieilles femmes,
idée superstitieuse qui reste encore de nos jours empreinte dans l'esprit de
la plupart des gens du peuple.
(4) De hali, saint, ou a?/, tout, et de runa mystère. Le nom de la prêtresse
Aurinia, chez Tacite, est probablement mis par corruption pour Alruner.
Voir aussi Jomandes, de Reh. Get, c. 24. — Chez les Francs , les prophètes
s'appelaient TFizagon, et les prophétesses Wizaga. Aujourd'hui . un diseur
de bonne avanture porte encore en flamand le nom de waerzegger. — Voir
sur les différentes classes et dénominations des devins chez les Germains ,
Mone, Geschichte des heidenthttms . 2^ th., p. 127 et 229.
(5) Quum ex captivis quœreret Cœsar, quamohrcm jiriovisius prœlio non
decertaref , hanc reperiehat caussam : quod apud Germanos ea consuetudo
_ 297 -
L extrême confiance que les Germains avaient dans les
décisions des augures prouvent bien l'ignorance et la su-
perstition de cette nation. Dans toute affaire publique ou
prive'e de quelque importance , leur première pensée était
de recourir aux devins. Si la réponse de ceux-ci était con-
forme à leurs désirs , ils ne doutaient plus de la réussite
de leur entreprise , et si l'issue de l'affaire ne répondait pas
à leurs espérances, ce n'était point au charlatanisme de
l'augure qu'ils l'imputaient , mais à leur propre mala-
dresse. « Leur manière de consulter le sort est très-simple ,
dit Tacite : on coupe en plusieurs morceaux une baguette
d'arbre fruitier , et, après les avoir distingués par certaines
marques, on les jette pêle-mêle sur une étoffe blanche;
puis le prêtre de la cité, dans les affaires publiques, le
père de famille , dans les discussions particulières , ayant
invoqué les dieux , les yeux tournés vers le ciel , lève trois
fois chaque morceau l'un après l'autre; lorsqu'il les a tous
enlevés, l'ordre dans lequel se montrent les premières
marques, est le sujet de son interprétation : quand elle n'est
pas propice , on n'interroge plus de la journée le sort tou-
chant la même affaire ; si elle est favorable , on cherche
encore a la confirmer par les auspices (1).
« De plus , ils sont comme nous dans l'usage de consulter
le chant , le vol des oiseaux ; ce qui leur est propre , c'est
d'observer aussi les chevaux pour en tirer des présages (2).
Au sortir de ces bois mystérieux où la cité nourrit de ces
animaux, d'autant plus éclatans de blancheur qu'aucun
esset . ut maires familiœ eorum sortibus et vaticinationïbus declararent, utrum
piœlium committi ex usu esset, necne ; eas ita dicere : non esse fas Germanos
siiperare . si anle novam lunam prœlio contendissent ( Cœs., 1. 1, c. 50).
(1) Cette manière de consulter le sort, était aussi d'usage chez les Huns.
11 en est également parlé dans les lois frisonnes . tit. 14, et chap. V du liv. IIj
de cet ouvrage.
(2) Saxo Gram., 1. IV.
— 298 —
mortel n'en tire jamais de service , on les attelle au char
sacré qu accompagnent le prêtre , le roi ou le chef du can-
ton , qui étudient leur soufle et leur hénissement ; et point
d'augures plus décisifs dans l'esprit, non-seulement du peu-
ple, mais même des grands et des prêtres; car dans leur
croyance , ils sont les ministres de la divinité , ces animaux
ses confidens.
» Ils ont encore une autre façon de présager , l'issue des
guerres importantes : a peine sur la nation ennemie ont^
ils fait, n'importe comment, un prisonnier, que l'animant,
lui et le plus brave de leurs guerriers, à la manière chacun
de son pays , ils les font battre ensemble ; la fortune du
vainqueur semble pronostiquer celle de son parti (1) »
Dans les présages par le vol des oiseaux, on employait de
préférence le corbeau et la chauve-souris. On regardait
comme un présage heureux, si ces oiseaux volaient de gauche
à droite et en jetant des cris; le contraire avait lieu, s'ils
volaient de droite à gauche et sans se faire entendre. Enfin,
on consultait encore le sort par les entrailles des victimes
offertes aux dieux , par le vent , la chute des feuilles , le
murmure et le courant des eaux (2) , et généralement par
tous les accidens de la nature et tous les objets matériels.
Comme les Celtes, les Germains croyaient honorer les dieux
en leur ofifrantdes victimes humaines, qui étaient ou des pri-
sonniers de guerre, ou des criminels ou des esclaves (3). Mais
on ne voit point qu'ils aient sacrifié des hommes libres ,
comme cela avait lieu dans la Celtique. C'était principalement
à Odin et à Thor qu'on offrait des victimes humaines (4). Les
(1) Tac, M. G., c. 10. Adam Brem., 1. l.
(2) C'est da murmare des eaux que les devineresses, dans l'armée d'Areo-
vlste. tirèrent des présages (Plutarch , in Cies., c. 19).
(3) Episi. Greg. II, ad Bonifac.^ circâ Ann. 731.
(4) Tacit, m. G., c. 9. Annal. lîist, 1. IV, c. 61. Procop,, Bell GotJt.,
1. II. Jornand, de Reb. Get., Helmold., Chron. Sîav., 1. 1, c. 53.
--^ 290 —
guerriers en marchant au combat faisaient vœu d^envoyer
à Odin , un certain nombre de prisonniers de guerre qui
étaient regardés comme un tribut du h l'arbitre de la vic-
toire (1). A Thor on offrait aussi de préférence des tau-
reaux (2) et des béliers , et a Odin des chevaux et des porcs.
Quand la victime était immolée à des dieux célestes ,
elle était égorgée , la tête tournée vers le ciel; le contraire
avait lieu lorsque le sacrifice se faisait aux divinités infer-
nales. Alors on sacrifiait l'animal au-dessus dune fosse, des-
tinée à recevoir son sang. Dans les sacrifices aux divinités
dun ordre supérieur, le sang de la victime était recueilli
dans une cuve ; on en arrosait l'autel , Tembléme du dieu , le
teu sacré, les assistansetle sacrificateur lui-même. La tête de
l'animal restait ordinairement suspendue à un arbre voisin
dusanctuaire. On mettait toujours à part quelques morceaux
de sa chair qu'on faisait cuire au feu après les avoir couverts
de rameaux, et qu'on mangeait ensuite assaisonnés de gâ-
teaux et d'hydromel ou debierre. Les sacrificateurs étaient
(1) Les Saxons vouaient à Odin la dixième partie des prisonniers de
guerre ( Marcellini, Vita s. Stviberli, c. 18-2L Beda, 1. V, c. 12. Mono,
2''th, p. 58 ). Lharlemagne leur défendit cette horrible superstition sous
peine de mort ( C. M. Capit. VIII, de partib. Sax. ). Arminius sacrifia sur
les autels d'Odin, tous les prisonniers romains qu'il avait faits lorsqu'il tailla
en pièces les légions de Varus. Tacite rapporte que dans une guerre des
Hermondures contre les Cattes , toute l'armée de ces derniers obligée de se
rendre à discrétion fut immolée aux dieux (Tac. Ann., 1. XIII). Au 6® siècle,
les Francs, quoique convertis au christianisme, n'avaient point encore re-
noncé a cette coutume barbare (Procop., Bell. Goth., 1. II, c. 25). Tous les
neuf ans les Danois célébraient une fête dans laquelle ils sacrifiaient à leurs
idoles 99 hommes, et un nombre pareil de chiens, de chevaux et de coqs
( Dithmar, Chron. Ban., 1. 1). Cette superstition dura jusqu'au règne de
l'empereur Henri lOiseleur. Encore au 12'= siècle, les Prussiens immolaient
aux dioux tous les chrétiens qui leur tombaient entre les mains ( Helmold,
1. I, c. 53, 1. II, c. 12).
(2) Mono croit que rorncmcnt en or. figurant une fétc de taureau, trouvé
dans le tombeau de Chilperic h Tournai, en 1653. pourrait avoir rapport au
culte de Thor.
— 300 ^
Yetus de blanc en sacrifiant à des dieux célestes, et en
noir en desservant les autels des divinités terrestres et in-
fernales. Les victimes oflfertes aux dieux maritimes étaient
sacrifiées au bord de la mer et englouties dans les flots de
rOcéan.
Après avoir assisté a une cérémonie funèbre ; après avoir
goùlé les plaisirs de l'amour et dans quelques autres cas, on
ne pouvait sacrifier aux dieux qu'après s'être préalablement
purifié.
Le mercredi et le jeudi étaient des jours sacrés pour les
Germains. Les époques de l'année le plus solennelles étaient
la pleine lune , le nouvel an , le printemps, l'été et les sols-
tices que les Francs célébraient par la fête du Maliens. Les
deux fêtes les plus connues sont celles de Joël et à^Eostur.
La fête de Joèl ou du nouvel an , était fixée entre le
21 octobre et le 14 janvier. « On célébrait autrefois, rap-
porte Mallet , une fête au solstice d'hiver, pour témoigner
la joie qu'on avoit de voir le soleil se rapprocher de cette
partie du ciel. On lui sacrifioit des chevaux, emblème , dit
Hérodote, delà rapidité de cet astre. G'étoitla plus grande
solennité de l'année; on l'appeloit en plusieurs endroits
Joie ou Joui , du mot de Hiauloxx Houl , qui signifie encore
aujourd'hui le Soleil dans les langues de la Basse-Bretagne
et de Cornouailles (1). Quand la religion celtique (2) céda
à la chrétienne, les réjouissances , les festins , les assemblées
nocturnes , que cette fête autorisait , ne furent point sup-
primées , toute indécentes qu'elles étaient. On eut craint
(1) Suivant d'autres, le nom de Giulet Juel dérive de Geolden (retourner),
parce que cette fête se célébrait vers l'époque où le soleil remonte sur Tho-
rizon. Les Anglo-Saxons donnaient au mois de janvier le nom de Giuli
ei'ra et Giuli cftera.
(2) Mallet confond, comme tant d'autres, le paganisme des Celtes, avec
celui des Germains.
— 301 —
de tout perdre en voulant tout gagner; il fallut se contenter
d'en sanctifier le but en les appliquant à la naissance de
Notre Seigneur , dont l'anniversaire tomboit sur un temps
peu éloigné. Dans les langues du Nord, Jaul^ signifie au-
jourd'hui la fête de Noël, et la manière dont le peuple la
célèbre en divers endroits , rappelle aussi bien que ce
nom, diverses circonstances de sa première origine (1). »
Pendant la fête de Joèl, on avait coutume de renouveler
les traités et les alliances. Elle commençait par un grand
festin auquel assistait la majeure partie du peuple, chacun
apportant avec soi les mets dont il voulait se régaler. Le
lendemain , après avoir pratiqué nombre de cérémonies
superstitieuses, on immolait le porc le plus gras du canton
auquel on donnait le nom de Guilîing buste; on offrait en
même temps un grand gâteau , Jullegalt , dont on conser-
vait une partie qu'on mêlait aux semences pour avoir une
récolte abondante. Le reste était distribué aux domestiques
des champs (2).
La fête d'Eostur, ou du printemps , avait lieu en l'hon-
neur de Freya, a la fin de mars ou au commencement
d'avril (3). La coutume d'allumer des feux de joie, la veille
(1) Mallet, notes sur l'Edda , p. 48.
(2) Olafs saga , c. 69. Biscipulus de iempore , apud Ryskium , in expos.
Evang., pars., 1. Vita s. Eligii. — Sicut affirmant se vidisse annis singulis hiro-
mana urbe etjuxta ecclesia, in die nocteque, quando Tialendœ januarii intrant^
paganorum consuetudine ( Alemannos , Bajuvaros et Francos ) choros ducere
perplateas, et acclamationes, ritu gentilium^ et cantationes sacrilegas celebrare,
et mensas illâdie velnocte dapïbus onerare, et nullum de domo suâvel ignem
vel ferramentum, vel aliquid commodi vicino suo prœstare velle. Dicunt
quoque se vidisse ihi mulieres pagano ritu phylacteria et ligaturas et in
brachiis et cruribus ligatas liabere , et publiée ad vendendum vœnales aliis
offerre (Epist., Bonifacii Zacharise Papse).
(3) Eosturmonath quœ nunc paschalis mensis interpretatur, quondamadea
illorum ( Anglorurn) , quœ Eostre vocabatur , et cui in illo festa celebrabant ,
nomen habuit (Beda venerab., Hist écoles. Angliœ).
— 302 —
de pàques, coutume existant jadis en Belgique et connue en
Allemagne sous le nom à'Osterfeuer, est probablement un
reste de la fête d'Eostur. Cette fête ne serait-elle pas encore
la même que celle que Tacite dit avoir été célébrée en
honneur d'Herta, chez les Semnones , et qu'il décrit de la
manière suivante : « Dans le sacré bocage d'une île de
lOcéan , on dédie à Herta , un char couvert d'une étoffe et
auquel un prêtre unique a la permission de porter la main ;
lui seul sait quand la déesse entre dans le sanctuaire ; et
deux génisses qu'on y attelle , traînent la déesse, qu'il suit,
qu'il accompagne avec le recueillement le plus respectueux:
des réjouissances ont alors lieu tous les jours, des fêtes dans
tous les endroits où elle daigne passer et séjourner; plus de
guerre, personne sous les armes; la paix, le repos, point
d'autre idée, point d'autre affection, jusqu'à ce que la
déesse, rassasiée de plaisirs dans ce commerce avec les
mortels , soit reconduite par le même prêtre dans son tem-
ple ; puis le char , sa couverture et, si vous les en croyez , la
déesse elle-même, sont purifiés dans les eaux d'un lac
écarté. La déesse est servie par des esclaves, qu'aussitôt le
même lac engloutit : de là une mystérieuse frayeur, une
sainte résolution d'ignorer en quoi consiste ce que personne
n'entrevoit que dans les ombres de la mort (1). »
Le mois de février était consacré au soleil. Dans la fête
solennelle , célébrée en honneur de ce dieu , on lui sacri-
fiait un cheval blanc et on lui offrait des gâteaux.
Les feux qu'on allume dansles campagnes à la Saint- Jean,
sont propablement un reste de la fête du solstice d'été.
Court de Gebelin, en fait dériver l'origine des feux sacrés
allumés par les orientaux à minuit , au moment du solstice.
Ces feux étaient accompagnés de vœux , de sacrifices et de
(l) Tac. M. G., c. 39.
— 303 —
danses autour du bûcher, dont chacun, en se retirant, em-
portait un tison. Les cendres étaient jete'es au vent, céré-
monie superstitieuse par laquelle on croyait écarter tous les
maux qui pouvaient affliger la nation.
Comme nous l'avons dit plus haut, les Germains réglaient
leurs fêtes suivant les phases de la lune. On les célébrait
principalement la 14^, la 40- et la 80^ nuit (1).
Les fêtes religieuses (Freoldâgas)^ donnaient lieu en
même temps aux assemblées nationales (^ Folkgemotu) et
aux cours extraordinaires de justice (^Domdâgas). C'est pour
cette raison que les premiers missionnaires chrétiens en
Allemagne et en Belgique, défendirent les rassemblemens
populaires le jour du dimanche. Des processions, des chants
(leoth) et des danses (appelées par les chrétiens Deo Jles
gaman ou sauts diaboliques) , accompagnaient ces fêtes ,
mais particulièrement des festins publics , dans lesquels on
s'enivrait en l'honneur du dieu pour lequel avait lieu la
solennité (2).
L'opinion c[ue les peuples du Nord se formaient sur la
création du monde est des plus singulières. Voici comme il
en est parlé dans l'Edda : «Les fils de Bore tuèrent le géant
Yme, ^ et il coula tant de sang de ses plaies, c[ue toutes les fa-
milles des^fc-'a^z^ de la gelée y furent noyées, à l'exception
(1) Mone, 2« th., s. 133.
(2) Stahant, cum compotationes sacrœ peragerentur, circa ignem. in me-
dio templi accensum , cum mulsum vel cerevisi-a liberalissime in pateris vel
poculis exhibere7itur (Snorro, vita Haquini Adalst.). Unicuique deo poculum.
suum Specialisigno consecrabatur, sic Odini crwce (Snorro, ibid.,c. 18). — Ex
eoo mari Veniens oîaus ad insulam ISorrigiœ, Mostar nominatam, applicuit ;
hic noctu innotuit ipsi sanctus Martinus episcopus, dicens illi : moris in his
terris esse solet , cum convivia celehrentur in meiiioriam Thoreri , Odini et
aliorum Asarnm, scyphos evacuare ; Imnc ut mutes volo, atque lit in meime-
moriam in posterum bibatur, tua cura efjficias ; vêtus autem, illa consue^
tudo deponatur conveniens est (Oddo mon., vita s. Oîai, c. 24).
— 304 —
d'un seul géant qui se sauva avec tous les siens : onlappelle
Bergelmer. Étant monté sur sa barque, il échappa, et par lui
s'est conservée la race des géans de la gelée. Les fils de Bore
traînèrent le corps de Yme au milieu de l'abîme et ils en
firent la terre : l'eau et la mer furent formées de son sang,
les montagnes de ses os , les pierres de ses dents , et de ses
os creux mêlés avec le sang qui coulait de ses blessures , ils
formèrent la vaste mer au milieu de laquelle ils affermi-
rent la terre. Ensuite ayant fait le ciel de son crâne , ils le
posèrent de tous côtés sur la terre, le partagèrent en quatre
parties et placèrent un nain a chaque angle pour le soute-
nir. Ces nains se nomment Est, Ouest, Sud et Nord. Après
cela ils allèrent prendre des feux dans le Muspelheim
(monde enflammé au midi ) et les placèrent dans l'abîme
en haut et en bas dans le ciel, afin qu'ils éclairassent la terre.
Ils assignèrent des places fixées a tous les feux. De là
les jours furent distingués et les années comptées. Cest
pourquoi il est dit dans le poème de la Voluspa : « Aupar-
avant le soleil ne savait point où était son palais ; la lune
ignorait ses forces ; les étoiles ne connaissaient point la
place qu'elles devaient occuper. « — La terre est ronde et
autour d'elle est placée la profonde mer dont les rivages
ont été donnés aux géans pour y habiter. Mais plus avant
sur la terre, dans cet endroit qui est également éloigné de
tous côtés de la mer , les dieux bâtirent un fort contre les
géans, qui fait le tour du monde. Pour cela ils employèrent
les sourcils d'Yme et appelèrent ce lieu la Midgcird (séjour
du milieu ). Ils jetèrent ensuite sa cervelle dans les airs et
en firent les nuées (1). »
Ce que l'Edda dit de la création de l'homme n'est pas
moins poétique : elle rapporte que les dieux se promenant
(l) Edda, c, 4.
-- 305 —
un jour sur le rivage , trouvèrent deux morceaux de bois
flottans dont ils firent Thomme et la femme ; que le pre-
mier reçut le nom à!Aske (frêne) et la seconde celui à'Em-
blâ (aulne) (1).
Suivant les mythes du nord , la destruction de l'univers
sera annoncée par un grand hiver, pendant lequel la neige
tombera des quatre parties du monde; trois hivers pareils se
succéderont sans être tempères par les chaleurs de 1 été. Trois
autres années se passeront de même, pendant lesquelles le
monde entier sera en guerre et en discorde : « Les frères se
tueront les uns les autres et deviendront meurtriers. Les pa-
rens oublieront les droits du sang ; la vie sera a charge , on ne
verra qu'adultères. Âge barbare ! âge d'épée ! âge de tem-
pêtes! âge des loups î les boucliers seront mis en pièces, et
les malheurs se suivront juscjua la chute du monde. » Le
loup Fenris dévorera le soleil ; un autre monstre anéantira
la lune ; les étoiles tomberont du ciel ; la terre tremblera ;
les arbres seront déracinés; les montagnes s'écrouleront;
les liens et les fers des prisonniers seront brisés ; la mer
couvrira la terre de ses flots ; le serpent Midgars sortira
de sa caverne et empoisonnera Tair et l'eau ; alors paraîtra
aussi le loup Fenris , lançant la flamme par les yeux et les
naseaux , et dont la mâchoire d'en bas touchera la terre et
celle d'en haut s'étendra jusqu'au ciel « et irait au delà
encore s'il était possible. » Dans ce tumulte, le ciel se fen-
dra, et par cette ouverture sortiront les fils de Muspel, les
géans du feu , ayant a leur tête Surtur , précédé et suivi
d'un feu ardent , et armé d'une épée plus brillante que le
soleil même. L'armée de ces génies passera le pont Bifrost
et le mettra en pièces; de la ils se rendront dans une vaste
plaine où ils seront joints par le loup Fenris, par le grand
(l) Edda, c. 5.
Tome I. 20
— 306 —
serpent Midgars, par Loke, accompagne des gëans de la
gelëe et par le géant Rymer, le pilote du vaisseau Naglefare
construit des ongles des hommes morts. Alors Heimdal, le
messager des dieux , se lèvera et les appellera au combat au
son de sa trompette. A l'approche de ce terrible événement
Tarbre Ydragsil s'agitera , la terreur et la consternation
rempliront les cieux et la terre. Tous les dieux s'armeront :
Odin , après avoir consulté la fontaine Minis , sur ce qu'ils
doivent faire, lui et son armée, se couvrira d'un casque d'or
et d'une brillante cuirasse ; il prendra son épée Gagner et
marchera droit au loup Fenris. Thor combattra le grand
serpent; Frey tiendra tête à Surtur; Tyr sera assailli par
le chien G armer; Loke sera aux prises avec Heimdal. Dieux
et monstres, tout périra dans le combat. Surtur seul sur-
vivra à cette sanglante catastrophe; il lancera des feux sur
le monde, et le monde sera anéanti.
Cependant tout n'a point péri : Vidar et Vale ont sur-
vécu à la destruction. Ils habiteront dans les plaines d7^a,
où était auparavant la demeui*e des dieux et y seront joints
par les fils de Thor, Mode et Mague , par Balder et par
Hunder, qui sortiront du séjour des morts. Du sein de la
mer surgira une terre nouvelle brillante de verdure et pro-
duisant spontanément tout ce qui est nécessaire à la vie de
l'homme. Un homme et une femme Z^/(lavie) et Llfthra-
/èr, qui, pendant l'embrasement de l'univers, s'étaient
cachés sous une colline , oii ils se nourrissaient de rosée ,
procréeront une si nombreuse postérité , que bientôt la
terre régénérée , regorgera d'habitans. Une fille enfantée
par le soleil Sunna avant qu'il ne fut dévoré par le loup
Fenris, continuera a éclairer la terre avec autant d'éclat que
son père, (ou sa mère , en adoptant le langage des peuples du
nord chez lesquels le mot soleil est du genre féminin) (1).
{!) Edda, c. 32 et 33.
— 307 —
Les peuples du nord croyaient , comme les Celtes, a une vie
future, à des peines et des récompenses après la mort. La
demeure des justes était dans un superbe palais, bâti d'or
pur, sur les montagnes d'Inda, et dans Himle (le ciel); dans
le Wingolf ( palais de Tamitié ) , placé dans le troisième
ciel nommé le vaste (1), lieu plus brillant que le soleil
même et où Ion trouvait toutes sortes de boissons ; dans le pa-
lais Brymer (salle bien cliaufifée) situé dans le pays d'Okolm
(endroit inaccessible au froid). La demeure d'Odin, le palais
Walhalla^ dans lequel on pénétrait par 560 portes, était
le séjour des guerriers morts dans les combats et de tout
homme qui avait péri de mort violente; c'est pourquoi
tous les Germains désiraient finir leurs jours de cette
manière , et beaucoup d'entr'eux , lorsqu'ils devenaient
vieux et qu'ils ne pouvaient plus chercher la mort dans les
combats , la recevaient comme un bienfait de la main de
leurs proches ou de leurs amis^ (2),
Lorsqu'un nouvel élu arrivait dans le palais d'Odin , les
bancs étaient ornés , le pavé jonché de paille hachée , les
héros , hôtes du dieu , se levaient a son approche, et les
Walkiers, vierges d'une beauté parfaite, venaient lui offrir
une coupe remplie de bière ou d'hydromel.
Les élus d'Odin passaient leur temps à dormir, à se
battre entr'eux , ou a manger de la chair du sanglier
Serimner, c|ui était préparée chaque jour par le cuisinier
Audhrimer dsixis le vase Eldhrimery et a boire de l'hydromel
qui coulait en abondance des mamelles d'une chèvre qui se
nourrissait des feuilles de l'arbre Lerada : « Tous les jours,
dit l'Edda, lorsqu'ils sont habillés, ils prennent leurs armes,
entrent en lice , et se mettent en pièces les uns les autres ;
(1) Edda, c. 1, 9 et 33.
(2) Procop., Belh Goth. , l. II. Nous avons observé la même chose par rap-
port aux Gaulois.
— 308 —
c*est leur principal divertissement ; mais aussitôt que
l'heure du repas approche , ils remontent tous a cheval ,
sains et saufs, et s'en retournent boire au palais d'Odin (1).»
Les autres lieux destine's à la demeure des gens de bien ,
étaient le Trydheim de Thor , le palais de Frigga, celui de
Forsette et le Bredalik de Balder.
Les me'chans étaient relègues dans le Niflheim ou Nas-
trand ^ gardé par Hela (la mort) (2). Dans ce lieu de ré-
probation , situé en bas dans le neuvième monde , et d'où
il était impossible aux reprouvés de sortir , les coupables
essuyaient les tourmens les plus aflfreux : le serpent Nid-
hoggur et sa nombreuse progéniture , qui formaient la toi-
ture de ce palais des ténèbres, les tourmentaient sans
cesse en leur dardant leur venin. Avant d'arriver au Nifl-
heim , les morts traversaient le fleuve Gialar dont la garde
était confiée SiMod-Godur (l'adversaire des dieux).
Tacite rapporte que les Germains ne déployaient au-
cune pompe aux funérailles : « seulement, dit-il, on
choisit certains bois pour brûler les corps des personnes
distinguées : ils n'entassent sur le bûcher ni parfums , ni
vêtemens ; on livre aux flammes avec les morts, leurs armes
et cjuelquefois leur cheval de bataille (3). Le tombeau est une
éminence de gazon. Quant à ces monumens élevés avec tant
de peine en l'honneur des mânes des défunts, ils leur dé-
plaisent. On s'abandonne peu aux larmes, aux lamenta-
tions, longtemps a la douleur , a la tristesse; la décence
(1) Edda, c. 20.
(2) De Hela dérive le mot flamand Hel, qui désigne encore aujourd'hui
l'enfer.
(3) Chez les Scandinaves on suspendait les cadavres des souverains et des
personnes de distinction aux branches d'un arbre: Morts antiquorum erat ,
cadavera j)rincipum in frondosis arhorihus, prœsertini quercinis , tanquam
sacris loci numinibus consecratis suspendere (Olaus Magnus, lib. XVI, c. 37).
— 309 —
condamne les femmes aux sanglots, les hommes a un pro-
fond souvenir (1). »
D'autres documens anciens confirment la plupart des
faits rapportes dans ce passage. Le tombeau de Chilperic ,
de'couvert à Tournai, au 17^ siècle, témoigne qu'au 5^ siècle,
les Germains n'avaient point perdu la coutume de brûler
avec le cadavre du défunt , ses armes et son cheval de ba-
taille , comme les objets qui lui avaient été les plus chers.
La coutume de brûler les cadavres était encore en vogue
chez les Saxons au 8^ siècle ; Charlemagne la proscrivit sous
peine de mort (2). Anciennement on brûlait même avec
le défunt sa femme et ses esclaves; et ce n'est qu'a cette con-
dition qu'ils étaient admis dans le Walhalla (3). Le bois
dont on formait le bûcher des personnes de distinction
paraît avoir été le chêne et l'érable (4), Il existe de nos
jours en Belgique une foule de ces tertres artificiels , qui
servaient de tombeaux aux chefs des Germains; mais comme
les Celtes érigeaient des tombeaux semblables, nous ignorons
(1) Tac. M. G., c. 27. — Il paraît cependant que les femmes, peat-être des
pleureuses gagées a cet effet, accompagnaient les morts à leur dernière demeure
en sanglotant et en exprimant leur douleur, vraie ou feinte, par des cris et
deshurlemens, comme l'indique un capitulaire qui dit : admonemus fidèles ut
ad suos mortuos non agant ea quœ de paganorum ritu remanseruni et
quando eos ad sepuliuramportaverint, ululatum excelsum non faciant (Capit.,
lib. VI, c. 197).
(2) Si quis corpus defuticti hominis secundum ritum paganorum flaTuma
consumi fecerit et ossa ejus ad cinerem redegerit, capife punietur (Capitul.
Car. M., de partib. Sax., § 7).
(3) Herulo autem viro defuncto , necesse eratuxorem, quœ virtutis existi-
mationem consequi gloriamque apud posteros relinquere vellet, laque o apud
viri sepulcJirum non longe post vicamfinire, Quœ hoc facere reciisaret, huic
ignominiœ nota manehat, et à mariti propinquis infestatio (Procop., de bell.
Goth., 1. II).
(4) Hacbenberg, Dissert. , XII, ^ 3,
Les bûchers sur lesquels on brûlait les cadavres des rois Goths, étaient
faits de bois de genévrier ( Olaus M.,\. XVI).
^ 310 —
si les monumens de celte espèce que Ton voit près de Tir-
lemont et ailleurs, furent élevés par des Celto-Belges ou
des Germano-Belges. Il en est de même de ces tombeaux
formés de deux pierres placées perpendiculairement et sur-
montées d'un linteau , qui étaient en usage , tant chez les
Celtes, que chez les Germains (1). Les tertres artificiels
étaient ordinairement entourés d'un cercle de pierres. En
les fouillant , on trouve souvent dans l'intérieur de ces
tombeaux, un caveau formé de grosses pierres et renfer-
mant une urne avec les cendres du défunt et des objets brû-
lés avec lui. On y observe surtout des haches ou marteaux
en pierre (ordinairement en jaspe) appelés marteaux du
tonnerre ( donder hamers ) , qu'on croit avoir désigné
le marteau de Thor (2). Les lois des Germains punis-
saient sévèrement, comme nous l'avons déjà dit, la des-
truction de ces monumens et la violation des tombeaux.
La peine ordinaire était une forte amende et l'exil (3). Si
(1) Mone, 2® th , s. 47. — Mone croit que les tombeaux en pierre désignent
des personnes de moindre condition, mais libres et mortes les armes à la
main (ibid., p. 48).
(2) Quelquefois, mais rarement, les vases trouvés dans ces tombeaux sont
en cuivre , en bronze et en oricalque , ou alliage de cuivre, de zinc et de quel-
ques autres demi-métaux. On y découvre aussi des pointes de flèclie et des
lames en silex. Dans les tombeaux de femme on remarque parfois des mi-
roirs, des aiguilles a cheveux, des ciseaux et autres objets à l'usage du sexe.
On mettait aussi quelquefois à côté du défunt des pièces de monnaie. Les tom-
beaux dans lesquels on trouve des lampes funéraires, des haches d'armes
de différentes espèces, des agrafes, des strigiles et autres instrumens en cui-
vre, ne datent évidemment que de Tépoque romaine. Mone attribue un sens
mystique à chaque objet déposé dans les tombeaux des Germains (voir son
ouvrage sur le paganisme des peuples du nord . 2^ partie , p. 158).
(3) Si quis aristatonem, hoc est siapîum super mortuum missum, capula-
verit, aut mandualem, quod est structura, sive selave ( al. quod est ea struc-
tura sicut Salive s, sillabe), qui est ponticulus , sicut more antiquorum fa-
ciendum fuit, qui hoc destruxerit aut mortuum ex inde expoliaverit , de
unaquaque de istis, 600 denar. qui faciunt sol. 15 culpahilis judicetur (Lex
Sal.f tit. 57, § 3). Si quis corpus jam sepultum exfoderit aut expolia-
— 311 —
îe criminel était une personne de condition servile , il su-
bissait le dernier supplice , après avoir été battu de verges.
Le linceul dans lequel on enveloppait le mort, portait le
nom de Walaraupa ou Walaurapa\cdmc\^\ était con-
vaincu de ravoir soustrait, était condamné a en payer la
valeur au double (1).
Les cadavres , lorsqu'on ne les brûlait point, étaient dé-
posés en terre couchés sur le côté droit, placés de Test
à l'ouest et le visage tourné au soleil levant , ce qui tenait
au système des Germains, sur l'immortalité de l'ame : ils
croyaient que le Valhalla était situé près de l'orbite du soleil.
Les funérailles étaient terminées par un repas funèbre ^
qui avait lieu le troisième, le septième et le trentième jour
après le décès , et auquel assistaient les parens et les amis
verit , unargus sit iisque cum parentihus ipsius defuncti convenerit , ut et
ipsis parentes rogati in pro eo, ut liceat ei infrà patriam esse ^ et qui-
cumque antea ei aut panem, aut liospitalitatem ei dederit^ etiam si uxor
ejus hoc fecerit , 600 denar.qui faciuntsol. 15 culpahilis judicetur, etc. (Lex
Sal., tit. 58, § 5). Si quis hominem moriuum exfoderit et expoîiaverit, tnal-
hergum Turnichail [Turni, vox Gallis et Germanis communis , monticulum,
collem cacuminatum et rotundum denotans ) , <S00O den. qui faciunt soli-
dos 200. Çulpahilis judicetur; etpostea parentes defunctijudicem rogare dehenf^
ut inter honiities non hahitei auctor sceleris; et qui ei hospitium dederit, an-
tequam parentihus satisfaciat , 600 den. qui faciunt solid. 15 çulpahilis judi-
cetur (Lex Sal., tit. 17, c. 2 et 3 ).
Si quis moriuum effodere prœsumpserit , 200*0?. multetur aut cum duode-
cim juret ( Lex Rip., tit 54, ^ 2). Mais celui qui avait dépouillé un cadavre
avant qu'il ne fut mis en terre , ne payait que 100 sols et ne devait jurer
qu'avec six témoins (ib., § 1 )• La loi des Bayarois est de toutes les lois bar-
bares la moins sévère à l'égard du voleur qui avait dépouillé un cadavre :
elle ne le condamne qu'à quarante sols d'amende (tit. 18, c. 1).
(1) Lex Bajuv.f tit. 18, c. 3.
Le cadavre d'un ancien Cauque , découvert au village d'Elzel , en Oost
Frize, en 1817, était vêtu d'un habit d'étolTe grossière, sans coutures ni bou-
tons, et simplement percé de deux trous pour passer les bras. Les jambes du
défunt étaient enveloppées d'un morceau d'étoile pareille h celle de l'habit.
Les souliers consistaient en une pièce de cuir non tanné, attaché par des
courroies (Mone, 2*= th., s. 64].
— 312 -~
du défunt. Suivant Keysler , les mets qu'on servait à ces
repas, consistaient en fèves, pois, lentilles, miel, sel et
œufs. Maigre' les canons des conciles d'Arles, de Tours et de
Leptines , et plusieurs capitula ires qui défendaient cette
cére'monie d origine payenne , on ne put parvenir a la sup-
primer entièrement , et les repas funèbres sont encore au-
jourd'hui généralement en vogue dans les villages de la
Belgique. Charlemagne voyant l'impossibilité de faire
exécuter les lois qu'il avait porte'es contre cette an-
cienne coutume, voulut au moins lui donner une cou-
leur religieuse , en ordonnant que les repas des morts se-
raient accompagnes de messes et de prières pour l'ame du
défunt ; delà nos trentaines et les messes appelées en
Flandre troisièmes et septièmes (clerde ensevenste) (1). Char-
lemagne borna aussi les repas des morts , a un seul repas
qui devait se faire le jour même de l'enterrement , usage
qui s'est maintenu jusqu'à nos jours dans presque tous les
villages de la Belgique. Ce repas est même prescrit par les
coutumes du moyen âge , qui en font supporter les frais à
la veuve du défunt et a ses héritiers (2). On renouvelait la
même cérémonie le 22 février de chaque année. On dépo-
sait aussi de la nourriture sur les tombeaux et on venait y
sacrifier aux mânes des défunts, surtout si ces derniers
avaient été des chefs de guerre célèbres ou des héros re-
nommés pour leur bravoure et morts les armes à la main.
§x.
Xtat des sciences , des lettres , des arts et de l'industrie chez les Germains
ou les Germano-Selges.
Nous ne possédons qu'un très-petit nombre de documens
(1) Raepsaet, Mem. sur l'origine des Belges, p. 72. Keysler. p. 353.
(2) Raepsaet. ibid.
— 313 —
anciens sur 1 état des sciences et des lettres chez les peviples
germains ; mais par la barbarie où étaient plonges ces
peuples, moins avances encore en civilisation que les Celtes,
il nous est aise de juger du peu de progrès qu'ils ont du y
faire.
Plusieurs auteurs modernes ont, d'après un passage de
l'ouvrage de Tacite sur les mœurs des Germains , qui dit que
les hommes et les femmes germains ignoraient le secret des let-
tres il), conclu que les Teutons ne savaient point écrire. Ce-
pendant d'autres ont prétendu, d'après le contenu du chapi-
tre de l'ouvrage de Tacite , qui contient ce passage , que cet
auteur avait voulu faire entendre uniquement que les Ger-
mains ne connaissaient pas l'usage des billets doux. Duron-
deau soutient a son tour, cjue Tacite n'a point voulu dire que
les Germains ignoraient l' visage de l'alphabet, mais que l'éru-
dition et les belles-lettres leurs étaient inconnues (2). Cette
explication nous parait peu naturelle. Au reste personne
ne doute aujourd'hui que les peuples germains , surtout
les Scandinaves, ne possédassent l'usage de l'écriture, celle
connue sous le nom de 7 unes. Toutefois ce nom dérivé de
runa, mystère, semblerait indiquer cjue les caractères
runiques n'étaient employés, comme l'alphabet druidique
chez les Celtes , cjue dans des écrits cabalistiques , ou ceux
qui concernaient les mystères de la religion , si l'on ne trou-
vait encore de nos jours des inscriptions runiques gravées
sur les rochers pour rappeler c|ueîque événement remar-
quable , et surtout si ces caractères n'avaient servi à confec-
tionner des espèces d'almanachs qui marquaient les phases
de la lune , les mois et les jours de l'année et cjui probable-
ment étaient d'un usage populaire.
(1) Litferarum sécréta viri pariter ac fœmxnœ ignorant (Tac. M. G.,
e. 19).
(2) Durondeau, Mém. précité . p. 100.
— 314 —
Quoique les documens anciens ne nous apprennent point
qu'il existât chez les Germains ces communautés de per-
sonnes vouées au culte , qui , chez les Gaulois , s'occupaient
de lëtude de la théologie et des sciences naturelles , les
prêtres germains devaient également s'appliquer a con-
naître les dogmes et les mythes du culte dont ils étaient les
interprètes.
Si nous ne nous attachons qu'au sens littéral de l'Edda et
d'autres écrits anciens, qui renferment les dogmes delà
religion des anciens Scandinaves et Germains, nous n'y
verrons qu'un amas de fables absurdes; mais des criti-
ques modernes ont cru y apercevoir des symboles basés
sur les lois qui régissent l'univers , sur les trois forces mo-
trices et coopérantes de la nature (1). Si c'est la le vérita-
ble sens des mythes des peuples du nord, il faudrait recon-
naître aux Germains plus de pénétration et de philosophie
qu'on ne s'attendrait à en trouver chez une nation que, en
ne jugeant que d'après sa manière de vivre inculte et bar-
bare , on ne semble pouvoir placer qu'au dernier degré de
Tordre social.
L'étude des simples et de la médecine ne paraît avoir été ,
comme chez les Celtes, qu'un empyrisme enveloppé de for-
mules magiques et exercé par les devins et les magi-
( iennes.
Nous possédons des notions plus exactes sur la poésie des
anciens peuples du nord. Les Sagas des bardes germains
consistaient en marches, dits populaires, contes locaux,
sagas de famille, sagas de héros et chants héroïques. Par
le petit nombre de poèmes des bardes germains, qui sont
parvenus jusqu'à nous, nous voyons c[ae la poésie des peu-
ples septentrionaux avait toutes les qualités et les défauts que
(1) Mone, 2'-- th., s, 276 et passim.
— 315 —
nous avons atlribuës, dans le chapitre précèdent, à celle des
Celtes (1). Au reste comme cette matière demanderait des
explications plus étendues que ne le permettrait le cadre de
notre ouvrage, nous n'en dirons pas davantage sur ce sujet
et nous nous contenterons de renvoyer ceux qui désireraient
approfondir cette matière , à l'histoire du paganisme dans
le nord de l'Europe , par M. Mone ; mais particulièrement
à l'excellent ouvrage, que ce savant illustre a publie récem-
ment sur la littérature ancienne des peuples du nord.
De toutes les sciences, celle que les prêtres germains pa-
raissent avoir étudiée avec le plus de prédilection , après
la théologie , est l'astronomie , parce que la connaissance du
cours des astres était intimement liée à l'interprétation
des augures et à la magie. Ils doivent même y avoir fait
quelque progrès , à juger de la division régulière des temps
chez les Germains. Leur année, était lunaire, comme
celle des Celtes ; ils la partagèrent d'abord en deux sai-
sons , l'été et l'hiver (2) , parce qu'à cause de la rigueur du
climat de la Germanie, il n'y existait véritablement que
ces deux saisons. L'année avait douze mois et commençait
au 21 décembre , mois qui portait le nom de Giuli ou
(1) Les chants héroïques des bardes germains qu'on possède aujourd'hui
sont au nombre de vingt, dont trois concernent les Francs et seize les Goths.
Le plus remarquable est le poëme des Nihelungen, mais dont on n'a retrouvé
jusqu'ici que des fragmens , découverts , vers la fia du siècle dernier, dans l'ab-
baye de Saint-Gall. On croit ce poëme du 6^ siècle de lère-vulgaire. (Voir sur
les nihelungen^ un article de M. Edgard Quinet. Revue de Paris, 1831, t. 4).
Eginhard rapporte que Charlemagne fit rassembler et mettre par écrit
tous les poëmcs des anciens bardes germains, dans lesquels étaient célébrés
les exploits et gestes des rois : Barbara et antiquissima carmina quibus vc-
terum requm actus ethella canebantur scripsit memoriœque mandavit {¥,^mh.^
Vita C\ k).
(2) L'hiver commençait au 21 septembre ou au mois d'octobre ( winter
fijUilh), c'cst-k~dire a la pleine lune après le solstice d'automne.
— 316 -~
A fiera Geola , a cause de la fêle de Joël qui se célébrait
dans ce mois. Le mois de janvier s'appelait Wolfs et
Thorsmanoth ; celui de février Joh Goia et Fosto^an^s
Manoth; celui de mars, Retth et Thurrmmanoth ; celui
d'avril, Eoster , Ostdr et Koemmanoth] etc. (1).
Au reste , si , relativement à d autres branches des connais-
sances humaines, Fastronomie a fait quelque progrès dans la
Germanie, il est plus que probable que ces connaissances
étaient exclusivement du domaine des prêtres , et que ,
comme les druides, qui leur servirent peut-être de maîtres,
ils n'en ont communiqué au peuple cjue ce qui pouvait
leur servir à lui inspirer encore davanlage la crainte des
dieux et la soumission à leurs ordres. Nous venons de voir,
en effet, dans le § précédent, quelles idées étranges et su-
perstitieuses le commun des Germains attachait aux éclip-
ses du soleil et de la lune , à la prétendue influence des
astres et des planètes , à celle de certaines époques et de
certains jours de l'année.
Faute de documens , nous ignorons quelles étaient les
notions, tant vraies qu'erronées , que les Germains, ou plutôt
leurs prêtres, avaient acquises dans d'autres sciences, telles
que la physique et la botanique. Ce que l'Edda et les
Sagas rapportent de l'essence de l'être suprême , de luni-
vers et de l'homme est trop enveloppé de fables et de
mythes , pour que nous puissions nous former une idée
exacte du système philosophique et métaphysique des Ger-
mains; car toutes les explications dans lesquelles dessavans
(1) Charlemagno changea la dénomination de tous les mois de l'année :
on les appela par son ordre, Wintarmanoth , Hornung ^ Lenzinmanotli ,
Ostarmanotli , Heuvemanoih , Aranmanoili , llerbisltnanoth, Jfinmanoth ,
et Ileilagmanoih (Eginh., Vita C. M., c. 29 ). — Les autres mois conservè-
rent leurs anciennes dénominations. Voir Mone. l" tli. s. 107.
- 317 —
modernes sont entres à ce sujet ne nous paraissent que des
hypothèses plus ou moins spécieuses.
Les beaux-arts étaient encore moins connus des Ger-
mains que des Gaulois ; et d'après ce qu'on a lu dans le cha-
pitre V sur l'ëtat des arts dans la Celtique , c'est dire que
leur ignorance à cet égard était aussi complète que celle des
peuples les plus sauvages qui habitent de nos jours les dé-
serts de l'Amérique et le centre de l'Afrique, Le § III , du
présent chapitre a fait connaître qu'entre l'architecture
des Celtes et celle des Germains , la différence était fort
légère , la manière de se loger des uns et des autres , étant
celle de l'homme inculte et vivant dans l'état de nature. Les
monnaies, statues et bas-reliefs germains, indiquent l'ab-
sence complète des moindres notions de l'art : ils sont plus
barbares , plus informes encore que ceux des Celtes.
Les airs sur lesquels les bardes germains entonnaient
leurs hymnes et leurs chants de guerre, n'offraient sui-
vant les auteurs grecs et romains , que des sons rudes et
discordans (1). Nous ne doutons point que telle ne fut en
effet l'impression que la musique des peuples du nord pro-
duisait sur les oreilles délicates des peuples les plus civi-
lisés du globe , accoutumés à n'entendre que les sons doux
et suaves de la langue la plus harmonieuse connue ; mais
certes à des guerriers barbares, a une nation aussi étran-
gère a toutes les voluptés de la civilisation que l'étaient les
Germains , il fallait une musique et des chants en harmonie
avec leurs sens et leur intelligence grossiers. Aussi les anciens,
tout en traitant de barbares et de monstrueuses les concep-
tions et la musique des bardes germains , conviennent-ils
de l'effet que produisaient sur l'esprit du Germain, les
chants de ces poètes sacrés ou profanes , surtout sur le champ
(1) Juliani, Misop., Cses., Tacit., Amm. Marcell., loc, cit.
-- 318 —
<le bataille , où la présence des bardes était jugée aussi né-
cessaire que celle du chef d'armée lui-même, et où souvent
ils contribuèrent plus que ce dernier à soutenir la bra-
voure des guerriers et à la défaite de Fennemi.
Ce que nous pouvons dire de l'état de l'industrie et du
commerce chez les Germano-Belges se borne à un très-petit
nombre de données. En effet lorsque Thistoire nous apprend
que chez les peuples de race leutonique,les hommes avaient
conçu le plus profond mépris pour toute autre profession
que celle des armes, et quils chargeaient leurs épouses,
condamnées aux travaux les plus rudes , de pourvoir a tous
leurs besoins , il est aisé de juger du peu de progrès que
l'industrie à du faire chez ces peuples. Les détails dans les-
quels nous sommes entrés, dans un des paragraphes précé-
dens , sur l'économie rurale des Germains , nous dispense
de nous occuper davantage de cette matière (1). Ce que
nous avons dit du costume des Germains a du faire con-
clure c[ue cette nation dut posséder quelques notions sur
la fabrication des draps et de la toile.
Les documens anciens nous font connaître que les Ger-
mains fabriquaient quelques étoffes grossières de laine dont
étaient confectionnés leurs vétemens ; ils tissaient aussi des
toiles de lin , dont les plus fines étaient portées par les
femmes. Tacite dit qu'elles les coloraient en pourpre ,
preuve cjue Fart des teintures était connu des Germains
comme des Celtes (2). La couleur bleue était particulière-
(1) Nous ajouterons seulement, d'après Reynier, que l'écobuage était pra-
tiqué chez les peuples germains, comme chez les Gaulois; et que, d'après
un passage de Yopiscus, Durondeau a conclu que les Germains se servaient
de bœufs , pour cultiver leurs champs ; mais ce passage paraît trop vague
pour en tirer une preuve concluante. La chose, au reste, est d'assez peu
d'importance ( voir Durondeau , p. 71 ).
(2) Tac, M. G., c. 17. '
^319 —
ment estimée des peuples du nord. Ils l'extraiaient, suivant
Pline, dune plante nommée Glastum , que Reynier prend
pour le pastel (1). Cet auteur assure aussi que les Germains
connaissaient l'art du feutrage (2). Si Ion y ajoute la fabri-
cation du savon , du sel (3) , de la bière et de l'hydromel ;
la tonnellerie , le charronnage (4), l'extraction de la marne
et l'exploitation de quelques mines de fer , dont le produit
n'était guère employé qu'a la fabrication des armes, on
aura à peu près épuise' la nomenclature de tous les genres
d'industrie connus des Germains et des Germano-Belges.
Le commerce de la Belgique dut être beaucoup plus flo-
rissant lorscjue cette partie des Gaules était encore occupe'e
par les Celtes , qu'après l'invasion des Germains ; car alors
le commerce d'importation et d'exportation cessa entière-
ment dans la partie centrale de la Belgic]ue. Nous avons vu
plus haut que les Nerviens , la peuplade la plus puissante
de la Belgique, avaient proscrit sévèrement tout commerce
avec l'étranger et qu'ils ne permettaient à aucun marchand
de mettre le pied sur leur territoire. Nous ignorons quelles
étaient à cet égard les idées des Eburons , des Atuatiques
et des autres peuplades de la Belgique centrale. Il parait
que le commerce eut quelques chances plus heureuses chez
les Ménapiens qui habitaient les côtes de la mer. Nous
voyons dans les commentaires de César, que ce peuple avait
des navires sur le Rhin et qu'il prit une part active à la
(1) Pline, 1. XX, c. 55, 1. XXIÏ, c. 2. Reynier, p. 319.
(2) Reynier, p. 316.
(3) Desroches croit qu'il y avait des sauneries chez les Ménapiens et les
Morins. On lit en effet dans le recueil de Gruter, p. 1090, deux inscriptions
(mais datant du règne de Yespasien), où il est question des saUnatores civi-
tatis Menapioriim et civitaiis Morinorum.
(4) liCs roues de leurs chariots étaient, comme celles des voitures gau-
loises , de grande dimension et à jour (Reynier, p. 331).
— 320 —
ligue maritime formée par les Venétes (1). Le commerce
par terre fut aussi assez actif chez les Mënapiens et chez les
Morins leurs voisins , mais il paraît que le commerce d'ex-
portation se bornait uniquement a la vente de salaisons et
doies engraissées dans les marais de la Flandre. C'étaient la
au moins les objets dont les Ménapiens trafiquaient avec les
Romains au premier et au second siècle deTère vulgaire. Il
est probable cju'avant la conquête de la Belgique par César,
les Ménapiens et les Morins se livraient à cette même indus-
trie , mais qu'alors ils n'importaient les produits de leur
sol que dans la Grande-Bretagne et une partie des Gaules.
Voila à quoi se bornent toutes les notions que nous avons
pu recueillir sur l'état des lettres , des arts et de l'industrie
chez les Germano-Belges avant la domination romaine. Si
ce que nous venons de dire sur ce sujet n'offre qu'un tableau
vague et incomplet, c'est au défaut de documens anciens
qu'il faut l'attribuer , non moins qu'a celui de la matière
même. Que dire en effet des sciences, des arts et de l'in-
dustrie d'une nation sauvage et nomade, telle que l'étaient
véritablement les Germains aux temps reculés dont nous
nous occupons dans cette partie de notre ouvrage.
(1) César, en décrivant la forme des navires des Venêtes , n'ayant pas
fait une distinction de ceux des Ménapiens , il est probable qu'ils ne diffé-
raient point dans leur construction. Les Ménapiens se servaient en outre de
canots creusés dans un tronc d'arbre , comme les prouvent plusieurs de ces
canots découverts au fond des tourbières de la Flandre et a une grande dis-
tance de la mer (voir le chap. V, de la 2^ partie du liv. I, de cel ouvrage).
321
CHAPITRE VI.
JÊtat physique et aspect de la Belgique avant la domination romaine.
Tout prouve dans la constitution géologique de la Bel-
gique, que la majeure partie de cette contrée, c'est-à-dire
les vastes plaines de la Flandre, du Brabant, duLimbourg
et de la province d'Anvers , fut dans l'origine couverte par
les flots de la mer. Ces plaines ne forment presque partout
qu'une terre d'alluvion dans laquelle on découvre à plus ou
moins de profondeur les anciens sables de la mer remplis de
coquillages , de débris de poissons et d'autres substances
marines, tantôt dans leur état naturel, tantôt changés,
pétrifiés ou incrustés , selon la nature des sucs qui y
abondent (1). Les parties de la Flandre voisines de la
mer sont presque partout de trois à dix pieds , et même ,
dans les environs de Dunkerque, à dix-huit pieds au-dessous
des hautes marées. L'abbé Mann trouve au pays entre G and
et Alost , une parfaite ressemblance avec les bancs de sable
sur la côte de la Flandre, appelés bancs flamands ^ et dont
une partie est à découvert pendant les basses marées.
(1) L'abbé Mann , Mémoire sur V ancien état de la Flandre maritime , dans
les anc. wiewi. de VAcad. de Brux., t. l,p. 7^. Abrégé de l'histoire ecclés. ,
civ. et tiaturelle de la ville de Bruxelles, 3* part., chap. 2 et 3, et le chap. VIII
de la 2** partie de notre ouvrage.
Verstegen rapporte que lorsqu'on creusa le canal de Bruxelles , on trouva
beaucoup de débris et de dépouilles de la mer, comme ancres et os de pois-
sons et, entre autres, le squelette d'un hippopotame, qu'il appelle éléphant marin
et qu'il dit avoir vu lui-même. On conservait encore au siècle dernier une
côte de baleine trouvée dans une carrière près de Vilvorde, à plus def)0 pieds
sous terre.
Tome I. 21
— 322 --
Lorsque les plaines de la Belgique étaient encore cou-
vertes par les eaux , la chaîne de collines , qui borde ces
plaines du sud à l'ouest , formait , dans l'opinion de l'abbé
Mann et de M. Belpair , la côte de l'Océan. L'abbé Mann ,
avance que si l'on voulait parcourir la Belgique, on y
reconnaîtrait facilement les cotes de la mer , ses promon-
toires et ses caps , ses baies et ses golfes avec leurs entrées
et enfoncemens au dedans de l'ancienne côte élevée ; « l'on
voit partout, dit-il , que cette élévation de terrain n'est pas
comme les montagnes ordinaires , dont la déclivité s'étend
communément à quelques lieues dans le pays ; ici le change-
ment est subit, et l'ascente commence tout d'un coup,
comme on le voit presque partout aux bords de la mer. Ce
qui peut encore servir a faire connoître l'ancienne côte
élevée, c'est la grande différence qui se trouve entre le
terrain qui est dans l'intérieur de cette côte et celui qui est
entre elle et la côte nouvelle , l'un étant ou sablonneux ou
marécageux; l'autre élevé, pierreux et inégal (1). « Sui-
vant le même auteur, l'ancienne côte de la Belgique com-
mençait entre Calais et Boulogne , passait sur la droite de
Guines et d'Ardres par le mont de Buminghem jusqu'à
Watte , où du temps de César et jusqu'au 10^ siècle, il y
^vait un golfe qui s'étendait jusqu'à Saint-Omer, Blandè-
que et Wisernes. De Watte , la côte se dirigeait sur Cassel
par Ravesberg , Balemberg , Domberg ; ensuite elle passait
par Eeke , Catsberghe , Crainberg , Locre , Swartsberg ,
Mont-Kemele , Witsecatte , Messine , Rosenberg , la Hutte ,
jusques vers Warneton. De la , côtoyant la gauche de la
Lys , elle passait , par Houtem , Holbeck , Ghelewe , Mont-
Dadzeele, Wincapelle, à Courtrai. Au midi de la Lys , la
chaîne commençait vis-a-vis de Messine, par Mont-Verwick,
(l) Mém. sur Vanc. état de la Flandre maritime, p. 74.
— 323 —
Mont-Haliewyn, Pottelberge jusqua Courtrai. De Cour Irai
elle se dirigeait sur Audenaerde par Clytberg, Suevelghem,
Wulsberg, Castre, Spyteberg et Moeregliem. La chaîne
tourne a environ une lieue d'Alost , près d'Afïligliem ,
oh Ton trouve encore quantité de substances marines ; de
là vers Merchtem , Grimbergen , Laeken , etc. , jusqu'à
Vilvorde, oii il doit y avoir eu un golfe, et jusqu a Bruxelles
par FAllée- Verte : « Le parc , l'endroit le plus élevé de la
ville , dit l'abbé Mann , contient presqu'à la surface de la
terre , des pierres numuculaires , des osselets d'étoiles de
nier et d'autres débris marins en quantité. » De Vilvorde
là cote passait par Cortenberg, etc., jusque près de Louvain
vers l'abbaye de Parc et le château d'Heverlé , où il doit y
avoir eu de même un golfe (1). De Louvain elle tournait vers
le nord jusqu'à Aerschot. De là elle tendait vers Sichem ,
Diest, Leau, Borchloon, Tongres^ Maastricht , Vàlckenberg ,
Aix-la-Chapelle, Dueren , Lechenich, jusque vers Hersel,
sur les bords du Uhin , entre Bonn et Cologne.
L'époque où les parties inférieures de la Belgique étaient
encore le domaine de l'Océan , doit remonter à l'antiquité la
plus reculée. Il en est de même de celle où la mer se retira
de ces lieux (2). Certes cet événementne peut être attribué,
comme l'ont prétendu quelques auteurs , au déluge cim-
brique , puisque ce dernier n'eut lieu que vers Fan 150 ,
avant l'ère- vulgaire ; et l'on sait qu'alors les plaines de la
Belgique étaient déjà habitées depuis plusieurs siècles.
L'hypothèse la plus vraisemblable, relativement à la re-
traite de la mer du territoire belge , est celle qui en attri-
bue la cause à la rupture de l'isthme , qui, selon toute pro-
babilité, unissait jadis la France à l'Angleterre (3).
(1) Voir lechap. VIII de la 2" partie du liv. 1" de cet ouvrage.
(2) Desroches, Hist. anc. des Pays-Bas Autrich., p. 2i.
(3) L'abbé Mann, Mémoire sur Vanc. état de la Flandre marit. Bel pair,
_ 324 —
Mais comme ces faits obscurs appartiennent à un âge an-
térieur aux temps historiques , nous ne nous étendrons pas
davantage sur cette question ; nous devons descendre , au
dernier siècle avant Tère- vulgaire , pour trouver quelques
documens authentiques sur la topographie, comme sur l'his-
toire primitive de la Belgique. Cësar étant le plus ancien au-
teur qui ait connu et décrit la Belgique, c'est a ses commen-
taires que nous aurons uniquement recours pour nous former
une idée, tant soit peu exacte, de l'ëtat physique et de l'as-
pect de ce pays , avant la domination romaine. C'est donc
la topographie de la Belgique , au moment de l'expédition
de César , que nous allons présenter ; en remontant à une
époque antérieure, on ne rencontrerait, nous le répétons, que
conjectures vagues et hypothèses sans fondement , à moins
qu'on ne soit assez crédule pour ajouter foi aux fables débi-
tées par un Lucius de ïongres et un Jacques de Guyse ; ou
qu'on ne veuille bien supposer avec le bon M. de Grave ,
qu'en dépeignant les Champs-Elysées des Grecs, Hésiode et
Homère n'ont eu en vue que de décrire la Belgique ac-
tuelle (1).
La Belgique , de nos jours un des pays les plus beaux , les
mieux cultivés et les pi us populeux de l'Europe, était au temps
de sa conquête, et on peut dire de sa découverte , par César,
une contrée mal peuplée, d'un aspect sauvage et inculte,
couverte de marais et hérissée de forets impénétrables. On
ne peut mieux se figurer l'aspect ancien de ces lieux , que
par celui que présentent encore de nos jours les déserts de
l'Amérique. Ce qui ajoute encore à leur conformité , c'est
la grande ressemblance de moeurs des sauvages de l'Amé-
Mémoire sur les changemens que la côte d'Anvers à Boulogne a subis, etc.,
dans les mémoires couron. de TAcad. de Brux.. 1826-1827.
(1) Les Champs Elysées , par de Grave.
\
— 325 -^
rique , avec celles des anciens Germains de la Belgique. De
même que dans cette partie du globe , l'Ocëan et les fleuves
que l'industrie humaine n'avait pas encore su dompter et
captiver dans leurs lits, transformaient en marais et en îlots
les plaines de la Belgique , tandis que des forêts aussi an-
ciennes que le monde couvraient de leur ombre les mon-
tagnes et les lieux élevés où les flots n'avaient pu pénétrer.
Cette vaste étendue de forêts connue sous le nom dUAr-
diienna silva (1) , couvrait tout l'espace compris entre le
Rhin , la Meuse et l'Escaut et s'étendait jusqu'au de là des
frontières méridionales des Nerviens (2). César donne à
cette forêt, plus de cinq cents milles de longueur; mais il est
propable, ainsi que l'observe Cluvier, que César a compris
sous le nom d'Ardennes et les Vosges et autres forêts, jus-
qu'aux sources du Rhin. La forêt des Ardennes, n'était elle-
même qu'une suite et un prolongement de l'immense forêt
hercynienne, qui occupait toute l'étendue de la Germanie
et une partie de la Sarmatie où elle se terminait dans
des régions inconnues aux anciens. Comme la forêt hercy-
nienne, celle des Ardennes nourrissait des animaux sau-
vages, tels que des rennes, des élans, des ours et des bi-
sons (3). Le territoire des Eburons, des Nerviens et des
(1) Ar-denn signifie en langue celtique profond, épais ( Thierry, Hist.
des Gaulois, 2^ partie, c. 1 ). Le nom d'Ardenne paraît générique; car deux
diplômes de l'empereur Henri l'Oiseleur, datés de l'an 1001 et de 1003, don-
nent cette dénomination a un canton de la Westphalie, et le glossaire de Baxter,
mentionne une forêt d'Ardenne dans le Warwickshire en Angleterre (Dan-
ville, Notice de la Gaule , p. 90).
(2) Profectus per Arduennam sylvam, quœ est totius Galliœ maxima ,
atque ah ripis Rheni finibusque Treveronimad Nervios pertinet, millihusque
amplius 500 m longitudine patet ( Cses., 1. VI, c. 29). Silvam Arduennam
quœ ingenti magniludine per medios fines Trevirorum à flumine Rlieno
ad initium Rhemorum jtcrlinet (id. 1. Y, c. 3 et 33). Voir aussi Desroches,
Hist anc. des Pays-Bas Autrichiens , p. 89 et 90.
(3) Cses., 1. VI, c. 26 et le chap. VIll de la seconde partie de notre ouvrage.
~- 326 —
Atuatiques était , comme la partie la plus élevée de la
Belgique , presqu entièrement couvert par la forêt des
Ardennes (1). La fraction de cette foret , qui s'éten-
dait sur le territoire des Nerviens , fut connue plus
tard sous le nom de Silva carhonaria , comme nous le
verrons plus amplement dans la seconde partie de cet ou-
vrage.
Les bords des fleuvçs et des rivières étaient, a lepoque
des conquêtes de César, convertis en vastes marécages,
parce que les eaux, alors beaucoup plus abondantes qu'au-
jourd'hui, à cause delà quantité de pluie et de neige qui
tombait dans un pays aussi couvert que l'était la Bel-
gique, n'étant point contenues dans le lit des rivières,
couvraient toutes les plaines voisines. Ce sont ces marais
où César rapporte que les Nerviens cachèrent leurs femmes
et leurs enfans , lorsqu'ils se virent sur le point d'être atta-
qués par les Romains (2). Pour conduire son armée de la
Moselle au bas Escaut, César dut faire un fort grand dé-
tour pour n'être pas arrêté dans sa marche par les obstacles
naturels qu'offrait unpays rempli de fondrières et d'épaisses
forêts.
(1) Cses.j 1. IV) 1. VI, c. 34 et 35. Quorum {J^hnx:omim) pars in Ardiiennam
sdvam, pars in continentes paludes perfugit Id., 1, VI, c. 8î»
Les bois et les marais dont il est question dans ce passage , se trouvaient
surtout dans l'espace compris entre le Yahal, la Meuse, leDemeret l'Escaut,
où le bois est assez rare aujourd'hui.
(2) Mulieres quique per œtaiem ad pugnam inutiles viderentur , in eum
locum conjecisse, quo propter paludes exercitui aditus non esse^ (Cses., 1. II,
c. 43). Quos (senes) ^mà cumpueris tnulierihusque in œstuaria et paludes
conlaios dixeramus, ïd. 1. II , c. 28.
Il y a des auteurs qui prétendent que le terme œstuaria indique les débor-
demens de la mer; mais celle-ci se trouvant trop éloignée du territoire ner-
vien. il est plus naturel de croire qu'il s'agit des débordemens des fleuves-
Eyndius est dans l'erreur lorsqu'il prétend que ces œstuaria désignent
les îles de îa Zclandc (Eyndius, Vhron, Zelandiœ , 1. 1).
>^ 327 -«
Tels étaient, un demi siècle avant Fère-vulgaire, les pays
des Éburons , des Nerviens et des Atuatiques : de vastes
marais et des flaques d'eau dans les plaines ; des forets im-
pénétrables dans les lieux élevés.
La Flandre et la Zélande , oii de nos jours les lacs et les
marais ne sont guère plus abondans que les forets, étaient
alors couvertes des uns et des autres (1). Ici ce n'étaient pas
seulement les débordemens de l'Escaut et de la Meuse, qui
formaient ces eaux stagnantes , en envahissant les plaines
voisines de leurs lits, mais c'était l'Océan qui causait le plus
de ravages; car n'étant point encore contenus par des digues
ou des dunes assez élevées et assez fortes pour leur rompre
leurs efforts (2), les flots de la mer ne cessaient de pénétrer
dans les basses terres a chaque marée haute. En parlant de
la mer du Nord , Tacite observe que le rivage n'en bor-
nait point le flux ou le reflux; mais quelle se répandait
dans l'intérieur et a la circonférence des terres, qu'elle s'é-
tendait même dans les bas-fonds et les vallées , comme dans
son propre lit (3). César rapporte que les oppida des
(1) Continente s que silvas ac païudes habehant. Cses. , î. VI , 'perpetuis pa-
ludibus silvisque muniii. Id., 1. III. Deinde Menapios , qui sibi propler
immensas paludes atqne inpeditissimas silvas munitis s imi videbantur, tri-
bus agminibus invadit., Oros., Hist Rom,, 1. VI, c, 10.
(2) On n'a pas de justes données sur l'époque où se formèrent les dunes
actuelles des côtes de la Flandre, mais le témoignage de César, de Pline,
de Tacite et du rhéteur Eumène semblent prouver que lors de la conquête
romaine, et même au 5° siècle, elles n'étaient point encore capables d'arrêter
les débordemens de la mer. « Il y a lieu de croire, dit l'abbé Mann, que la
côte moderne de la Flandre a été originairement un grand et large banc de
sable dans la mer. et qu'après la retraite de la mer de toute l'étendue du
pays, entre ce banc et l'ancienne côte, il a été couvert de dunes peu à peu ,
jusqu'à ce qu'il soit venu au point où nous le voyons. Ce qui nous le fait
penser, c'est que la plaine au pied des dunes est plus élevée de dix à douze
pieds qu'elle ne Test à trois ou quatre lieues en dedans du pays par une pente
imperceptible. » ( Mém. sur fane, état de la Flandre marit., p. 95. )
(3) ... Neclitore tenus accrescere mit resorbcri, scd infîuere penitus atquc
^ 328 —
Venetes , peuple de la Bretagne dans le diocèse de Vannes,
places sur des promontoires et des lieux élevés, étaient deux
fois par jour entourés par les eaux de la mer et se présen-
taient alors sous la forme d'îlots (1). Pline fait la même
observation à l'égard des habitations des Cauques (2). Les
plaines de la Flandre voisines de la mer étant à plusieurs
pieds au-dessous des hautes marées, ce que ces deux auteurs
observent du pays des Venetes et de l'Oost-Frise, doit éga-
lement avoir eu lieu de leur temps dans la plus grande
partie de la Flandre,
On ne peut donc considérer comme une hyperbole et une
simple Jleur de rhétorique^ ce que Eumène , rhéteur du
4^ siècle, disait de la Flandre , que la terre n y était pour
ainsi dire pas de la terre , mais de l'eau : pœne terra non
est (3). En un mot, on ne pourrait mieux dépeindre l'état
ancien de la Flandre que par ces vers de Lucain.
Çuaque jacet littus duhium quod terra fretumque
Vindicat alternis vicibus , quum funditur ingens
Oceanus , vel quum refugis de fluctibus aufert (4).
Ce sont les terres élevées sortant en forme d'îlots du sein
ambire^ etiam jugis atque montibus itiseri velut in suo ( Tac, Vita Agri-
colae, c. 10).
(1) Erant ejusmodi ferè situs oppidorum (Venetorun) , ut posita in extre-
mis cinguîis promontoriisque, neque pedibus aditum haberent, quum ex alto
se œstus incitavisset, quod bis accidit seniper horarum XII spatio; neque
navïbus , quod rur sus , minuente œstu, naves in vadis adflictarentur (Cses,,
1. III, c. 12). Frustra adgressus (Venetos). dit Orose , en parlant de César .
quippe cum hostes per interfusa ex Oceano œstuaria atquè innaccessus re-
cessus tutis terrarum finibus [Sïmhus^ immirentur , naves longas œdiûcari
in Ligeri fluvio jubet (Oi'os., Hist. Rom., 1. VI , c. 8).
(2) Plin., Hist. IVat., 1. XVI, c. 1 et le chap. VIII de la 2"= part, de notre ouvrage.
(3) Eumen., Panegyr. Constantio Cœs. dictus, et le chap. VIII de la 2*= partie
de notre ouvrage. C'est aussi par cette expression pœwè non terra que Dan-
ville désigne la côte de la Flandre sur sa carte des Gaules.
(4) Lucan.; Pharsal
~ 329 —
des lacs et des marais formes par les débordemens de la mer
et des fleuves dans toute l'e'tendue de la Flandre , que Stra-
bon désigne, lorsqu'il rapporte des Morins, qu ils habitaient
des îles au milieu des marais (1) ; c est dans ces iles que se
réfugièrent les Eburons, lorsque César procéda a l'extermi-
nation de ce peuple (2). Ce fut la aussi que se retirèrent
avec leurs familles les Ménapiens et les Morins, quand l'ar-
mée romaine s'avançait pour conquérir leur territoire.
Plusieurs auteurs ont prétendu que jadis la Zélande était
jointe à la Flandre et formait une terre ferme , mais il se-
rait plus vrai de dire que la Flandre elle-même n'était pas
un continent. D'ailleurs, César rapporte qu'à l'embouchure
de la Meuse et du bras gauche du Rhin ou le Yahal, on trou-
vait de son temps , comme aujourd'hui , plusieurs iles ; car il
nous semble que lorsqu'en décrivant le cours du Rhin, c'est-
à-dire le bras gauche du fleuve , il dit qu'à son approche
de l'Océan , ce fleuve forme plusieurs embouchures et de
grandes îles habitées par des peuples barbares , dont quel-
ques-uns ne se nourrissaient que de poisson et d'œufs
d'oiseaux , ces îles ne peuvent être autres que celles de la
Zélande et de la Hollande méridionale (3) .
(1) Insulas hahent in paludibus exiguas. Strab., Georg., I. IV.
(2] Çui proximi oceano fuerant, hi insulis sese occuUaverunt quos œslus
effîcere consueverunt Cses., 1. VI , c. 3.
(3) [Chenus] ubi oceano adpropinquat , in-plures diffluit partes, multis-
que ingentibusque insulis effectis, quarum pars magna à feris barbarisque
natioîiibus ineolitur {ex quibus sunt qui piscibus atque avis avium vivere
exislimantur) ^ muîtisque capitibus in oceanum influit ( Caes,, 1. IV, c. 10).
Il y en a qui prétendent que les îles dont parle ici César, se trouvaient à
l'embouchure du troisième bras du Rhin et qu'elles occupaient remplace-
ment du Zuiderzee ; mais à l'époque où vivait César ce bras du Rhin n'exis-
tait pas encore puisqu'il doit son existence a Drusus qui joignit par un
canal le Rhin à TYssel. Il ne peut pas non plus y être question du bras du
Rhin qui avait son embouchure à Catwyck, parce que là le Rhin ne se dé-
charge dans la mer que par une seule embouchure et non par plusieurs
comme le porte le texte de César.
-^ 330 —
Ici se bornent les documens que fournissent les commen-
taires de César sur 1 état physique de la Belgique a Te'poque
de la conquête de cette partie des Gaules , par les armées
romaines ; nous ne pourrions étendre davantage ce chapitre
saiis recourir a des documens postérieurs à cette dernière
époque, documens auxquels nous avons largement puisé
pour la composition du chapitre VIII , de la 2^ partie de
ce livre , dans lequel nous donnerons le tableau le plus com-
plet possible de l'état physique de la Belgique , et de
l'aspect sous lequel s'offrit ce pays , depuis le commence-
ment de l'ère vulgaire, jusquau 12^ siècle.
Ce qui proave encore que du temps de César la Zélande ne formait pas un
continent, mais était divisée en plusieurs îles, c'est que cet auteur confond Tem-
houclmre de la Meuse avec celle de l'Escaut, h cause des îles qui obstruaient
l'embouchure de ce dernier fleuve : ipse cum reliquis tribus legionibus ad
flumen Scaldim quod influit in Mosanv ire constituit (Caes,, I. VI),
L'île de Walcheren est désignée positivement dans des documens du
"" siècle (voir le chapitre Vîll de la seconde partie du livre 1" de notre
ouvrage ).
— 331
CHAPITRE VII.
Xieoherches historique& sur l'état de la population de la Selgique avant
la domination romaine et sur la population comparée des temps anciens
et modernes.
Une des questions historiques les plus intéressantes, mais
une des questions les plus controversées et les plus difficiles a
résoudre, est celle qui concerne l'ëtat de la population chez les
peuples de l'antiquité'. C'est que la statistique, cette science
qui seule nous procure des données exactes sur les ressources,
les richesses *et la force des nations , science inconnue aux
anciens, est une branche des connaissances humaines toute
récente et qui ne commença guère à être appréciée et cul-
tivée que vers le milieu du siècle dernier. Ce n'est qu'alors
que les gouvernemens des états civilisés de l'Europe ordon-
nèrent de dresser a des époques fixes, des tableaux officiels
de la population (1). Anlérieurement au 18^ siècle , on ne
faisait des dénombreniens que lorsqu'il s'agissait d'une levée
d'hommes de guerre ou d'établir de nouveaux impôts et
d'en faire la juste répartition. Encore ces listes statistiques,
dont les plus anciennes connues ne remontent , pour la
Belgique , qu'au 15^ siècle , n'offrent-elles que des résultats
incomplets , parce qu'on n'y trouve point le relevé du
(1) Le plus ancien cdit pour le dénombrement des habitans du Brabant,
qui se trouve dans la collection des placards de cette province, est daté du
27 décembre I7^i {Pîacaerien van Brahant, 9*= dccl, bl. 340).
— 332 —
nombre des habitans de tout âge et de tout sexe, coQime
cela a lieu de nos jours , mais simplement celui des foyers
ou maisons , d'après lequel on ne peut supputer la popu-
lation que d une manière plus ou moins arbitraire, surlout
lorsqu'il s'agit de temps un peu recules (1).
Si nous sommes si peu instruits sur l'ëtat de la population
de l'Europe a des époques comparativement modernes, est-il
étonnant que nous ne le soyons pas davantage sur le nombre
des habitans dans les temps anciens, même sur celui des
contrées les plus célèbres de i'anticjuité. Certes, les historiens
et les géographes grecs et latins , nous auraient rendu vm
tout autre service , si , a la place de ces descriptions minu-
tieuses de batailles et de sièges de villes qui remplissent leurs
ouvrages, ils fussent entrés dans quelques détails sur la statis-
tique et l'économie politiquedes peuples fameuxdont ils ont
écrit les annales. Des savans modernes ne seraient pas tombés
alors dans ces exagérations, ces contradictions et ces erreurs
où ils ont été induits par leur aveugle enthousiasme pour
les anciens. Combien d'hypothèses absurdes n'a-t-on pas vu
soutenir par des érudits estimables du 16« et du 17^ siècle
sur la population prétendue immense de l'Egypte ancienne,
de la Grèce , de l'Italie et d'autres pays célèbres de l'anti-
quité. Ce n'est que depuis le milieu du siècle dernier lors-
que la statistique fut réduite en science et qu'un esprit phi-
losophique et une saine critique commencèrent a présider
aux études historiques , qu'il se répandit un peu plus de
lumières sur l'histoire des peuples anciens. De Paw , dans
ses recherches philosophiques sur les Grecs et les Egyp-
tiens, et le célèbre historien et philosophe anglais Hume ,
(1) Nous ne connaissons point de dénombrement des foyers de quelque
province de la Belgique antérieur h celui du Brabant. de l'an 14.36, qui ,'i
été publié dans la hibîiothcquc des .antiquités belgiques , par MM. Marshall
et Bojjaerts.
m
— 333 —
dans ses discours politiques , ont les premiers réfute
ces exagérations et contribué à dissiper les erreurs des
savans du 16^ et du 17^ siècle sur la statistique et la popu-
lation des peuples les plus célèbres de l'antiquité (1). Ces
auteurs furent suivis par Bureau de Lamalle et Letronne ,
dont les savans et judicieux travaux ont répandu un si grand
jour sur l'état de la population de Tltalie et de la Grèce
anciennes. Picot et Desrocîies sont, à notre connaissance,
les premiers auteurs modernes qui se soient livrés a des re-
cberches sur la population des Gaules et de la Belgique
romaine. Le résultat de nos propres recherches, non-seule-
ment diffère totalement du leur , mais nous avons encore
le premier donné un relevé du nombre des habitans de la
Belgique ancienne réduite à ses limites actuelles (2).
La méthode que nous avons adoptée dans cet ouvrage ,
exigerait sans doute que nous commençassions par donner
le tableau de la population de la Belgique sous les Celto-
Belges; mais comme il ne nous est point parvenu le moin-
dre document ancien qui put jeter quelque jour sur cette
matière , et que dans une question de ce genre , les simples
conjectures ne sauraient suppléer aux données historiques
et ne serviraient qu'à nous engager dans des discussions
oiseuses qui n'offriraient aucun résultat positif, force nous
est de laisser la question indécise et de borner nos recher-
ches aux temps historiques qui ne commencent pour la Bel-
(1) Hume composa son dixième discours politique, dans lequel il traite de
la population dans les temps anciens, pour réfuter Wallace et les hypo-
thèses singulières que Montesquieu a formées sur la population du monde
ancien dans un chapitre de Y Esprit des lois.
(2) Quand nous écrivions ceci, M. de Reiffenberg n'avait point encore
fait paraître la seconde partie de son excellent Essai sur la statistique an-
cienne de la Belgique^ dans lequel ce savant distingué a donné un tableau
de la population ancienne de la Belgique, mais différent du nôtre.
— 334 —
gique, qu à la conquête de nos provinces par César. Il est
probable quà cette époque même, les Germano-Belges
n'étaient guère mieux instruits, que nous ne le sommes
aujourdliui , sur léiat des forces numériques des peuples
celtes dont ils avaient envahi le territoire. Tout ce qu'on
peut présumer de plus vraisemblable , c'est que la popula-
tion celto-belge, dut être plus faible que celle des peu-
plades germano - belges , qui la remplacèrent , parce
qu'une nation aussi belliqueuse et aussi vaillante que l'était
les Celtes, ne se fut pas laissé ainsi expulser si elle avait été
aussi puissante que ses adversaires.
Lorsque César, après avoir en peu de mois conquis
l'Helvétie et une grande partie des Gaules , se prépara 'a
envahir la Belgique , les Belges sentirent le danger qui me-
naçait leur liberté et leur indépendance et combien il leur
serait difficile de résister a un ennemi aussi formidable.
Mais l'imminence du péril , loin d'abattre leur courage ,
accrut encore leur énergie et leur fierté. Une assemblée
générale fut convoquée , à laquelle se rendirent les députés
des dififérens peuples qui occupaient la Belgique dans sa
plus grande étendue. Là les Germano-Belges et les Celto-
Belges, faisant trêve a leurs éternelles dissentions, et ou-
bliant, pour le salut de tous, leurs vieille haine nationale,
résolurent d'unir toutes leurs forces pour résister de con-
cert à l'ennemi commun : tous jurèrent de défendre la
liberté et l'indépendance jusqu'à la dernière extrémité. Un
seul peuple belge , les Remois, qui par leur position terri-
toriale auraient dû former l'avant-garde de la confédéra-
tion, non-seulement refusa opiniâtrement de se dévouer à
une cause aussi glorieuse que celle cjui avait pour but d'af-
franchir les Gaules de la domination étrangère , mais
il eut encore l'insigne lâcheté d'envoyer à César, avant
même que l'armée romaine n'eut entamé le territoire
— 335 —
remois, des députes pour mendier son amitié et sa protec-
tion, c'est-à-dire, pour se soumettre bëneVolement au triste
sort que les Romains réservaient à tout peuple qu'ils con-
traignaient de subir leur loi , comme à celui qu ils trai-
taient de peuple ami et d'allié.
César était trop habile pour ne pas accueillir favo-
rablement la supplique des Remois; et mettant tout
d'abord à profit les bonnes dispositions et les offres obli-
geans de ces nouveaux alliés, il s'informa auprès d'eux
quel était le nombre et le nom des peuples qui constituaient
la ligue belge; quelles étaient leurs forces militaires et le
nombre d'hommes qu ils pouvaient mettre en campagne (1)=
Les Remois charmés de trouver une occasion aussi oppor-
tune de prouver leur dévouement et leur servilité au géné-
ral romain , répondirent avec joie à César que leur qua-
lité de Belges et leur aflfinité avec les confédérés , les ayant
mis en état de connaître toutes les ressources de ces derniers,
ils étaient prêts a lui fournir tous les renseignemens qu'il
pouvait désirer sur ce sujet(2). C'est d'après ces révélations
des Remois , que César a composé le tableau de la popula-
tion mâle en état de porter les armes chez les diiférens
peuples qui occupaient l'espace compris entre le Rhin,
l'Océan, la Seine et la Marne. Les peupladesde la Belgique
actuelle, qui figurent dans ce relevé, que César a placé au
livre II de ses commentaires , sont au nombre de sept.
Leur force numérique y est désignée comme suit :
(1) Quœ civitates ^ quantœque in armis essent, et quid in bello passent
(Cœs., l. II, c. 4).
(2) De numéro eorum omnia se habere ea-plorata, Rémi dicehant ^ propterea
quod propinquitatihus adfimtatihusque conjuncti, quantum quisque multi-
tudinem in communi Belgarum concilio adid hélium pollicitus sit^ cognove-
rint (id., ibid. ).
-^ 336 —
LesNerviens, 50,000 hommes (1).
Les Ménapi^ns , 9,000 »
Les Atuatiques , 19,000 (2) . »
Les Eburons, Les Condru-
siens , les Pemaniens et
les Cërësiens, ensemble, 40,000 »
Total 118,000.
Ce tableau statistique , outre qu'il est le seul document
qui nous fasse connaître Tëtat de la population de la Bel-
gique dans les temps anciens , nous révèle en même temps
quelles étaient les forces respectives des différentes peu-
plades qui occupaient alors le sol de notre patrie. Les Ner-
viens y apparaissent comme le peuple le plus puissant et
le plus nombreux de la Belgique. Viennent ensuite les
Atuatiques, et après ces derniers, les Eburons, leurs tri-
(1) Dans ce nombre sont probablement compris les cinq peuplades qui
vivaient sous la protection des Nerviens. A la célèbre bataille que ces der-
niers livrèrent à César, aux bords de la Sambre, leur armée montait h
60,000 hommes, mais il faut probablement y comprendre les troupes auxi-
liaires que leur fournirent les Atrebales et les Vermandois, dont les forces
militaires s'élevaient à dix mille hommes, suivant le tableau statistique de
César.
(2) Quelques éditions des commentaires de César, portent 7000 Ména-
pîens au lieu de 9000, et 29,000 Atuatiques à la place de 19,000; mais
ce texte est évidemment corrompu , comme le prouvent les plus anciens ma-
nuscrits où les chiffres sont conformes aux nôtres, et particulièrement l'ou-
vrage d'Orose, historien du 5° siècle, où le dénombrement donné par César,
étant écrit en toutes lettres et non par chiffres , n'a pu être corrompu par
les copistes, comme il l'est dans quelques manuscrits des commentaires ;
Nervii..... quinquaginta millia. Menapii novem milita. Condrusi , Ebii-
rones f Cœresif Pœmani , qui uno nomine Germani vocantur , quadraginta
millia ( Oros., Hist^ 1. Vï, c. 7 ). — Sauf le nombre octodecitn millia pour
la population atuatique , au lieu de XIX millia , que portent les commen-
taires de César, ce dénombrement est en tout conforme à celui des meilleures
éditions de ces derniers.
— 337 —
bulaires, puis les Menapiens. Il est probable que dans les
40,000 hommes, auxquels César e'value le nombre des
Eburons, desCondrusiens, des Pemaniens et des Cérësiens
en état de porteries armes, les Eburons ne figurent que pour
un quart , et que leur population mâle et pubère ne s'élevait
guère qu a dix ou douze mille âmes ; car , suivant César,
c'était une des peuplades les plus faibles de la Bel-
gique (1). C'est encore un fait a remarquer que les Ebu-
rons et les Menapiens, qui de tous les peuples de la Belgique
at:tuelle possédaient le territoire le plus étendu, fussent
néanmoins les plus faibles en nombre. Cependant la chose
paraîtra moins étrange , si l'on réfléchit qu'à cette époque
les trois quarts de cette contrée, surtout le pays des
Menapiens, étaient encore inhabitables.
Les Romains, et les Grecs surtout, ne manquaient ja-
mais d'exagérer étrangement les forces de leurs ennemis
afin de donner plus d'éclat à leurs victoires. Il est à pré-
sumer que César, assez vain de sa nature, n'aura point
dérogé à cette coutume. En effet on a vu dans le ta-
bleau précédent, qu'il porte a 19,000 hommes le contin-
gent que les Atuatiques fournirent a la confédération belge,
force numérique qui certes doit paraître étonnante , si l'on
réfléchit que lorsque les Cimbres passèrent le Rhin , pour
envahir les Gaules , Tan 113 avant l'ère vulgaire , le nom-
bre des Atuatiques ne dépassait pas 6000 (2). Si , à l'époque
de l'invasion de la Belgique par les Romains, ce nombre
s'élevait à 19,000 , ainsi que le prétend César , la popula-
(1) En parlant de la révolte des Eburons, lorsqu'ils vinrent investir le
camp de Salinus et de Cotta, lieutenans de César, ce dernier dit : maxime
hac re permovebantiir (Sahinus et Cotta) quod civitatem ignobilem atque
humilem Eburonum sua sponte populo Romanobellum facere ausamvix erat
credendum, ( Caes., 1. V, c. 8).
(2) Caes., 1. II, c. 29.
Tome I. 22
lion Atuatique aurait du se tripler en moins d'un demi-
siècle , la première campagne de César en Belgique da^
tant de Tan 57 avant J. - Ch . Un accroissement de population
aussi prodigieux paraît de toute impossibilité, surtout chez
un peuple barbare et toujours en guerre avec les peuples
limitrophes; à moins qu'on ne veuille justifier le calcul de
César, en supposant que cette progression vraiment extraor-
dinaire de population ait été produite par les alliances que
les Atuatiques auront pu contracter avec d'autres peuples,
les Eburons, par exemple, qu'ils avaient rendus tribu-
taires et dont ils Occupaient une partie de territoire; ou
qu'elle puisse être attribuée à ce que les Cimbres, dé-
bris de la grande horde défaite par Marius , seront venus
chercher un asile auprès de leurs compatriotes qulls
avaient laissés sur les rives du Rhin a la garde de leurs
bagages. L'une ou l'autre de ces conjectures peut pa-
raître vraisemblable , mais n'étant point appuyées par des
preuves historiques , elles n'en restent pas moins des hypo-
thèses qui ne feront pas entièrement absoudre César du
reproche d'inexactitude et d'exagération par rapport à la
population atuatique; car, nous le répétons, ce serait là
émettre la plus absurde des hypothèses , que de prétendre
qu'un peuple sauvage, sans industrie et n'ayant d'autre
occupation que la guerre ou la chasse , ait triplé sa popula-
tion en un demi siècle, malgré la perte considérable d'hom-
mes qui a du résulter de ces combats sanglans cju'il était
obligé de soutenir journellement contre les peuplades en-
nemies qui ne lui laissaient aucun repos ; qu'un tel peuple,
disons-nous , soit devenu trois fois plus nombreux qu'il ne
l'était cinquante ans auparavant, c'est à-dire dans un espace
de temps pendant lequel des peuples civilisés , industrieux
et vivant à l'ombre de la paix , voient à peine doubler
leur population.
— 339 —
Quoiqu'il en soit, pour ne pas étre^ à notre tour, accusé
d'exagération, dans un sens contraire, par ceux que les
déclamations des admirateurs outrés de l'antiquité ont pu
induire en erreur sur l'état de la population aux temps
anciens, nous admettrons avec César le chiffre 118,000,
comme étant celui de la population mâle en état de porter
les armes chez les différentes peuplades de la Belgique
actuelle, désignées par cet auteur dans le relevé statistique
rapporté plus haut«
Parvenu à l'âge de puberté , tout Gaulois , tout Germain
devenait homme de guerre et portait les armes jusqu'à ce
que l'extrême vieillesse l'eut condamné à se livrer au re-
pos (1). Tout tendant dans l'éducation d'un Gaulois et d'un
Germain à en faire un guerrier robuste et valeureux, les
forces du corps devaient , ainsi qu'il a été dit dans un cha-
pitre précédent, se développer de bonne heure, et, par
la manière de vivre de ces peuples, se conserver dans
une robuste vieillesse. De là nous pouvons conclure que
tout Belge était propre au maniement des armes depuis
seize jusqu'à soixante-dix ans. Il n'y a même que peu de
siècles que les personnes de cet âge étaient encore as-
treintes au service militaire en Belgique (2). Ceci posé ,
(1) Ammien Marcell., 1. XV, c. 12. Seneca , Epist. , 36, Hirtius de hello
Gall, 1. VIII 5 c. 12 et le cliap. V, § 6 de la V^ partie du liv. 1 de cet
ouvrage.
(2) Van den Bogaerde, Statistike beschryving van het Imid van Waes ,
V deel.
Chez les Francs, tout homme de l'âge de 16 a 60 ans était obligé déporter
les armes : Quilihet homo œtatis inter sexdecim et sexaginta amios Jurabit et
assidebiturad arma[MiitihxusVar\s'iens\s. Chron., p. 149. Van hoon^Aloude
regeringswyze van Holland, ^ deel, bl. 335). Suivant Luitprand , les Saxons
étaient propres a la guerre dès l'âge de treize ans : est enim mos laudandtis
atque imitandus / quatenus annum post untim atque duodecim nemini mili-
tumbello déesse contingat. (Luitprand, Ilist. Longoh., lib. II, c. 8).
M. de Reifienberg prouve très-bien que l'organisation toute militaire
-- 340 —
nous établissons que les 118,000 Belges, designés par César
comme constituant la population mâle et en état de porter
les armes, formaient le quart de la population totale. Nous
citerons deux faits qui viennent a l'appui de cette suppu-
tation : en premier lieu, César rapporte que lorsqu'il vain-
quit les Helvétiens et qu'il s'empara de leur camp , il y
trouva des tablettes qui contenaient un relevé officiel de
toute la population helvétienne, oîi était spécifié le nombre
des habitans en état de porter les armes. Le nombre des
Helvétiens de tout âge et de tout sexe y était porté , y
compris leurs alliés, les Tulingiens, les Latobriges, les
Rauraciens et les Boiens , à 368,000 âmes , et celui des
guerriers à 92,000, chiffre qui équivaut exactement au
quart de x:elui de la population totale (1). En second lieu ,
Paterculus dit que sous le règne de Tibère, la population
de la Pannonie et de la Dalmatie s'élevait a 800,000 âmes,
et le nombre d'hommes en état de porter les armes, a
200,000; ce qui constitue, comme chez les Helvétiens, le
quart de la population totale (2). Nous pouvons croire
des anciens Belges simplifiait extrêmement les moyens d'arriver h un dénom-
brement exact de la population [Essai sur la statist. anc. de la Belgique,^. 43).
(1) Quitus in tabulis nominaiim. ratio confecta erat, qui numerus domo
exisset eorum , qui arma ferre passent; et item separatim pueri, senes mul-
ieresque. Ouarum omnium rei^m summa erat , capitum Helvetiorum mi-
lia CCLXIII, Talingorum milia XXXVI , Latohrigorum XIV, Rauraco-
rum XXIII, Bojorum XXXII ; ex his qiii arma ferre passent, ad milia XCII.
Summa omnium fuerunt ad milia CCCLXIIX (Cœs., 1. I. c. 29).
Polyène porte le nombre des Helvétiens et de leurs alliés à 300,000, dont
200.000 en état de porteries armes : erant in summa irecenta millia capitum,
ex quitus arma ferebant ducenta millia arma ferentes (Polyeni Stratag.).
Plutarque n'évalue la population belvétienne qu'a 190,000 âmes. Ces deux
calculs sont évidemment faux, comme s'éloignant de celui de César, dont
Polyène et Plutarque ou leurs copistes ont altéré le texte.
(2) Geniium nationumque quœ rehellav erant omnis numerus amplius
DCCC millibus explehat. Ducenta ferè coîligebantur armis habilia ( Pater-
cul, /^^5^ iJom,, l. Il, c. 110).
— 341 --
cVaiUanl mieux , sur cette question, César et Paterculus ,
que ces deux auteurs ont écrit en témoins oculaires , César
pendant son expédition contre les Helvétiens, et Pater-
culus dans la campagne de Tibère contre les Dalmates et
les Pannoniens, à laquelle cet historien prit une part
active.
Ainsi nous croyons donc pouvoir en toute sûreté appli-
quer ce résultat à celui de la population belge, et en induire
que les hommes en état de porter les armes formaient aussi
le quart du nombre total des Belges, dont les mœurs et le
genre de vie étaient en presque tout point conformes à
ceux des Helvétiens , des Pannoniens et des Dalmates. Si
donc nous regardons les 118,000 hommes en état de porter
les armes chez les Belges , suivant le relevé statistique de
César, comme formant le quart de la population totale,
cette dernière s'élèvera a 472,000 âmes ; savoir : 200,000
Nerviens, 76,000 Atuatiques, 36,000 Ménapiens et 160,000
Eburons, Condrusiens, Pemaniens et Céresiens, de tout
âge et de tout sexe (1).
C'était la, dira-t-on , une population bien peu considé-
rable pour un pays qui compte de nos jours quatre mil-
lions d'habitans. Bien plus, le nombre des habitans de la
Belgique actuelle était même loin de s'élever à 470,000
(1) La comparaison statistique des lois de la population donne 1/8 dindi v
vidus de l'âge de 20 à 27 ans et 1/3 de l'âge de 27 a 50 ans : en tout
11/24. En prenant la moitié de ce nombre pour les mâles, nous aurons
5 1/2/12 ou à peu près un quart d'individus mâles de 20 à 50 ans (voyez
Jomard, Population comparée de V Egypte ancienne et moderne , note G,
dans le grand ouvrage de l'institut d'Egypte, 2^ édit. ). Comme nous avons
calculé que chez les Belges les individus mâles de 16 à 70 ans constituaient
la population en état de porter les armes , ils devraient former plus du quart
du nombre total des habitans. Mais comme César a pris pour le quart des
habitans de l'Heîvétie les hommes en état de porter les armes, nous avons
cru devoir suivre le même calcul pour la population belge; ainsi notre éva-
luation est loin de pêcher par faiblesse.
— 342 —
arnes à l'époque de la conquête de César ; car , outre la
Belgique actuelle, les Nerviens et autres peuples désignés
dans le tableau occupaient encore une grande étendue de
pays en dehors des limites de ce royaume ; ainsi la ma-
jeure partie des Eburons (pars maxima ) demeur2ât entre
la Meuse et le Rhin, dans le diocèse actuel de Cologne.
Les Nerviens s'étendaient jusqu'à l'extrémité du Cambresis
et du Hainaut français; enfin les Ménapiens occupaient,
outre la Flandre actuelle, la Gueldre prussienne , le duché
de Clèves, une partie du Brabant septentrional et une
grande partie du département du nord. L'étendue de toutes
ces contrées équivaut presque à celle de la Belgique (ac-
tuelle) entière , et c'était la que vivait la population la plus
compacte des Nerviens, des Ménapiens et des Eburons; car
le Hainaut français, oii, sous la domination romaine, se trou-
vait le chef-lieu des Nerviens, Bavai, devait être la partie
la plus peuplée du territoire de ce peuple. Il en était de
même, pour les Ménapiens , de la Gueldre et du duché de
Clèves , avant que les Tenclitres et les Usipètes ne les eus-
sent chassés de ces lieux. La plus grande partie des Eburons
habitait aussi entre la Meuse et le Rhin comme nous l'avons
écrit plus haut. Il paraît donc qu'on pourrait fort bien
réduire le chiffre 470,000 à celui de 230,000 pour avoir
le nombre le plus probable des habilans de la Belgique a
l'époque de l'expédition de César.
Cependant il est à observer que dans le dénombrement
des peuples de la Belgique actuelle , César n'a point com-
pris les Tréviriens qui habitaient dans le diocèse de Trêves
et le Luxembourg actuel. Nous ne pouvons supputer la popu-
lation ancienne de cette dernière province que parla compa-
raison de la population ancienne et moderne de la Belgique
entière avec la population actuelle du Luxembourg. Le
nombre des habitansde la Belgique, non compris leLuxem-
~ 343 —
bourg, étant aujourd'hui d'environ 3,800,000 âmes, et du
temps de César seulement de 230,000 (d'après notre calcul
précèdent), ce dernier chiffre forme à peu près un dix-neu-
vième du premier. Si de même nous prenons pour les temps
anciens le dix-neuvième de la population actuelle du Luxem-
bourg , celle-ci étant aujourd'hui d'environ 225,000 âmes,
nous aurons un peu plus de 12,000 habitans; ce qui joint
aux 230,000 âmes que nous avons compte'es pour le reste de
la Belgique , forme un total de 242,000 âmes ou , en nom-
bres ronds, 250,000 pour toute la Belgique actuelle a
l'époque de la conquête de Cësar (1). C'est là le chiffre le
plus êleve' que nous assignons à la population de la Bel-
gique à cette e'poque (2).
On pourrait nous demander si parmi les Belges en ëtat
de porter les armes , Cësar a compris les esclaves ou plutôt
les serfs, parce qu'à cette ëpoque il n'y avait encore que
très-peu d'esclaves proprement dits chez les peuples d'ori^
gine germaine. Plusieurs auteurs pensent qu'il n'y avait que
les hommes libres qui portassent les armes chez les Germains;
nous croyons le contraire et nous pensons c[ue dans des
(1) César nomme dans ses commentaires, mais une seule fois, une petite
peuplade de la Belgique , les Ambivarites. 11 n'a point donné le dénombre^
ment de leur population mâle. Peut-être cette petite peuplade aura-t-elle
été comprise dans le dénombrement des grandes peuplades, comme auront
été également compris dans le dénombrement des Nerviens , les Levaciens,
les Centrons , les Pleumosiens , les Grudiens et les Gorduniens , peu-
plades dépendantes des Nerviens. En tout cas la population de ces petites
tribus devait être très-faible.
(2) M. de Reiffenberg élève a 700.000 la population de la Belgique actuelle
au temps de César. Nous croyons que cet auteur aurait porté ce cbifTre moins
haut, si, comme nous, il avait fait entrer dans ses calculs le relevé de la
population des Helvétiens donné par César, et celui des Pannoniens conservé
par Patercnlus. Il n'aurait peut-être pas multiplié alors le nombre des hommes
armes par 5, mais par 4, surtout s'il avait considéré Tâge auquel on était
apte à porter les armes chez les Germains et les Gaulois.
— 3^4 ~
expéditions importantes et des momens critiques , comme
celui oii l'indépendance des Belges fut menacée par César,
les peuples germains, tels que Tétaient les Belges, menaient
avec eux au combat des hommes , qui étant moins des es-
claves que des colons , avaient , comme leurs maîtres, une
famille et un foyer à défendre (1). Ce qui le suppose, c'est
que César assure qu'il n'y eut que les vieillards, les femmes
et les enfans des Nerviens qui ne prirent point part à la mé-
morable bataille qu'il gagna contre ce peuple (2). Il semble
aussi par le relevé de la population helvétienne donné
par César , que les esclaves aussi bien que les personnes
libres étaient comptés au nombre des hommes en état de
porter les armes (3). Paul Diacre dit, en parlant des Lom-
bards , peuple d'origine germaine comme les Belges , qu'à
la guerre la bravoure et les hauts faits d'armes faisaient la
seule distinction entre les hommes libres et les esclaves (4).
La loi salique permet aux esclaves d'aller à la guerre , mais
seulement armés de massues et non de la lance. La loi des
Bourguignons ordonne formellement à tout Bourguignon
de mener avec lui a la guerre le tiers de ses serfs. Au temps
de la féodalité, dont l'origine remonte jusqu'aux anciens
Germains, les serfs combattaient avec leurs maîtres, à la
seule différence qu'ils devaient se battre à pied, tandis que
leurs maîtres montaient d'excellens coursiers ; et même de
nos jours , les paysans serfs ne forment-ils pas le noyau et
la force des armées russes ?
(1) Suam quîsque (Servus) sedem, suas pénates régit : frumenti modum
dominus aut pecoris aut vestis ut colono injungit et servus hactenùs parel
(Tacit. Mores Germ., c. 25).
(2) Mulieres quique per œtatem inutiles viderentur (Cses.. lib. 2 , c. 16 et 27).
(3) C'est aussi l'avis de Hume rutous les lionimes, dit-il, capables déporter
les armes chez les Helvétlens faisaient le quart de tous les habitans: témoi-
gnage manifeste que tout homme fait y portait les armes.»
(4) Paul. Diac. Hist. Longob.
— 345 —
Au reste , au temps de Cësar , le nombre des serfs ne
paraît pas avoir été fort grand chez les Germano-Belges.
Les Celtes qui habitaient la Belgique avant l'invasion des
peuples germains ne furent point réduits en esclavage par
ces derniers , mais expulsés du territoire belge , comme le
rapporte César, d'après les renseignemens que lui fourni-
rent les Belges eux-mêmes. Ainsi, quand même cet auteur
n'aurait pas compris les serfs dans le dénombrement de la
population mâle de la Belgique , ces derniers n'étaient pas
en assez grand nombre pour annuler notre calcul sur le
nombre des habitans de cette partie des Gaules (1).
Qu on ne s'étonne pas que la population de la Belgique
n'était , il y a dix-neuf siècles, que d'un dix-neuvicme de la
population actuelle ; nous voyons par un dénombrement
officiel de Fan 1472 , que la population du Brabant , qui
s'élève aujourd'hui à plus de 560,000 âmes , n'était à cette
époque que d'environ 210,000 (2). Un pays aussi peu civi-
(1) Wallace a étrangement exagéré le nombre des esclaves de la Belgique
ancienne (dans sa plus grande étendue). Tl élève la population de cette con-
trée à 8j000,000 d'araes , ce qui ferait plus de ù^ois millions et demi pour la
Belgique dans sa circonscription actuelle ( Essai sur la statist. aiic. de la
Belgique , 2* partie, p. 12).
(2) Voyez notre mémoire sur la 'population du Brahant en 1472 et 1480,
comparée à celle d'aujourd'hui, dans le Messager des sciences et des arts de
la Belgique, 2« série, tome 1". La ville de Bruxelles qui renferme aujour-
d'hui plus de 13000 maisons, n'en contenait alors que 6731. Anvers en
avait 4510, et en 1826, 9131, non compris les faubourgs. lia rédaction
du Messager des sciences et des arts n'a pas été de notre avis lorsque nous
avons calculé la population du Brabant en 1472, sur le pied de cinq per-
sonnes par maison ou foyer; ce nombre lui a paru trop faible. Elle aurait
peut-être changé d'avis, si elle avait remarqué qu'Anvers, dont les maisons
sont aujourd'hui bien plus spacieuses que ne l'étaient les chétives demeures
du 15® siècle, ne compte que 65980 habitans pour 9131 maisons, et si elle
s'était rappelé les anciens dénombremens de la population du pays de Waes
donnés par Vandenbogaerde et ceux des habitans de la Hollande en 1515
1632 et 1732 [Tegenw. staat der JSederlanden). La jjopuîation y est toujours
portée sur le pied de cinq personnes par foyer. •
— 346 —
lise que l était la Belgique avant la domination romaine ,
un pays presque inculte , sans industrie, couvert sur toute
sa surface de forets et de marais impénétrables, et dont les
sauvages habitans ne pouvaient devenir fort nombreux à
cause de dissentions civiles sans cesse renaissantes (1) et de
leurs guerres continuelles contre les peuples voisins ; un tel
pays, ne devait et ne pouvait avoir cjuune bien faible
population.
Quoicjue cjuelques provinces de la Belgicjue aient aujour-
d'hui une population triple de celle de ce pays tout entier
du temps de César ; quoique le vaste territoire occupé an-
ciennement par les Ménapiens compte actuellement une
population de plus de 2,500,000 habitans, tandis cju'il y en
avait à peine 36,000 l'an 57 avant l'ère vulgaire , 250,000
habitans formaient encore une population considérable
pour la Belgique , vu l'état inculte et désert oii se trou-
vait cette contrée aujourd'hui si belle, si industrieuse, si
bien cultivée. Il est des parties de l'Amérique habitées par
les sauvages, lesquelles, avec une surface plus de vingt fois
plus considérable que celle de la Belgique , sont encore
loin de compter autant d'habitans , et nos anciens Belges,
n'en déplaise a certains auteurs , étaient-ils plus civilisés et
moins barbares que ne le sont les tribus sauvages du Nou-
veau-Monde ?
Les autres contrées des Gaules n'étaient pas plus peu-
(1) In Galliâ, non solum in oyinibus pagis y partibusque , sedpœnè etiam
in singulis domibus factiones sunt (Caes., bel. Gai., lib. VI, c. 11 ). Ingrata
genti quies (Tacit. Mores Germ.^c. 14). César rapporte que les peuples ger-
mains se faisaient une grande gloire d'avoir réduit en déserts les contrées
voisines de leurs frontières. Civitaiibus (Germanise) maxima laus est qiiatn
latîssimas , circum se raslalis finihus , solitudines habere (Cœs., lib. 6, c. 2 3).
Polybe rapporte quau retour d'une expédition militaire, les Gaulois s'en-
trctuaient souvent pour le partage du butin (Polyb.. Ilist., lib. II).
— 347 -
plëes que la Belgique , quelques-unes Tétaient même beau-
coup moins ; par exemple , THelvëtie , quoique aussi éten-
due que la Belgique ne comptait que 263,000 âmes (1).
Toute l'étendue de pays bornée par la Seine , la Marne
et rOcéan , comprise anciennement sous la dénomina-
tion générale de Belgique et formant la troisième partie
des Gaules, contenait, selon le relevé donné par César,
288,000 hommes en état de porter les armes , ce qui , pris
pour le quart de la popu^lation totale , donne pour cette
dernière 1,152,000 âmes (2). En supposant un nombre
double pour les deux autres tiers des Gaules , non compris
la Provence, le Dauphiné et le Languedoc qui consti-
tuaient la pros>incia romana , on trouvera que cette vaste
région , correspondant à la France , à une grande partie
de la Suisse , à la Belgique et au pays entre Meuse et
Rhin , ne contenait pas au delà de 3,456,000 âmes , ou
4,608,000 en y comprenant la provincia romana, for-
(1) La population de l'Helvétie, comme celle de la Belgique, fut presque
anéantie par César. Le nombre des Helvétiens qui, avec celui des Raura-
ciens , des Latobriges, des Boiens et des Tulingiens , montait à 368,000 âmes,
fut réduit par la conquête romaine a 110,000. Un siècle après, l'armée de Vi-
tellius extermina encore une grande partie de ces faibles débris échappés à la
fureur de César, dont on exhalte à tort la clémence. Pendant plusieurs siècles
la Suisse ressembla à un désert. Des documens officiels et authentiques nous
apprennent qu'au 14" siècle la population de cette république ne montait
pas à 600,000 âmes. Le canton de Zurich, qui compte de nos jours plus de
200,000 habi tans, n'en avait, en 1467, que 51,892. Ceux de Neufchâtel et de
Grisons n'étaient en grande partie que des déserts , au IS*" siècle. Celui de
Berne a doublé sa population. Il en est de même de presque tous les autres
cantons ( voir Picot , Statislique de la Suisse ).
(2) Cœs., 1. II, c. 4, Strabon dit, d'après César, que la Belgique ancienne
contenait 300,000 hommes en état de porter les armes : qiiod olim irecenta
7nillia hominum arma ferre valeniium sunt ccnsita y Strabo geogr., lib. 4).
Par le mot olim, il désigne l'époque antérieure à la conquête de César qui
avait anéanti une grande partie de cette population.
-- 34S —
mant la quatrième partie des Gaules (1). Certes, cette
population diiFère de beaucoup de celle que certains au-
teurs modernes assignent a la Gaule , et que Wallace , le
plus outré de tous, porte jusqu'à quarante millions d'ha-
bitans (2) ; de manière que ce pays encore habité par des
peuples à moitié sauvages, rempli de forêts et de lieux
incultes , aurait eu une population aussi considérable qu au-
jourd'hui qu'il a subi une métamorphose complète par les
travaux de dix-neuf siècles de civilisation , qu'il est couvert
de cités florissantes , de bourgs , de villages innombrables ,
que les forets ont été extirpées , les marais desséchés , les
déserts défrichés pour faire place à la culture la plus
soignée , a l'industrie la plus active.
Une des causes principales de l'exagération des auteurs
modernes par rapport a la population dans les temps an-
(1) Le professeur Mone , un des écrivains les plus savans et les plus judi-
cieux de r Allemagne, élève la population des Gaules du temps de César,
à 5,000,000 d'ames ; mais comme il n'a pris les Gaulois en état de porter les
armes que pour un cinquième de ta population totale, son calcul est le même,
pour le fond, que le nôtre (Mone, historica adumbratio statisticœ). Hume
a porté la population des Gaules h 6,000,000 d'ames, et celle de la Belgique
ancienne (dans sa plus grande étendue; à 2,000,000 (Hume, Discours poli-
tiques, preuve 10, sect. 3,^ 4). Picot estime la population des Gaules a
9,000,000, mais son calcul est évidemment erroné (Picot, Histoire des Gau-
lois, tom. 3, p. 162). On peut encore consulter Desroches, Histoire ancienne
des Pays-Bas autrichiens,' et de Reiffenberg, ^^sai swr la statistique an-
cienne de la Belgique.
(2) Wallace, Essai sur la différence du nombre d'hommes dans les temps
anciens et modernes, p. 143 de la traduction française. Wallace se réfute
lui-même, lorsqu'il dit, dans cet ouvrage, en parlant des Gaulois : « un
pays sans arts et sans agriculture ne pouvait être que faiblement peu-
plé. Au lieu de s'appliquer a éclaircir leur sol, à dessécher leurs marais, à
rendre leur pays capable de sulFire h une population croissante, il était plus
conforme aux habitudes martiales des Gaulois et h leur humeur impatiente,
daller en d'autres climats chercher des vivres, du pillage et de la.gloire. »
Voir aussi Malthus , Essai sur le principe de jiopulation . tom. 1, chap 6.
— 349 —
ciens , c'est qu ils ont fait une comparaison peu judicieuse de
ces armées de trois à quatre cent mille hommes que les peu-
ples barbares de Tantiquité mettaient quelquefois sur pied,
s'il faut en croire les anciens e'crivains , avec les armées
des temps modernes , et qu'ils ont conclu de la qu'ancien-
nement l'Europe devait être plus peuplée que de nos jours.
Ces auteurs n'ont pas réfléchi que ces hordes innombra-
bles de Scythes, de Germains et de Gaulois étaient formées
du quart de la population mâle de ces nations, tandis
que chez les peuples modernes , les armées ne sont compo-
sées généralement que de la quarantième ou cinquantième
partie des habitans.
Ce sont ces essaims de barbares , sortis du fond du nord,
aux 3e, 4^ et 5^ siècles, pour venir envahir l'empire romain,
x|ui ont fait donner improprement à cette partie de l'Europe
l'épithète de Vugina gentium^ fabrique du genre hu-
main (1) ; comme si ces hordes de Scandinaves, de Scythes
et de Germains, n'avaient été forcées de s'expatrier qu'a
cause d'une population trop considérable, tandis que c'était
uniquement la soif du pillage et le désir de vivre sous des cli-
mats plus heureux qui les y engageaient, ou parce qu'elles se
voyaient contraintes d'abandonner leurs anciennes demeures
(1) Ce&t JoriiDndes, écrivain gotîi du 6® siècle, qui , le premier, a donné
cette qualification aux pays du nord.
« Quand une nation entière, dit Hume, ou la moitié d'une nation quitte
les lieux de sa demeure pour se transporter ailleurs, il est aisé de concevoir
quelle prodigieuse multitude elle doit former, avec quel courage désespéré
elle doit assaillir ceux qui lui font obstacle. De là la terreur qui frappe les
esprits des nations envahies ; de là les exagérations des forces et de la valeur
des conquérans. L'Ecosse, par exemple, n'est ni fort étendue, ni fort peuplée:
mais s'il en sortait la moitié des habitans pour aller chercher de nouvelles
demeures, ils formeraient une multitude aussi grande que les Cimbres et les
Teutons et mettraient toute V Europe en allarme , supposé qu'elle ne fut pas
en une meilleure posture de défense qu'autrefois » {Discours polit, cité).
— 350 —
a des peuples plus puissans. « Le grand nombre des essaims
de barbares , dit Roberlson, qui fondirent successivement
sur l'empire romain, depuis le commencement du qua-
trième siècle jusqu'à l'ane'anlissement de la puissance ro-
maine , a fait croire que les pays d'où ils sortaient étaient
surchargés d'habitans ; et l'on a imagine différentes hypo-
thèses pour expliquer cette population extraordinaire^ qui
a fait donner à ces mêmes pays le nom de fabrique du
genre humain ; mais si nous faisons réflexion que les terres
occupées par ces peuples étaient prodigieusement étendues
et couvertes en grande partie de bois et de marais ; que les
tribus les plus considérables de ces barbares subsistaient
par la chasse et le pâturage , et que dans ces deux états de
société , il faut de grands espaces de terrain pour nourrir
un petit nombre d'habitans; enfin qu'aucun de ces peuples
n'avait ni les arts , ni l'industrie , sans lesquels la popula-
tion ne peut jamais faire de grands progrès; on verra évi-
demment que les pays qu'ils habitaient n'ont pas pu être
anciennement aussi peuplés qu'ils le sont aujourd'hui ; quoi-
qu'ils le soient encore moins que les autres parties de
l'Europe (1). »
(1) Kohertson, Histoire du règne de Charles Quint, introduction. Voir aussi
Mallet, Introduction à Vhistoire du Danemarc. Wallace s'exprime à peu
près de même que Robertson ; « un peuple rude et barbare , dit-il , qui ne
vit que de chasse, de pêche, de pâturage ou du produit naturel de la terre,
sans arts, ne peut jamais être aussi nombreux qu'un peuple adonné a l'agri-
culture et civilisé par le commerce , quoiqu'ils habitent l'un et l'autre un
climat semblable, puisque des terres incultes ne peuvent jamais nourrir un
aussi grand nombre d'habitans que des terres cultivées. » (Wallace , Essai
sur la différence du nombre dliommes, etc., p. 27). Et c'est ce même auteur
qui donne aux Gaules une population de 40,000,000 d'ames!
On a calculé qu'un demi arpent de terre mis en culture suffit à la subsis-
tance dun homme pendant toute une année, tandis que huit cents arpens
de bois fournissent à peine aux besoins d'un homme vivant uniquement de
la chasse.
— 351 —
Ceci ne se rapporte pas seulement aux pays habite's par
les anciens Scythes , Cimbres et Scandinaves , mais encore
à la Germanie , aux Gaules, a la Grande-Bretagne, la Pan-
nonie , TEcosse , Tlrlande , la Dalmatie^ F Albanie , la
Tlirace, la Cantabrie et autres pays de l'Europe habite's
par des nations barbares au commencement de l'ère vul-
gaire.
On se tromperait encore si Ton se figurait c{ue certains
pays dont les anciens auteurs grecs et latins vantent la
grande population, fussent en effet très-peuple's. Le nombre
des habitans étant presque partout moindre que de nos
jours , une population réputée aujourd hui très-faible était
souvent considérée alors comme très-forte. Les îles Baléares
( Maiorque et Minorque ) où Ton compte aujourd'hui au
delà de deux cent mille habitans , passaient pour très-peu-
plées sous le règne d'Auguste^ quoicju au rapport de Diodore
de Sicile elles n'eussent alors qu'une population de trente
mille âmes. César et Strabon attribuent l'émigration des
Helvétiens a l'impossibilité où ce peuple était de pouvoir
subsister dans un pays qui ne pouvait nourrir une popu-
lation aussi considérable que la leur. Cependant , comme
nous l'avons vu plus haut , la population totale de l'Helvétie
ne s élevait qu'a 263,000 âmes, nombre d'habitans qui
passait alors pour très-grand et qui ne pouvait trouver sa
subsistance dans un pays qui en nourrit facilement de nos
jours un nombre plus que sextuple (1). Les anciens ont pu
(1 ) Quand bien même l'émigration des Helvétiens aurait eu une toute
autre cause que celle que lui assignent César et Strabon, et que, comme le
disait Divitiacus , chef des JEduens , dans son discours à César , elle eut été
motivée par l'invasion des Germains ( Caesar, Bel. Gai., lib. l, c. 21 ), il
n'en conste pas moins que 263,000 âmes étaient réputées par César et Strabon,
une population êxborbitante pour un pays de l'étendue de l'Helvétie et
dans l'état où se trouvait cette contrée , puisqu'ils n'ont pas hésité d'avancer
que l'Helvétie ne pouvait point nourrir un pareil nombre d'habitans.
~ 352 —
ilire de méine cjue les Gaules étaient bien peuplées , quoi-
qu'on n'y comptât pas cinq millions d'iiabitans. Tite-Live et
Plutarque rapportent que sous le règne de ïarquin le Su-
perbe, trois cent mille Gaulois e'migrèrent en Italie et dans
la Germanie, parce que les Gaules étaient chargées d'une
population trop considérable ; aujourd'hui un nombre
d'émigrans vingt-cinq fois plus grande ne laisserait aucun
vide dans les contrées correspondant aux Gaules anciennes.
Mais à l'époque dont parlent Tite-Live et Plutarque , de
l'émigration de 300,000 Gaulois , devait résulter une di-
minution sensible dans la population des Gaules et un
soulagement considérable pour les habitans d'un pays cou-
vert en majeure partie de forets, de marais , sans industrie
et peu cultivé. Un tel pays pouvait avoir trop de cinq mil-
lions d'habitans quand de nos jours il en nourrit aisément
plus de quarante millions.
L'Egypte, n'en déplaise a l'illustre Bossuet et à d'autres
auteurs modernes , n'eut jamais , même dans les temps de
sa plus grande splendeur, plus de cinq millions d'habitans;
ce qui est encore une population extraordinaire pour un
pays qui n'avait pas quatorze cents lieues carrées de terres
cultivables (1). Sous le règne d' Auguste, la population de
(l) Voyez Jomard, mémoire précité, et de Pauw, Recherches philos, sur
les Egyptiens et les Chinois.
Il y a cependant des auteurs modernes qui ont porté la population de
l'Egypte ancienne jusqu'à quarante et cinquante millions d'habitans , et qui
ont cru débonnairement aux 30,000 villes du bon-homme Hérodote. Le cé-
lèbre voyageur Paul Lucas , qui a conversé en Egypte avec le diable Astarod
et trouvé sur la côte d'Afrique une ville de géans, va jusqu'à assigner rem-
placement de ces trente mille villes répandues sur un espace de quatorze
cent lieues carrées dont les deux tiers , ou même les trois quarts devaient
être occupés par des champs cultivés, des canaux, des villages, etc., ô lepi-
dum caput! Derigny {V Egypte ancienne) est tombé dans les mêmes exa-
gérations.
-^ 353 —
TEgypte ne montait même dëja plus à un chiffre plus élevé
que de nos jours. Diodore de Sicile qui avait lui-même
voyage dans ce royaume ne la portait de son temps qu a
trois millions d'ames. Les autres parties de l'Afrique ro-
maine , la Pentopole , la Byzacène , la Mauritanie et la Nu-
midie, ne pouvaient avoir au delà de dix millions d'habi-
tans au 6® siècle de l'ère-vulgaire (1).
Volney calcule , dans ses leçons d'histoire , que la Ju-
dée n'eut jamais 800,000 habitans, et la Grèce plus de
4,000,000, et dans les temps encore où ces pays joui-
rent de la plus grande prospérité (2) ; car les longues
guerres qui désolèrent ces contrées les avaient réduites,
(1) Procope dit dans ses Anecdotes ^ en parlant de Justinien : u il a fait
un tel dégât en Afrique, qui est d'une étendue prodigieuse, qu'il faut faire
beaucoup de chemin pour y trouver un habitant ; il y avait cent soixante
mille Vandales en état de porter les armes, sans compter leurs femmes, leurs
enfans et leurs esclaves! qui pourrait jamais dire combien il y avait d'Afri-
cains qui habitaient les villes, qui cultivaient les campagnes ou qui trafi-
quaient par mer? Il a encore détruit un plus grand nombre de Maures,
avec leurs femmes et leurs enfans. Il y avait aussi quantité de Romains, tant
soldats qu'autres qui y étaient allés de Constantinople ; de sorte que je crois
-que quiconque dirait qu'il y est mort cinq millions d'hommes n'en dirait pas
çncore assez.» ( Procop. , Historia arcana , c. 18).
L'extermination de cinq millions d'habitans aurait-elle pu causer une telle
dépopulation sur la vaste côte de l'Afrique septentrionale qu'il fallait faire
beaucoup de chemin pour y trouver un habitant, si cette grande étendue
de pays avait été aussi peuplée que le supposent certains auteurs modernes?
Procope avait accompagné Belisaire , dans son expédition contre les Vandales ;
ainsi il parlait en témoin oculaire. Mais en supposant même que ce n'est que
par un calcul vague qu'il a porté la perte de la population africaine à cinq
millions de personnes, il n'en restera pas moins prouvé que Procope, n'a fait
cette estimation que d'après la population réelle de l'Afrique qu'il devait con
naître. Si cette population avait été de vingt-cinq . de vingt ou même de quinze
millions d'habitans, aurait-il été assez irréfléchi pour dire que la perte de
cinq millions d'hommes avait presque réduit en un désert l'Afrique romaine
et qu'il fallait faire de longues marches pour rencontrer un seul habitant.
(2) « Les douze tribus d'Israël , dit Volney , n'occupaient que deux cent
soixante quinze lieues carrées, de manière que Salomon, dans toute sa gloire
n'en posséda jamais plus de quatre cents à moitié désertes et ne commanda
Tome I. 23
— 354 ~
dès le premier siècle de Tère vulgaire , a un état de dé-
populatit)n presque semblable a celui où elles se trouvent
de nos jours. Beaucoup d'auteurs modernes avaient ,
d'après un passage fautif d'âlhenée , supposé plusieurs
millions d'habitans à l'Attique qui n'avait pas plus de 76
lieues carrées d'étendue; mais le savant Letronne a dé-
montré de la manière la plus évidente, dans un mé-
moire de l'académie des inscriptions et belles-lettres de
France , que la population de cette partie la plus floris-
sante et la plus peuplée de la Grèce ne s'éleva jamais
au-dessus de 220,000 âmes. Un savant du premier ordre,
Juste Lipse, n'a pas craint d'évaluer la population de la
ville de Rome, sous les empereurs , à cinq millions d'habi-
tans (1). Vossius la porte même a treize millions d'habi-
jatnais h huit cent mille âmes , ni par conséquent a deux cent mille soldats. »
[Leçons d'histoire, 3® édit, p. 207). Après le retour de la captivité de Ba-
bylone, la population de la Judée ne s'élevait qu'a 106,000 âmes, et celle
de Jérusalem, l'an 451 avant J.-Ch., ne dépassait pas 5000 habitans (Mone,
Opus citai.).
La Laconie et la Messénie qui avaient ensemble 150 milles géogr. carrés,
ce qui formait à peu près la moitié de l'étendue du Péloponèse , ne renfer-
maient dans les temps les plus florissans de la Grèce que 320,000 âmes, de sorte
que la population de la Péninsule entière ne pouvait s'élever a plus de 700,000
âmes. La terre ferme de la Grèce proprement dite, comprenant l'Attique,
la Béotie, la Phocide, la Locride, l'Acarnanie et l'Etolie, n'avait en sur-
face que 217 milles géogr. carrés ou environ les deux tiers du Péloponèse.
La plus célèbre de toutes les provinces de la Grèce, l'Attique, contenait ,
comme nous l'avons dit, 220,000 âmes , dont 70,000 pour la ville d'Athènes.
De sorte que le Péloponèse et la Grèce proprement dite ne comptaient pas
au delà d'un million d'habitans, et avec la Macédoine , l'Epire , la Thessalie
et l'Archipel a peu près quatre millions d'ames (*). A juger de l'état de dé-
solation et de ruine où se trouvait la Grèce du temps de Strabon et de Pau-
saniaS; le nombre des habitans de cette contrée célèbre ne pouvait pas être
alors beaucoup plus grand qu'il ne l'est de nos jours.
(1) La ville de Rome n'avait dans sa plus grande étendue, selon le calcul
de Dureau de Lamalle, que les deux cinquièmes de Paris en surface.
(*) Hume en porte la population à environ 1,380:000 âmes j mais ici le calcul de ce cri-
tiques! judicieux «st évidemmeut trop faible.
oo
tans , population qui égalait , dit-il , celle de la moitié de
FËurope, au commencement du 17« siècle (1). Cependant
les savantes et laborieuses recherches de Bureau de Lamalle
ont prouvé que l'Italie ancienne, depuis le Rubicon jusqu'au
détroit de Messine , n'avait toute entière , en l'an de la fon-
dation de Rome 529 , c'est-à-dire à l'époque la plus bril- ,
lante de la république, que 3,592,447 habitans de tout
seie et de tout âge, libres ou esclaves. Aujourd'hui malgré
l'état désert du Latium et d'une partie du royaume de
Naples , la population y est de plus de huit millions d'ames.
« Quant à la population, dit l'abbé de Feller, Rome n'a jamais eu cinq cent
mille habitans. Les maisons de Rome étaient isolées comme des îles; elles
n'étaient que peu élevées (*) ; ses cirques, ses bains, ses jardins, ses amphi-
théâtres, ses places étaient immenses, ses temples sans nombre. Il est presque
certain que ses citoyens ne furent jamais en plus grand nombre qu'aujour-
d'hui, malgré les déserts de Rome moderne.... Suétone rapporte [in ISerone)^
comme la preuve d'une peste terrible, que durant un automne il mourut
trente mille personnes , et le texte montre assez que tous les morts durant
cet espace de temps y sont compris : pestilentiâ unius autumni triginta fu-
nerum millia in rationem Libitinœ veneriint On sait que ces calculs sont
toujours exagérés; mais s'il était vrai que Rome eut eu un million d'habi-
tans, il en serait mort à peu près quarante mille par an, lors même qu'il ne ^ 0. i^
régnait aucune maladie ; le dégât de la peste n'eût par conséquent pas été
très-grand, en emportant trente mille âmes en trois mois. C'est au reste le
ravage que fait une peste tant soit peu violente dans les villes de cent mille
habitans. Quand il n'y périt pas le quart du monde qui les habite, on ne
juge pas qu'elle soit fort destructive. C'est sur l'horrible libertinage des
Romains qu'il faut juger de la dépopulation de l'ancienne Rome et de celle
de Vem^'ire.)^ {Observations sur Véte7idue de Rome, sa population, etc., tom. 1"
de V Itinéraire de Vahhé de Feller).
(1) Quoique l'Europe fut bien moins peuplée au commencement du 17«
siècle que de nos jours, le nombre des habitans y dépassait certainement
de beaucoup celui de vingt-six millions d'ames, et la France, quoi qu'en
dise Yossius , en avait plus de cinq millions. La population de ce royaume
pouvait monter alors a huit ou neuf millions d'habitans.
(*) ceci est vrai pour les premiers temps de Rome , mais dans la suite on donna aux
malsons une si grande élévation qu'elles rendaient fort obscures les rues étroites de cette
ville. Auguste défendit de leur donner plus de soixante pieds de hauteur.
— 356 —
Sous Alphonse I , en 1465, la population du royaume de
Naples , n était encore que de 1,597,376 âmes, tandis
qu'elle s'élève actuellement à plus de cinq millions d'habi-
tans.
Maigre tout ce que ces déclamateurs qui ont ajoute' une
foi si aveugle aux récits mensongers des chroniqueurs du
moyen âge, ont dit de la grande population de TEspagne
dans les temps anciens et de Ja prétendue dépopulation
causée par les émigrations d'un grand nombre d'Espagnols
en Amérique , il n'en est pas moins prouvé qu'a quelques
provinces près, ce royaume est aujourd'hui plus peuplé
qu'il ne le fut jamais , même sous la domination des Ara-
bes. Ce qu'on a dit de la grande population de l'Espagne
sous la domination romaine ne repose que sur des conjec-
tures hasardées et sur un passage très-vague de Cicéron ,
qui ne prouve pas davantage (1) ; car Strabon , Diodore de
Sicile et Justin , rapportent qu'a l'exception de quelques
parties du midi de l'Espagne, le reste de cette vaste pénin-
sule , était fort mal peuplé et habité par des peuplades
vivant dans la plus grande barbarie (2). C'est par des calculs
exacts, des données officielles et par des raisons déduites de
l'état politique et des mœurs d'un peuple qu'il faut juger
(1) Nec numéro Hispanos..,. superavimus (Cicero, de Auspicium respon-
sis f cap. 9).
(2) Ejus (Hlspaniae) magna pars incommodé habitatur : quippè montes et
sylvas et campos terra prœditos exili nec œqualiter aquis irriguos magna ex
parte incolunt Id accedit ^ quod nulla ejus incolis sunt cum aliis ho-
minibus commercial itaque ibi pessimè degitur agrestis autem eorum
humanitas non solum ex ipso bellandi usu , verùm ex aliâ aliorum longui-
quilate provenit et omnem exuerunt humanitatem tt ritu belluarum
sœviores Ora (Hispaniae) ad oceanum septentrionalem objecta caret ob
frigus oleis , etc., Reliqua itideni, m,agis tamen ob incuriam hominum, qui
non ad jucunditatem aliquam, sed necessitatem et belluinos appetitus vitam
malè moratam instituunt nec fortitudine tantum sed crudelitate etiam et
furore feras twifon^m* (Strabo, Geographia. lib. III}.
— 357 ^
de sa population; aussi Strabon raille -t- il avec raison
Polybe, qui avance que Tibérius Gracchus avait pris
et détruit trois cents villes des Celtiberiens , et ceux qui
prétendaient que l'Espagne avait renfermé anciennement
jusqu'à mille villes; il prouve fort bien que la nature
du pays et la manière de vivre des habitans rendaient ces
faits impossibles (1).
Un auteur moderne , Semperé , s^est exprimé plus sage-
ment que Mariana et ses copistes, sur l'état ancien de
l'Espagne : « l'intérieur de la Péninsule , dit-il , était habité
par des peuples sauvages , se nourrissant de glands et
d'autres fruits grossiers, et constamment en guerre avec les
étrangers ou entre eux. Il y avait sur les bords du Tage
seul trente tribus différentes , aussi sauvages que les bétes
les plus féroces (2).»
11 conste par des dénombremens officiels qu'en 1368 la
Catalogne et le Roussillon n'avaient ensemble que 365,000
habitans , tandis qu'en 1797 on y comptait 964,989 âmes.
(1) Polyhius trecentas urhes celtiberorum à Tiberio Graccho subversas
esse tradit , quod ritu coniico in Tiberii Gracclii graiiam dictum est ab eo
gui tmres urbes appellat ut in triumphalibus pompis fieri mos est; quod ab
re nequaquam dictum esse crediderim ; nam imperatores et rerum gestarum
scriptores, ut ornatiora effîciant negoiia , ad hoc mentiendi genus feruntur ;
cum etiam qui urbes Hispaniœ plures quant mille fuisse dicunt eo adducii
videntur, quod magnos pagos urhium loco censerent : nam , neque regionis
natura multarum est capax urbium ob arriditatem vel longinquitatem vel
feritatem hominum, neque Hispanomm vita et actiones quicquam taie si-
gnificant, si oram versus nostrum mare demas : nam qui vicos habitant ^
quod faciunt plerique Hispanorum , agrestes sunt; acné ipsœ quidem urbes
facile mansuetos reddunt, ubi ahundant qui vicinas infestandi causa sylvas
incolunt. ( Strabo, lib. III). Un commentateur de Strabon ajoute judicieu-
sement h ces paroles : Hispania arcibus etcastellis olim abundabat , serbes in
eâ non ita multœ nec magnœ ; nndè apud nos manavit proverbium de castellis
hîspanicis. Trvpycuç autem, id est turres , sœpe ah historiarum scripioribus
urbium appellafione honestari facile Straboni concesserim.
(2) Semperé , Considérations sur les causes de la grandeur et de la déca-
dence de la monarchie espagnole (Paris 1826, tom. 1, p. 21).
— 358 >-
C'est un nombre triple pour la seconde époque. De même,
en 1510 le royaume de Valence n'était peuplé que de
54,555 familles (272,775 âmes). En 1797 on y comptait
165,012 familles ou 825,059 âmes, population presque qua-
druple de celle de 1510. La population totale du royaume
d'Aragon n était, au seizième siècle, que de 1,052,775 âmes ;
aujourd'hui elle est évaluée a plus de 2,500,000. Celle de
toute la Castille ne s'élevait sous le règne de Philippe II qu'à
4,601,560 habitans, dont le nombre s'est accru aujour-
d'hui jusqu'à 7,500,000, même sans la population de la
Navarre et de la Biscaye d'Aragon, qu'on avait comprise
dans le premier dénombrement (1). Qu'on juge d'après ce
tableau si l'Espagne était plus peuplée avant la découverte
de l'Amérique que de nos jours.
L'Angleterre et le pays de Galles ne contenaient sous le
règne d'Edouard III , au 13^ siècle , qu'une population de
2,350,000 âmes, et avant cette époque le nombre des habi-
tans y était encore moins considérable (2).
Pour en venir aux Pays-Bas , la province de Hollande
qui ne renfermait en 1515 que 45 ,000 maisons et 172,000
habitans payant la capitation , comptait en 1732, 162,462
maisons et 900,000 âmes. Au commencement du 17e siècle,
on ne portait encore la population de cette province qu'à
550,000 âmes. Le nombre des maisons , des villes seules de
la Hollande méridionale surpassait en 1632 , d'un tiers celui
des maisons , tant des villes que des campagnes , de la Hol-
lande méridionale et septentrionale en 1515 (3).
(1) Economie politique de l'Espagne. Dissertât. 10, sect. 1'*.
(2) Sir Matthieu Haie a prouvé, d'après un dénombrement des villes,
bourgs et villages de la Grande-Bretagne , fait sous le règne de Guillaume le
conquérant, qu alors la population y était vingt fois moins considérable que
de son temps.
(3) Tegenwoordigen staat der Nederlanden^ et Van Kampen , iS^aa^ der
jyederlanden.
-. 359 —
Nous avons fait plus haut la comparaison de la popula-
tion du Brabant en 1472 avec celle d'aujourd'hui (1). On
pourra faire un pareil rapprochement de la population de
la Flandre , par la comparaison suivante de celle du pays
de Waes en 1480 et en 1825. A la première époque on n y
comptait que 4000 hommes en état de porter les armes ,
c est-à-dire de l'âge de 18 ans à 70 ; ce qui suivant notre
calcul ne suppose qu'une population de 16000 âmes. En
1825, la population de cette belle partie de la Flandre était
de 100,000 âmes (2).
Le grand accroissement de la population en Europe est
d'une date très-rëcente ; il est du au perfectionnement de la
médecine et de l'hygiène , à la disparition de la peste et de
la lèpre, à la manière moins barbare de faire la guerre qui
épargne et ne confond plus avec un ennemi armé , une
population faible et inofifensive ; enfin à l'extension de l'agri-
culture et aux défrichemens des terres incultes qui empê-
chent de voir renaître ces terribles famines qui jadis
décimaient plusieurs fois en un siècle la population des
différens pays de l'Europe (3). C'est depuis que la civili-
sation et la philosophie nous ont procuré ces bienfaits inap-
préciables , que nous voyons des exemples si étonnans de
(1) On doit consulter sur les dénombremens de la Belgique au moyen âge,
le Messager des sciences et des arts , tom. l, 2^ série, Y Essai de M. Reiffen-
berg, sur la statistique ancienne de la Belgique et la Bibliothèque des anti-
quités belgiques , par MM. E. Marshall et F. Bogaerts, tom. 1 et 2.
(2) Van den Bogaerde, Het land van Wcies, 1* deel.
(3) L'existence de Tesclavage, les dissentions civiles, les guerres conti-
nuelles et plus destructives que celles de nos jours, l'état d'enfance où se
trouvaient le commerce et toute industrie sont autant de causes qui ont re-
tardé Taccroissement de la population dans les pays même les plus floris-
sans de l'Antiquité. Voyez sur ce sujet Hume, Discours sur le nombre des
habitons, etc., et Malthus, Essai sur le principe de population^ tom. 1,
cbap. 13 et 14.
— 360 —
laccroissement de la population dans cette partie du globe.
Ainsi la France qui , à la fin du règne de Louis XIV, n'était
peuplée que de quinze millions d'habitans , en compte
aujourd'hui jusqu'à trente-trois (1). La population des
îles britanniques de 14,181,000 âmes en 1791, s'élevait
h 22,000,000 en 1825. L'Angleterre qui n'avait en 1700,
que 5,475,000 âmes, en possède aujourd'hui au delà de
14,000,000. La population des villes de ce royaume a pris
un développement non moins prodigieux.
Le nombre des habitans de Manchester , n'était que de
19,837 âmes en 1757, et en 1824 il s'élevait déjà à 163,888.
Aujourd'hui il monte à plus 200,000. Liverpool n'avait
en 1720 que 11,833 habitans; en 18241a population s'y
élevait à 135,000 âmes et aujourd'hui à plus de 160,000.
Vers le milieu du siècle dernier Londres ne contenait que
676,050 habitans. Actuellement cette ville en renferme
15,00,000(2).
(1) Au 14« siècle Paris ne comptait que 50,000 mille habitans. Sa super-
ficie qui est aujourd'hui de 9.858 arpens, n'en dépassait pas alors 739. (Du-
laure, Histoire de Paris y tome l").
(2) Il est curieux de comparer l'état de la population des principales
villes de l'Angleterre pendant le moyen âge avec celle de ses grandes
cités au temps présent. Yorck , la plus grande ville de l'Angleterre pendant
la domination romaine et sous THeptarchie, ne contenait sous le règne
d'Edouard le confesseur, au 11' siècle, que 1617 maisons (environ 8,085
habitans). Lors de la conquête de l'Angleterre par les Normands, Yorck
était peuplée de 10,000 âmes. Peu de temps après cet événement, elle ne
renfermait plus que 967 maisons ou environ 4,835 habitans. Sous Guillaume
le Conquérant le nombre des maisons à Oxford était de 721 ; après l'inva-
sion des Normands il n'était plus que de 283 (1,415 habitans). A la pre-
mière époque Derby renfermait 243 maisons, et a la seconde seulement 140.
Chestre qui en comptait 487, au moment de la conquête, n'en renfermait
plus, après cet événement, que 282. Londres alors la plus grande ville de
l'Angleterre , n'avait pas plus de trente à quarante mille âmes. Le dénombre-
ment de 1377 lui en donne 35000. (Hallam , V Europe au moyen Age, tom. II-
P 59 et 171).
— 361 -^
L'accroissement de la population dans les villes de
TEcosse n'est pas moins étonnant. Edimbourg , qui ne
comptait en 1687 que 20,000 habitans, avait en 1821, une
population de 112,235 âmes, et en 1833, de 130,000. La
population de Glasgow qui n'était que de 14,000 âmes en
1707, s'élevait a 147,000 en 1821, et à plus de 160,000
en 1833.
L'Irlande voit tous les ans sa population augmenter de
200,000 âmes. Le nombre de ses habitans n'était que de
850,000 âmes en 1656 , et de 2,544,276 en 1767. Il s'éle-
vait en 1821 , a sept millions , et sera de quatorze millions
en 1851 , si la population continue à s'accroître dans la
même proportion. Et cependant il sort annuellement des
royaumes unis plus de cent mille personnes , qui vont s'é-
tablir en Amérique, principalement dans le Canada et
dans les Etats-Unis , dont la population s'est élevée en
moins d'un demi-siècle, de trois a quatorze millions d'habi-
tans ! il est des parties de cette vaste république ou l'on ne
voyait pas un seul habitant blanc il y a trente ans et qui
en comptent aujourd'hui plus de 500,000. Tel est en par-
ticulier l'état de l'Ohio (1).
(l) Voici le tableau de la population des principales villes des États-
Unis, depuis le commencement du 18* siècle. •
Boston avait en 1700. . . . 7,000 habitans.
17,574
24,937
61,392
4,302
10,381
60,489
203,007
5,934
13,503
62,738
80.625
—
en 1752.
—
en 1800.
— ■
en 1830.
New-York
en 1696.
—
en 1756.
—
en 1800.
—
en 1830.
Baltimore
en 1775.
—
en 1790.
—
en 1820.
en 1830.
— 362 ~
La Russie offre encore un des exemples les plus frappans
de raccroissement extraordinaire de la population euro-
péenne. Ce vaste empire où l'on comptait à peine vingt
millions d'habitans sous le règne de Pierre-le-Grand , en
renferme aujourd'hui au delà de soixante-deux millions.
Sa population s'accroît annuellement de 600,000 personnes
du rit grec seul.
Nous nous arrêtons ici. Nous croyons que ces exemples
suffissent pour convaincre tout homme de'nuë de préjuges
que la population est dans presque tous les pays de la terre
infiniment plus grande de nos jours qu'elle ne le fut dans
les temps anciens. Notre unique but a été de réfuter
ces écrivains superficiels qui jugent de la population an-
cienne du globe par celle des temps modernes, et de
démontrer la nullité des preuves de ces admirateurs en-
thousiastes des anciens , de ces laudatores temporis acti
qui exaltent sans cesse le passé aux dépens du présent.
Nous avons voulu démontrer qu'il ne faut nullement s'é-
tonner que la Belgique fut jadis si peu peuplée, puisque
d'autres pays bien plus florissans et plus civilisés, avaient
La Nouv. Orléans
en 1802. . .
. 10,000
—
en 1810. . .
17,242
—
en 1820. . .
27,176
—
en 1830. . .
. 46,310
Washington
en 1810. . .
8,208
—
en 1820. . .
13,247
—
en 1830. . . .
18,827
Philadelphie
en 1731. . . .
12,000
—
en 1790. . . .
49,520
—
en 1800. . . .
70,287
—
en 1830. . . .
167.811
Philadelphie, non compris les faubourgs, contenait en 1793, G327 maisons,
en 1810, 15,814 et en 1830, 27,968.
— 363 —
eux-mêmes a cette époque une population si peu considé-
rable (1).
(l) Moreau de Jones a supputé dans ses Recherches statistiques sur Vac-
croissement de la 'population en Europe (1828), en combien d'années le
nombre des habitans double dans chaque état de cette partie du monde.
Voici le résultat de ses observations :
Temps de redoublement. Époque du redoublement.
Autriche . . 44 ans en 1872, 74,500,000
Russie d'Europe 48) 1879,93,000,000
Pologne . . 50)
Danemarc. .50 1869, 3,000,000
IlesBritanniq. 52 1872, 41,000,000
Suède ... 56 j jg^g^ 7,354,000
Norwége . . 56 )
Suisse ... 56 1883, 4,000,000
Portugal . . 56 1874, 7,360,000
Espagne . . 62 1870, 25.500,000
Italie ... 68 1873, 40,000,000
Turquie d'Eu- ) jggg 20,000,000
rope et Grèce. 70)
Pays-Bas . . 84 1912, 12,200,000
Allemagne. .120 1947, 74,000,000
France. . . 125 1951, 63,000,000
Ma
^^-r^ r»iy^ ^yp ^j^ '^^^ ' M^^ <st^ @Èi^ ^Jk /ly*^^.
AVANT ET DURANT
LA
LIVRE PREMIER.
J>EUXIÈBIE PARTIE.
LA BELGIQUE PENDANT LA DOMINATION ROMAINE.
CHAPITRE PILEMZEIL.
Conquête de la Belgique par César. Éclaircisseznens de plusieurs points
obscurs de cet événement.
Notre but n'étant point de faire dans cet ouvrage un
re'cit circonstancié et suivi de tous les éve'nemens dont la
Belgique fut le the'àtre sous la domination romaine (tâche
qui a été remplie de la manière la plus complète, par
Boucker, Desroches, Dew€zi et plusieurs autres histo-
riens (1)); mais de tracer un tableau de l'e'tat politique et
civil de noire patrie à cette époque , et de considérer sim-
plement les faits par rapporta l'influence qu'ils exercèrent
sur la civilisation des Belges, nous ne donnerons ici une rela-
tion rapide et concise de l'expédition de César en Belgique,
que comme une introduction nécessaire pour l'intelligence
de la suite de notre ouvrage et en même temps pour éclair-
(l) Bucheri, Belgium Romanum. Desrocbes , Hist. anc. des Pays-Bas
Autrichiens. Dewez , Histoire générale de la Belgique.
^ 366 —
cir plusieurs faits obscurs ou mal compris par quelques
auteurs modernes relatifs à la conquête de la Belgique
par les Romains.
Antérieurement a cet événement mémorable les Romains
ne possédaient aucune notion sur les peuples de la Belgique,
ils ignoraient jusqu'à Texistence de cette contrée (1).
« Notre génëFal , dit Cieéren, en parlait de GésâT, notre
général et les armées du peuple romain ont conquis des pays
et fait la guerre a des peuples dont jusqu'ici rien ne nous
avait révélé l'existence. Nous ne possédions auparavant
qu'un point imperceptible des Gaules; le reste de cette
vaste région était au pouvoir de peuples ennemis du nom
romain ou habité par des peuplades inconnues et barba-
res (2). » Ce qui prouve combien la Belgique était incon-
nue aux Romains avant l'expédition de César, c'est que
trois ans après la conquête du pays des Nerviens par ce
général, Cicéron écrivait encore à son frère Quintus Cicé-
ron qui lui avait envoyé une relation de ce qui s'était passé
\ l'attaque de son camp dans la révolte de ce peuple :
« j'ignore oii habitent ces Nerviens dont vous me parlez,
et à quelle distance ils se trouvent de nous (3). >»
Au sortir de son consulat , l'an 58 avant l'ère vulgaire ,
César brigua et obtint du sénat le gouvernement delà Gaule
cisalpine et de l'Illyrie, et peu de temps après celui de la
(1) Quidquid inter Tanaim et Narhonem ad septentriones vergii haciemis
nabis est ignotum (Poljb., Hist., 1. III).
(2) Quas regiones, quasque gentés nullœ nobis antea litter(É y nulla voxy
nulla fraus notas fecerat, has noster imperator nosterque exercitus ac popuîi
romani arma peragrarunt. Semitem tantum Galliœ tenehamus antea ; cœterœ
partes à geniibus aut inimicis huic imperio, aut infidis, aut incognilis, aut
certe immanihus etharharis et bellicosis tenebantur (C'icero , de Prov. consu-
larib.y
(3) Ubi sint isti Nervii et quam longe absint, nescio. (Cicero, Epist.,
\. III. Epist. 8 , ad Quintum fratrem).
— 367 —
Gaule transalpine. La partie des Gaules qui appartenait
alors a la république romaine , et qui avait été conquise
soixante-sept ans auparavant par les consuls Fulvius et
C. Sextius, se bornait à la Savoie, au Dauphiné, a la Provence
et au Languedoc. Les Romains avaient donné à ces diffé-
rentes contrées le nom àeprovincià romana. C'est le gouver-
nement de celte province que César ambitionnait le plus
ardemment , parce que son but était de trouver quelque oc-
casion de faire déclarer la guerre aux peuples encore indé-
pendans de la Gaule et de soumettre cette région toute
entière au joug romain , afin d'accroître sa popularité et sa
gloire militaire, d'acquérir des richesses et une armée
brave , aguerrie , enflammée par ses succès et dévouée à son
général. Fort de tous ces moyens , il devait éclipser la re-
nommée de Pompée et en triomphant de ce puissant rival,
donner un maître a la république romaine « parvenue à
ce point de corruption , dit Desroches , oii elle devait être
nécessairement asservie par un de ses concitoyens , et où
il ne s'agissait plus que de savoir par qui elle le serait. >»
La fortune seconda merveilleusement les desseins de
César. A peine eut-il obtenu le gouvernement de la Gaule
transalpine que deux événemens concoururent à Texécu-
tion du plan qu'il avait formé. Le premier fut l'émigration
des Helvé tiens.
Ce peuple soit qu'il se trouvât trop à l'étroit dans l'es-
pace compris entre le Rhin , le mont Jura , le Rhône et le
lac de Genève, soit qu'il se voyait dans l'impossibilité de
résister plus longtemps aux irruptions des Germains, ré-
solut d'abandonner son ancienne patrie et de s'établir dans
une partie plus centrale des Gaules. Mais pour parvenir
jusque-là, les Helvétiens étaient obligés de traverser le
territoire romain ou celui des Eduens, alliés des Romains.
Ils tentèrent d'abord de passer par la province romaine, soit
— 368 —
3e gré, soit de force. Ce projet ayant e'chouë , ils se tour-
nèrent vers le territoire des Eduens; ils n'y réussirent pas
davantage; car les Eduens ayant invoqué le secours des
Romains , César marcha contre les Helvétiens , les vainquit
dans une bataille sanglante et contraignit ceux qui avaient
survécu à cette catastrophe, à retourner dans le pays
qu ils venaient d'abandonner et qu'il réduisît en province
romaine (1).
Le second événement qui servit de prélude a la conquête
des Gaules , fut l'expédition de César contre Arioviste. Ce
roi ou chef germain commandait à une ligue composée de
différentes peuplades germaniques , qui , a l'exemple des
Nerviens , des Atuatiques , des Eburons , des Treviriens et
d'autres peuples teutons, avaient formé le projet de s'éta-
blir dans les Gaules et s'étaient rendus maîtres d'une grande
partie du territoire des Sequanois et des Eduens. Ces peu-
ples supportantavec impatience les vexations et la tyrannie
des Germains , mais trop faibles pour secouer eux-mêmes
le joug , implorèrent l'assistance des Romains. César, auto-
risé par un décret du sénat porté trois ans auparavant , sous
le consulat de Menala et de Pison , décret par lequel il était
enjoint atout gouverneur de la Gaule transalpine de pren-
dre la défense des Eduens et de tout autre peuple gaulois
allié des Romains , accéda sans difficulté à leur demande.
Outre qu'il y voyait un nouveau moyen de mettre a
exécution les vastes projets qu'il méditait depuis long-
temps, ses principes politiques le portaient à ne pas souf-
frir qu'aucune peuplade germanique vint encore s'établir
de son propre mouvement dans les Gaules, de crainte
que les Germains n'en devinssent les maîtres absolus et
qu'ensuite ils ne convoitassent l'Italie même , comme la
(l) Ct£S.,Bell. Gall, II.
-- 369 -
chose avait eu lieu un demi siècle plus lot, lors de l'invasion
des Cimbreset des Teutons. César s'empressa donc de venir
au secours des Eduens. Il défit les Germains et obligea
toute la horde à repasser avec précipitation le Rhin. Cette
victoire empêcha peut-être les Gaules entières d'être con-
quises par les Germains , mais ce fut pour devenir la proie
des Romains. Dès ce moment leur domination y fut assurée.
La défaite des Helvétiens et rexpulsion des Germains
furent les exploits qui signalèrent la première campagne
de César dans les Gaules , et il ne paraît pas qu'alors il eut
déjà manifesté quelqu'intention hostile contre les Belges.
Ceux-ci cependant ne se dissimulèrent pas le danger dont
était menacée leur indépendance et comprirent que , maître
du reste des Gaules, l'ambitieux conquérant ne s'arrêterait
pas aux limites de la Belgique.
César avait mis ses troupes en quartiers d'hiver dans l^e
pays des Sequanois(la Franche Comté), Les Belges profitè-
rent de ce temps de repos pour convoquer une assemblée
générale de tous les peuples habitant l'espace compris entre
le Rhin, l'Océan , la Seine et la Marne. Il y fut décidé qu'à
rentrée de la campagne, les confédérés réuniraient toutes
les forces dont ils pourraient disposer, pour s opposer en com-
mun aux projets que les Romains trameraient contre leur
indépendance. Ils devaient mettre ainsi sur pied une
armée de 300,000 hommes dont le commandement fut
donné à Galba, roi des Soissonais.
De son coté César , instruit de ces mouvemens , saisit ce
prétexte pour procéder sans plus de délai a l'envahissement
du nord des Gaules. Il augmenta son armée de deux nouvel-
les légions, et dès que le printemps fut venu , il s'avança vers
la Belgique. A peine fut-il arrivé aux frontières du pays des
Remois, que ce peuple trahissant ses sermons , abandonna
lâchement la cause nationale et se soumit aux Romains.
Tome I. 24
— 370 —
Les confédérés déclarèrent les Rémois traîtres a la patrie
et vinrent mettre le siège devant Bibrax, le chef lien de ce
peuple. César marcha au secours de cette place, livra ba-
taille aux assiégeans et les défit complètement sans laisser
aux vaincus le temps de se rallier ; puis il pénétra inconti-
nent dans le pays des Amienois et dans le Beauvoisis et s'en
empara sans coup férir. Les Vermandois et les Àtrebates ne
résistèrent pas davantage , parce qu ayant réuni toutes leurs
forces à celles des Nerviens, ils avaient laissé leur territoire
sans défense. Il n'y eut que les Soissonais qui se défen-
dirent quelque temps dans leur oppidum principal , Novio-
dunum (1).
Cette partie de la Belgique soumise , César marcha contre
les Nerviens. Ce peuple, après avoir mis en sûreté dans des
lieux inaccessibles les personnes qui par leur âge ou leur
sexe ne pouvaient contribuer a la défense delà patrie, s'était
retranché sur une colline au bord de la Sambre , avec la
ferme résolution d'y braver tous les efforts de l'ennemi et
de s'y défendre jusqu'à la dernière extrémité. La haine que
portaient les Nerviens a leurs injustes agresseurs, aces
Romains qui dans leur orgueil prétendaient à l'empire du
globe entier , ne leur permit même pas de se tenir sur la
défensive; dès qu'ils apprirent que l'armée romaine n'était
plus qu'à une légère distance, ils sortirent de leur camp,
marchèrent fièrement à Tennemi , et sans lui laisser le
temps de se reconnaître, l'assaillirent de toutes parts (2).
(1) In fines Arfihianoriif/i pe^venit , qui se suaque omnia sine inore dedi-
derunt. (Caes., 1. II, c. 15j. — Ce passage prouve Terreur où est tombé Tile-
Live ou Tabréviateur de cet historien, lorsqu'il dit que les Amienois ne se
rfendirent à GéSâf qu'après qu'il les eut vaincus en bataille rangpée : Cœsar
Ainbianos f Suessiones, Veromanduos ^ Atrehates Belgartim 2>opulos , quo-
rum ingens multitudo erat, prœlio vicios in deditionem accepit. (Epitome.
Tile-ïiive,lib. CIV).
(2) Les opinions des savans varient beaucoup sur le lieu où se livra cette
— 371 —
Cette brusque attaque a laquelle les Romains étaient loin
de s attendre, les déconcerta et jeta le trouble et la con-
fusion dans leurs rangs; il y eut un instant où l'armée ro-
maine fut menacée d'une défaite complète et où ks grands
projets et les rêves brillans de César allaient être réduits
au néant. Mais la fortune n'abandonna pointée conquérant;
son génie et son sang-froid triomphèrent de la bravoure in-
disciplinée des Nerviens , qui malgré les prodiges de valeur
quils déployèrent dans cette mémorable journée, succom-
bèrent enfin. Les ténèbres de la nuit mirent fin au com-
bat, et tel fut le courage indomptable avec lequel les Ner-
viens défendirent leur liberté et Tindépendance de leur
territoire , que , de soixante mille hommes dont se compo-
sait leur armée, y compris les troupes fournies par les
Atrebates et les Vermandois , après la bataille à peine
en resta- t-il cinq cents qui ne fussent mis hors de com-
«éièbrc bataille. Le père Boucher le place a Berlaimont . au midi de Bavai,
et M. Achalntre (dans son édition des commentaires de César) à Valencien-
nes. M. Roulez a refuté cette opinion. L'auteur anonyme d'un mémoire sur
les campagnes de César en Belgique, dont il a été question dans le chap. III
delà P° partie du livre I de notre ouvrage, fixe l'emplacement de cette
bataille près du village de la Bussière, à une lieue de Thuin. Il en donne
pour preuve, la dénomination de château de César que portent les ruines
d^un ancien édifice, celle de chêne des batailles , donné a un arbre de ce
vjUage, enfin la profondeur et la largeur de la Sambre en cet endroit (p. 59).
L'opinion qui s'appuie sur les preuves les plus plausibles, nous paraît être
toutefois celle du marquis de Chasteler, de Desrocbes et de Dewez. Ces au-
teurs s'accordent à désigner comme l'emplacement où César défit les Ner-
viens, les villages de Prêle (prœîiiim, combat), et de Vitrival (victrix ou
victoriœ vallis) près de la ville de Fosses, dans la province de Namur, ville
qui tirerait son nom des retranchemens formés par les combattans ou des
fosses où ils ensevelirent leurs morts. On 2l trouvé dans les environs de
Fosses, des ossemens, des débris d'armes anciennes et autres objets anti-
ques. Voir Desroches, Hist. anc. des Pays-Bas autrichiens , p. 291. Dewez
Mémoire sur les endroits de l'ancienne Belgique dont il est parlé dans César.
Nouv. Mém. de TAcad., tom. 2, p. 235. M. Lcglay, archiviste de Cambrai,
_ 372 ^
bat (1). Ce qui prouve encore combien celte victoire coula
aux Romains et combien grand e'tait l'effroi que l'attaque
des Ner viens leur avait causé y c'est que le sénat , a la nou-
velle de la défaite de ces derniers, ordonna que pendant
a publié en 1830 un opuscule intitulé : Nouvelle conjecture sur l'emplace-
ment du champ de bataille où César de'ût l'armée des JVerviens. Nous n'avons
pas lu cette dissertation.
(1) Hoc prœlio facto etprope ad internicionem, ge^te ac nomme Nervîorum.
redacto, majores natu quos unà cum pueris mulierihusque in œstuaria et
paludes collectas dixeramus, hâc pugnâ nunciafâ, quum victorihus nihil im-
peditum, victis nihil tutum arbitrarenturf omnium qui supererant consensu ^
legatos ad Cœsarem miserunt, seqae ei dediderunt, et in commemorandâ civita-
tis calamitate, ex DC ad III senatores, ex hominum miUibus LX vix adD qui
arma ferre passent, sese redactos, esse dixerunt [Cxs.^ I. II, c. 28). — Nous ne
croyons pas, commeM. Raepsaet, qu'à l'exception de 500 hommes, toute l'ar-
mée des Nerviens avait été passée au fil de l'épée ; les termes dont se sert
César nous paraissent seulement désigner que tous les Nerviens avaient été
mis hors de comhat, hormis cinq cents. D'ailleurs, lorsque dans la relation
d'une bataille nous lisons que l'une ou l'autre armée a perdu tel nombre
d'hommes , on y comprend toujours non-seulement les morts , mais aussi les
blessés (et souvent les prisonniers) , qui ardinairement sont trois fois plus
nombreux que les premiers.
Après avoir interprété d'une manière aussi arbitraire le passag"e précité
de César, M. Raepsaet, supposant que par l'extermination des Nerviens. leur
pays avait été réduit en désert, conjecture que César le repeupla en y fixant
les Soissonais, les Amiénois, les Atrebates et les Vermandois, qui, suivant
M. Raepsaet. auraient combattu avec les Nerviens; et de ces peuples celtes
succédant à un peuple germain , serait provenue la langue walonne qu'on
parle dans une partie du territoire occupé anciennement par les Ner-
viens. Cet auteur est tombé ici dans plus d'une erreur. D'abord, il n'est
question nulle part dans les commentaires de César d'un repeuplement du
pays des Nerviens par des colonies gauloises; au contraire, cet auteur dit
formellement qu'après la défaite des Nerviens , il pardonna au reste de la
nation et qu'il lui conserva la possession intégrale de son territoire : Dili-
gentissimè eos conservavit , suisque finihus et oppidis utijussit, et fnitimis
imperavit ut ab injuria abstinerent et malefciis se suosque prohibèrent.
(Cses., Loc. cit.). Voilà la raison pour laquelle on voit les Nerviens reparaître
dans les campagnes suivantes de César, quoique fort affaiblis par leur pre-
mière défaite. En second lieu , M. Raepsaet a été induit en erreur par l'abré-
viateur de Tite-Live, lorsqu'il dit que les Soissonais et les Amiénois com-
-> 373 —
quinze jours des actions de grâce seraient adressées aux
dieux pour ce triomphe, chose inusitée jusqu'alors dans
des cas semblables (1).
battirent avec les Nerviens à la bataille livrée par ce peuple h César. Il n'y
eut, comme il a été dit plus haut, que les Atrebates et les Vermandois qui
se trouvèrent à cette action , et les armées de ces peuples déjà assez faibles
par elles-mêmes, et qui souffrirent autant que les Nerviens dans la bataille
livrée près de la Sambre, étaient tout-a-fait insuffisantes pour repeupler le
vaste territoire des Nerviens. D'ailleurs, César ne devait-il pas sentir qu'en
transférant ces peuplades sur le territoire nervien, il allait dépeupler leur
propre pays.
D'un autre côté , en supposant que l'armée entière des Nerviens fut anéan-
tie par César, le peuple nervien était encore loin de l'être par cette cata-
strophe; il n'aurait perdu tout au plus que le quart de sa population, le
nombre des enfans , des femmes et des vieillards , devant s'élever encore à
plus de 150,000 âmes. M. Raepsaet est obligé lui-même d'admettre ce fait,
et de contredire par là ce qu'il avait avancé précédemment; mais il de-
mande comment cette débile multitude, abandonnée a elle-même, eut pu
pourvoir à sa subsistance et à sa sûreté. L'auteur ne paraît pas se rappeler
ici les paroles de César et de Tacite qui disent que parmi les Germains et
tous les peuples barbares, les femmes et les personnes mâles hors d'état de
porter les armes étaient seules chargées des travaux ruraux et de fournir
aux besoins des guerriers. Quant a l'autre argument de M. Raepsaet, qu'en
abandonnant les restes du peuple nervien à leur propre défense, César les
mettait à la merci des peuples limitrophes, il ne nous paraît guère plus
solide; car les Nerviens ne devaient-ils pas trouver une protection et des
défenseurs dans les armées romaines lorsque les Gaules auraient été entière-
ment conquises par les Romains. En un mot, aucun document ancien ne
nous apprend et rien ne prouve qu'après la défaite des Nerviens , leur pays
ait été repeuplé par des colonies gauloises. Loin d'avoir contracté des al-
liances avec des familles gauloises, les Nerviens étaient fiers de leur origine
germanique et conservaient encore du temps de Tacite cette vieille haine
de nation a nation qui existait entre le Germain et le Celte. (Voir notre
dissertation 'intitulée: Ré futatio7i de l'opinion de M. Raepsaet, qui attribue
au repeuplement du pays des Ehurons , des Nerviens et des Atuatiques par
des Ambianois et des Vermandois , l'origine de la langue walonne , dans les
Archives hist. de M. Reiffenberg, t. 5, p. 276, et les Mémoires de MM. Meyer
et Raoux sur l'origine de la langue walonne dans les Nouveaux Mémoires de
l'Acad. de Bruxelles).
(l) Plutarch., Fita Cœs.
— 374 ~
A la nouvelle de la sanglante défaite des Nerviens , les
Atualiques qui marchaient au secours de ce peuple ,
retournèrent dans leur pays , et se réfugièrent avec
leurs familles et leurs effets dans celui de leurs op-
pida qui était le mieux fortifié par l'art et par la na-
ture. César vint les y assiéger. Il commença par entou-
rer ce fort , bâti siu* des rochers escarpés, d'un rempart de
douze pieds de hauteur et de quinze mille pieds de circuit.
Il fit ensuite construire des tours et des béliers pour atta-
quer la place de vive force. Lorsque tout fut prêt pour
l'assaut , les barbares , frappés de terreur à la vue de cet
appareil de guerre qui leur était entièrement inconnu , de-
mandèrent à capituler. Ils se reconnurent sujets du peuple
romain, demandant pour toute grâce qu'on leur laissât
leurs armes, afin de pouvoir repousser les attaques des peu-
ples ennemis dont ils étaient partout entourés , surtout
les Eburons, qui n'attendaient que le moment propice
pour s'affranchir du tribut qu'ils leur avaient imposé.
César consentit à pardonner aux Atuatiques, mais il ne leur
permit pas de garder leurs armes. Feignant d'obéir a cet
ordre , ils en déposèrent une partie et cachèrent le reste
avec soin.
La nuit venue , ils s'armèrent de nouveau , sortirent en
silence de leur oppidum et tentèrent de surprendre le
camp romain. Mais César qui soupçonnait leur dessein ,
avait placé aux abords du camp des sentinelles avec ordre
de sonner l'alarme a la moindre démonstration de l'ennemi.
Les assaillans qui croyaient de leur côté trouver ensevelis
dans le sommeil les Romains fatigués des travaux de la
veille , se virent trompés dans leur attente. Au premier
signal , toute l'armée de César se trouva sur pied ; elle sou-
tint vigoureusement l'assaut des ennemis, qui, après avoir
perdu plus de quatre mille hommes , furent obligés de
-^ 375 —
se retirer dans leur fort. Le lendemain César en fit enfoncer
les portes , sans que les Atuatiques osassent lui opposer
la moindre re'sistance , et pour les punir de leur perfidie il
les réduisit tous en esclavage et les fit vendre a lencan^tant
les guerriers que les vieillards , les femmes et les enfans,
au nombre de 53,000 (1).
Cësar libéra alors les Eburons du tribut qu ils étaient
obliges de payer annuellement aux Atuatiques (2). Ce
peuple n'y gagna rien ; car en cessant d'être les vas-
saux des Atuatiques , les Eburons subirent le joug des
llomains.
Les 57,000 Atuatiques qui périrent ou furent réduits en
esclavage par les Romains ne formaient point la totalité
de la population atuatique , comme le prétendent a tort la
plupart des historiens modernes, puisque d'après le tableau
de la population belge donné par César, les Atuatiques
pouvaient mettre sur pied 19,000 hommes, ce qui pris
pour le quart de la population totale, porterait cette der-
nière à 76,000 âmes. Il restait donc encore 19,000 Atuati-
ques, de tout âge et de tout sexe, après les 57,000 exterminés
ou vendus a l'encan par César. Ce sont ceux là qui prirent
(1) Les auteurs modernes ne s'accordent point sur la position de Yoppidum
où les Atuatiques se retirèrent après la défaite des Nerviens. Le P. de Marne
et l'auteur anonyme du mémoire sur les campagnes de César, le fixent près
de Tongres , confondant cet ojjpidum avec le castra Atuatuca dont il sera
question plus loin. M. Roulez dans une note stir ce dernier mémoire le place
aux environs de Montaigu et Banville au village de Fallaix sur la Mehagne.
La conjecture la plus heureuse nous paraît être celle de Desroclies et
deDewez, qui assignent pour position à Voppidum en question, la montagne
d Hastedon près de Namur où Ton a trouvé quantité d'armes anciennes et un
tombeau romain. Cet emplacement est parfaitement conforme h celui de Vop-
pidum des Atuatiques, tel que l'a dépeint César. ( Voir César, 1. II, c. 29.
Dewez, Mém. prcc. Desroclies, Ilist. anc. des Pays-Bas Autrich., p. 142).
(2) Ca3s., 1. V.
— 376 —
part clans la suite à la révolte des Eburons contre les
Romains, et non pas de prétendus colons gaulois , par les-
quels, suivant l'opinion de MM. Raepsaet et Dewez, César
aurait repeuplé le pays des Atuatiques et celui des Ner-
viens (1).
La conquête du pays des Nerviens et des Atuatiques fut
le principal fait d'armes qui signala la première campagne
de César en Belgique et sa seconde campagne dans les
Gaules. Le bruit de ces exploits jeta l'épouvante jusque
parmi les peuples de la grande Germanie et plusieurs peu-
ples des Gaules que les armes romaines n'avaient point
encore atteints, s'empressèrent d'envoyer des députations
à César, pour lui faire leur soumission et implorer son
amitié. De ce nombre furent, sans doute, les Eburons et les
petites peuplades voisines ; car il n'est nulle part question
dans les commentaires de César , d'une première conquête
a main armée du pays des Eburons ; et dans la quatrième
campagne de César, on voit apparaître pour la première
fois les Eburons, et comme un peuple en révolte contre les
Romains; par conséquent ils devaient déjà avoir été soumis
antérieurement (2).
La première campagne de César en Belgique étant ter-
(1) Voir Desroches, p. 306.
(2) Comme les Tréviriens ne figurent point dans le tableau des peuples qui
formèrent la ligue belge, et parce que César ne nous apprend nulle part qu'il ait
conquis de vive force le territoire de ce peuple, Desroches conclut avec assez
de raison qu'ils contractèrent alliance avec les Romains avant que César n'eut
entamé le territoire belge. César nous apprend en effet dans le premier livre
de ses commentaires, que les Tréviriens lui envoyèrent des députés pour im-
plorer son secours contre les Suèves qui avaient envahi leur territoire (Caes.,
1. I, c. 37) ; et nous lisons que dans la bataille qu'il livra aux Nerviens , la
cavalerie trévirienne servit en qualité de troupe auxiliaire dans l'armée
romaine... Equités Treviri, quorum infer Gaîlos virtuiis opinio est singu-
laris, qui auxilii caussa ab civilafe missi , ad cœsarem renerant, etc. (Cœs.,
1. II, c. 24). — Voir Desroches, p. 270.
— 377 —
minée , il mit ses légions en quartiers d'hiver dans le pays
Charlrain, TAnjou et la Touraine, contrées voisines de
celles qui venaient d être le théâtre delà guerre, afin qu'en
cas de soulèvement des peuples nouvellement domptés,
elles pussent réprimer aussitôt la sédition. Après avoir
pris ces mesures, César repassa les Alpes et se rendit à
Rome,
La tranquillité des Gaules fut de courte durée. A peine
César eut-il abordé la ville de Rome , qu'il reçut la nou-
velle du soulèvement général de tous les peuples maritimes
entre la Seine et la Loire , peuples que Crassus à la tête
d'une seule légion avait soumis Tannée précédente , tant
était grande alors la terreur qu'inspirait le nom de César,
Celui-ci se hâta de repasser les Alpes et après avoir fait
équiper une flotte considérable dont il donna le commande-
ment a Decimus Brut us, il marcha contre les Venetes qui se
trouvaient à la tête de la nouvelle ligue. D. Brutus ayant en-
tièrement défait et détruit leur flotte , composée de 220 voi-
les et supérieure de beaucoup en forces à celle des Romains ,
les Yenetes furent obligés de se rendre a discrétion.
César se montra inexorable ; voulant intimider par un
acte de sévérité les autres peuples qui faisaient partie
de la nouvelle ligue formée contre lui , il condamna au
supplice tous les sénateurs (ou chefs) des Venetes et rédui-
sit le peuple entier en esclavage. Ce moyen paraît avoir
rempli le but qu'en attendait le général romain ; car tous
les peuples armoricains, après une courte résistance, mi-
rent bas les armes et subirent de nouveau le joug qu'ils
venaient de secouer. Il n'y eut que les Morins et les Ména-
piens , les seuls parmi tous les peuples des Gaules qui jus-
qu'alors n'eussent point envoyé des délégués a César pour
demander son amitié et se mettre sous sa protection, ou,
en d'autres termes , pour se déclarer les sujets du peu-
— 378 —
pie romain (1); il n'y eut, disons nous, que les Moiins et
les Me'napiensqui, lorsque la confédération armoricaine fut
entièrement dissoute , osèrent se maintenir en état d'hos-
tilité contre César. Irrité de voir tant d'audace chez deux
peuplades aussi faibles quand les peuples les plus puissans
de la Gaule avaient reconnu la suprématie romaine ,
César ne voulut point terminer cette campagne sans avoir
puni les Morins et lesMénapiens de ce qu'il devait regarder
comme une folle et arrogante présomption. Cependant le
vainqueur de tant de peuples puissans échoua devant les
obstacles de la nature et la ruse d'une des peuplades les
moins puissantes de la Belgique.
Les Ménapiens et les Morins, instruits par la défaite des
Nerviens , et voyant combien l'armée romaine , grâce à la
tactique militaire , avait de l'avantage dans une bataille
rangée sur des ennemis plus nombreux mais indisciplinés,
se retirèrent avec leurs familles et leurs troupeaux dans les
îles formées sur leur territoire par les dëbordemens de la
mer, dans les marais et les forêts dont leur pays était cou-
vert de toutes parts. César tenta en vain de les y atteindre ;
après avoir employé son armée pendant plusieurs jours à
se frayer une route a travers ces lieux impraticables , il se
vit contraint par de nouveaux obstacles de renoncer à
cette expédition dont le résultat fut l'incendie et la dévas-
tation de quelques pauvres villages et dans laquelle , s'il
faut en croire Dion Cassius , il essuya de la part des enne-
mis plus de dommage qu'il ne put leur en causer (2).
(1) Omni Galliâ paccatâ, Morini Mcnapiique supererant giii in armis
essent, neque ad eum (Gaesarem) umquam legatos de pace misissent. (Cres,,
1. III, c. 28).
(2) Nam illi, quia non in urbibus sed in tnguriis habitabant , rébus suis
pvetiosissimis in densissimas silvas collaiis ^ plus damni invadentibus Roma-
nis intulere qimm ab iis accepere (I)io. Cass., Hist. Rom., 1. XXXIX, c. 44).
-^ 379 -
Après cette expédition qui termina la seconde campagne
de Ce'sar en Belgique , ce dernier avait mis ses troupes en
quartiers d'hiver dans les contrées les plus voisines de celles
où il venait de porter la guerre. A peine ses troupes com-
mençaient-elles a se reposer des rudes travaux cju'elles
venaient de supporter, c[ue Cësar apprend soudain que les
Tenchtres et les Usipètes , chassés de leur patrie par les
Suèves , viennent de passer le Rhin au nombre de 420,000
(y compris sans doute les personnes de tout âge et de tout
sexe), qu après avoir expulsé les Ménapiens du territoire
que ce peuple occupait sur les deux rives du Rhin, ils sont
parvenus jusqu'aux frontières des Eburons et des Condru-
siens. 11 rassembla aussitôt toutes ses forces et marcha
à la rencontre de Fennemi. Après quelcjues négociations
infructueuses , que les Tenchtres et les Usipètes entamè-
rent avec le général romain , ce dernier leur livre bataille,
et remporte une victoire complète. L'armée des Germains
fut presque entièrement exterminée , ceux qui purent
échapper à la mort par la fuite , gagnèrent la rive droite
du Rhin. Une partie de la cavalerie des Tenchtres et des
Usipètes qui n'avait point pris part au combat, parce qu'au
moment de l'action elle était occupée au pillage du terri-
toire des Ambivarites , ayant appris la défaite des siens, se
hâta également de repasser le Rhin et trouva un asile au-
près des Sicambres , qui lui cédèrent l'angle de terre formé
par rissel et le Rhin.
Plusieurs motifs engagèrent César a passer lui-même le
Rhin et a faire une irruption dans la Germanie pour punir
les Sicambres qui avaient recueilli les ennemis des Ro-
mains , pour secourir contre les Suèves, les Ubiens , peuple
germain, habitant alors la contrée correspondant en partie
au duché de Berg actuel , et nouveaux alliés des Romains,
et enfin pour prouver aux Germains cpie le fleuve qui scr-
— 380 —
vait de limitesentre les Gaules et la Germanie, n'était point
un obstacle qui put arrêter les armées de la république ,
et que si désormais les hordes germaniques renouvelaient
encore leurs invasions dans une contrée que ses armes vic-
torieuses venaient de soumettre a la domination romaine,
il ne se contenterait plus de les rejeter au delà du Rhin ,
mais qu'il viendrait les poursuivre jusque sur leur propre
territoire. Mais la raison la plus puissante qui fit entre-
prendre cette expédition a l'ambitieux conquérant, fut pro-
bablement la gloire d'avoir le premier de tous les généraux
romains planté les étendards de la république dans une
contrée oii jamais Romain n'avait pénétré et d'où étaient
sorties un demi siècle auparavant, ces hordes formidables de
Cimbres et de Teutons dont le souvenir faisait encore trem-
bler l'Italie. Il passa donc le Rhin, à la tète de son armée ,
sur un pont qu'il fit bâtir entre Andernach et Bonn. Il
marcha d'abord contre les Sicambres; mais ce peuple
instruit de son projet, avait, à la persuasion des Tench-
tres et des Usipètes auxquels il venait de donner asile ,
abandonné ses foyers, et s'était retiré, avec tout ce
qu'il put emporter, dans les bois et les lieux inaccessibles.
César sachant, par le résultat infructueux de son expédition
récente contre les Ménapiens , combien il aurait d'obstacles
à vaincre pour les y atteindre , et combien même il y avait
du danger à le tenter dans un pays inconnu et oii il était
partout entouré de populations ennemies, se contenta de
briller les moissons et les chaumières désertes des Sicam-
bres ; après quoi il se rendit dans le pays des Ubiens , dans
le but de secourir ce peuple contre les Suèves , ainsi qu'il
a été dit plus haut.
Mais lorsqu'il connut les vastes moyens de défense que
les Suèves avaient organisés pour lui résister, il renonça
bien vite à ce projet , et ne songeant plus qu'à sa propre
— 381 -
sûreté, il repassa le Rhin le dix-huilième jour de son expé-
dition contre les Germains.
Le peu de succès qu'il avait eu dans cette entreprise, ne
Tempécha pas de former le projet d'une autre conquête non
moins difficile , celle de la Grande-Bretagne, dont les liabi-
tans s'étaient montrés hostiles aux Romains en fournissant
de nombreux secours aux Gaulois dans les campagnes pré-
cédentes. Mais préalablement il résolut de tenter de nou-
veau la conquête du pays des Morins ( le département du
Pas-de-Calais ) , parce que de la le trajet pour la Grande-
Bretagne était le moins long et le moins difficile.
Cette fois il fut plus heureux que dans sa première cam-
pagne contre ce peuple. S'il faut en croire César lui-même,
ceux des Morins c[ui habitaient le territoire de la ville actuelle
de Boulogne , dès qu'ils furent instruits de son dessein, n'at-
tendirent pas même qu'il eut commencé les hostilités pour
faire leur soumission ; mais il n'en fut pas de même des
Ménapiens et des Morins qui habitaient dans des lieux plus
écartés , plus couverts et oii il était moins facile de les at-
teindre ; ils confièrent de nouveau leur défense à leurs forêts
et à leurs marais. César chargea Q. Titurius Sabinus et
L. Aurunculeius Cotta de les réduire , et sans attendre
l'issue de cette expédition , il embarqua ses troupes sur la
flotte qu'il avait équipée dans le pays des Atrebates et partit
du port d'Ictius (Boulogne) pour la conquête de la Grande-
Bretagne.
Le cadre de cet ouvrage nous défend d'entrer dans des
détails sur cette expédition. Au reste elle n'eut pas un ré-
sultat plus satisfaisant que celle que César venait d'entre-
prendre dans la Germanie. Son armée qui n'était composée
que de deux légions et de quelques troupes auxiliaires, four-
nies principalement par les Atrebates , étant trop peu
nombreuse pour se rendre maître d'un pays aussi vaste
>- 382 —
que la Grande-Bretagne, la campagne de César dans cette
lie se borna à quelques combats livrés contre les peuples
qui habitaient la côte la plus voisine des Gaules , combats
dans lesquels la discipline de l'armée romaine l'emporta
encore sur la valeur impétueuse et désordonnée des bar-
bares. L'approche de Thiver l'obligea à mettre fin à ces
escarmouches inutiles et sans but , et content d'avoir le
premier des Romains fait triompher les armées de la ré-
publique dans une partie du globe que les Grecs et les
Romains regardaient alors comme un autre hémisphère
et une quatrième partie du monde connu , il rembarqua
son armée et rentra au port d'Ictius.
Deux vaisseaux de transport qui avaient à bord 300 sol-
dats romains , s'étant écartés de la flotte pendant l'obscu-
rité de la nuit , abordèrent à quelques lieues plus bas que
le port d'Ictius. A peine les soldats eurent-ils mis pied à
terre , qu'ils se virent soudain assaillis et enveloppés par
un corps nombreux de Morins, quoiqu'ils se trouvassent
dans le canton qui s'était naguère soumis a César. Quelque
inférieures que fussent leurs forces a celles de l'ennemi ,
ils ne laissèrent pas de lui résister pendant plus de quatre
heures. Pendant ce temps, César instruit par leurs émis-
saires du danger qu'ils couraient , envoya a leur secours
toute sa cavalerie qui, tombant à l'improviste sur les Mo-
rins , les mit en fuite et en tua un grand nombre.
Le lendemain César envoya Labienuis a la tête de deux
légions pour ravager le territoire des rebelles et les obliger
à mettre bas les armes. Non-seulement ce général exé-
cuta avec succès cet ordre , mais , comme les chaleurs de
leté avaient desséché les vastes marais qui avaient servi
de refuge a une partie des Morins dans la dernière cam-
pagne de César, il pénétra jusqu'à l'extrémité de leur
territoire , et força prescjue tous ceux qui avaient ré-
— 383 —
sisté jusqu'alors, a reconnaître la suprématie romaine (1).
L'expédition de Q. Titurius et de L. Cotta contre les
Me'napiens eut un résultat moins décisif : elle se borna à
l'incendie de leurs villages et de leurs moissons ; la profon-
deur des bois déroba encore une fois les Me'napiens eux-
mêmes à la poursuite de leurs ennemis (2). Chose étrange ,
la peuplade la moins nombreuse de la Belgique fut celle
qui opposa la résistance la plus énergique et la plus heu-
reuse a l'ambition d'un peuple qui ne prétendait à rien
moins qu'à la conquête du monde entier.
L'expédition de Titurius et de Cotta termina la qua-
trième campagne de César dans les Gaules. Après avoir
mis ses troupes encjuartiers d'hiver dans difFérens endroits
de la Belgique où il croyait leur présence le plus néces-
saire, César, suivant sa coutume, partit pour l'Italie. Il
resta peu de jours a Rome et se rendit dans son gouverne-
ment d'Illyrie. Après y avoir réglé l'administration civile
et militaire, il repassa les Alpes avant la fin de l'hiver
pour inspecter la flotte qu'il y avait fait éc[uiper dans le
dessein d'entreprendre une nouvelle campagne contre la
Grande-Bretagne. Le port d'Ictius avait été désigné pour
le rassemblement de cette flotte. A son arrivée , César y
trouva 600 vaisseaux de transport et 28 galères.
Cependant avant de tenter de nouveau la conquête de
la Grande-Bretagne , il crut devoir calmer par sa présence
l'esprit de sédition qui se manifestait chez les Tréviriens.
Ce peuple était alors divisé en deux lactions et commandé
(1) (^ui (Morini), quum propter sicciiates paludum, quo se reciperent non
haherenl [quo perfugio superiore anno f aérant usi) , omnes ferè in potesia-
tem Labieni i>enerunf. (Cses. , 1. IV, c. 28).
(2) Af Q. Titurius et L. Cotta leaati, qui in Menapiorum fines legiones
duxerant, omnibus eorum agris vasiatis, frumentis succisis, osdificiis incen-
sis , quod Menapii se omnes in densissimas silvas abdiderant, se ad Cœsa-
rem receperunt. (Caes., I.oc. cit.).
— 384 —
par deux chefs, Cingetorix, partisan des Romains, et Indu-
ciomare qui brûlait d'affranchir sa patrie de la domination
étrangère. Il s'était me'nage' des intelligences chez les Ger-
mains et les peuples voisins , il avait rassemblé des troupes
et il allait lever l'étendard de la révolte , lorsque César ,
instruit de son complot par Cingetorix , se présenta sur les
frontières des Tréviriens, et par cette brusque apparition,
obligea Induciomare a remettre rexéculion de son projet
à une occasion plus opportune. Ce dernier se rendit au
camp de César, protesta de son innocence et de son dévoue-
ment. César feignant de croire a la sincérité de ses paroles,
ne voulut toutefois s'éloigner que lorsque le trévirien lui
eut livré deux cents otages parmi lesquels se trouvaient
son fils et ses plus proches parens.
S'étant de cette manière assuré la soumission des Tré-
viriens , César retourna au port Ictius où la défection de
Dumnorix , chef des Éduens, l'obligea encore a retarder de
quelques jours son expédition contre la Grande-Bretagne.
Le rebelle puni , et aucun obstacle n'arrêtant plus le dé-
part de la flotte, il s'embarqua avec cinq légions et deux
mille chevaux. Il laissa sur le continent Labienus avec
trois légions et deux mille chevaux pour garder le port
d'Ictius , rassembler les vivres dans les quartiers d'hiver
qu'il destinait à ses troupes a leur retour de l'expédition ,
observer et contenir les peuples nouvellement domptés.
Quoique César entreprît cette seconde campagne contre
les peuples de la Grande-Bretagne avec des forces triples
de celles dont il se servit dans la première , il n'obtint
point des succès plus décisifs , et après quelques combats
livrés aux peuplades de la côte , l'approche de l'hiver l'obli-
gea a retourner de nouveau sur le continent.
Ayant ainsi terminé sa cinquième campagne dans les
Gaules , César répartit ses légions de la manière suivante :
— 385 —
une légion commandée par C. Fabius fui place'e dans le
pays des Morins , au port d'Ictius sans doute ; une autre
le'gion commandée par Q. Cicëron, campa sur le territoire
des Ner^iens ; la troisième , sous le commandement de
L. Roscius, fut établie dans le pays des Essuens, peuplade
inconnue et voisine de TArmorique; Labienus qui était à la
tête de la quatrième légion , prit position dans le pays des
Remois, aux confins de celui desTréviriens. Trois légions
occupèrent la contrée connue sous le nom de Beïgiiim^ qu il
ne faut pas confondre avec la Belgique , dont elle faisait
partie (1). Enfin une légion et cinq cohortes, commandées
par Q. Titurius Sabinus et L. Aurunculeius Cotta, furent
placées dans le pays des Eburons. Toute Farmée romaine
se trouva ainsi concentrée de manière à ne laisser qu'une dis-
lance de cent milles (33 lieues) d'un camp a l'autre. Quoi-
que César crut ces mesures suffisantes pour ôter aux Belges
tout moyen de soulèvement ou du moins pour réprimer
promptement toute tentative de révolte , il ne jugea pas
prudent toutefois de sortir des Gaules et même de s'éloigner
beaucoup des peuples dont la rébellion récente prouvait
qu'ils étaient plutôt vaincus que soumis. Il fixa donc son
séjouràSamarobriva,bourgadeetchef-lieudesAmienois(2).
Toutes ces mesures n'avaient point été prises en vain.
(1) Le Belgîum renfermait les diocèses actuels deBeauvais, d'Amiens et
d'Arras, et probablement aussi une partie de lIle-de-France et de la Nor-
mandie a droite de la Seine (Voir Raoux, Disserl. hist. sur l'origine du
nom des Belges. Nouv. Mém. de lAcad. de Brux., t. 3, p. 413. De Fortia,
d Urban , Tableau historique et geogr. du monde , tom. 4, p. 273).
(2) Dans l'Itinéraire d'Antonin , Samarobriva est la même que la ville
d'Amiens. L'auteur anonyme] du mémoire précité sur les campagnes de
César, soutient néanmoins que Samarobriva est la ville de Cambrai , parce
que Ptolémée ne connaît que Samarobriva et passe sous silence la ville de
Camaracum. Cependant la carte de Peutinger distingue parfaitement Sama-
robriva de Camaracum. L'auteur du mémoire sur les campagnes de César,
ne veut point reconnaître cetle distinction et accuse la table de Peutinger
Tome L 25
— 386 —
Déjà pendant la dernière expédition de César contre la
Grande-Bretagne, Induciomare , qui, malgré ses pro-
testations de dévouement et les otages qu il avait livrés
comme garants de sa conduite , brûlait toujours du désir
d'afFranchir sa patrie de la domination étrangère , n'avait
cessé d'exciter en secret ses compatriotes et les peuples
voisins à le seconder dans sa glorieuse entreprise. En-
flammés par ses discours, les Tréviriens jurèrent de renon-
cer à jamais à Falliance qu'ils avaient été des premiers à
contracter avec César, et de ne remettre l'épée dans le four-
reau que lorsqu'ils auraient purgé leur territoire de la
présence des étrangers. Cette conspiration s'était tramée
dans l'ombre et César ne paraît en avoir eu aucune connais-
sance après son retour de la Grande-Bretagne. Sa présence
en arrêta l'explosion ; mais dès qu'à l'approche de l'hiver il
se fut éloigné des frontières de la Belgique, Induciomare
se pressa de mettre son projet à exécution. Néanmoins ce
ne furent pas les Tréviriens qui prirent l'initiative, mais
les Eburons qu'Induciomare avait gagnés à son parti.
Ambiorix et Cativulcus rois des Eburons , après avoir
reçu Sabinus et Cotta aux frontières de leur territoire, les
avaient conduits à un endroit nommé Atuatuca (1), que ces
généraux avaient choisi pour établir leurs quartiers d'hiver,
d'erreur, sans appuyer cette assertion d'aucune preuve plausible. Ce qui
prouve l'erreur où est tombé lui-même l'auteur du mémoire sur les cam-
pagnes de César, c'est que tous les anciens conviennent de placer Samaro-
hriva dans le pays des Amiénois et Cameracum dans celui des Nerviens. Si
Ptolémée n'a point mentionné cette dernière ville, c'est qu'elle n'était en-
core de son temps qu'un lieu fort obscur, qui ne s'éleva à la dignité de
chef-lieu des Nerviens qu'après la destruction de Bagacum (Bavai), la capi-
tale de ce peuple a l'époque où écrivait ce géographe.
Voir De C Samarobriva ou examen d'une question de géographie an-
cienne, Amiens 1832.
(î) Nous examinerons dans le chapitre X, quelle était la position de ce
lieu.
- 387 —
et , obéissant ponctuellement à Tordre de César, ils avaient
pourvu ce lieu des vivres nécessaires a la subsistance de la
garnison. Rien donc ne donnait lieu aux Romains de con-
cevoir des soupçons sur la conduite des Eburons. Cepen-
dant il y avait à peine quinze jours que les légions étaient
dans leurs quartiers d'hiver , lorsque tout a coup les Ebu-
rons jettent le masque et, conduits par Ambiorix, viennent
assaillir et tentent de surprendre a Timproviste le camp de
Cotta et de Sabinus. Toutefois le camp romain était trop
bien gardé et les Eburons trop ignorans dans la tactique
militaire , pour c]u ils pussent emporter de vive force une
place fortifiée selon les règles de Fart. Ayant donc éclioué
dans cette tentative, Ambiorix tâcha d'atteindre son but par
la ruse. Dans une entrevue qu'il eut avec deux officiers ro-
mains que Sabinus et Cotta lui avaient envoyés sur sa de-
mande, il feignit de n'avoir, en venant attaquer les Romains,
obéi qu'à regret à la volonté de ses concitoyens qui eux-
mêmes ne suivaient cjue l'impulsion de leurs confédérés ; il
dit que les Eburons avaient été forcés d'entrer dans la cons-
piration, tramée par tous les peuples de la Gaule, cjui avaient
résolu de secouer le joug des Romains, en attaquant tous
leurs camps a la fois; cju'une puissante armée de Germains
venait de passer le Rhin et devait seconder le projet des
Gaulois; que la reconnaissance que lui Ambiorix devait à
César, pour avoir affranchi les Eburons du tribut qu'ils
payaient annuellement aux Aquatiques , et pour lui avoir
rendu son fils que ces derniers tenaient en otage , lui
faisait un devoir d'avertir Sabinus et Cotta du danger
imminent où ils se trouvaient et de sauver les Romains
campés sur le territoire des Eburons; cjue le seul moyen
de salut c[ui leur restait était d'abandonner prompte-
ment leur camp et de réunir sans délai leurs forces à
celles des autres garnisons romaines dispersées dans les
— 388 —
Gaules; que le camp de Cicëron n'étant qua cinquante
milles de distance du leur , c'était la quils devaient diriger
leur marche ; que les Eburons non-seulement les laisseraient
passer librement a travers leur territoire , mais qu'ils leur
procureraient encore tous les secours possibles.
Ces paroles ayant été rapportées aux deux généraux ro-
mains , ils assemblèrent aussitôt un conseil de guerre pour
examiner quelle serait la conduite a tenir dans des circon-
stances aussi graves. Cotta fut d'avis d'instruire César de
la position critique où se trouvaient les troupes commandées
par lui et par Sabinus, et, en attendant ses ordres, de ne point
abandonner le camp et de s'y tenir sur la défensive. Sabi-
nus au contraire, croyant a la sincérité des promesses
d'Ambiorix , opina de suivre les conseils que ce roi venait
de donner aux délégués romains, qui s'étaient abouchés
avec lui. La délibération dura jusqu'à minuit; à la fin l'avis
de Sabinus prévalut , non sans avoir éprouvé une très-forte
opposition. Il fut donc résolu que le lendemain, à la pointe
du jour, tout le monde se trouverait sur pied et se mettrait
en marche.
Cependant les Eburons, instruits de cette résolution,
s'étaient mis en embuscade dans un défilé couvert de bois ,
par lequel les Romains devaient nécessairement passer pour
se rendre au camp de Q. Cicéron. Parvenus à deux milles
pas du camp d'Atuatuca , Sabinus et Cotta furent attaqués
soudain. L'avant- garde, commandée par Sabinus , après
une courte résistance , eut la lâcheté de s'avouer vaincue et
de demander quartier a un ennemi dont elle ne reconnais-
sait maintenant que trop la perfidie. Les Eburons promi-
rent de lui laisser la vie sauve , lorsqu'il aurait déposé les
armes; mais à peine les Romains furent-ils désarmés , que ,
tombant sur eux, ils les massacrent jusqu'au dernier. Sabinus
expira lui-même sous les coups des ennemis. L'arrière garde,
- 389 -
conduite par Cotta , se défendit avec plus de courage ; mais
après avoir combattu vaillamment pendant plus de huit
heures , elle succomba également et fut taillée en pièces.
Cotta subit le sort de Sabinus. Ceux cjui échappèrent au
massacre , regagnèrent le camp d'Atuatuca. Ils y furent de
nouveau attaqués , et ne voyant aucun moyen de salut , ils
se donnèrent mutuellement la mort. Quelques-uns qui
étaient parvenus à se cacher dans les bois, portèrent au
camp de Labienus la triste nouvelle de ce désastre.
Enorgueilli par cette victoire , qui coûta la vie a 7000
Romains, Ambiorix à la tête de sa cavalerie suivie de
l'infanterie , pénètre sur le territoire des Atuatiques et des
Nerviens, soulève ces peuples , expédie des émissaires pour
exciter à la révolte les Centrons , les Grudiens , les Leva-
ciens, les Pleumosiens et les Gorduniens, et ayant grossi son
armée des renforts que lui fournirent ces peuples , il vint
attaquer le camp de Cicéron , avant que la nouvelle de la
défaite de Sabinus et de Cotta n'y eut transpirée (1). Sur-
pris a l'improviste , Cicéron fut sur le point de succomber
à Tassant que lui livrèrent les Belges au moment même
qu'ils s'approchèrent de son camp. Son habilité et son sang-
froid , finirent cependant par triompher de tous les efiforts
que tentèrent les ennemis et le préservèrent du sort funeste
(1) Les auteurs modernes ne sont point d'accord sur la position du camp
de Cicéron • Schriekius le place à Veltsig ou Velsig, entre Gand, Alost et
Audenaerde ; Wendelin à AVaudrez entre Mous et Binche; Cousin a Tour-
nai ; De Bast à Tervueren : Desroches à Assche ; l'auteur du mémoire sur les
campagnes de César a Castres, village entre Bruxelles et Enghien, au nord-
ouest de Hal ; enfin M. Dewez le fixe a Mons dont l'emplacement portait
encore au 7® siècle le nom de Castrilocns. De toutes ces conjectures la der-
nière nous paraît la plus heureuse. Elle est d'ailleurs appuyée de l'autorité
d'un écrivain du 10^ siècle, l'auteur d'une ancienne légende de Saint-Eloî.
(Voir le mémoire de M. Dewez, Sur les endroits de Vanc. Belgique dont il
est parlé dans César).
~ 3S0 —
que venaient de subir Sabinus et Cotta. Cice'ron employa
]a nuit qui suivit ce combat a ajouter de nouveaux ouvrages
de défense a son camp. Le lendemain les Belges lui livrè-
rent un second assaut, mais n'ayant pas obtenu plus de
succès que la veille , ils demandèrent à entrer en pourpar-
1er avec le gênerai romain. Dans cette entrevue, ils ten-
tèrent de séduire Cicèron , qui s'y était rendu en personne,
par le récit mensonger qui leur avait si bien réussi auprès
de Sabinus et de Cotta ; mais cette ruse échoua devant le
caractère ferme et décidé du général romain. Ils virent
donc qu il ne leur restait d'autre moyen de s'emparer du
camp romain, qu'en l'assiégeant dans les formes. Les guerres
que les Belges avaient soutenues dans les années précédentes
contre les Romains et les prisonniers qu'ils avaient faits en
différentes occasions , les avaient instruits dans la tactique
militaire et leur avaient appris a connaître l'usage des in-
strumens de guerre dont les Romains se servaient aux sièges
des places fortes. Ils commencèrent par renfermer le mur
du camp ennemi d'un rempart de terre de onze pieds de
hauteur , de dix mille pieds de circuit et bordé d'un fossé
de quinze pieds de largeur ; et quoiqu'ils manquassent des
outils nécessaires pour effectuer un ouvrage aussi considé-
rable, jusque la qu'ils furent obligés de creuser la terre
avec leurs épées et de l'enlever avec leurs mains , faute de
pelles et de pioches, ils l'achevèrent en moins de trois heures
de temps. Ils bloquaient ainsi complètement la garnison
romaine , en même temps qu'ils rempêchaient de faire des
sorties. Ils élevèrent ensuite un grand nombre de tours qui
dominaient les retranchemens du camp , et confection-
nèrent des tortues , des béliers et autres machines de
guerre connues à cette époque.
Le septième jour du siège , les Belges profitant d'un vent
qui soufflait avec violence, jetèrent une grande quantité
-- 391 —
de madères enflamme'es dans le camp romain pour incendier
îescliaumières,c]ui servaient d'abri aux soldats. Ces cabanes
construites en matières combustibles, furent promptement
en feu et les flammes se propagèrent dans toute Fë tendue
du camp. Profitant de la consternation et du desordre que
ce désastre mettait parmi les Romains, ils s'approchèrent
des remparts ennemis , firent jouer toutes leurs machines
de guerre et tentèrent l'escalade. Après un combat long et
opiniâtre , tous les efforts des assiëgeans échouèrent encore
une fois devant la bravoure et le sang-froid des Romains.
Cependant Cicëron convaincu c|u avec les faibles forces
qu'il commandait, dëcimëes de jour en jour par les com-
bats , les privations et les travaux, il lui serait impossible
de se soutenir , s'il n'ëtait promptement secouru, envoya
courriers sur courriers a César pour l'informer de la posi-
tion critique où il ëtait rëduit ; mais tous ces envoyés , sur-
pris par l'ennemi , périssaient dans d'affreux supplices a la
vue des Romains. A la fin , un Nervien, nommé Yertuco ,
qui avait passé aux Romains dès le commencement du siège,
parvint à tromper la vigilance des assiëgeans et fit parvenir
à (]ësar les lettres de son lieutenant. Aussitôt César manda
à M. Crassus , à C. Fabius et a Labienus de le joindre avec
toutes leurs forces. Il fit aussi venir des camps les plus voi-
sins, six cents cavaliers. Il laissa a Crassus la garde des
bagages de l'armée , des otages ennemis, des archives et des
vivres cju'il avait réunis à Samarobriva. Labienus instruit
de la défaite de Sabinus et de Cotta , au lieu de se rendre au-
près de César, lui donna connaissance de cette catastrophe,
et lui fit sentir combien il lui serait dangereux d'abandon-
ner la position avantageuse qu'il occupait , lorsque l'ar-
mée des ïrëviriens, enflammée parles succès d'Ambiorix,
ne se trouvait qu'à la distance de trois milles de son camp.
César approuvant la conduite de ce général , se hâta de voler
— 392 —
au secours de Cice'ron, quoiqu'il n'eut que deux légions a
opposer a l'armée belge , forte de plus de 60,000 combat-
tans.
Dès que les Belges furent informés de sa marche , ils le-
vèrent promptement le siège du camp de Cicéron, et allè-
rent se porter avec toutes leurs forces à environ quatre
milles de ce dernier. A la vue de cette multitude de bar-
bares , César sentit combien il y aurait de la témérité a les
combattre en bataille rangée avec le faible corps qu'il com-
mandait. Il jugea donc prudent d'user de stratagème. Il
s'arrêta au haut d'une colline et fit camper ses troupes dans
un espace fort resserré , afin que les ennemis croyant son
armée encore moins nombreuse qu'elle n'était , et s'aban-
donnant a la présomption et à l'orgueil naturels aux bar-
bares, négligeassent de conserver l'excellente position qu'ils
occupaient, et qu'attirés dans le piège qu'il méditait de leur
tendre, il put les vaincre et les tailler en pièces sans exposer
ses propres troupes à essuyer des pertes considérables. Après
s'être entouré de fortsretranchemens, il fit sortir sa cavalerie
avec ordre de lâcher le pied et de s'enfuir vers le camp dès
qu'elle se verrait attaquée par les Belges. Ce stratagème
eut un succès complet. Les Belges après avoir poursuivi la
cavalerie romaine jusqu'aux pieds de ses remparts, voyant
que les troupes renfermées dans le camp , loin de venir au
secours de leurs compagnons , n'osaient elles-mêmes se
montrer au haut de leurs retranchemens, crurent que la
prise du camp de César ne leur coûterait pas plus de peine
que celle du camp de Sabinus et de Cotta. Dans cette pré-
somption, ils firent publier à sonde trompe, que tout Gaulois
et Romain qui se rendrait à eux avant la neuvième heure du
jour (onze heures du matin) , aurait la vie sauve. Ce terme
expiré et aucun transfuge ne s'était présenté, ils se déci-
dèrent a livrer l'assaut : ils travaillèrent a combler les fossés
^ 393 —
du camp et appliquant les échelles aux retrancliemens , ils
tentèrent de s'en rendre maître par escalade. C'est la que
les attendait Cësar. A un signal donné , toutes les portes du
camp s'ouvrent; la cavalerie et l'infanterie romaine fon-
dent sur les assie'geansqui, ne s'attendant pas a cette attaque
soudaine et impe'tueuse, sont saisis d'une terreur panique,
se dispersent et s'enfuient avec précipitation. Les Romains
poursuivent les ennemis l'épée dans les reins et en font un
horrible massacre. Peu d'entr'eux auraient ëchappe's a la
mort , si Cësar , craignant que son armëe ne s'ëgarât et ne
se perdit dans les vastes forets et les marécages de la Belgi-
que , n'eut jugé prudent de donner le signal de la re-
traite (1).
Après avoir remporté cette victoire , César s'empressa
de se rendre au camp de Cicéron. Il vit avec admiration
les travaux des assiégeans et ne put concevoir qu'ils fussent
l'œuvre de peuples barbares, qui , naguère encore, igno-
raient jusqu'aux moindres élémens de la tactique militaire.
Puis passant en revue la légion qui avait soutenu le siège,
et voyant que la dixième partie en avait péri ou avait été
mise hors d'état de combattre , il combla d'éloges ces
braves et leur général. Cependant la joie qu'il éprouvait de
sa victoire récente fut atténuée par la nouvelle qu'il reçut
alors de la défaite de Sabinus et de Cotta. Dans sa colère ,
il jura de ne se laisser couper la barbe et les cheveux, que
lorsqu'il aurait vengé cet afifront par l'extermination de
la nation entière des Eburons, projet qu'il mit à exécution
dès la campagne suivante.
(1) Desroclies fixe le théâtre de cette action au village de Wambeek , et
M. Kicx à Castre. Cependant si le camp de Cicéron était placé à Mons , ce
dut être dans les environs de cette ville que se livra cette bataille, et a»
midi de Mons sur la route d'Amiens (Samarobriva), puisque ce fut de ce
dernier endroit que César dirigea sa marche vers les frontières des Nerviens.
— 394 —
La nouvelle cle la victoire de Cësar sur les confédérés
élait parvenue en quelques heures au camp de Labié-
nus , quoiqu'il fut éloigné de près de soixante milles de
celui de Cicéron. Les cris d'allégresse qui s'en élevèrent
et les feux de joie quon y alluma, pour célébrer ce
grand événement, en instruisirent également les Trévi-
riens. Liduciomare qui s'était proposé d'attaquer le lende-
main le camp de Labienus, se hâta aussitôt de ramener ses
troupes dans l'intérieur du territoire trévirien. La rigueur
de la saison empêchant César de poursuivre ses succès ,
ce général renvoya Fabius dans ses quartiers d'hiver et il
se retira lui-même , avec trois légions , a Sam»arobriva , où
il résolut de passer l'hiver , sur la nouvelle que les Gaulois
dont la victoire récente des Eburons avaient relevé le cou-
rage , tenaient des conciliabules nocturnes , oii l'on se con-
certait sur les moyens de faire une nouvelle levée de bou-
cliers contre les Romains. César déclare lui-même qu'il n'y
avait alors que les Remois et les Éduens, sur la fidélité des-
quels il osât compter.
Les Tréviriens, malgré le revers que venait d'essuyer la
dernière ligue , ne se découragèrent point. Induciomare ,
toujours l'ennemi le plus implacable du nom romain, ne
cessa de tramer de nouveaux complots, de susciter des nou-
veaux obstacles à César. Il chercha d'abord à gagner les
Germains d'Outre-Rhin; mais la défaite d'Arioviste, des
Tenchtres et des Usipètes , les avait frappés d'une telle ter-
reur qu'aucune peuplade teutonique n'osa reprendre les
armes. Voyant que ses sollicitations ne lui procuraient point
des partisans de ce côté , il se tourna de nouveau vers les
peuples belges. L'impatience avec laquelle ces derniers sup-
portaient la perte de leur indépendance , leur faisant saisir
avec empressement tout espoir de briser leurs chaînes,
Induciomare se trouva en peu de temps le chef d'une ligue
~ 395 -~
plus formidable encore que celle qui venait d'être rompue
par les dernières victoires de César. Ayant donc prompte-
ment re'uni des forces considérables , il commença les hos-
tilités par le siège du camp de Labienus. De son côté Labie-
nus, informé par CingetorJx, de tout ce qui se tramait
dans les conciliabules des confédérés , résolut d'essayer la
même ruse c|ui avait si bien réussi a César. Il envoya chez
les peuples voisins, cjui n'avaient point participé a la ré-
volte , demander un renfort nombreux de cavalerie. En at-
tendant ce secours , il tint ses troupes renfermées dans le
camp. Induciomare que la victoire récente de César aurait
dû corriger de sa présomption , attribuant cette conduite a
la peur et à la faiblesse , venait à tout moment se présen-
ter à la tête de sa cavalerie au pied même des remparts
du camp , pour provocjuer et insulter les Romains. Cepen-
dant ces bravades eurent une courte durée et devinrent
bien funestes à Tagresseur. Le siège avait déjà duré plu-
sieurs jours , lorsque Labienus apprit cjue les troupes cju il
avait demandées aux peuples voisins, étaient en route pour
se joindre a lui ; il les fit entrer secrètement dans son camp
pendant la nuit et sans cjue les ennemis en eussent conçu
le moindre soupçon. Le lendemain, Induciomare se pré-
senta devant le camp avec son arrogance accoutumée. La-
bienus le laissa faire pendant toute la journée, mais lors-
que vers le soir il se retira en désordre et sans daigner
prendre aucune précaution contre un ennemi qu'il croyait
être si peu a craindre , tout à coup deux portes du camp
s'ouvrent et vomissent toute la cavalerie romaine , qui
comme un torrent, se précipite avec impétuosité sur les
Tréviriens , les met en fuite et les taille en pièce. Elle s'a-
charne surtout a la poursuite d'Induciomare, suivant l'ordre
qu'elle en avait reçu de Labienus et pour mériter la récom-
pense que ce général avait promise a celui qui lui livrerait le
— 396 —
chef trévirien , mort ou vif. Induciomare , atteint au pas-
sage de la Meuse, qu'il tentait dépasser a gué, tomba sous
les coups des ennemis. Sa tête leur servit de trophée et fut
de'posée aux pieds de Labienus. A la nouvelle de cette ca-
tastrophe , les Eburons et les Nerviens qui avaient re'uni
toutes leurs forces, pour seconder les ope'rations militaires
des Trë viriens , se séparèrent et se re'tirèrent sur leur ter-
ritoire respectif.
Toutefois la perte de son chef n'avait point dissipé la ligue;
elle ne fit qu'ajourner pour un court espace de temps l'exé-
cution de ses projets. César que l'expérience des campagnes
précédentes avait éclairé et qui ne se laissait point aveugler
sur les intentions de ses ennemis, se hâta de remplir les ca-
dres de son armée affaiblie par la défaite de Sabinus et de
Cotta et par les combats sanglans soutenus les années pré-
cédentes; il l'augmenta en outre de trois légions nouvelles
qu'il fit venir de l'Italie. Il eut bientôt lieu de se convaincre
combien cette prévoyance avait été sage et urgente. Depuis
la mort d'Induciomare , les parens de ce roi avaient renou-
velé auprès des Germains les sollicitations qu'il avait en
vain employées l'année précédente. Leurs tentatives n'eu-
rent , il est vrai , pas plus de succès que celles de ce roi
auprès des peuples germains les plus voisins du Rhin , ef-
frayés encore de l'expédition récente de César dans la Ger-
manie; mais ils parvinrent à gagner quelques peuplades
plus éloignées. Ambiorix entra aussi dans cette nouvelle
ligue qui fut alors composée principalement des Trévi-
riens , des Nerviens, des Eburons , des Atuatiques , des Mé-
napiens et de toutes les petites peuplades des Germains
Cis-Rhenans (1). César apprit aussi qu'une seconde ligue
se formait dans les Gaules , composée de peuples gaulois
(I).... JScrvioSf Atauticos, 3îetiapios, adjunctis cis-rhenatiis omnibus Ger-
mants. (Caes., 1. VI, c. 2).
- 397 -
à la lête desquels étaient les Senonois et les Carnutes.
Dans un danger si imminent, Cësar sentit qu'il fallait frap-
per un grand coup, agir avec vigueur et promptitude pour
déconcerter ses ennemis et pre' venir Forage prêt a éclater.
Sans attendre la fin de Fhiver , il se mit à la tête de son
armée, quitta son camp de Samarobriva et envahit le terri-
toire des Nerviens, toujours les premiers et les plus obstinés
à reprendre les armes , parce que de tous les peuples belges
ils étaient celui qui regrettait le plus amèrement la perte de
sa liberté et de son indépendance. Après avoir mis leur pays
à feu et a sang , et fait un riche butin, consistant en trou-
peaux et captifs qu'il réduisit en esclavage , selon la cou-
tume barbare de ces temps, il crut devoir borner là son expé-
dition parce que la saison n'était pas assez avancée pour
qu'il osât pénétrer dans les contrées hérissées de forets et
couvertes de marais du nord de la Belgique et parce que
l'époque s'approchait qu'il avait fixée pour la convocation
d'une assemblée générale , composée des députés de tous
les peuples de la Gaule. C'était le moyen qu'il avait imaginé
pour connaître quels étaient les peuples qui lui restaient
fidèles et ceux qui avaient formé le dessein de secouer le
joug. La ville de Paris fut désignée pour la tenue de ce con-
grès. Les Senonois , les Carnutes et les Tréviriens ne s'y
étant point présentés, leur absence fut regardée comme
une déclaration de guerre. Sans différer , César marcha
contre les Senonois, c[ui ne s'at tendant point à une attaque
si prompte , n'avaient pas eu le temps de se mettre en dé-
fense ; ils furent donc contraints d'implorer sa clémence. Il
leur pardonna à l'intercession des Eduens. César se pré-
senta ensuite à la frontière des Carnutes , qui, se trouvant
également pris au dépourvu, suivirent l'exemple des Se-
nonois et eurent recours aux Remois pour fléchir le courroux
du vainqueur.
— 398 —
La ligue des peuples gaulois étant dissoute par la réduc-
tion des Senonois et des Carnutes, il restait a dissiper
celle des Germano-Belges, par la ruine des Tréviriens et
des Éburons, qui, depuis la sanglante défaite desNerviens,
s'étaient constamment montrés les moteurs principaux de
toutes les révoltes. Rien n'avait autant contribué à retrem-
per le courage et l'esprit national des Belges, que la destruc-
tion de la légion commandée par Sabinus et Cotta. Cette
victoire , si c'en fut une , leur donna la conviction que les
Romains n'étaient point invincibles. Le souvenir de cet
événement sans cesse présent a leur esprit, dissipait leurs
craintes et nourrissait leurs espérances. César crut que pour
dissiper ce prestige et comprimer l'ardeur des ennemis ,
il devait appeler la terreur à son aide et user d'un de ces
moyens extrêmes dont il s'était servi naguère avec tant de
succès ; en un mot, il se persuada qu'en détruisant le peu-
ple éburon, la ligue belge se dissoudrait avec autant de
promptitude que s'était dissipée la ligue armoricaine par
l'anéantissement des Yenétes. De plus , il lui importait
d'empêcher que des catastrophes pareilles à celle cjui avait
frappé Sabinus et Cotta ne se renouvelassent plus désor-
mais , en faisant voir aux ennemis que s'il savait pardonner
aux vaincus qui imploraient sa clémence , le sang romain
versé par la trahison et la perfidie exigeait une vengeance
éclatante et terrible. César résolut donc d'anéantir le peu-
ple éburon et de faire disparaître son nom même du sol
de la Belgique. Mais pour atteindre complètement ce but ,
il fallait commencer par isoler les Eburons, leur couper
toute communication avec les peuples voisins et leur ôter
ainsi tout moyen de retraite. Déjà ce but était en partie
rempli par l'occupation du territoire des Nerviens c[ui bor-
dait au midi celui des Eburons. Pour le rendre complet il
fallait encore vaincre les Germains , les Tréviriens et sur-
— 399 —
tout les Menapiens, qui jusqu'alors avaient conservé leur en-
tière indépendance, et chez lesquels les Éburons s étaient
ménages des intelligences secrètes.
César ouvrit la campagne par la conquête du territoire
de ce peuple. Il confia la garde de ses bagages à Labienus,
campe avec deux légions , dans le Trévirois , et divisant son
armée, forte de cincj légions, en trois corps, commandés, le
premier par César en personne, le second par C . Fabius et le
troisième par M. Crassus, il pénétra par trois endroits diffé-
rens dans le pays des Menapiens. Césarditcju ason approche,
les Menapiens se réfugièrent dans les bois, comme dans les
campagnes précédentes. Quelques lignes plus loin il rapporte
qu'après avoir envahi leur territoire au moyen des ponts
qu'il jeta sur les rivières et les marais, et qu'après avoir in-
cendié leurs villages , pris une grande quantité de bétail
et fait un grand nombre de prisonniers , il obligea les Me-
napiens à lui demander la paix. Toutefois nous avons lieu
de croire que ceci ne doit s'entendre que des Menapiens
voisins des Nerviens et des Eburons , et que ceux cpi habi-
taient la cote et l'intérieur de la Flandre conservèrent leur
indépendance, comme nous tâcherons de le démontrer dans
un chapitre suivant.
César, après avoir reçu les otages des Menapiens , laissa
dans leur pays un corps de cavalerie commandé par Comius
roi des Atrebates et se dirigea avec son armée vers le terri-
toire des Tréviriens. L'a il n'eut aucun combat a soutenir
et aucun obstacle n'arrêta sa marche. Pendant qu'il atta-
quait les Menapiens, Labienus avait attiré les Tréviriens
dans un piège, leur avait livré bataille, les avait défait com-
plètement et s'était rendu maître de tout leur territoh^e.
Les Suèves, qui venaient au secours des Tréviriens, dès qu'ils
eurent reçu la nouvelle de la victoire de Labienus , s'é-
taient hâtés de regagner la rive droite du Rhin. César ré-
-^ 400 —
solut néanmoins de passer une seconde fois ce fleuve pour
punir les Germains d'avoir embrassé le parti de ses enne-
mis et pour 6 ter à Ambiorix tout moyen de retraite en
intimidant les peuples voisins du Rhin; il fit donc construire
sur ce fleuve un pont à peu de distance de celui qu'il
avait fait bâtir dans sa première expédition en Ger-
manie. Après avoir passé le Rhin avec son armée , il se
rendit dans le pays des Ubiens où il se prépara a pousser
vivement la guerre contre les Suèves. Mais ayant appris
que ceux-ci s'étaient réfugiés dans les bois et les marais à
l'extrémité de leur territoire , content de leur avoir inspiré
la terreur, il jugea prudent de repasser le Rhin, parce-
qu'il commençait à manquer de vivres , que la saison était
déjà avancée , et qu'il voulait couronner cette campagne
par la dévastation du pays des Eburons. Pour tenir les Ger-
mains en respect , il conserva la moitié du pont qu'il avait
fait jeter sur le Rhin et y bâtit un fort dont il confia la
garde a C. Volcatius Tulius.
Ayant ainsi dompté les Ménapiens et les Tréviriens,
intimidé les Germains et coupé toute retraite aux Eburons,
il procéda incontinent à l'extermination de ce peuple in-
fortuné. Il se fit précéder par L. Minucius Basilus , qui , à
la tête de la cavalerie romaine, s'avança rapidement jus-
qu'au centre du pays ennemi oîi il fit un grand nombre de
prisonniers. Il pénétra jusc[u'a la demeure d' Ambiorix située
au centre d'une épaisse foret. Ce chef lui-même allait tom-
ber entre les mains de ses implacables ennemis , si le dé-
vouement de ses leudes et l'épaisseur des bois ne l'eussent
dérobé a leur poursuite. Dès qu'il se vit en sûreté , il expé-
dia des émissaires dans toutes les parties de son royaume
pour avertir ses compatriotes de pourvoir promptement à
leur salut. Les uns se cachèrent dans les parties les plus
inaccessibles de la forêt des Ardennes et dans les îles formées
— 401 —
par les débordemens de la mer ; les autres sortirent du pays
et cherchèrent un asyle chez les peuples voisins. Cativulcus,
qui partageait le gouYernement de l'Eburonie avec Ambio-
rix , se voyant dans Timpossibilité de se défendre à main
arme'e contre les Romains , ou de leur échapper par la fuite
à cause de ses infirmités, s'empoisonna avec le suc de l'if,
arbre alors très-abondant dans les Gaules et la Germa-
nie (1), en maudissant son collègue comme l'auteur de
tous les maux qui allaient entraîner la ruine entière de sa
patrie.
Pendant que ceci se passait et que Ce'sar se pre'parait a
marcher en personne contre les Eburons, les Segniens et les
Condrusiens, qui habitaient entre les Eburons et les Trë-
viriens, lui envoyèrent une dëputation pour lui représenter
qu'ils n'avaient en aucune manière trempe' dans le complot
des Eburons et que les peuples germains qui habitaient
en deçà du Rhin (dont ils faisaient partie ) ne devaient
pas être considérés tous indistinctement comme enneniis
des Romains. César s'étant convaincu , en interrogeant les
prisonniers eburons , de la véracité de leur rapport , pro-
mit de les laisser en paix , pourvu qu'ils lui livrassent tous
les Eburons qui se réfugieraient sur leur territoire.
César après avoir déposé le gros bagage de l'armée au camp
d'Atuatuca qui avait été témoin du désastre de Sabinus et
de Cotta, divisa ses troupes en trois corps. T. Labienus, à
la tète de trois légions , fut chargé d'entamer le territoire
des Eburons dans la partie qui s'étendait vers l'Océan
et touchait aux frontières desMénapiens. Il envoya C. Tre-
bonius avec un pareil nombre de troupes , pour ravager la
partie du pays des Eburons qui était bornée par celui des
Atuatiques. Il se dirigea lui-même vers l'embouchure de
(1) Cses., I. VI, c. 31. — Desroches prétend qu'il se pendit.
Tome I. 26
— 402 —
l'Escaut (1) et rextréinité de la forél des Ardennes où l'on
pre' tendait qu'Ambiorix s'était sauvé avec quelques cava-
liers. Ce'sar fixa au septième jour son retour au camp
d'Atuatuca, dont il avait confié la garde à la dixième légion
commandée par Q. Cicéron , et il enjoignit à Labienus et
Trebonius de s'y trouver également ce jour, si les intérêts
de la république le comportaient , afin de s'y concerter en
commun sur les moyens de terminer cette campagne le
plus promptement possible.
Les trois divisions de l'armée romaine envahirent a la
fois le territoire des Eburons sur trois points différens.
Leur marche fut signalée par la dévastation et l'incendie.
Les malheureux Eburons n'ayant ni villes ni forts pour se
mettre à l'abri de la poursuite de l'ennemi , cherchèrent
un asile dans les marais et les forets. César, craignant
d'exposer ses troupes dans ces retraites inconnues , invita
tous les peuples voisins à contribuer à l'exécution de son
projet barbare et inhumain. Deux milles Sicambres,
attirés par l'appât du pillage, répondirent à son appel,
et , sans respect pour les liens du sang et l'origine com-
mune qui les unissaient aux Eburons , passèrent le Rhin
pour compléter la ruine de ce peuple. Ni la profon-
deur des marais, ni l'épaisseur des bois n'arrêtèrent ces
barbares habitués a guerroyer dans des lieux de cette na-
ture (2).
Après avoir porté le fer et la flamme dans toute 1 étendue
du pays des Eburons , les Sicambres se préparaient à repas-
ser le Rhin, traînant a leur suite un grand nombre de captifs
et une immense quantité de bétail , lorsqu'un de leurs prison-
(1) .... Ad flumen scaldis , quod inftuit in Blosam ( 1. VI^ c. 33).
(2) ISon hos palus , in hello latwciniisque naios , non silvœ morantiir
(Cœs. , 1. VI, c. 35).
— 403 —
niers leur observant cju ils ëtaientbien simples de se donner
tant de peines pour ne recueillir qu'un butin de si mince
valeur ; qu'au lieu de poursuivre par les bois et les marais ,
à travers mille dangers, les faibles débris d'une peuplade
pauvre et réduite à ne pouvoir subvenir aux premiers be-
soins de la nature, ils agiraient plus sagement en attaquant
le camp d'Atuatuca , ou les Piomains avaient entasse d'im-
menses trésors , qui n'étant gardés c[ue par un petit
nombre , de soldats deviendraient bientôt leur proie. Prê-
tant Toreille à cet avis, les barbares dirigèrent aussitôt leur
marche vers le camp de Gicéron, dont ils n'étaient éloignés
c|ue d'environ trois lieues. G était le septième jour après les
départ de Gésar, et le hasard voulut que Gicéron, qui, d'après
l'ordre formel de son chef, n'avait point permis jusc[u'alors
qu'un seul de ses soldats sortit du camp, ayant appris le succès
de César, et croyant ne plus avoir rien à craindre de l'ennemi,
avaitenvoyé cinq cohortes a trois milles du camp pour fourra-
ger et couper les blés. Trois cents soldats convalescens avaient
aussi obtenu la permission de sortir du camp pour aller respi-
rer un air plus libre et se livrer au plaisir de la promenade.
Ce fut dans ce moment que les Germains apparurent tout à
coup devant le camp de Gicéron qui ne renfermait plus qu'un
petit nombre de Romains , la plupart malades et hors d'état
de combattre. A la vue des barbares, les Romains frappés
d'une terreur panique , se crurent menacés du sort qu'avait
subi naguère dans ce lieu funeste la légion commandée par
Sabinus et Cotta. De leur côté , les Sicambres , informés du
désordre qui régnait parmi la garnison romaine, assaillirent
incontinent les remparts ennemis. Cependant P. Sextius
Baculus, premier centurion du corps de réserve, tout
malade qu'il était , et cjuoique depuis cinq jours il n'eut
pris aucune nourriture , se leva de son lit , prit les armes et
rallia les cohortes cjui déjà n'opposaient plus qu'une faible
— 404 —
résistance à rennemi. Il parvint à les ramener au combat
et repoussa vaillamment les barbares. Pendant ce temps les
troupes envoyées au fourrage, étaient retournées au camp.
Les Germains voyant de loin des troupes romaines, crurent
d'abord avoir sur le bras Tarmée entière de César et ces-
sèrent aussitôt l'attaque du camp pour se mettre en dé-
fense. Mais lorsqu'ils s'aperçurent qu'ils n'avaient en face
qu'une poignée d'hommes, ils tombèrent sur eux avec im-
pétuosité. Les vétérans, conduits par C. Trebonius, cheva-
lier romain , suivis par les valets de l'armée et par la cava-
lerie , parvinrent à percer l'armée ennemie et rentrèrent
au camp. Les autres cohortes, qui s'étaient obstinées a se
tenir sur la défensive au haut d'une colline , furent culbu-
tées et, en grande partie, taillées en pièces. Cependant les
barbares voyant la garnison du camp revenue de sa ter-
reur et en état de leur opposer une vigoureuse résistance
par les nouveaux renforts qu elle venait de recevoir , ne ju-
gèrent pas à propos de s'arrêter davantage et passèrent le
Rhin avec le butin qu'ils avaient fait sur les Eburons.
Pendant que ceci se passait , César ne cessait de pour-
suivre ses projets de vengeance contre ces derniers , œuvre
de destruction dans lequel l'aidèrent puissamment tous les
peuples voisins, qui ne cessaient d'accourir en foule, attirés
par l'appât du pillage. Enfin, César ne mit un terme a l'exter-
mination des Eburons et a la dévastation la plus complète
de leur pays, qu'après s'être rassuré que rien n'avait
échappé a sa rage. <f De sorte , dit-il lui-même , qu'il paraît
certain que si quelques ennemis parvinrent a se dérober à
la mort en se cachant , la faim et la misère durent bientôt
les faire périr dans leurs retraites (l).))Ambiorix néanmoins
(1) Ut, si qui etiam i7i prœsentiâ se occultassent, tamen, lis, deduclo exer-
cittij rerum omnium inojyia pereundum vidtatur. (Cœs., 1. VI, c. 43).
— 405 ^
parvint a lui échapper et passa le Rhin accompagne seu-
lement de quatre cavaliers.
Ainsi pe'rit un des quatre peuples principaux delà Belgique
actuelle, cinquante-trois ans avant l'ère vulgaire, et dès ce
moment le nom des Eburons disparaît dans l'histoire, pour
faire place bientôt à celui d'un autre peuple d'origine ger-
manique , les Tongrois.
Les Segniens et les Condrusiens , peuplades voisines des
Eburons, ne partagèrent point leur infortune, parce qu'ils
n'avaient point participé à leur révolte , ainsi que nous
l'avons dit plus haut. Les Cérésiens et les Pemaniens, au-
tres peuplades limitrophes , furent-ils enveloppés dans la
catastrophe qui anéantit les Eburons? le silence de César,
nous donnerait lieu à le supposer; car s'il en avait été
autrement, n'aurait-il pas du faire a l'égard de ces peuples,
alliés des Eburons , l'observation qu'il a faite par rapport
aux Sesfniens et aux Condrusiens ? Le silence des monumens
historiques postérieurs a César, dans lesquels les Cérésiens
et les Pemaniens ne sont plus nommés une seule fois
comme peuples existant , paraissent également venir à
l'appui de cette conjecture.
Après avoir terminé son expédition contre les Eburons
et sa sixième campagne dans les Gaules , César ramena son
armée saine et sauve, a l'exception de deux cohortes , qui
avaient péri au siège du camp d'Atuatuca , par les Sicam-
bres. Puis, après avoir convoqué une assemblée générale de
tous les peuples gaulois dans Voppidum principal des
Remois (Reims), pour y informer contre les auteurs de la
révolte des Senonois et des Carnutes , dont le principal in-
stigateur , Accon , fut condamné au dernier supplice et les
autres a l'exil , il mit ses troupes en quartiers d'hiver , sur
les confins des Tréviriens et dans le pays des Lingones
(Langres)et des Senonois; ensuite il parût pour l'Italie.
— 406 —
Cësar avait cru que la terrible vengeance par laquelle
il avait puni la déloyauté des Eburons , aurait intimidé les
Gaulois et produirait sur tous les peuples de la Celtique le
même effet qu'avait produit naguère sur la ligue armori-
caine lextermination des Venètes. En un mot , il croyait la
paix raffermie pour longtemps dans les Gaules et les peu-
ples de cette contrée résignés a supporter avec patience le
joug quil leur avait imposé. Quel fut donc son étonne-
ment, lorsqu'à peine arrivé à Rome , il apprit tout a coup,
que lextermination des Eburons et le supplice d'Accon,
loin de répondre au but qu'il attendait de ces actes de vi-
gueur, n'avaient fait cju'irriter davantage les Gaulois, et
que la révolte venait d'éclater, non plus sur quelques points
isolés des Gaules , mais dans presque toute l'étendue de
cette vaste région; que la rébellion avait commencé parles
Carnutes, qui s'étant emparés de vive force de Genabum, y
avaient exterminé tous les Romains qu'ils trouvèrent dans
ce lieu; que la nouvelle de cette victoire étant prompte-
ment parvenue auprès des peuples voisins , tous s'étaient
soulevés par un mouvement spontané. Yincengetorix, fils de
Celtilus, roi des Auvergnats, s'étant mis à la léte de ses
dévoués (clientes) avait insurgé les Auvergnats, les Seno-
nois , les Parisiens, les Pictons , les Cadurces , les Tourains ,
les Aulerces, les Lemovices, les Andegaves et tous les peu-
ples de l'Armorique. Son courage, sa prudence et sa fer-
meté lui acquirent bientôt une telle renommée et une
telle popularité dans toute l'étendue des Gaules, que les con-
fédérés, d'une voix unanime , lui déférèrent le commande-
ment suprême de l'armée et la direction de cette guerre ,
avec des pouvoirs illimités. Il rassembla promptement une
armée nombreuse, employant l'arme de la terreur contre
les peuples et les hommes qui montraient de la lenteur à
obéir a ses ordres et à seconder ses projets. Il envoya Luc-
— 407 —
terius Cadurcus, homme d'une bravoure éprouvée, contre
les Rutènes et marcha en personne contre les Bituriges ,
restes fidèles aux Romains. Ce peuple, hors d'ëtat de ré-
sister à un ennemi aussi puissant , implora en vain le
secours des Eduens. Abandonnes a leurs propres forces, les
Bituriges se virent obliges de se joindre aux Auvergnats.
Lucterius Cadurcus ayant , de son coté, soumis les Rutènes,
les Nitiobriges et les Gabales (ceux de Cavaillon) , se pré-
para à faire une irruption dans la Narbonnaise.
Cependant la nouvelle de ces grands événemens étant
parvenue a César^, qui se trouvait alors a Rome, il se hâta
de passer dans les Gaules pour arrêter les succès des enne-
mis. Il commença d'abord par pourvoir à la défense de la
Narbonnaise et des provinces voisines. La plupart des évé-
nemens de cette guerre s'étant passés loin de la Belgique ,
nous n'entrerons pas dans de longs détails sur ce sujet; il
nous suffira de dire qu'après avoir repoussé Lucterius, César,
s étant mis à la tête des forces considérables qu'il avait ras-
semblées dans l'Helvétie et à Vienne (en Dauphiné), aux-
quelles il joignitles garnisons dispersées dans différentes par-
ties des Gaules, s'empara des places les plus fortes des con-
fédérés , sortit victorieux de plusieurs combats , où il paya
bravement de sa personne et où il courut les plus grands
dangers, et reconquit la plupart des provinces qui avaient
secoué le joug» Cependant la fortune sembla l'abandonner
un instant , lorscjue les Gaulois , après avoir soutenu dans la
ville de Bourges, un des sièges les plus terribles dont il soit
fait mention dans l'histoire, obligèrent César à se retirer
avec une perte considérable. Cette victoire des confédérés
fut suivie de la défection des Éduens, qui, jusqu'alors,
étaient restés les alliés les plus fidèles des Romains. Ils se
rendirent maîtres de Nevers où les Romains avaient déposé
la plupart de leurs provisions , de leurs trésors et des otages
— 40S ~
levés sur les peuples gaulois qu'ils venaient de soumettre.
Mais l'armëe romaine , retirée dans le pays des Lingons ,
ayant reçu des renforts considérables, ne tarda pas a re-
prendre TofFensive. César remporta une victoire complète
sur Vincengetorix dans le pays des Sequanois et Tobligea
à se renfermer avec toute l'armée des confédérés , forte de
80,000 combattans, dans Alise , situé au sommet du Mont-
Auxois , en Bourgogne , et suivant Diodore de Sicile , la mé-
tropole de toute la Celtique (1). Les confédérés, convaincus
que la prise de cette place, le dernier et le plus formidable
boulevard de la liberté gauloise , compléterait leur ruine
entière , convoquèrent une assemblée générale pour aviser
au moyen de se tirer de l'extrémité oii ils étaient réduits.
Vincengetorix avait demandé que la nation gauloise se levât
tout entière et marchât en masse contre l'ennemi ; l'assem-
blée ne crut pas devoir adopter cette proposition, et décida
que pour éviter la confusion et le manque de vivres que
ferait naître le trop gi-and nombre de combattans , il suf-
fisait d'appeler a la défense de la patrie la moitié de la po-
pulation mâle en état de porter les armes. Elle se contenta,
en conséquence , d'imposer à chaque peuplade un contin-
gent de troupes proportionné à l'état de sa population (2).
De tous les peuples de la Belgique actuelle , les Nerviens
furent les seuls qui contribuèrent à former le cadre de
cette armée ; mais ce peuple , jadis le plus puissant de la
Belgique, et qui, dans la première campagne de César contre
les Belges, mit sur pied jusqu'à 50,000 combattans, affaibli
par tant de désastres récens , n'en put cette fois fournir au
(1) DIod. Sic, I. IV.
(2) JSon omnes qui arma ferre ■passent convocandos statuimt, sed certum
numerum cuique civitati imper andum , ne, tanta mulliludine confiisa , nec
moderari, nec discernere suos, nec friimentandi rationem habere passent.
(Cœs., 1. VII, C.75}.
^. 409 —
delà de 5000 , nombre égal à celui que produisirent les
Amienois dont les forces ne s'élevaient qu'à un cinquième
de celles des Nerviens , lorsque ces derniers en vinrent la
première fois aux mains avec les Romains. Il n'est plus
question ici des Eburons ni des Atualiques. Les premiers
avaient totalement disparu du sol de la Belgique (1). Les
seconds , dont déjà les trois quarts de la population avaient
përi ou avaient e'té réduits en esclavage dans la première
campagne de Cësar en Belgique , auront tellement souffert
dans la re'volte des Eburons , que les faibles débris de cette
peuplade cimbrique , n'auront pas été en état de prendre
une part active au soulèvement général des Gaules. Il en
aura été de même des Ménapiens , qui déjà si peu nombreux
avant l'invasion des Romains, avaient encore vu diminuer
leur population par l'irruption des Tenchtres et des Usipètes
et par les tentatives réitérées de César pour s'emparer de
leur territoire. Il est possible encore que les Ménapiens se
soient abstenus de prendre part à cette guerre , parceque
l'expérience des campagnes précédentes leur avait appris
qu'ils déjoueraient plus aisément les efforts que les Romains
pourraient encore tenter contre leur indépendance , en se
cachant dans leurs marais et leurs forets , qu'en combat-
tant l'ennemi les armes à la main.
Les forces totales des confédérés montèrent à 240,000
hommes de pied et 8000 cavaliers. Le commandement de
cette armée , qui s'assembla dans le pays des Eduens , fut
(1)M. Raepsaet a encore été induit en erreur lorsqu'il prétend que les Ebu-
rons fournirent leur contingent de troupes h l'armée des confédérés , ce qu'il
attribue toujours à un prétendu repeuplement de leur pays par des colons gau-
lois. Cet auteur a confondu les Eburons de la Belgique, avec les Aulerci
Eburones ou Ehurovices , peuple du diocèse d'Evreux en Normandie ( Cses.,
l.III, c. 17. 1. VII, c. 75).
Les Amhivaretes , qui sont désignés dans la liste des peuples qui prirent
part au soulèvement général des Gaules , sont aussi un peuple di lièrent des
Ambivarites de la Beî^jique.
— 410 —
confié a quatre généraux, Commius, roi des Atrebates,
Virdumarus, Eporedorix , tous deux Eduens, et Vergasil-
launus, parent de Vincengetorix, auxquels on adjoignit un
conseil composé des délégués des difFérens peuples qui
contribuèrent à la formation de cette armée. Les confé-
dérés ne doutant point qu'avec un appareil de guerre aussi
formidable ils ne dussent écraser et anéantir larmée ro-
maine, si faible si on la comparait a la leur, se hâtèrent de
marcher au secours de Vincengetorix et de la ville d'Alise,
et vinrent asseoir leur camp a peu de distance de celui
de César. Cependant ils ne tardèrent pas à éprouver à leur
dépens que dans la guerre ce n'est point du côté de l'armée
la plus nombreuse que se range d'ordinaire la victoire ,
mais du côté de l'armée la mieux disciplinée et commandée
par le général le plus habile.
A deux assauts que les confédérés livrèrent au camp de
César, dans l'intervalle d'un jour, ils furent repoussés cha-
que fois avec une perte considérable. Dans une troisième
et dernière action, César remporta une victoire complète
et décisive. La plupart des confédérés tués , blessés ou faits
prisonniers , la mort de Sedulius , roi des Lemovices (ceux
de Limoges), soixante-quatorze étendards conquis, tels
furent les résultats de cette mémorable journée. Cette
bataille, une des plus sanglantes que César eut soutenue dans
les Gaules, termina en un seul jour le soulèvement général
de la plupart des peuples gaulois, qui durait depuis deux
ans. Vincengetorix persuadé qu'en prolongeant davantage
une défense , devenue inutile depuis l'anéantissement de la
grande armée gauloise, il ne ferait qu'irriter davantage le
vainqueur, persuada lui-même aux défenseurs d'Alise d'en-
trer en accommodement avec César, ajoutant que si les Ro-
mains demandaient sa mort , il était prêt à se dévouer pour
le salut de ses compatriotes. Les assiégés obligés d'adopter
— 411 —
le seul moyen qui leur restait pour sortir de rextrëmitë où
ils étaient réduits , suivirent le conseil de leur chef et en-
voyèrent des dëpute's à César, pour lui faire leur soumis-
sion. Il leur promit la vie sauve, a condition qu'ils lui
livreraient Vincengetorix, qui paya de sa tête Fhéroïque
défense qu'il avait prise de la liberté et de Tindépendance
de sa patrie.
Cësar employa le reste de l'année a soumettre les
Eduens, les Auvergnats , les Berruyens, les Carnutes, les
Bellovaques, et parcourut enfin en vainqueur toutes les pro-
vinces cil se manifestait encore quelque esprit de révolte.
Ayant rétabli la paix dans toute l'étendue des Gaules et
pris toutes les précautions nécessaires pour y maintenir la
tranquillité, il partit pour l'Italie, l'an 704 de la fondation
de Rome , sous le consulat de L. iEmilius Paul us et de
G. Glaudius Marcellus. Il avait ainsi consacré neuf ans à la
conquête entière des Gaules (1).
(1) Gallîa atque Britannia novem annorum Julii Cœsuris lahor fuere et
frihutariœ demiim factœ ( Messala Corvinus, de progenie Augusli. Eutrop.,
\. VI, c. 14, Sueton, in Cœs.).
— 412 —
CHAPITRE II.
Repeuplement de la Belgique par de nouvelles colonies germaniques.
Par les guerres de la conquête le pays des Eburons , celui
des Atuatiques et la partie de celui des Me'napiens sur les
deux bords du Rhin et dans le Brabant septentrional, c'est-à-
dire tout l'espace compris entre l'Escaut, le Wahal, le Rhin
et l'Arh , avaient été réduits en un vaste désert. Les deux
Flandres et la Flandre française , peuplées de moins de
36,000 Ménapiens, et ravagées à différentes reprises par les
armées de César , n'offraient guère un aspect plus animé.
Il en était de même du territoire des Nerviens, (jui avait
non moins souffert de l'invasion romaine.
Après le départ de César , les dissentions civiles nées de
la rivalité entre ce dictateur et Pompée , entre Octave et
Antoine, ne laissèrent pas aux Romains le loisir de s'occuper
de leurs nouvelles conquêtes (1). Mais lorsqu'après plus
de vingt ans de guerres et d'anarchie, le triomphe d'Octave
sur Antoine eut mis un terme aux déchiremens de la ré-
publique, une des premières pensées d'Octave, devenu
empereur sous le nom d'Auguste, fut de consolider la do-
mination romaine dans les Gaules et de pourvoir à la sûreté
des frontières de l'empire. Par ses ordres , Drusus éleva le
long du Rhin et de la Meuse un grand nombre de forts, et
(l)Les paroles de Tacite : Mox hella civilia et in rempuhlicam versa prin-
cipum arma ac îonga ohlivio Briianniœ (Vita Agric), peuvent s'appliquer
à l'état des Gaules, comme a celui de la Grande-Bretagne, pendant les guerres
civiles.
^ 413 —
Agrippa, nomme au gouvernement de la Belgique, construi-
sit à travers les forêts et les marais de cette contrée , plu-
sieurs voies militaires. Auguste s'occupa aussi à peupler la
vaste étendue de pays comprise entre le Rhin et lextrémite
du territoire des Nerviens. Il crut atteindre ce but en y
transférant un grand nombre de prisonniers de guerre , que
Drusus et Tibère avaient faits sur les Germains.
En agissant ainsi , Auguste s'écarta entièrement de la po-
litique de Ce'sar , qui , comme nous l'avons vu , ne souffrit
jamais que de nouvelles hordes de Germains, vinssent s^éta-
blir dans les Gaules , dans la crainte qu'elles ne finissent
par s'en rendre maîtres absolus, et qu'ensuite elles ne ten-
tassent d'envahir l'Italie même (1). Les ëve'nemens pos-
térieurs prouvèrent combien étaient fondées les craintes
de ce grand homme.
La première colonie de Germains établie dans les
Gaules sous le règne d'Auguste , fut celle des Ubiens. Ce
peuple qui habitait la rive droite du Rhin , ne pouvant ré-
sister plus longtemps aux vexations que leurs faisaient
éprouver les Suèves, sans doute à cause de l'alliance que
les Ubiens avaient contractée avec César , supplièrent
Agrippa de leur accorder un établissement sur le terri-
toire romain. Agrippa se rendit à ce vœu et leur désigna
pour demeure la partie du pays des Eburons entre le Rhin
et la Meuse , borné au midi par l'Ahr et au nord par une
ligne parallèle aux villes actuelles d'Ordingen et de Ven-
loo. Les Ubiens y vécurent, non en qualité de sujets, mais
(1) Paulatim autem Germanos consuescere Rlienum transire et in Gal-
liam TYiagnam eortium muUihidinem veîtire, populo Romano periculosiim
vidclat. JSeque sihi hommes feros ac harharos temperaturos existimabat ,
quin cum omnem Galliam occupassent , ut anlea Cimbri Teutonique fecis-
sentf in provinciam exissent atque inile in Italiam contenderent (Cœs., i. I,
c. 33 ).
— 414 —
comme peuplelibreet alliés des Romains (1). Cette transla-
tion eut lieu vers Tan XXXV , avant Fère-vulgaire (2).
La seconde colonisation du nord des Gaules, par des
Germains , date de l'an 746 de Rome et la huitième année
avant Tère-vulgaire. Tibère ayant , a cette époque, remporte'
plusieurs avantages sur les Suèves et les Sicambres et fait
sur ces peuples un grand nombre de prisonniers de guerre,
en transfera 40,000 à gauche du Rhin (3).
Si , comme le dit Tacite , les Suèves se distinguaient des
autres peuples de la Germanie, en ce qu'ils avaient coutume
de relever leur épaisse chevelure sur le haut de la tête en
forme de nœud, il y aurait lieu de croire que les Sicambres
étaient aussi de race suève , parce que Martial leur attri-
(1) Transgressi olîm et experimenfo fidei suprà ipsam Rheni rîpam collo-
cati, utarcerentf nonut custodirentur ÇTrc, M. 6?., c.2S),€ivitas uhiorum
SQcia nobis (id., Annal, 1. XIlï, c. 57. Strabo, l. IV).
(2) Sj^enev , IVotitia Germ. Antiq., 1. VI, c. 5, § 2.
(3) Suevos et Sicamhros, dedentes se, traduxit in Galîiam atque inproxi-
mis RJieno agris collocavit (Sueton. in Aug., c. 21).
Ce passage de Suétone semblerait désigner que la nation entière des
Sicambres fut transférée à gauche du Rhin; chose qui n'eut point lieu, puisqu'au
IV® siècle de notre ère, les Sicambres transrhenans, constituaient avec les
Saliens, les peuples principaux de la ligue franque ( Greg. Tur., 1. II, c. 31.
Frodoard. , 1. 1, c. 21. Claudian. , m Eulrop., 1. I. Sidon. ApoI.,c. 13). D'ail-
leurs Strabon dit positivement qu'il n'y eut qu'une partie des Sicambres
qui s'établit en deçà du Rhin , et que le reste occupait encore de son temps
son ancien territoire : Prima Germaniœ regio est ad Rhenum à fontïbus ejus
usque ad ostia : atque hic fluminis tractus latus est Germaniœ occiduum.
Hujus partis populos Romani partim in Galliam traduxerunt; reliqui mi-
graverunt in penitiores Germaniœ partes, ut Marsi^ sed et Sicamhrorum
exigua restât portio (Strab., 1. VII).
Casaubon et Gruter, lisent Vhios, au lieu de Suevos dans le texte de
Suétone; mais ces savans commettent évidemment une erreur, puisque la
translation des TJbiens précéda de plusieurs années celle des Suèves.
Germanico (bello) quadraginta millia dedîtiorum trajecit in Galliam
juxtaque ripam Rheni, sedibus assignatis, collocavit (Suet. in Tiberio c. 19).
Eutrope porte le nombre des captifs germains transférés par Tibère dans
i«s Gaules, a 400,000 : y 2<o bello CCCC millia captivorum ex Germania»^
— 415 —
bue le même usage (1). En effet Stral>on donne la déno-
mination de Suèves a toutes les peuplades qui bordaient la
rive droite du Rhin (2) ; et l'on sait que la liabilèrent les
Sicambres avant leur ëmigralion dans les Gaules.
Une partie des prisonniers sicambres fut placée dans le
territoire occupé par les Ménapiens à gauche du Rhin ,
avant leur expulsion de ces lieux par les Tenchtres et les
Usipètes, c'est-à-dire, la Gueldre prussienne , ou, suivant
Wastelain , l'espace compris entre Ruremonde et Cuyk ,
entre Ordinghen et l'endroit ou le Rhin se divise en deux
branches (3). Ils y changèrent leur nom de Sicambres, en
celui de Gugernes (4), dont est provenue dans la suite la
dénomination du duché de Gueldre. Ce nom de Gugerni
était peut-être celui d'une des tribus les plus puissantes des
Sicambres , lecpel sera devenu la dénomination générique
de tous les Sicambres transférés sur la rive gauche du
Rhin.
Ceux des Suèves et des Sicambres qui ne se fixèrent point
dans la Gueldre , obtinrent la partie du territoire des an-
ciens Eburons qui n'avait pas été occupé par les Ubiens ^
à droite et à gauche de la Meuse , et la majeure partie de la
transïavit et sîiprà ripam Rheni in Galîiâ collocavit (Eutrop. hreviar. hisf.
rom. 1. VII). Nous préférons ici l'autorité de Suétone, auteur beaucoup plus
ancien qu'Eutrope.
(1) Insigne gentis obliquare crinem nodoque suhstringere ; sic Suevi à cé-
leris Germanis separantur (Tac. , 31. 6r., c. 38 )^
Crinihua in nodum torti^ venere Sicamhri.
(Martial , 1. I, épigr. 3).
Clefel explique le terme Obliquare crinem , par friser les cheveux.
(2) Suprà toiam hancripam (Rheni ) degunt Suevi (Strab. 1. IV). 3Iaxima
est siievorum natio ; nam et à RJieno ad Albim usque pertingit et irans
Alhim habitat pars eorum, ut Hermunduri et Longobardi (Id., 1. Vlï).
(3) Wastelain, Description de la Gaule Belg., sect. V, art. 2„
(4) Tacit., M. G. et Hist., l IV. Plin., 1. IV, c. 17.
— 416 —
contrée posse'dee naguère par les Atuatiques. Ces nouveaux
habitans , réunis aux petites peuplades des Ambivarites ,
des Condrusiens et des Segniens , prirent pour nom col-
lectif celui de Tongrois , de la principale tribu des Suèves ,
sans doute , qui e'migrèrent dans les Gaules.
Ce qui prouve que ce nomi de Tongrois ne commença a
être connu en Belgique que sous le règne d'Auguste, c'est
le silence que Ce'sar a gardé sur ce peuple ; ensuite le
passage de l'ouvrage de Tacite sur les mœurs des Germains,
que nous avons rapporté à la page 31 de ce volume ^ dans
lequel cet auteur avance que le nom des Tongrois n'était
connu en Belgique que depuis peu de temps. Mais ce qui
l'atteste encore plus formellement, ce sont les paroles
suivantes de l'historien grec Procope : « A l'orient des
Armoriques , dit cet écrivain , habitaient les Tongrois ,
peuble barbare , dans la contrée que leur concéda l'empe-
reur Auguste (1). » Comme l'histoire ne parle que de deux
colonies de Germains introduites dans la Belgique sous le
règne d'Auguste, celle des Ubiens et celle des Suèves et des
Sicambres, il nous paraît hors de doute que les Tongrois ne
dussent appartenir à la ligue suève , composée d'un grand
nombre de peuples germains. Quant aux lieux que les
Tongrois occupaient dans la Germanie avant leur transla-
tion , c'est une question controversée et qui malgré les con-
jectures des savans restera toujours problématique (2).
(1) Secundum quos (Arborichos) ad orientem Tungri harbari concessam
sihi ah Augusto imperatorum primo regîonem incolehantiVrcco^. ^ Bell. Goth.
1. 1, c. 12). — Procope écrit Arhorichi pour Armorici. Nous expliquerons plus
loin la cause de cette erreur.
(2) liCS anciens auteurs écrivent Tungri et Thoringi.l/ ahhé Dnbos fait déri-
ver ce nom de celui du dieuThor. Il croit les Tongrois originaires delà Thu-
ringe (Dubos, Hist. de Vétahliss. de la monarchie franc., 1. VI , c. 4). Plu-
sieurs auteurs allemands sont du même avis. Cependant les Tliuringiens ne
-^ 417 —
Les Suniques (1) et les Bethasiens , petites peuplades
\oisines des Tongrois et ne commençant à être connues
dans l'histoire qu a l'époque ou le furent ces derniers ,
doivent avoir appartenu de même à la ligue des Suèves.
A l'occident des Tongrois Pline place un peuple nommé
Taxandres ou Toxandres, divisé en plusieurs tribus qui
toutes avaient des noms différens. Il les fixe a Yextérieur
de l'Escaut, à Scaldi extera (2). Par le terme eœtera on
entend communément la cote de la Flandre et la Zélande.
Toutefois dans Ammien Marcellin et dans les monumens
du moyen âge, c'est la Campine qui est toujours désignée
comme territoire des Toxandres. C'est la aussi que nous
fixons la position de ce peuple , qui habitant une partie du
territoire des Eburons et des Ménapiens, doit avoir fait
également partie de la ligue suève (3).
sont connus dans l'histoire que depuis le 5° siècle (Sidon. Apol., Paneg. Avitî).
Mone fait dériver le nom des Tongrois du teuton Twingera, en allemand mo-
derne, Zwinger, vainqueur.
(1) Pline et Tacite, sont les premiers auteurs qui aient mentionné les
Suniques. Les manuscrits de l'ouvrage du premier de ces écrivains varient
sur le nom de ce peuple : les uns lui donnent la dénomination de Runuci,
les autres celle de Sunuci et Sinuci (Spener, lib. VI. c. 5).
(2) A Scaldiincolunt extera Toxandripluribus nominibus (Plin. lib. IV, c. 1 7).
(3) En parlant de la désertion d'un corps d'Usipètes qui faisait partie de l'ar-
mée d'Agricola, lorsque ce général romain conquit la Grande-Bretagne, Tacite
dit que ces déserteurs abordèrent d'abord chez les Suèves, puis en longeant
la côte du continent, chez les Frisons: Circumvecti Britanniam ^ amissis per
inscitiam regendi navihus , pro prœdonihus habitip primùmà Suevîs, mox a
Frisiis intercepti sunt (Tac, Vita Agric, c. 28).
En quittant les côtes de la Grande-Bretagne, il semble naturel que les
transfuges durent aborder premièrement , non au nord des Frisons , mais au
midi de ces derniers , c'est-à-dire à l'île des Bataves , à la Zélande ou à la
côte de la Flandre et ce serait là qu'on devrait chercher ces Suèves, qui les
accueillirent si mal. Quoiqu'il en soit, s'il faut en croire l'ancien auteur de
la légende de Saint-Eloi, il y avait en Flandre, au 7"" siècle , une multitude
de Suèves, que ce saint convertit au culte catholique : Multum prœtereâ in
Flandris laboravit, jugi instantia Andoverpis pugnavii, multosgue enoneos
Tome L 27
— 418 —
Depuis la translation des Suèves et des Sicambres en
Belgique , il n'est plus question dans l'histoire romaine de
quelque autre colonie de Germains qui se soit établie dans
cette contrée avant le milieu du troisième siècle. On pré-
tend qu a cette époque un grand nombre de Saxons vint se
fixer sur la cote de la Flandre. Nous nous réservons de par-
ler plus au long de ces colonies saxonnes dans un chapitre
suivant.
Vers Fan 277 l'empereur Probus transféra une multi-
tude de Francs , prisonniers de guerre , dans les Gaules (1).
Quatorze ans après, Maximien donna a une autre colonie
de Francs une partie des terres incultes des Tréviriens et
des Nerviens (2). Constance Chlore, à l'exemple de Probus
Suevos convertit (Vita s. Eligii, 1. lî, c. 3 efc 8). Dans le 9^ siècle, ces Suèves
de la Flandre furent presque entièrement exterminés par les Normands :
Menapios et Suevos usque ad internecionem deleverunt , quia valdè illis in-
festi eraw^(Normanni). [Gesta Norman, ab incerto auctoread ann. 880 apud
Duchesne script res. franc). Ils occupaient, suivant M. Raepsaet, tout l'es-
pace compris entre Courtrai et la mer et toute la côte de la Zélande et de la
Flandre jusque près d'Anvers, Le nom de plusieurs villages de cette contrée
semblent en effet rappeler celui des Suèves ; tels sont : Siveveghem , Sweve-
sele , etc. M, Raepsaet pense que ces Suèves pouvaient être les descendans
de ceux qui furent transférés dans les Gaules par Tibère, et qui, établis
d'abord dans le pays des Eburons, auront pu s'étendre librement et à leur
gré dans la Flandre, dont une grande partie était encore inculte, inhabitée
et indépendante des Romains.
(1) Arantur Gallicana rura hohus barharis , écrivait Probus au sénat, en
parlant de cet événement , et juga germanica captiva prœheni nostris colla
cultorihus ; pasciintur ad nostrum alimonium gentium pecora diversarum
(Vopisc, in Probo, c. 1 5).
(2) Tuo, Maximiane Auguste, nutii, Nerviorum et Trevirorum arva jacentia
lœtus postliminio receptus Francus excoluit {Enxnen^ paneg. Constantio dictus).
Les termes post liminio receptus , feraient supposer que les Francs occu-
paient déjk ces lieux antérieurement a Maximien.
Un autre panégyriste s'exprime sur cet événement dans les fermes sui-
vans : Multaille (Maximianus) i^rawcorwm millia gui Bataviam aliarqus cis
Rhenum terras invaserant, interfecit, depulit, c^pit, ahduxit (Incerti /Jane//.
Maxim.).
_ 419 —
et de Maximien , transféra de même un grand nombre de
Cauques et de Frisons sur le territoire de l'empire, après avoir
reconquis la Batayie quils avaient envahie (1). Quoique
l'Amienois , le Beauvoisis et le pays des Tricasses (Troyes)
soient désigne's comme les lieux qui reçurent cette colonie,
il est ne'anmoins probable que les déserts de la Belgique
furent aussi peuplés d'une partie de ces barbares.
Bientôt les Germains , profitant de la décadence de l'em-
pire et des guerres civiles qui , depuis le règne de Gallien ,
ne cessaient de le dépeupler et de précipiter sa ruine, ne
daignèrent plus demander le consentement des empereurs
pour obtenir quelque coin désert des Gaules , faveur qu'ils
payaient jadis en consacrant leurs bras a la défense de l'em-
pire. D'un autre côté , depuis que les Romains , énervés par
toutes les jouissances que procurent le luxe et les richesses,
avaient perdu ce mâle courage et cet esprit guerrier qui les
avaient rendus maîtres de la plus belle partie de la terre con-
nue , la garde de leurs frontières était confiée à des troupes
mercenaires , composées la plupart de guerriers germains ;
ces barbares secondant plutôt qu'ils ne combattaient les ten-
tatives de leurs compatriotes d'Outre-Rhin, leur laissèrent
dévaster impunément la partie septentrionale des Gaules
et s'emparer selon leur bon plaisir (prœlicenter) des terres
à leur convenance. C'est ainsi que l'empereur Julien trouva,
au 4® siècle, les Francs Saliens établis dans une partie de la
Toxandrie d'oii ils avaient chassé les regnicoîes, tout sujets
(i) Arat ergo nunc mihi Caucus et Frisius , et ille vagus , ille pnedaior ,
exercitio s qualidus o-peratur et fréquentât nundinas meas pécore venaîi, et
cuîtor harbarus laxat annonam quid îoquar rursùs intimas Franciœ lia-
tiones non jam ab his locis quœ olim Romani invaserant, sed à propriis ex
origine suis sedibus atque abuJtimis oarbariœ liiioribus avuîsas^ ut in deser-
tis Galliœ regionibus collocatœ} pacem Romani imperii cultu Juvarent ^ arma
delectu ( Eumen., ^^awe^. Constantino Magna dict. cap. C).
-^ 420 —
des Romains qu'étaient ces derniers , et ou ils vivaient dans
une entière dépendance sans reconnaître en aucune manière
la souveraineté' et les lois de l'empire (1). Bien que Julien
parvint par sa fermeté et sa sagesse à les y soumettre , cette
soumission apparente ne dura guère , et dès le commen-
cement du 5® siècle , la partie septentrionale de la Belgique
était entièrement au pouvoir des barbares. Quelques années
plus tard, en 439 ou 442, Clodion, roi des Francs, qui fai-
sait sa résidence dans un lieu nommé Dispargum , que les
uns placent a Diest et les autres à Duysbourg , petite ville
près du Rhin , ou à un village de ce nom , entre Bruxelles
et Louvain ; Clodion , disons - nous , traversant la partie
des Ardennes connue alors sous le nom àç^Sjlva carhonaria
(la foret charbonnière) , conquit le midi de la Belgique et,
par la prise de Tournai et de Cambrai , mit fin à la domi-
nation romaine dans cette contrée.
Tels furent les moyens que les Romains employèrent
pour repeupler la Belgique réduite en un vaste désert par
la conquête de César.
Quoi qu'en dise M. Raepsaet , les documens historiques
ne nous font connaître nulle part qu'après la conquête de
iX) Petit (Julianus) primas omnium Francos, eos videlicet quos consue-
tudo Salios appellavit, ausos olim in Romano solo apud Toxandriam locum
habitacula sibi figere prœlicenter ( Amm. Marcel., 1. XVII , c. 8 ).
La manière dont Zosime rapporte ce fait diffère un peu de la relation
d'Ammien Marcellin : Animadversa Juliani erga se humanitate , partim ex
insula (Batavorum) cum rege suo Romanum in solum trajiciebant. Omnes
Cœsari supplices facti sponte sua cum relus suis ejus fdei permittehant
(Zosim., Hist. Rom., 1. III, c. 6 ). Ce passage ferait croire que les Saliens
vinrent seulement dans la Toxandrie sous le règne de Julien, tandis qu'Am-
mien Marcellin, par le terme Olim, indique qu'ils occupaient cette contrée
depuis un assez long espace de temps. De la Mannert a conclu que Zosime a
confondu deux événemens en un seul, l'expulsion des Francs de l'île des Bataves,
par Constance, et l'expédition de Julien contre les Francs Saliens, plus d'un
demi siècle après (Mannert, Géographie der Griecher und Romer, 3" th.).
-. 421 —
la Belgique par les Romains et jusqu'à leur expulsion de
ce royaume , il s'y soit e'tablie quelque colonie gauloise :
partout il n'est question que de Suèves, de Sicambres, de
Francs et de Saxons qui s'y fixèrent de gré ou de force.
— 422
CHAPITRE m.
I^ÎTision géographique et admimstratàve de la Belgique sous la dommatîon
romaine.
Nous avons vu que des cinq peuples principaux qui
habitaient la Belgique avant la conquête de César , trois ,
les Mënapiens , les Nerviens et les Tréviriens , avaient con-
tinué à subsister, et que les deux autres, les Eburons et les
Atuatiques, avaient totalement disparu du sol de cette der-
nière et furent remplacés par des peuples suèves et sicambres
connus, en Belgique , sous le nom deTongrois et de Toxan-
dres ; auxquels il faut Joindre les Suniqueset les Bethasiens,
petites peuplades qui ne formaient probablement qu'une
subdivision de l'un ou l'autre des deux peuples précédens.
Ainsi , après comme avant l'invasion romaine , la Belgique
fut partagée entre cinq grandes peuplades (gentes majores).
En décrivant la position géographique des peuples de
la Belgique a l'époque de la domination romaine , nous
allons suivre la méthode que nous avons adoptée en tra-
çant les limites du territoire des Belges à l'époque anté-
rieure. Nous nous occuperons donc principalement de la
division géographique des peuples principaux ou des />agw^
m q/ore^, a laquelle nous rattacherons celle des petites peu-
plades. Celle-ci au reste ne nous arrêtera pas longtemps;
car, comme nous avons déjà tenté dans le chapitre 111 de
la première partie de ce livre, de fixer la position géogra-
phique des neuf petites peuplades connues qui occupaient
une partie de la Belgique avant la conquête romaine , il
— 423 —
serait inutile de revenir sur ce sujet, d'autant plus que le
nom de ces peuples disparaît entièrement dans Thistoire
après cet événement, quelques-unes de ces triÎ3us ayant été
enveloppées dans la catastrophe qui anéantit plusieurs des
peuples majeurs dont elles dépendaient , et les autres ayant
été confondues sous la dénomination des grandes tribus qui
occupèrent la Belgique après l'établissement de la domina-
tion romaine. Les Suniques et les Betliasiens , les seules pe-
tites peuplades connues de nom de celles qui vinrent se fixer
en Belgique a cette époque , exigeront donc seules nos re-
cherches. Quant a cette multitude de Saxons et de Francs qui
inondèrent la Belgique dès le milieu du troisième siècle , il
serait impossible de fixer au juste la position qu'ils y occu-
pèrent, parce qu'ils s'étendirent sur toute la surface de la
Belgique , sur le territoire des Ménapiens , des Tongrois et
des Toxandres, comme sur celui des Nerviens et des Trévi-
riens , et que confondus avec ces peuples , tous ensemble ne
formèrent bientôt qu'une seule et même nation unie par
les liens d'une origine commune.
Pour tracer les limites des peuples principaux de la Bel-
gique sous la domination romaine, nous avons pour docu-
mens, outre la division des anciens diocèses, les chroniques
et chartes du moyen âge , c|ui nous sont ici du plus grand
secours , surtout pour fixer les limites des Ménapiens et des
Toxandres; car ce que les documens romains nous appren-
nent sur ce sujet est très-vague et très-obscur. Au reste ,
on peut dire que pendant , comme avant la domination ro-
maine , le territoire de plusieurs peuples belges, surtout de
ceux qui habitaient les Flandres, la Campine et la province
d'Anvers, fut en majeure partie sans démarcation cer-
taine : ceci doit s'entendre principalement des petites
peuplades. Les recherches auxquelles plusieurs écrivains
modernes se sont livrés pour désigner les limites de
— 424 ^
ces petites tribus, n ont produit que des conjectures plus ou
moins probables , mais denue'es de preuves positives. Aussi
convenons-nous volontiers avec M. Raepsaet, qu'il est plus
curieux qu'utile de rechercher la position précise de ces
peuplades , dont la plupart ne nous sont pas même con-
nues de nom , comme on peut conclure du passage de Pline,
dans lequel il est question des Toxandres : Pluribus no-
minibus Toxandri. « Car, dit avec raison M. Raepsaet,
quelque plausibles que puissent être les raisons que chaque
écrivain allègue en faveur de son opinion , il est peut-être
impossible de l'amener à un degré de certitude. On ne se
forme d'ailleurs qu'une idée confuse de l'ancienne topogra-
phie des Pays-Bas en chargeant sa mémoire de tous ces dé-
tails; il vaut mieux s'en former une idée claire, nette et
précise en n'envisageant le pays que sous le rapport des
parties principales de sa division (1). » Enfin , lorsque
nous voyons l'espace compris entre le Demer, la Meuse , le
Wahal et l'Escaut occupé tour à tour par des Ménapiens,
des Usipètes , des Tenchtres , des Ambivarites , des Ebu-
rons , des Tongrois , des Toxandres , par des Francs et une
multitude d'autres peuplades moins connues, nous sommes
tentés d'appliquer aux parties septentrionales de la Belgique
pendant les cinq premiers siècles de l'ère vulgaire , ce que
Tacite disait de la Germanie : que c'était une terre sans
limites ni possessions circonscrites , que les différentes peu-
plades occupaient ou abandonnaient à leur gré.
Aucun document ancien ne prouvant que les limites des
Nerviens et des Tréviriens fussent sous la domination ro-
maine , différentes de celles qui séparaient ces peuples des
nations voisines avant cette époque, nous n'ajouterons rien à
ce que nous avons dit à cet égard , en décrivant la position
(1) Raepsaet, tom. 1 et 3.
— 425 —
géographique des Nerviens et des Trëviriens, lors de la con-
quête de Cësar.
Les Mënapiens continuèrent a occuper pendant les cinq
premiers siècles de l'ère vulgaire, Fespace où ils furent res-
serres après leur expulsion des bords du Rhin et de la Hol-
lande septentrionale par les Tenchtres et les Usipètes. On
peut leur assigner les bornes suivantes : au nord , FEscaut
et la Meuse les se'paraient des Bataves (1) ; a l'est , l'Escaut
formait leur démarcation du côte' des Nerviens et des
Toxandres ; a l'ouest , ils avaient pour limites TOcëan et le
pays des Morins ; au midi, la Scarpe , laDeule, la Lys et la
Marne paraissent leur avoir servi de limites du côte des
Morins et des Attrebates ; c'est jusque-la au moins que s'ëten-
dait,au moyen âge, le pagiis Mempiscus ou Menapiscus^ qui
occupait la majeure partie du territoire des Mënapiens (2),
Tous les géographes et historiens modernes qui se sont
occupes de la topographie des Gaules ont ëtendu les limites
des Morins jusqu'à Ypres et Nieuport, c'est-a-dire, bien avant
ddinsV ancien p agus Mempi s eus. Ils ont en particulier attri-
bue à ce peuple la ville de Cassel à laquelle ils ont donne le
nom de Castellum Morinorum ; quoique dans un document
aussi ancien et aussi authentique que l'est la carte romaine
appelëe vulgairement la Table de Peutinger, ce lieu soit dé-
signé positivement sous le nom de Castellum Menapiorum,
(1) Britannîa àmeridie Gallias habet, cujus proximum littus transmean-
tibus civitas apperit quœ dicitur Rhutubi Portus , undè haud procul à Mori-
nis in austro positos Menapios Batavosque prospectât (Orosius, Hût. rom, ,
1. I,c.21).
Ce passage atteste qu'aux Mënapiens succédaient immédiatement les
Bataves, et, par conséquent, que le territoire des Toxandres ne s'étendait
pas entre ces deux peuples en se prolongeant jusqu'en Zélande, comme le
prétendent la plupart des auteurs modernes.
(2) On lit dans une charte de Charles-le-Chauve, de l'an 847 , donnée en
faveur de l'abbaye de Saint-Bavon : in territorio Menapiorum quod mine
Mempiscum appellant.
~ 426 —
et bien que d'autres documens d'une e'poque reculée attes-
tent de même que ce Castellum était placé sur le terri-
toire des Ménapiens (1).
Tout cela semble prouver que c'est a tort que les géo-
graphes modernes ont étendu le territoire des Morins jusque
dans une partie de la Belgique actuelle et qu'il faut reculer
les limites de ce peuple aux trois rivières précitées qui
formaient les bornes méridionales du pagus Menapiscus
ou du pays des Ménapiens.
Il est vrai qu'anciennement les villes de Cassel ,
d'Ypres et de Nieuport faisaient partie du diocèse de
Terouenne , chef-lieu des Morins ; et c'est la le motif
qui a porté les auteurs modernes à attribuer le territoire
de ces villes aux Morins , malgré l'autorité de la Table de
Peutinger et d'une foule d'autres documens anciens , parce
que dans l'empire romain la circonscription des diocèses
avait été tracée sur celle des gouvernemens civils , c'est-a-
dire que la topographie ecclésiastique était presqu'en tout
point conforme à la topographie civile et administrative ,
de sorte que le chef-lieu d'une province était en même
temps le siège d'un archevêché , et une simple ville celui
d'un évêché. Cependant, si tel fut l'ordre établi dans les
différentes provinces de l'empire romain depuis le règne
de Constantin, et si une ville avec son ressort constituait
alors ordinairement un diocèse , dans les contrées faible-
(l) L'ancien auteur qui a décrit les miracles de Saint-Bertin, appelle la
ville de Cassel, locutn famosum, Castellum Menafiorum (Miracula S. Ber-
tini, 1. 1).
Plusieurs chartes, une entre autres en faveur de Téglise de Saint-Pierre
à Cassel , datée de Tan 1085 , désignent Cassel comme faisant partie du
pagus Menapiscus. Nous verrons plus loin combien est grande Terreur de
ceux qui fixent la position du Castellum Menapiorum au village de Kessel ,
sur la Meuse, près de Ruremonde.
ment soumises, la délimitation des districts ne pouvant
être faite que d'une manière vague et incertaine, il
dut en être de même de celle des diocèses. Tel dut être
en particulier l'état des choses dans le nord de la Belgi-
que encore en partie désert et inhabitable aux 4e et 5^
siècles , ou en partie habité par des peuplades incivilisées
et presque indépendantes. D'ailleurs la plupart des Belges
ne se convertirent au christianisme et ne se soumirent h
l'autorité spirituelle des évêques qu'au 1^ et au 8^ siècle,
c'est-à-dire plusieurs siècles après la destruction de Fem-
pire romain et à une époque oii l'on cessa de fixer la déli-
mitation des diocèses suivant la division politique. Ainsi la
ville d'Anvers faisait partie du diocèse de Cambrai , ancien
chef-lieu des Ner viens , quoique suivant l'organisation de
l'empire romain elle eut dû appartenir plutôt au diocèse
de Tongres.De même les quatre offices (de vier ambachten)
et la Flandre hollandaise ( aujourd'hui partie de la pro-
vince de Zélande) qui , appartenant au territoire des Mé-
napiens, auraient du ressortir de l'évêque de Tournai, chef-
lieu des Ménapiens sous l'empire , obéissaient néanmoins a
celui d'Utrecht dans le pays des Bataves. Or, si l'extrémité
septentrionale du pays des Ménapiens dépendait d'un dio-
cèse étranger , pourquoi la partie qui comprenait le terri-
toire des villes actuelles d'Ypres, de Furnes, de Nieuport ,
de Cassel , etc., n'aurait-elle pas pu également appartenir à
un autre diocèse étranger , celui de Terouenne , chef-lieu
des Morins, au lieu de ressortir de celui de Tournai, chef-
lieu des Ménapiens (1).
(1) Après la conquête des Gaules par les Francs , un cvéque qui conver-
tissait au christianisme une peuplade idolâtre, la soumettait à sa juri-
diction spirituelle et la réunissait a son diocèse, sans qu'alors on eut encore
égard a la circonscription établie dans l'oji'dre civil; de là provient la grande
différence qui existait entre la délimitation des diocèses de la Belgique
— 428 —
On pourrait objecter que bien que la partie septentrio-
nale du pays des Me'napiens ait pu n'être que faiblement
soumise aux Romains et que la délimitation des diflfe'rentes
parties de la Belgique actuelle tracée par ces derniers , ne
se soit peut-être point étendue jusque-là , au moins cette
délimitation dut-elle comprendre le territoire de Cassel ,
parce que ce prétendu Castelîum Morinorum étant sous
l'empire une position militaire d une assez grande impor-
tance, semble avoir dû faire partie d'un district romain et,
par conséquent , avoir été compris dans la circonscription
d'un diocèse. Mais quand il en eut été ainsi , ce dont nous
doutons pour plusieurs raisons , serait-ce une preuve que
ce Castelîum fut situé sur le territoire des Morins , parce
que plusieurs siècles après l'expulsion des Romains par les
Francs (événement qui lui-même changea entièrement
l'ordre établi par les Romains ) , cette place dépendait au
spirituel de l'évêché de Terouenne , chef-lieu des Morins.
Alors il faudrait dire que le Brabant septentrional tout en-
tier appartenait au pays des Bataves parce qu'au moyen
âge cette province actuelle faisait partie du diocèse d'Utrecht;
que les Toxandres n'étaient qu'un même peuple avec les
Tongrois, parce que dès le 7® siècle la Toxandrie était com-
prise dans le diocèse de Tongres (ou de Maestricht), et que
l'emplacement d'Anvers était occupé par les Nerviens,
avant la création des nouveaux évêchés par Philippe 11, d'avec la division
géographique et administrative de la Belgique établie par les Romains. C'est
ainsi que le territoire des anciens Ménapiens dépendait à la fois de trois
sièges épiscopaux ; qu'une partie de celui des Nerviens appartint pour le spi-
rituel à celui des Tongrois , parce que les hahitans de ces lieux avaient été
convertis par Saint-Lambert , évêque de Tongres et de Maestricht ; que le
Brabant septentrional fit partie du diocèse d'Utrecht, parce que Saint- Wille-
brord, premier évêque de cette ville, prêcha la foi dans cette province; quele^
territoire d'Anvers obéit a l'évêque de Cambrai , parceque les hahitans de cette
province abjurèrent le culte des idoles sous l'apostolat de Saint-Lievin . évê-
que de Cambrai et des Nerviens , et reçurent le baptême des mains de ce prélat.
— 429 —
parce qu'avant le milieu du 16^ siècle , cette ville recon-
naissait l'autorité' spirituelle de l'évéque de Cambrai.
La preuve qu'on a allëgue'e pour e'tendre les limites des
Morins jusqu'à Nieuport et Furnes est donc de nulle valeur
et ne peut en aucune manière balancer l'autorité de la Table
de Peutinger et d'autres documens anciens qui attestent que
les limites du territoire des Me'napiens s'étendaient jusqu'à
laDeule, la Lys et la Scarpe. Les Morins doivent par consé-
quent disparaître de la carte ancienne de la Belgique actuelle,
elles habitans de Nieuport, de Furnes, de Dixmude,d'Ypres
et de Cassel ne descendront pas d'un peuple celte, mais tire-
ront leur origine d'un peuple germain , les Ménapiens.
Toutefois la Flandre actuelle ne fut point, sousl'empire, oc-
cupée exclusivement par des Ménapiens; elle le fut aussi par
plusieurs colonies de Suèves, comme nous l'avons dit au cha-
pitre précédent. Les historiens romains des 3e et 4« siècles de
l'ère vulgaire nous apprennent aussi que les Saxons, ou plutôt
les peuplades germaniques qui composaient la ligue saxonne,
avaient formé plusieurs établissemens sur la côte de la Flan-
dre qui de là reçut suivant M. Raepsaet, le nom deZittus
Saxonicum (1). « Ces colonies saxones , dit cet auteur, s'é-
(1) Saxones gentem in Oceani Uttoribus et paîadibus siiam (Paul. Dioc. ,
Hist. Longob.] 1. II. Gros., Hist. rom., 1. VII).
Le littus saxonicum ne s'étendait pas seulement sur la côte des Morins
et des Ménapiens , mais jusqu'à la Seine, suivant Melis Stocke, chroniqueur
hollandais du 13« siècle, et même au-delà, d'après des documens beaucoup
plus anciens. On lit dans la notice de lEmpire : Trihunus cohortis primœ
novœ armoricœ, granonâ in littore saxonico. Grégoire de Tours parle des
Saxons établis dans le diocèse de Bayeux, Saxones baiocassiones (Greg.
Tur., Hist. Franc, 1. V, c 27).
Les Saxons du littus saxonicum étaient appelés Bas-Saxons pour les dis-
tinguer des Saxons de l'Allemagne : Melis Stocke dit ;
Oude hoeken lioer ic geivagen
Dat al 'tland beneden Nymagen
Willen Nedersassen hiet
Also aïs de strotn verschiet
Van der Masen en van den Rhino
De Scelt was dat west en de Sine
Aho al s die valt in de zee.
(Melis Stocke, Rym-Chromjck).
— 430 —
talent établies sur nos côtes maritimes avant la conquête des
Romains ; c'est une vérité reconnue par Meyerus et Sande-
rus(l).» Cependant, quoi qu en dise un savant aussi respecta-
ble que M. Raepsaet, nous croyons que l'assertion de Meyer,
adopte'e par Sanderus, ne repose, quant a l'établissement des
Saxons dans la Flandre, que sur les récits fabuleux des chro-
niqueurs du moyen âge (2). En effet, comment croire que les
Saxons et les Cimbres ne constituassent qu'un seul et même
peuple qui , environ un siècle avant notre ère , vint habi-
ter la Flandre, appelée anciennement, suivant Meyer,
Ruthenia ou Ruthilia; que, contraints par le déluge cimbri-
que d'abandonner ces lieux , ces mêmes Cimbres et Saxons
aient envahi les Gaules et pénétré en Italie où ils auraient
été défaits par Marins ; et enfin , qu'au rapport d'un pré-
tendu historien écossais , nommé Hector , les Saxons et les
Cimbres de la Flandre aient formé avec les Morins, les
Madiaques et Guldérius , prétendu roi de la Grande-Bre-
tagne , une ligue contre César , lorsque ce conquérant enva-
(1) Analyse, etc., tom. I, p. 92.
(2) De prœfecturâ autem hâc littoris Belgici prœcipuè in lihris de magis-
tratihus Romanorum illustris fit mentio, quod quidem et à crehris Saxonum
incursionibus Saxonicum littus , ut Beatus Rhenanus tradit, dici cœpit,
quemadmodum et Ruthenia etiam nunc à nautis nostris appelatur ab Ru~
tJienis [puto] Saxonum aut Cymbrorum natione , à quihiis et memoriam esse
invenio Flandriam antiquitiïs Rutheniam seu Ruthiliam fuisse dictant.
Cymbri autem per longam œtatem eadem loca tenuisse memorantur , qui
etiam cum Guiderio rege Brifanniœ ut refert Hector Scotorum historiens
contra Cœsarem Britanniam invadentem unà cum Morinis et Madiacis conju-
raverunt. Claudianus poeta Rhenum per duo ostia accipi tradit à mari Cym-
hrico : de Victoria Alarici ;« Te cymbrica Thetis divisum bifido consumit Rheni
tneatu.yt JSaraanno ante naialem christianum plàs minus centesimo , egressi
ab extremis Germaniœ littoribus, ubi nunc Dania est, sedes fixerunt in ora
Belgicœ-Galliœ maritima cultorïbus tum propè vacua, undetamen brevi post,
inundatione oceani magna ex parte extrusi , in Italiam transcenderunt , de-
victi tandem ihi ab C. Mario ( Meyer. Annal. Fland,, l. I, ad ana., 445 ).
^ 431 —
hit cette dernière. Tout critique judicieux rejetera ces
fables et avouera qu il est impossible de découvrir par
des documens authentiques , l'apparition des Saxons sur
nos cotes avant le troisième siècle.
Les Tongrois , occupant le territoire des Atuatiques et la
partie de celui des Eburons qui n'avait point e'të cëdee aux
Ubiens (1), eurent pour bornes , au sud-ouest , la Dyle. Au
sudest ils s'étendaient jusque vers l'emplacement des villes
actuelles de Charleroi, Beaumont et Chimai. A l'est leurs
limites furent formées par une ligne prolongée par Basto-
gne, Stavelot, Aix-la-Chapelle, Gelkirken, Glabach et
Venlo. De ce coté ils avaient pour voisins les Tréviriens et
les Ubiens. Au nord les Tongrois étaient séparés des Gu-
gernes par la rivière la Semoy. A l'est ils confinaient à la
Toxandrie et s'étendaient jusqu'au confluent de la Dyle et
de la Senne. Leurs limites du côté des Toxandres ne peu-
vent être désignées que par celles qu'avait le j!;«^i^5 iïfe-
napiscus au moyen âge (2).
La position des Suniques et des Betliasiens est fixée par
le P. Hardouin et par d'autres savans entre la Meuse et le
Rhin. Wastelain les place entre l'extrémité septentrio-
nale et orientale du Limbourg et la Rhoer, et M. Raepsaet,
avec beaucoup plus de fondement , sur la rive gauche de la
(î) L'auteur d'une histoire abrégée de la ville de Spa pense que le pajs
des Eburons était divisé en Cismosane et en Transmosane ; qu'après la des-
truction des Eburons la Transmosane échut en partage aux Condrusiens, et que
la Cismosane, restée inhabitée jusqu'au règne d'Auguste, fut alors concédée
par ce dernier aux Eburons [Aire gé de l'histoire de Spa, par J. B. L., p. 93).
Il n'est pas besoin d'observei" que ce n'est là qu'une conjecture dénuée de
toute preuve historique.
(2) Sousl'épiscopatdeSaint-Piemi, évêquede Reims, le diocèse de Tongres
touchait a celui de Reims, comme le prouve la lettre par laquelle Saint-
Remi reproche à Falcon , évéque de Tongres, d'avoir empiété sur l'autorité
des évêques de Reims en établissant des prêtres h Mousson et en se faisant
rendre compte des revenus de cette église, placée au-delà des limites du dio-
cèse de Tongres. Cette lettre est de l'an 497 ou 524.
— 432 —
Meuse, entre Namur et la Gueldre (1). La diversité de ces
opinions prouve assez combien est grande l'incertitude et
rignorance où nous sommes sur la ve'ritable position des
petites peuplades de lancienne Belgique et combien il faut
être circonspect en traçant les limites de ces pagus ou gén-
ies minores (2).
Tout ce que nous pouvons dire avec certitude , c'est que
les Tongrois , d'après les limites que nous leur avons assi-
gnées , et les petites peuplades enclavées dans ces limites ,
s'étendaient dans la province actuelle de Namur, dans celle
(1) Clavier a commis une erreur grave en confondant les Bethasiens
avec les Atuatiques. Un passage de Tacite {Hist., 1. IV, c. 66), semble prou-
ver que les Suniques habitaient aux environs deMaestricht. Pèlerin les place
dans les districts de Fauquemont, de Maestricht, de Daelhem et deRolduc,
et leur donne pour voisins : au midi, les Bethasiens ; au nord, les Ménapiens 5
à Test, les Ubiens, et à l'ouest, les Tongrois. « En suivant, dit-il, l'ordre
géographique de Pline, qui nomme les Tongrois, ensuite les Suniques et
puis les Bethasiens , ce peuple devrait être placé sur la rive droite de la
Meuse au midi des Suniciens. En leur supposant aussi des possessions sur la
rive gauche de cette rivière , on peut concilier l'ordre géographique de Pline
avec les circonstances du récit de Tacite. « ( Pellerin, Descript du dépar-
tement de la Meuse inférieure, p. 36 et 44 ).
(2) Pline place entre les Suniques et les Bethasiens une peuplade à la-
quelle il donne le nom de Frisiahones ; il est propable que cet auteur aura
confondu cette peuplade avec les Frisiabones qui, suivant Wersebe, habi-
taient la Zélande. Nous en parlerons ailleurs ( Wersebe , iiher die Deutschen
und Deutschen Voïkstames) Menso Alting met cette erreur sur le compte des
anciens copistes de l'ouvrage de Pline : Apud Plinium quidem in Ehuroni-
bus recurrit vocabuluni Frisiahones ; sed manifesta lihrarii errore, de quo
nemo ambigit. Frisiabones enim œtate Plinii secùs Mosam novas sedes tenuisse
tantum àbest, ut cum Batavis sociis tune ultra ipsum Rhenum fuerînt re-
jecti (Tacit.j Hist. V, c. 23 ). ISum Plinius ab oppido Frypont hodiè in
Eburonibus noto, simile quoddam nomen formaverit vel ab alio non abhor-
rente f in medio relinquo. Certe ro Frisiabones huic positurœ nequagnam
convenit (Menso Alting, Descript. Germ. inf, pars 1» in voce Frisiabones.
C'est aussi à tort que M. Raepsaet place dans l'ancien diocèse de Ton-
gres, un peuple gaulois que Pline appelle Leuci. Ce sont évidemment les
habitans du diocèse de Toul en Lorraine , Tullo Leucorum.
-- 433 —
de Licge, dans une partie du Limbourg, dans une petite
portion du Luxembourg , dans la partie du Brabant méri-
dional située a droite de la Dyle et, hors de la Belgique, sur
une fraction du duché de Juliers.
Les Toxandres , ou les diverses peuplades comprises sous
ce nom commun , ne se trouvent mentionnes par aucun au-
teur romain autre que Pline et Ammien Marcellin. Le pre-
mier les place à droite de TEscaut {Extera scaldis) ; de là on
a conclu qu'ils habitaient la Zélande; fait très-douteux, parce
qu'aucun auteur ancien n'a jamais connu des Toxandres
dans cette province (1) , outre que le terme extera scaldis
dont se sert Pline, peut s'entendre aussi bien du Brabant
septentrional , où toutes les chartes du moyen âge placent la
Toxandrie, que de la Zëlande. Ammien Marcellin dit que les
Francs-Saliens vinrent au 4^ siècle, se fixer dans un endroit
de la Belgique appelé Toxandrie (rt/9?^<i Toxandriam locum),
(1) Bruining prétend que les Éburons qui échappèrent au désastre qui
accabla leur nation, se retirèrent dans les îles de la Zélande; que là ils
furent d'abord confondus avec les Morins, jusqu'à ce que les Romains, lorsqu'ils
commencèrent à mieux connaître ces contrées , leur donnèrent le nom de
Toxandres, à cause de leur adresse à manier l'arc : Blediœ inter hœc œstua-
ria et scaldis ostium orientale insulœ antiquitiis sub ditione erant Romano-
rum per Flandriam Artesiœque mantuca effusorum. In easdem vero iiisulas
confugere magno numéro Ehurones , antiquiorihus à Ccssare penitùs exuti
sedihus, et quo persequentes Romanos meliùs laterent, gentile nomen ahdi-
eantes , variisque pro insularum varietate insigniti nominihus. Hi vulgo
Morinis adnumerati fuère , donec gentem à génie discernere edocti Romani y
quos tum magnoperè grœcissasse notum est, Eburoîium illis reliquiis nomen
Toxandrorum imponerent; quod sagittarios indicans , posthac ad ûnitimos
quosque Bracbantiœ boréales incolas, arcu œquè valentes et venationi deditos
propagatum \fuit; ni malis ipsam Eburonum posteritatem Zeelandicam sese
tandem in Brabantiam effudisse. (Bruining-, Res Belgicœ, Bafavicœ , etc.).
Ce ne sont là que des conjectures dénuées de toute vraisemblance; de plus
les Morins ne s'étendirent jamais jusqu'à la Zélande et ne purent par con-
séquent se confondre avec les Toxandres.
Desroches, dans son Hist. ancienne des Pays-Bas Juirich., place, comme
nous, les Toxandres entre la Meuse et l'Escaut.
Tome I. 28
^ 434 —
quon tient communément pour Tessenderloo, a deux lieues
de Diest. Nous croyons plutôt avec Wersebe, quAmmien
Marcellin a voulu comprendre sous cette dénomination, non
pas quelqu'endroit particulier, mais la Toxandrie en géné-
ral; d'ailleurs dans Tessenderloo, village dont lexistence est
postérieure a Ammien Marcellin , la syllabe loo ne dérive
point du latin locus^ mais est un vieux mot flamand, qui dé-
signait ?me hauteur boisée. Comme ni Pline ni Ammien Mar-
cellin ne marquent point la position précise et les limites des
Toxandres , c'est aux monumens du moyen âge que nous
devons avoir recours pour connaître la vraie demeure de
ce peuple. Le pagus Toxandriœ des 7^ et 8^ siècles pa-
raît retracer assez bien le pays des anciens Toxandres.
Au nord le pagus Toxandriœ était borné par le Wahal ; à
l'occident par le pagus Masgau qui le séparait de la
Meuse (1); au midi par le Demer et le Rupel, et à Torient
par FEscaut (2). La Toxandrie s'étendait donc sur le Bra-
bant septentrional, le Limbourg, la province d'Anvers et
une petite portion du Brabant méridional (a gauche du
Demer ).
Au reste tout cet espace était rempli de déserts, de ma-
rais et de forets. C'était la que se trouvaient ces déserts
belges (^avia Belgarum^ où Tacite dit que Labeon chercha
à se soustraire à la poursuite de Civilis. Un ancien légendaire
de Saint-Lambert appelle la Toxandrie une région rem-
plie de vastes marais (^e^^o vastis et fere continuis paludibus
obsita) (3).
(1) Un ancien hagiographe de Saint-Lambert dit que la Toxandrie com-
mençait a trois milles de Maestricht.
(2) Voyez Desroches. Mémoire sur les pagus du moyen âge, dans les an-
ciens mémoires de l'Acad., et Imbert de pagis cisrhenanis, àans les annales
(icaclem. Lovaniens.
(3) Dans le livre I de son Histoire de la guerre des Goths , Procope
place a Toccident des Tongrois un peuple qu'il nomme Arhorichi. De là
— 435 ~-
Telles sont les limites des difFérens peuples de la Bel-
gique à 1 époque romaine, pour autant que les monu-
mens du temps et ceux du moyen âge nous les font con-
naître. Quant à la division de la Belgique dans le système
ge'ne'ral de la classification romaine des provinces de la
Gaule, il suffira de dire qu'Auguste divisa toutes les contrées
comprises sous le nom de Belgique , en Belgique propre-
ment dite et en Germanie supérieure et inférieure : celle-là
comprenait en partie les Belges d'origine gauloise, et celle-ci
exclusivement ceux d'extraction germanique. Des diffe'-
rentes parties de la Belgicjue actuelle , la provincia helgica
d'Auguste contenait le Luxembourg, le pays des Ner-
viens et celui des Me'napiens ; la Tongrie et la Toxandrie
faisaient partie de la Germanie inférieure {germanicainfe'
rior).
Sous le règne de Constantin , la Belgique romaine subit
une nouvelle délimitation; on divisa alors la province de
la Belgique créée par Auguste , en première et seconde
Belgique , et les provinces de la Germanique supérieure et
inférieure, en première et seconde Germanique. Les Ner-
viens et les Ménapiens firent partie de la seconde Belgique,
dont la métropole ou le chef-lieu était Reims ; le Luxem-
bourg appartint à la première Belgique , sous la métro-
pole de Trêves; les Tongrois et les Toxandres se trouvè-
rent dans la seconde Germanique , ayant pour métropole
la ville de Cologne.
M. Le Page de la Laighe a conclu, dans un mémoire publié à Gand. en
1770, sous le titre de Mémoire sur Véiahlissement des Francs dans la Bel-
gique et sur l'existence des Arhoriches dans la Toxandrie , que ces Arbo-
riches étaient une peuplade de la Toxandrie. Mais tout ce que l'auteur al-
lègue à l'appui de $on opinion ne prouve absolument rien. Du Bos,
Wastelain et d'autres savans ont démontré à l'évidence qu'il faut lire
Armorici diVL lieu à'Jlrborichi , et que Procope n'a voulu désigner que les
peuples de la côte des Gaules connus sous le nom commun d'Armoricains.
436
CHAPITRE IV.
Condition politique et état administratif de la Belgique sous la donunation
romaine. Annales des Francs jusqu'au VI° siècle.
Presque tous les auteurs modernes n'ont fait aucune dis-
tinction entre l'état politique des Germano Belges et celui du
reste des Gaulois, et ont cru que, comme ces derniers, les
Belges furent régis par les lois romaines et obéirent à des
officiers civils et militaires envoyés de Rome. Nous pen-
sons que c'est la une erreur et que les Belges, tout en recon-
naissant la domination romaine , n'étaient , à l'égard des
Romains , que comme des vassaux a l'égard d'un suzerain ;
que plusieurs peuples belges furent même traités comme
amis et alliés du peuple romain, et enfin , que tous les Ger-
mano-Belges obtinrent le privilège de se gouverner parleurs
propres lois et de se choisir des chefs nationaux.
César en marchant a la conquête des Gaules , jugea , en
habile politique , que pour rendre aux Gaulois la perte de
leur indépendance moins amère et les habituer a subir plus
patiemment la domination étrangère, il fallait d'abord leur
laisser une ombre de liberté et ne leur imposer qu'insensi-
blement le gouvernement et les lois de Rome. En permet-
tant aux différens peuples de la Celtique de n'obéir qu'à
leurs chefs nationaux , il se faisait des créatures de ces der-
niers ; les Romains ayant pour maxime , comme dit Tacite,
de faire servir les rois étrangers d'instrumens à la servitude
des peuples (1). Dès son arrivée dans les Gaules, César pro-
(1) Vetere ac jam pridem recepta populi romani consueiudine , ut haberet
instrumenta servitutis et reges (Tacit, , Vita Agric, c. 14).
--^ 437 —
clama donc que rintention du sénat était de maintenir tous
les peuples de cette région dans leur antique liberté et de
leur conserver leurs lois et leur gouvernement national (1),
Ce principe , il Tadopta surtout à Fégard des peuples de
la Belgique : il maintînt les rois des Atrebates dans leurs
anciens pouvoirs (2) ; les Nerviens et les Tréviriens re-
çurent le titre de peuples libres. Il en eut agi de même
envers les Atuatiques et les Eburons , si par leur conduite
hostile et en enfreignant les traités, ces peuples ne l'eus-
sent contraint a déployer a leur égard une déplorable sé-
vérité. Quant aux Ménapiens , grâce aux obstacles natu-
rels que présentait le sol de leur pays , la plupart conser-
vèrent une entière indépendance , retranchés dans leurs
marais et leurs forets où. ils bravèrent impunément tous les
efforts du conquérant romain.
Ainsi lorsque César quitta les Gaules, pour ne plus y re-
venir, tous les peuples de la Belgique actuelle, hormis
les Atuatiques et les Eburons qui avaient cessé d'exister,
conservaient leurs chefs nationaux et leurs antiques con-
stitutions , tout en reconnaissant (a l'exception d'une partie
des Ménapiens ) les Romains pour leurs maîtres et souve-
rains (3).
Cependant malgré les palliatifs dont usa César pour dis-
simuler aux Gaulois la perte de leur indépendance , ceux-ci
(1) Si judicium senatus observari oporteretf liheram dehere esse Galliam
(Cœs., 1. I, c. 45).
(2) Civitatem ejus , dit César, en parlant de Comius, roi des Atrebates ,
immunem esse j'usserat , jura legesque reddiderat (Caes., 1. VII. c. 76).
(3) Ai enim quœdam fœdera extant, ut Germanorum, Insubrium , Helve-
tiorum , Japidum, nonnullorum item ex Galliâ barbarorum . etc. ( Cicéro
pro Balbo , c. 14).
Le terme barbarorum s'applique plus particulièrement aux Belges et aux
Bataves.
— 433 —
n'en soupiraient pas moins avec impatience après le moment
propice de s'affranchir de la domination étrangère : en un
mot , les Gaulois étaient vaincus , mais non soumis (1). La
présence seule de César et lepuisement où les avaient
réduits les guerres désastreuses de la conquête, les for-
cèrent momentanément à se tenir en repos. Mais dès
que la guerre civile eut embrasé toute la république , et
que les Gaulois ne craignirent plus le retour de César,
occupé à disputer à Pompée l'empire du monde, ils ne tar-
dèrent pas à lever de nouveau l'étendard de la révolte , et
plusieurs peuplades, entr autres les Morins, secouèrent en-
tièrement le joug. Les dissentions civiles, qui, après la mort
de César, continuèrent à déchirer la république, ne permi-
rent aux Romains de travailler à rétablir leur autorité dans
les provinces nouvellement conquises , que lorsque la ba-
taille d'Actium et le triomphe d'Auguste eurent mis enfin
un terme à l'anarchie. Alors Auguste ne négligea rien pour
réduire les peuples gaulois qui s'étaient soustraits à la do-
mination romaine et pour consolider cette dernière dans
toute l'étendue des Gaules. Il se rendit en personne dans
cette région pour y établir une nouvelle division adminis-
trative et y organiser un gouvernement conforme à celui
des autres provinces de l'Empire (2).
Mais tout en changeant l'ancien ordre des choses, Auguste
conserva à plusieurs peuples des Gaules, les prérogatives
que leur avait accordées César ; aux unes comme récom-
pense de leur fidélité et de leur dévouement , aux autres
(1) Domitœ sunt à Cœsare maximœ natîones , sed nondum legihtis , non-
dxtm certo imperio, nondum satis firma pace devinctœ (Cicéro, de prov.
consul.).
(2) Et qiwd Galliœ res, cum, illa vix suhacta, statim hella civilia suhse-
ciita fuissent, nondum satis erant composites, igitur Gallos in censum redegit,
vitamque eorum etrempuhlicam formavif (Dio. Cass., 1. III).
— 439 -
par nécessité politique et comme Tunique moyen de les
maintenir dans l'obéissance (1).
Les peuples de la Belgique dans sa plus grande étendue ,
qui se trouvèrent dans le premier cas, furent les Remois et
les Lingones (le diocèse de Langres). Ceux de la Belgique
actuelle auxquels Auguste fut contraint par la force des
choses à accorder ou à conserver le titre de peuples libres,
sont les Nerviens (2) et lesTréviriens, et probablement aussi
(1) i( Les peuples que leur peu de résistance a la conquête et la servilité
de leur soumission , quelquefois la force et Tindépendance sauvarje de leurs
mœurs, recommandaient aux ménagemens du vainqueur, recevaient le titre
de peuples libres ou de cités fédérées ; en cette qualité ils conservaient leurs
anciennes lois et payaient seulement des redevances en terres , en argent et
en hommes. » (Thierry, Hist. des Gaulois, tom. 2, p. 188).
Augustus inter subditos , provincias ex moribus Romanorum ordinavît; fœ-
deralos contra, patriis sewper legihus suis guhernari jussit (Dio. Cass., 1. IV).
— Sunt et liherœ civitates , aliœ ah initio oh amicitiam , aliœ honoris gratia
lihertate donatœ ( Strab. 1. XVII).
Le titre de peuple libre s'interprétait de diverses manières : 1" un peuple
était censé libre, lorsqu'il n'était dans la dépendance d'aucun autre peuple;
2° lorsqu'il avait contracté une alliance étroite avec un autre peuple, en jouis-
sant de droits égaux avec ce dernier; 3° il était censé libre encore, lors-
qu'il reconnaissait un autre peuple pour son souverain , tout en conservant ses
lois et ses institutions nationales : liber autem poptilus est is qui nullius aU
terius populi potestati est subjecius , sive is fœderatvs est, item sive œquo
fœdere in amiciliam venit, sive fœdere compreliensum est ut is populus alte-
rins populi majestatem comiter conservaret. Hocce enim adjicitur , ut intelli-
gatur alterumpopulum superiorem esse, non ut intelligatur alterum non esse
liberum ( Lex. VII Digest., de captiv. et posttim ).
Voir sur la condition des peuples auxquels les Romains accordèrent le titre
de peuples libres : Loys de Bochat, Mém. sur VHist. anc. de la Suisse y
tom. 2, mém. 7. Maffei, Ferona illustrata, 1. III.
(2) Nervii liberi. Plin., 1. IV, c. 17. Çuod etiam Plinius Nervios liheros
adpellat, dit Spener, i?owia7îO$ suspexisse insignem eorum virtutem et liher-
tatem generosœ genti, quantàmvis victœ, non invidisse, fîdes e5^(Spener,
Notit Germ. antiq., 1. 1 , c. 5, § 33).
Guillaume le Breton, poëte du 12^ siècle, dit des Nerviens :
Nervius omnipotens
Quem nunquam sibi prœvaluit romana protestât
Suhjiccre omnino certisve licjaro trihutis.
(Guillelm, Brito, Philippaid., 1. IX. .
— 440 —
les petites peuplades qui vivaient sous leur protection. Les
uns et les autres continuèrent donc d'obéir a leurs chefs na-
tionaux et a se régir par leurs anciennes lois et constitu-
tions , à la seule condition de veiller a la défense de la fron-
tière septentrionale de TEmpire et a servir dans les armées
romaines, comme troupes auxiliaires. C'est en cette qua-
lité cjue les Ner viens , les Tré virions et d'autres peuples
germains, combattirent dans l'armée de César, a la bataille
de Pharsale. Les Nerviens se distinguèrent aussi , comme
corps auxiliaire , commandé par ses chefs nationaux , dans
lexpédition de Drusus , contre les Germains d'Outre-
Rhin (1) , et , vers l'an 398 , dans la guerre contre Gildon ^
en Afrique (2). La haute renommée que les Nerviens avaient
acquise auprès des Romains, par la valeur qu'ils avaient
déployée dans la guerre de la conquête , leur valut même
la brillante distinction d'être appelés , avec d'autres peu-
ples germains , à l'honneur de former la garde intime des
empereurs, connue sous le nom de garde germanique (3).
(1) In quo (bello) inter primores piignaverunt Senectius et Anectius iribimi
vivitatis IVerviorum ( Epitome T. Livii, 1. CXXXIX ).
(2) (jlaudian. de bello Gildon, 1. 1.
(3) On a découvert à Rome plusieurs pierres tumulaires de Nerviens qui
faisaient partie de cette garde. Une de ces épitaphes, transcrite par Gruter
et par D. Bouquet, porte :
Cirata Julia Annœi
F. natione Nervia.
Cette Cirata Julia, fille du Nervien Annaeus, était probablement la fille d'un
soldat de la garde germanique, dont les Romains avaient latinisé le nom,
comme ils avaient coutume de faire à l'égard de tous les barbares qui ser-
vaient dans leurs armées. Dans une autre épitaphe il est question d'un Marcus
Liberius Victor, citoyen nervien. Les termes de natio nervia , de cives ner-
i"tM5 qu'on lit sur ces pierres tumulaires, indiquent évidemment un peuple
libre. C'est ainsi que Tacite en parlant des Bataves, bonorés par les Romains
du titre de peuple libre, d'alliés et d'amis du peuple romain, les qualifie
eonstamment de gens haiava , civitas Batavorum (Tacit., Hist. 1. IV). Dans
une inscription tumulairc, découverte à Teiano, près de Rome, il est ques-
^ 441 —
Nous voyons dans Tacite, que lors de la révolte des
Bataves , sous le règne de Vespasien , les Tréviriens conti-
nuaient toujours a être régis par leurs chefs nationaux et
par des centeniers (les seniores du 6^ et du 7® siècle)
auxquels cet historien donne le nom de sénateurs. Pline
appelle les Tréviriens un peuple ci-devant libre ( Treviri
liberi antea (1) ) , ce qui donne lieu de croire que les Ro-
mains leur otèrent le titre et les prérogatives de peuple
libre , lorsqu'ils furent parvenus a mettre un terme au sou-
lèvement des Bataves , événement auquel les Tréviriens
prirent une part fort active (2).
Auguste, en transférant dans les déserts de la Belgique ,
les Tongrois, les Toxandres, les Bethasiens et les Suniciens,
leur octroya les mêmes privilèges qu'aux Nerviens et aux
Tréviriens , en leur imposant les mêmes obligations et de-
voirs (3). Nous voyons les Tongrois servir en qualité
tîon d'un soldat de la garde germanique de Néron, nommé Hillarius, de la
nation frisone : Hilarius JSeronis Cœsaris corpore custos , natione Friso. On
sait que les Frisons constituèrent toujours un peuple libre et ne furent que
pendant un petit nombre d'années tributaires des Romains, sans être comptés
au nombre des peuples soumis directement à leur empire.
(1) Pline, 1. IV, e. 17.
(2) L'évéque de Hontheim est cependant d'un avis contraire et prétend,
malgré l'assertion de Pline, que les Tréviriens conservèrent la dignité de
peuple libre pendant toute la durée de la domination romaine , parce que
Tacite leur donne le titre d'alliés, socios {Hist, 1. I, c. 63 ) , et Vopiscus , au
3® siècle, celui de peuple libre : ut estis liberi, etc. (Vopisc, in Floriano
adann., 275). — Voir J. N. a& Hontheim, Prodromus Hist Trevir. diplom.
et pr a g mat, tom. 1.
(3) « A l'orient des Arboricbes, dit Procope, habitent les Tongrois, peuple
barbare, dans une contrée qui leur fut concédée par Auguste, le premier
des empereurs romains. . . . ils y vécurent ( a6 an%Mo) sous les lois
de leur patrie primitive ( outoi aurovo/xoi az'ovT£ç)y> (Procop., helî. Goth., 1. 1,
c. 12).
Procope, dans ce passage, donne aux Tongrois le nom de ùvpvajoi ( Thu-
rusgi). Ce nom de Tongrois , ainsi défiguré par les copistes, ou par l'auteur
greclui-mémej qui pouvait fort bien ignorer la véritable dénomination d'un
— 442 —
d'auxiliaires dans 1 armée de Vitelius , et dans celle d'Agi'i-
cola. En 366, un corps de Tongrois était campé à Chàlons-
penple barbare placé à une si grande distance de Constantinople, a fait croire
à M. Racpsaet, que ces Thurusgiens de Procope ne sont point les Tongrois ,
mais une colonie de Thnringiens, établie dans la Gneldre. Cependant, outre
que dans aucun document ancien il n'est fait nulle mention d'une émigration
de Tburingiens dans la Gueldre, et qu'aucun géographe ou historien ancien
n'y connaît un peuple de ce nom, la manière dont Procope indique la posi-
tion des Thurisgiens, ne semble laisser aucun doute que ce peuple ne soit le
même que les Tongrois : à l'ouest des Thurisgiens Procope place les Arbo-
riques qui sont les Armoricains delà côte de la Flandre ; au midi, les Bour-
guignons, qui, à l'époque où écrivait Procope, occupaient déjà la Bourgogne
actuelle; au nord et a l'est il met les Allemands et les Suèves, qui habitaient
frlors la rive gauche du Rhin.
Quant à la dénomination fautive de Thurisgiens pour celle de Tongrois , elle
ne doit point étonner dans un Grec : rien de plus ordinaire dans les auteurs
anciens que des erreurs de ce genre: c'est ainsi que Procope, dans le passage
où il est question des Tongrois, appelle les Bourguignons, Bourgouzions : il
n'est d'ailleurs point de nom de peuple , qui dans les anciens documens varie
autant que celui des Tongrois. Tacite écrit Turingi et Tungri {liist., 1. 11, c.M);
presque tous les auteurs du moyen âge, antérieurs au 12" siècle, donnent
aux Tongrois le nom de Thuringi^ entr'autres Grégoire de Tours, Hariger et
Gilles d'Orval. Les deux derniers qualifient la ville de Tongres de métro-
pole des Thuringiens, Twefî'opoZi* Thuringorum.
C'est encore ce nom de Thuringi , au lieu de Tungri, dans l'histoire des
Francs par Grégoire de Tours, qui a fait croire à M. Raepsaet, que le châ-
teau de Dîspargwm , première résidence de Clodion, était situé sur la rive
droite du Rhin , malgré les preuves du contraire alléguées par Wendelin ,
Ghesquière , Mannert et d'autres savans.Mais le passage suivant, dans Gré-
goire de Tours, démontre suffisamment que par le mot Thurihgia cet auteur
n'a voulu désigner que la Tongrie , en Belgique : Tradunt mulli Francos de
Pannoniâ fuisse digressos , et primùm quidem litlora Rheni amnis inco-
laisss ; dehinc, iransacto RJieno , Thoringiam transmeasse (Hist. Francor.,
1. I ). Il est évident qu'il est question ici du pays des Tongrois et non pas de
la Thuringe, car s'il s'était agi de cette dernière, Grégoire de Tours eut dit
que pour aborder cette contrée en venant de la Pannonie ( la Hongrie), il
faut traverser, non le Rhin, mais le Danube. De plus, Morel , éditeur de
la seconde édition de l'histoire des Francs par Grégoire de Tours (en 1561),
dit avoir vu un manuscrit de cet ouvrage, dans lequel on lisait : Bispargum
quod est in confinio Thuringorum site Tungrorum. Cette leçon indique à
l'évidence que Dispargum était placé aux C()nlins du pays des Tongrois h
gauche du Rhin.
— 443 —
sur-Marne (1). La Notice de l'Empire place une garnison
tongroise a Douvres (2) et plusieurs autres corps de Ton-
grois, de Nerviens et de Mënapiens, dans divers endroits
de la Grande Bretagne -
Une autre preuve de la liberté' et des pre'rogatives dont
les Tongrois jouirent sous la domination romaine, c'est que
comme les Nerviens, les Bataves et d'autres peuples ger-
mains , ils faisaient partie de la garde germanique des em-
pereurs (3). Un passage de Tacite atteste aussi, que de
son temps les Tongrois obéissaient encore a leurs chefs
nationaux (4).
Quoicju'aucun document ancien ne constate positivement
que les Toxandres aient possédé les mêmes prérogatives
Nous avons vu, longtemps après avoir discuté ce point, que M. Dewez
était entièrement de notre avis sur celte question ( Noiiv. mém. de VAcad.
de Brux. , tom. 3 , p. 362 ).
(1) Amm. Marcel., 1. XXVII, c 1.
(2) Per litlus Saxonicum prœpositus militum Tungricanorum Duhris.
(3) Ce fut un garde tongrois qui assassina l'empereur Pertinax , dans la
conspiration des Prétoriens contre ce prince : Sed cum Tausius quidam
unus ex Tungris , in iram et timorem milites loquendo adduxisset, hastam
in pectus Pertinacis ohjecit (Capitolinus in Pertin., c. Il ).
11 existe a Rome plusieurs pierres tumulaires de Tongrois de la garde
germanique : une de ces épitaphes est ainsi conçue :
D. 31.
M. JJlpi Felicis Mirmillonis
Veteranif Vixit ann. XXXXV
JSaiione Tunger.
(4) En parlant de l'allocution que Civilis adressa aux Tongrois pour les
engager a son parti, Tacite dit : Movehatiir viilgus, condebantque gladios ,
cum Campanus etJuvenalis, ex primoribus Tungrorum, universamei gentem
dedidere {Tadt, HisU 1. IV, c. 66).
Ce passage en rappelle un autre du même auteur, qui concerne les chefs
nationaux des Bataves, qualifiés d'amis et de frères du peuple romain :
Transmissis illic cohortibus (hatavis) quas, vetere institiito.nobilissimipopu-
larium regebant , (I. IV, c. 12).
— 444 ^
que les Nerviens, les Tréviriens et les Tongrois, nous ne
doutons pas que la condition politique de ce peuple ne fut
la même sous la domination romaine , les Toxandres ayant
partagé le sort des Tongrois et ayant été transfères par
Auguste sur le sol de la Belgique en même temps que ces
derniers.
Suivant l'opinion de plusieurs savans distingue's, tels
que Vredius et Raepsaet , les Me'napiens auraient joui
d une liberté plus étendue encore que celle que les Ro-
mains avaient accordée aux autres peuples de la Belgi-
que. Ces auteurs prétendent même que les Ménapiens ne
reconnurent jamais la domination romaine et qu'ils conser-
vèrent leur indépendance pendant toute la durée de l'Em-
pire. Saluste, Ammien Marcellin et Publius Victor nous
apprennent en effet, que César tenta en vain de pénétrer
dans les lieux inaccessibles où ce peuple avait cherché un
refuge à Tapproche des armées romaines (1) : « Ceux qui
sont un peu versés dans l'histoire romaine , dit Poutrain ,
savent que César n'a jamais pu subjuguer les Ménapiens à
cause de ces bois , de ces marais et de ces îles , cjui lui ren-
dirent leur pays inaccessible. Auguste , son successeur , qui
fit de nouveaux efforts pour y pénétrer, n'y réussit pas mieux,
et il jugea enfin à propos de traiter avec eux. Ils furent
déclarés libres et amis du peuple romain , et seulement
tenus a lui fournir un contingent de troupes auxiliaires en
temps de guerre (2). »
(1) Omnes Gaîlias nisi qua iialudihus inviœ fuere, ut Salusiio docetur
auciore, post decefinalis helli mutuas clades suhegit Cœsar societaîique nos-
trœ fœderïbus junxit œternis (Amm. Marcell., 1. XV, c. Î2 ). Pk.es romana
plurimum imperio valuit, Sex. Sulpicio et M. Marcello coss., omnia Gallia
cis Rhenum inter mare nostrum atque oceanum, nisi quœ à paludibus invia
fuit, perdomita (Pub. Vict., Breviar roman.).
(2) Poutrain, Hist. de Tournai., tom. 1, p. 14.
Ce que Poutrain dit de la prétendue alliance des Ménapiens avec les Ro-
-^ 445 ^
« Auguste, dit le même auteur, tint l'empire romain
cinquante ans avec beaucoup de gloire. Ce fut sous lui
que Rome acheva de devenir la maîtresse du monde : Elle
ne le devint cependant pas d'un petit coin du globe, qu'ha-
bitaient les Morins (1) et les Ménapiens , depuis le port
Gessoriacum (Boulogne), entre la Lys , l'Escaut et TOcean,
jusqu'à l'embouchure de cette dernière rivière. Auguste,
qui avait pensé être plus heureux que Cësar a les dompter,
n'y re'ussit point, et après avoir fait de grands efforts inu-
tilement , dësespe'rant de les vaincre , il conclut avec eux
un traité dont il ne se peut rien imaginer de plus appro-
chant à l'alliance que l'on voit entre les treize cantons
suisses et la France ; ils furent déclarés amis et alliés du
peuple romain et compères en quelque sorte des empereurs,
comme les Suisses le sont des rois de France Ils firent
partie de la garde prétorienne qui approchait le plus près
de la personne des empereurs , comme les cent Suisses de
garde et de la cour de France, et la rivière de Lys, fut pres-
crite pour borne qui les séparait de l'Empire (2).»
Poutrain n'a fait que suivre l'opinion de Vredius, qui ,
un siècle auparavant , s'était exprimé de la même manière
sur l'état politique des Ménapiens a l'époque de la domina-
tion romaine en Belgique : « César, dit C€ savant , renonça
mains n'est appuyé par aucun document historique. Il est vrai que la notice
de l'Empire fait mention de troupes auxiliaires fournies par les Ménapiens ;
mais ces corps ne doivent avoir été composés que des Ménapiens voisins des
Morins et des Eburons, qui seuls reconnurent la domination romaine; ou si
les Ménapiens de l'intérieur de la Flandre y fournirent leur contingent, ce
fut comme soldats mercenaires, a l'exemple de plusieurs peuples germains
d'Outre-Rhin, entièrement indépendans des Romains.
(1) Poutrain se trompe ici sur la position géographique des Morins.
(2) Poutrain , tom. I. — Les Romains s'étendirent cependant un peu au-delà
de la Lys, puisqu'ils placèrent garnison au Custellum Menapioriim , situé sur
l'emplacement de Cassel.
^ 446 —
à la conquête du pays des Mënapiens, des Grudiens, des
Pleumosiens, desCenlrons, des Gorduniens et des Leva-
ciens (1) et à celle des iles voisines de la Flandre, parce
qu'il regarda comme chose impossible de pénétrer avec son
arme'e dans ces contrées. Ces peuples purent donc vivre
indépendans et libres sur le sol même de lempire romain
(dans lequel étaient comprises les Gaules toutes entières )
et continuèrent à jouir en paix de la possession pleine et
entière de leur ancien territoire , comme l'attestent les an-
ciens Panégyristes et Ammien-Marcellin. C'est pour des
causes semblables que Caton et d'autres généraux romains
déclarèrent libres et indépendans les peuples qu'ils n'avaient
pu dompter. Lorsque la Lycie et la Palestine tentèrent de
secouer le joug des Romains, Adrien abandonna tout ce que
les armées romaines avaient conquis au-delà de l'Euphrate
et du Tiger, a l'exemple, disait-il, de Caton qui proclama
l'indépendance des Macédoniens , parce qu'il ne les put
soumettre (2). »
(1) Vredius a confondu le sort des cinq dernières peuplades avec celui
des Ménapiens , parce qu'il n'a pas su éviter l'erreur commune a tous les
auteurs du 16^ et du 17^ siècle, qui plaçaient ces peuples à gauche de TEscaut
dans la Flandre actuelle. Vredius n'a prétendu soutenir toutefois, sinon que
cette dernière contrée, habitée par les Ménapiens, fut seule indépendante des
Romains.
(2) Relicii à Cœsare quod inacessihiles crederentur Jïïetiapii, Grudii,
Pleumosii, Centronics, Gorduni, Levaci et insularum incolœ, ac permissi in
solo romano {quo nomine Galliam universam vocabant) habitacula sihi figere
prϔicenter, in propriis ah origine sedibus atque in sinu sua indigence et quies-
centes , tamquam suis, ut passim loquuntur panegyristœ et Ammianus Mar-
celîinus. Sic olim Cato et alii imperatores quos devincere non potuere ,
liheros reliquerunt, imô et pronuntiarunt (OElius Spartian, in Adriano). Lycia
et Palestina rebelles animos efferebant , quare omnia trans Euphratem ae
Tygrim reliquit (Adrianus), exemplo, ut dicebat, Catonis qui Macedones
liheros pronunciavit quia teneri non poteranf.
Plus loin encore Vredius dit : Menapios, Pleumosios, Cenfrones, Levacos,
Toxandros in avila libsrlate et propriis ah origine sedibus mliquit , termi-
-^ 447 —
Cette opinion de Vredius et de Poutrain a été aussi
adoptée et développée par M. Raepsaet. Appuyée, sinon par
des documens anciens positifs et d'une authenticité con-
statée , au moins par des probabilités et des raisonnemens
tellement plausibles qu'ils peuvent en quelque sorte en
tenir lieu , cette hypothèse prouverait que tandis que les
peuples les plus puissans et les pi us bellicjueux de la Gaule su-
bissaient le joug des Romains, la faible peuplade desMéna-
piens défia avec succès tous les efforts du plus grand homme
de guerre de lantiquité, et qu'après la mort de César, les
empereurs romains, maîtres de la plus belle partie du
globe connu , ne songèrent point à renouveler ses tenta-
tives infructueuses et s'incjuiétèrent peu d'agrandir leur
immense empire d'un coin de terre couvert de marais et
de forets , telle qu'était la Flandre à cette époque; qu'ils y
laissèrent vivre libres et indépendans , ses pauvres et sau-
vages habitans, se contentant de lever a l'extrémité de leur
pays, quelques forts pour les tenir en respect et leur barrer
le passage si l'appât du butin leur suggérait de faire quel-
qu'incursion sur le territoire romain. Ce qui fortifie encore
davantage cette opinion, c'est le peu de détails que nous
trouvons dans les documens historicfues et géographiques
des cinq premiers siècles de Tère vulgaire, sur la Flandre
actuelle, dont ces écrits ne s'occupent pas davantage que si
c'eut été une de ces contrées que les géographes anciens ne
désignent que par les mots de terra incognita : dans aucun
monument des cinq premiers siècles de l'ère vulgaire , il
n'est fait mention d'une seule ville ou bourgade de la
Flandre; le Castellum Menapiorum (Cassel) et Tournai,
sont les seuls endroits du pays des Ménapiens, connus des
auteurs romains ou mentionnés dans les itinéraires et
nosque imperii romani conslUuit ad frelumBritannicum, Bonoiiiam (Vredius,
Flandr. elhnica ).
~ 448 —
sur les caries romaines; la Notice de l'Empire n'indique
aucun poste militaire dans les deux Flandres actuelles ,
comme elle le fait dans les autres parties des Gaules ; la
Notice des Gaules ne connaît ni ville ni bourg dans ces
deux provinces , aujourd'hui les plus riches et les plus peu-
ple'es de la Belgique, et dont dëja Philippe II disait qu'elles
ne formaient qu'une ville continue et d'une immense
e' tendue.
C'est a tort que des auteurs modernes ont prétendu que
les Romains eurent des établissemens fixes dans l'inte'rieur
de la Flandre , par cela seul qu'on y a découvert en plu-
sieurs endroits des armes , des monnaies, des anneaux , des
figurines et autres objets antiques de cette nature. Ces de-
couvertes ne suffisent nullement pour constater le séjour
des Romains dans ces lieux, parce que des objets semblables
ont e'te' trouves jusqu'au centre et dans les parties les plus
reculées de la Germanie , dans des contrées enfin où les ar-
mées romaines ne pénétrèrent jamais (1) et où ces monnaies
et autres antiques doivent avoir été nécessairement trans-
portés par les barbares eux-mêmes , soit qu'ils les eussent
enlevés dans leurs fréquentes incursions sur le territoire de
l'Empire , soit qu'ils les eussent reçus a titre de présens
ou comme solde militaire (2). Les auteurs anciens attestent
(1) Patethinc, dit le judicieux Cleffel , quantum falluntur ii qui ex
numis in terra repertis certum argumentum invenisse credunt Romanos ad
ea locapervenisse, atque suhjugatis gentibus stativa sibiibi habuisse. Etenim
Romanorum aliarumque nationum numi in iis sœpius locis inveniuntur qiiœ
Romanis ne visa imo ne audita quidem. Septuaginta ferè numos propè Rens-
burgum Holsatiœ effossos, olim vidi. In Fionia et aliis insulis maris baltici
repertos collegit civis othoniensis nnnc defunctus. Antonini PU duos numos
pariter in Holsatiâ repertos mihi monstravit amicus, pluresque alii in sep-
tentrione repertos colle gerunt. Sed eo arma Romanorum pénétrasse nemo
unquam profitebitur (Germanos) (Cleffel, Germ. antiq., c. 10, §9).
(l) Est videre apud illos argentea vasa, legatis et princibus eorum muneri
data, non in aUa vililate quam quœ humo fingunfur, quamquam proximi
-- 449 —
€11 elTel que les barbares étaient très-avides de l'argent
romain et que les Romains leur payaient annuellement de
Tortes sommes, soit a titre de solde pour les corps de troupes
auxiliaires qu'ils fournissaient aux armées romaines , soit
à titre de tribut que les empereurs e'taient contraints de
leur payer , à 1 époque de la de'cadence deTEmpire (1). Ne
pourrait-on pas attribuer a des causes semblables , la dé-
couverte d'antiquités romaines dans les parties les plus reti-
rées du pays des Ménapiens ? Le commerce considérable de
salaisons et de volaille que les Morins et les Ménapiens fai-
saient avec les Romains , non moins que la piraterie exer-
cée sur les côtes de l'Empire par les Saxons, aux ^^ et
5® siècles , peuvent avoir également contribué à l'introduc-
tion dans la Ménapie de la monnaie romaine , d'armes ,
d'objets de parure et d'ustensiles de ménage.
Les différentes colonies de Germains introduites dans
les parties les plus désertes de la Belgique par Probus , par
Constance et par Maximien , obtinrent toutes la préroga-
tive d'être commandées par des chefs nationaux et de vivre
suivant leurs coutumes et lois nationales (2). Les Saliens ,
oh usum commercionim , aurum et argentum in prelio hahent, formasqua
quasdam nostrœ pecuniœ apnoscunt atque eligunt , pecuniam probant
veterem et diù notam , seiratos higatosque ; argentum quoque magis quam
aurum sequuntur , nullâ affectione animi, sed quia numerus argenteorum
facilior usui est promiscua ac viîia mercantihus ( Tac. M. G., c. 5),
(1) Sunt enim Germani pecuniœ itnprimis avidi^ nunquamque non auro
pacem Romanis compotiunt ( Herodian., Hist. Rom. ).
Illi terrihilea quibus otia vendere semper
Mos erat , et fœda requiem, mercede pacisci,
(Claudian).
(2) IJt in deseriis Galliœ regionibus collocatœ, etiam pacem rotnani imperii
•euîlu juvarent et arma delectu ( Eumen., pajieg. Const. ).
C'est ainsi que l'empereur Honorius permit aux Visigoths de s'établir sur
les bords du Rbône , avec la liberté d'y vivre libres et indépendans, à la seule
condition d'aider les Romains dans leurs entreprises militaires (Dubos,
Hist. crit. de Vètahliss. de la monarchie franc., 1. IV, c. 4).
Dubos prétend à tort que ce peuple barbare fut le premier qui obtint des
empereurs le droit de constituer une nation Indépendante sur le sol de
Tome I. 29
— 450 —
les Saxons et autres peuplades qui , depuis le 3^ siècle, vin-
rent occuper de vive force une partie de la Belgique, ne
daignèrent même pas reconnaître les Romains pour leurs
suzerains. La ligue saxone , qui dès le 4® siècle paraît s'être
mise en possession d'une grande partie des côtes de la Flan-
dre , osa faire une guerre ouverte aux Romains , piller jus-
qu'aux cotes de la Sicile et de l'Afrique (1) et venir faire le
partage des fruits de leurs rapines dans le sein même de
l'Empire. 11 est vrai que l'on voit ces mêmes Saxons faire
partie de l'armée d'Aétius, a la fameuse bataille c|ue ce géné-
ral romain livra a Attila près de Chàlons-sur-Marne, l'an 451 ;
mais ce n était point en qualité de sujets ou tributaires des
Romains que les Saxons servaient alors dans l'armée de ces
derniers : comme tant d'autres peuples francs et allemands,
ils prirent parti pour les Romains, non pour soutenir leur
empire chancelant, mais pour résister en commun a Attila,
ce terrible roi des Huns, ennemi non moins redoutable aux
peuples indépendans de la Germanie, qu'aux Romains (2).
lEmpire; les Germains qui se fixèrent en Belgique dès le règne d'Auguste,
jouirent de la même prérogative.
(1) Gallicanos vero tractiis Franci et Saxones iisdem confines, quo quisque
erumpere potuit, terra vel mari, prœdiis acerbis incendiisque violahanl
{ Amm. Marcell., l. XXVll, c. 8, l. XXX, c. 7).
Çuin et armoricvs piratam Saxona tractu»
Spernhat ; cui pelle salum sulcare hritanniim
Ludus , et asuto jî aucum mare findere leviho
(Sidon. t^YtOl., paneg. Avilie.
« Toute cette côte du pays des Ménapiens et des Morins, dit M. Raepsact.
occupée par les colonies de Germains connus sous le nom général de Saxons
depuis Boulop'ne jusqu'en Zélande en avait pris le nom de litiiis Saxonicum.
Ces Saxons étalent venus s'établir successivement dans la Belgique, comme
tous les Germains; c'est-a-dire , de gré ou de force, occupant les cantons
qui leur convenaient, et avaient continué à faire des génies ou peuplades à
part Chacune de ces gentes delà nation saxone y vivait sous le comman-
dement de son chef, princeps, comme elles vivaient au-delà du Rhin, suivant
le témoignage de Tacite. Les Romains ayant conquis la Belgique y ont
établi les tractus ^ et entre autres, celui d'^rmoncawt Uttoris, qui comprenait
ce littus Saxonicum. » (Raepsaet, Analyse , etc., tom. l,p. 85).
(2) m enim adfuère auxiliares : Franci, Saxones, Riparioli (Jornandes ,
— 45Î —
Cest une chose digne de remarque que non -seule-
ment la côle de la Flandre , mais encore prescjue toute
la cote occidentale de la France , connue sous la de'-
nomination à'Armorique , est la partie des Gaules où Ion
observe le moins de traces du séjour et de la domina-
tion des Romains, et, pour cette raison, celle encore qui
de nos jours conserve le plus de vestiges de la langue , des
mœurs , des usages et des superstitions des Celtes, Ces tra-
ces se retrouvent surtout dans la Bretagne et existaient pro-
bablement de même dans la Normandie avant que cett«
ancienne province ne fut envahie par les Normands. Tandis
que le midi, Test et la partie centrale des Gaules, e'taient
traverse's en tous sens par un grand nombre de routes ro-
maines , la Table de Peutinger ne connaît que deux de ces
voies militaires dans toute l'étendue de la Bretagne , lune
longeant la cote, et Tautre conduisant de Nantes a Brest;
et dans le long espace qui sépare ces deux villes, on ne trou-
vait que de simples stations de poste el pas une seule ville;
au moins la Table de Peutinger n ajoute-t-elle a aucun des
endroits quelle indique sur cette route, la marque par
laquelle elle a coutume de distinguer les villes des lieux
moins importans. Il est a croire que dès la fin du quatrième
siècle, les Romains avaient déjà abandonné une grande
partie du peu d'établissemens cjuils occupaient dans la
Bretagne, et même tous ceux situés a l'ouest de Rennes,
parce que l'itinéraire d'Antonin , composé à cette époque ,
ne mentionne plus quelques voies militaires de la Bretagne
de reb. get., c. 36). Fuere intereà Romanis auxilio Franci , Saxones , Ripa-
rioli, Armoritiani f Liticiani, etc. (Paul. Diac, de gest Roman., lib. XV).
Les Riparioli ou Ripuarii sont une division des Ftancs, ainsi surnommée
parce qu'elle s'établit au quatrième siècle sur la rive gauche du Rhin, de-
puis Cologne jusqu'à Nimègue.
Les Liticiani , sont les Lctos . dont nous parlons ailleurs.
— 452 —
décrites par la Table de Peutinger au second siècle, et garde
un silence absolu sur tout ce qui est à l'ouest de Rennes (1).
A l'appui de ce que nous avons avancé sur la condition
politique des Belges sous la domination romaine , et sur les
prérogatives que les Piomains accordèrent à plusieurs peu-
ples des Gaules, nous rapporterons encore l'opinion énoncée
sur la même question par un des plus savans jurisconsultes
de la France : ^
« C'est , dit Taillandier, une des questions les plus épi-
neuses que peut faire naître l'étude de ces temps enfouis
dans les ténèbres , que celle de savoir si les Romains , en
appliquant aux provinces gauloises soumises par leurs
armes, la forme extérieure de leur administration provin-
ciale , leur imposèrent aussi l'obligation d'adopter leur lé-
gislation ; mais il ne faudrait pas croire que la puissance
romaine eut été consolidée au même degré dans la vaste
étendue des Gaules ; les provinces de la Gaule septentrio-
nale surtout ne subirent qu'a regret le joug de la conquête,
et tandis que les méridionaux n'avaient montré que peu de
résistance et adoptaient avec une résignation servile les
moeurs, les usages, le langage du peuple vainqueur, ceux
du nord, au contraire, déployaient une haine énergique
(1) Voir Mannert, Géographie der GriecJien und Romern , 2' th. 1^' band.
La Bretagne fut aussi de toutes les parties de la Gaule, si l'on en excepte
peut-être la Belgique, celle qui secoua la première le joug des Romains. Cette
contrée dut, suivant M. Daru , son affranchissement a une colonie venue de
la Grande-Bretagne, la troisième qui se serait fixée dans l'Armorique, vers
la fin du troisième siècle, et se serait rendue maîtresse de la Bretagne entière :
«le résultat de cette conquête, dit cet auteur, fut la destruction de la puis-
sance romaine dans le pays. L'Armorique changea de maîtres , et , en rece-
vant un roi étranger, les Armoricains devinrent une nation indépendante.
C'est par cette révolution, qui amena un ordre de choses tout a fait imprévu,
que commence l'histoire de la Bretagne » (Daru, Uist. de Bretagne.) — La
Bretagne, suivant M. Daru, fut gouvernée par ses propres souverains jusqu'au
10° S'ècle.
«- 453 —
contre le nom romain et repoussaient avec orgueil tout ce
que l'e'tranger voulait leur imposer,
« Aussi Pline le naturaliste , dans la description qu'il
a laissée de la Gaule septentrionale, dit-il, que presque tous
les peuples se gouvernaient suis Jegibus ^ a titre d'alliance
et même de liberté (Hist. nat., lib. IV). Avec une disposi-
tion aussi prononcée à voir en horreur le joug des Romains,
il serait difficile de croire que les Gaulois septentrionaux
eussent jamais consenti à l'adoption de la législation ro-
maine Une considération nous parait prédominer sur
toutes celles que l'on peut invoejuer pour ou contre l'opi-
nion relative à la législation civile de la Gaule septentrio-
nale sous la domination romaine : Cette domination a
duré cinq siècles. Or il est fort probable que si, pendant
un aussi long espace de temps, les peuples de cette partie
des Gaules eussent été obligés d'abandonner leurs vieilles
coutumes; si la communauté entre époux eut fait place au
régime dotal des Romains , par exemple, ils auraient perdu
la mémoire de cet usage de leurs ancêtres, et les généra-
tions qui se sont succédées pendant la domination romaine
ayant adopté une nouvelle législation , n'auraient pas pi us
tard, et lorsque la puissance du vainqueur était anéantie,
songé à retourner a des coutumes qui n'étaient conservées
dans aucun livre et dont la tradition avait dû nécessaire-
ment s'effacer.
« Ce spectacle, en effet , a eu lieu dans la Gaule méridio-
nale. La tous les monumens l'attestent; le joug romain fut
supporté avec moins d'impatience, les habitudes se façonnè-
rent a celles du vainqueur; et quel en fut le résultat? c'est
qu'après la retraite des Romains leur législation continua
de subsister, et qu'encore aujourd'hui, après tant de siècles
écoulés , après l'accumulation d'un si grand nombre de
générations, cette législation est encore toute vivante et ne
454 --
ploie qu'à regret devant le code célèbre appelé a régir dé-
sormais les destinées de tous les Français. »
« Sous la domination romaine, dit enfin le même auteur,
les habitans des Gaules septentrionales, quoique assujétis
aux formes extérieures de ladministration provinciale du
peuple conquérant, n'adoptèrent point son droit civil et par-
vinrent à consulter leurs anciennes coutumes locales (1)»
Cependant, si tout paraît attester que sous l'Empire ro-
main, les peuples de la Belgique conservèrent leurs lois
et leur gouvernement national; quoique Pline et Tacite
donnent aux Nerviens et aux Tréviriens le titre de peuples
libres, et Procope aux Tongrois , celui de peuple autonome ;
quoique toutes les colonies de Germains introduites dans la
Belgique pendant les quatre siècles de la domination ro-
maine aient joui des mêmes prérogatives, et que des preuves
authentiques et multipliées paraissent attester que la
majeure partie des Ménapiens resta indépendante et sut
se soustraire constamment a la domination romaine, il n'est
pas moins certain que , bien que chaque peuplade de la
Belgique conservât son gouvernement national, cette frac-
tion des Gaules fut , comme les autres parties de l'empire ,
soumise a la circonscription territoriale et administrative
établie par Auguste et ses successeurs , c'est-à-dire, qu'elle
fut divisée en provinces régies par des gouverneurs romains,
dont, du reste , les fonctions se bornaient probablement
chez les Belges libres, à convoquer les assemblées nationales
dans les circonstances oii Texigeaient les intérêts de Feni-
pire (comme lorsque les Belges devaient fournir une levée
extraordinaire de troupes auxiliaires), à veiller au maintien
de l'ordre et du repos publics , à réprimer les invasions des
(1) Taillandier, Mémoire sur l'état de la législation française sous la
première race, dans les Mémoires de la société des antiquaires de France,
(orne 9.
— 455
barbares , a décider des diUerens qui s'élevaient entre les
Romains ou entre les Romains et les regnicoles, à recueil-
lir les impôts et revenus du domaine, etc. (1). Tels furent
aussi les devoirs et fonctions des magistrats romains qui
commandaient dans le pays des Bataves , peuple dont la
condition politique fut, sous la domination romaine, a peu
près la même que celle des Belges.
Aussi longtemps que subsista la première délimitation
des Gaules ordonnée par Tempereur Auguste, la Belgique
actuelle dépendit des gouverneurs de la province de Belgi-
que et de celle de la Germanique. Ces magistrats réunissaient
le pouvoir civil et militaire. Mais en changeant les limites
des provinces des Gaules, Constantin voulant prévenir le&
abus qui naissaient de ce conflit de pouvoirs, ôta aux gou-
verneurs le commandement militaire et ne leur laissa que
(I) Les jTouverneurs des provinces étaient chargées de la perception des
impôts, de la direction des domaines publics et de la poste impériale, du
recrutement et de l'administration des armées et de celle de la justice. Toute
juridiction civile et criminelle leur appartenait, excepté dans les villes qui
jouissaient du droit italique [jus italicum) ^ où les magistrats municipaux
exerçaient, sauf appel, une véritable juridiction.
Depuis le milieu du 4^ siècle, il y eut dans toutes les villes un magistrat
portant le titre de défenseur, élu par la curie et le peuple en corps et chargé
de défendre les intérêts de la cité. Il jugeait en première instance les pro-
cédures en matière civile et certaines causes de police correctionnelle. Ces
deux cas exceptés, les gouverneurs jugeaient seuls tous les procès. Sous
Alexandre Sévère, les gouverneurs de province recevaient pour traitement
annuel vingt livres d'argent et cent pièces d'or, six cruches (pJiialas) de
vin, deux mulets et deux chevaux, deux habits de parade (vestes foreuses)
un habit simple ( vestes domesticas ) , une baignoire, un cuisinier, un
muletier et, s'ils étaient célibataires, une concubine iquod sine liis esse non
passent.
En sortant de charge, ils rendaient les mulets, les chevaux, le muletier et
le cuisinier. Si Tempereur était content de leur administration, ils gar-
daient le reste, sinon ils devaient le restituer au quadruple. Sous Théodose II,
les gouverneurs cessèrent de recevoir un traitement en naturo ( Lamprid ,
t. 42). Voir Guizot, Cours d'hùf. 1829, p. 50.
Tautorite civile. Des quatre preTets du prétoire quil cre'a
pour tout Tempir e , il en établit un sur les Gaules, l'Espagne
et la Grande-Bretagne. Ce préfet avait sous lui trois vicaires
qui régissaient chacun un de ces trois pays. Le vicaire des
Gaules avait dans son déparlement dix-sept gouverneurs
(redores) pour les dix-sept provinces des Gaules. Onze de
ces gouverneurs portaient le titre de présidens (prœsldes) ^
et les six autres celui de consulaires (consulares) , litre plus
relevé que ce dernier. La première et la seconde Bel-
gique et la seconde Germanique, dans les limites desquelles
était comprise la Belgique actuelle , depuis la nouvelle dé-
limitation établie par Constantin , étaient gouvernées par
des consulaires. Le iractus Arinoricanus et Nervicanus , la
seconde Belgique et la première Germanique avaient clia •
cune pour chef militaire un général appelé duc {dux) (1).
On ne peut douter que le petit nombre de villes de la
Belgique , fondées et habitées par des Romains , les indi-
gènes continuant la plupart à vivre dispersés, suivant la
coutume des Germains , ne fussent sous le commandement
direct des gouverneurs , qui faisaient leur résidence dans
les chefs lieux des provinces. Ces villes étaient des muni-
cipes, c est-a-dire quelles nommaient leurs propres magis-
trats, et, qu outre le droit romain, elles avaient encore
leurs lois locales (2). Elles étaient régies par un conseil
appelé curie et composé de décurions , ainsi nommés parce
qu'ils étaient au nombre de dix. Ils étaient choisis parmi
les habitans les plus opulens de la cité et devaient posséder
chacun vingt-cinq arpens de terre. Les fils des décurions
succédaient a leur père. Le fils de famille sous la puissance
paternelle pouvait être décurion, mais sous la responsabilité
(1) IVotUia dignitatum impetii
(2) Municipes propriè sunt cives romani e.r mufiictpiis suo Jure cl hgihu»
iittnU'S (Aulugeil.. lib. 16, c. 13}.
— 457 —
et avec le consentement de son père. On tirait du corps des
dëcurions tous les autres officiers de la ville , tels que les
édiles, charge's de l'entretien et de Tinspection des édifices
publics , des rues, des marchés , etc., les greffiers de la ville,
appele's dictateurs (du mot dictare), les censeurs, charge's
de tenir un registre exact du nom et de la fortune des ha-
bitans , afin que les charges publiques et les impôts fussent
proportionnés aux moyens pécuniaires de chaque contri-
buable , et que personne ne fut admis parmi les décurions
sans en avoir la capacité requise.
Les questeurs , les gymnastes et les officiers de la police
étaient également tirés du corps des décurions. Les décu-
rions nommaient leurs présidons, les triumvirs et les défen-
seurs de la cité. Aucun notaire ni officier public qui ré-
digeait des testamens ou autres actes solennels , enfin tout
fonctionnaire cjui avait une grande responsabilité a remplir,
ne pouvait exercer son état sans y être autorisé par un
décret des décurions.
Le président des décurions jouissait de cjuelques pré-
rogatives , de même que les décurions qui étaient exempts
des impots extraordinaires levés sur le peuple dans des cas
urgens. Après avoir été décurion , on ne pouvait être con-
traint à remplir une charge inférieure. Si Ton était rappelé
à un nouveau terme, le premier comptait pour le rang
d'ancienneté et de préséance ; caries décurions dirigeaient
les affaires intérieures de la cité, non à tour de rôle , mais
suivant leur fortune et leur mérite personnel , et on ne
pouvait parvenir aux premiers rangs de la magistrature
sans avoir rempli les charges inférieures. Dans le temps de
la république et sous les premiers empereurs , on laissa aux
décurions, dans les provinces , la faculté accordée autrefois
aux chevaliers romains , de prendre , comme abondante en
bénéfices , la ferme des revenus publics. « Rien n'était plus
— 458 —
contraire aux intérêts généraux, dit Toulotte. Theodosc
lapprit par de rëvolians abus et de graves extorsions. Il
supprima un mode qui enrichissait par la ruine de la masse
du peuple , cpielques dëcurions privile'gies (1). On mit de-
puis lors aux enchères toutes les branches du revenu public,
on ne les adjugeait qu au dernier et plus offrant enché-
risseur.
» Par des raisons à peu près semblables, on empêcha les
décurions de prendre la ferme des domaines de Tétat. La
même défense s'étendit aux receveurs généraux qui tou-
chaient un traitement fixe du public, pour lever des taxes
et des impots sur les habitans des villes (2). Les différentes
charges a rétribution, comme lemploi d'inspecteur et de
régulateur de Fimpot foncier, enfin tous les autres offices
semblables étaient confiés dans les provinces aux primats.
On voulait récompenser en même temps ces décurions des
services qu ils avaient rendus, et s'assurer par ces choix que
Tordre régnerait dans cette partie de l'administration ; on
supposait qu'étant élevés au rang des primats, ces décu-
rions seraient au-dessus d'une infinité de séductions aux-
quelles sont nécessairement exposées les personnes revêtues
de pareilles charges. C'est dans cette classe que les citoyens
d'un rang inférieur , et que Ton appelait plébéiens , pou-
vaient se choisir des patrons, \vant l'institution des défen-
seurs, ces patrons leur en tenaient lieu. Ils devaient du
moins protéger leurs personnes et leurs propriétés, leur
servir aussi d'avocat et de conseil ; cela se fit, plus ou moins
bien , tout le temps que la profession d'avocat ne fut point
vénale (3). »
Si les décurions jouissaient de certains privilèges, ces fa-
(1) Cod. Theod., Xll, 1,97.
(2) Cod. Theod., XI, tlt. 48.
(3) Toulotte. Hist. de la barbarie et des lois au rnoijenoge. torn. I, p. 29.
— 459 —
veursn'atënuaient guère les charges onéreuses que les décu-
rions devaient supporter et qui rendaient ledëcurionat une
dignité peu enviée. x4ucun cmial , destiné par sa naissance
a être décurion , ne pouvait vendre ses biens immeubles
sans y être autorisé par le juge, ni quitter la ville, sous peine
de séquestration et de confiscation ; s'il s'était soustrait par
la fuite et qu'on parvenait à s'emparer de sa personne, il
était contraint a servir un terme double.
Quelquefois les décurions devaient se procurer des pro-
visions et les vendre aux citoyens à un prix juste et déter-
miné. Ailleurs c'étaient les plus riches des plébéiens qui
approvisionnaient les villes de blé et d'autres comestibles-
Les fils des vétérans que des infirmités empêchaient de re-
joindre l'armée, ne pouvaient se dispenser de faire partie
du sénat de l'une des villes de la province où étaient situés
les biens assignés à leur père (1).
La justice était rendue dans les villes par les défenseurs de
la cité {defensores civitatis)^ qui, depuis le règne de Constan-
tin, furent a la nomination des évêques, du clergé et des no-
tables de la ville. Ils jugeaient des causes sommaires jusqu'à
la valeur de 50 sols, et dans la suite jusqu'à celle de300sols,
sauf appel. Les autres causes étaient de la compétence du
gouverneur de la province ou du juge nommé d'ofHce par
lui. Le premier devoir du défenseur de la cité était de veil-
ler aux intérêts de cette dernière , et de s'opposer à tout
acte arbitraire ou préjudiciable à la ville et à ses habitans.
Il arrêtait les coupables, et après leur avoir fait subir un
interrogatoire , les envoyait devant le juge compétent.
Depuis la nouvelle organisation administrative ordonnée
par Constantin , le commandement des villes fut confié à
un tribun militaire.
(1) Corl. Theoil, XK I, 18.
— 460 —
Ces légers détails sur la condition politique des villes des
Gaules et delà Belgique, sous la domination romaine, suf-
firont pour donner une idée sommaire de leur régime mu-
nicipal. Pour des détails plus amples, on peut consulter
Dubos, Raepsaet, Guizot, De Buat et Toulotte (1).
ANNALES DES FRANCS, DEPUIS LE IIP JUSQU'AU VP SIÈCLE.
Nous avons dit précédemment que César avait pour
principe politique, de ne permettre qu'aucune nouvelle
émigration de Germains eut lieu dans les Gaules, et qu'Au-
guste s'écartant entièrement de ce principe, non-seulement
accorda aux émigrans de la Germanie des terres sur le ter-
ritoire de l'Empire , mais , pour repeupler la Belgique ,
ordonna même d'y transférer un grand nombre de prison-
niers germains. Ainsi , au lieu de chercher, comme César ,
à éteindre dans les Belges cet esprit national, cet esprit
germanique si porté a la guerre , si ennemi de toute do-
mination , il entretint et stimula ces passions, en fondant
dans la Belgique de nombreuses colonies de Germains :
Auguste ne se doutait pas que par cette conduite il pré-
parait la ruine de l'empire romain. Ses successeurs, en
suivant ses traces, ne firent qu'accélérer cette grande ca-
tastrophe.
Ainsi nous avons vu au chapitre précédent , qu'une mul-
titude de Germains se fixèrent en Belgique pendant les
trois premiers siècles de l'ère vulgaire , et que dès le qua-
trième siècle ces peuples respectaient si peu l'autorité ro-
maine , qu'ils venaient en foule s'établir sur les terres de
(1) Diihos , Hist. dit. de Véiahliss. de la monarchie française, tom I.
Raepsaet, Analyse , etc., tom. I, p. 166 et suiv. Guizot, Cours d'histoire.
1829. De Buat, les origiyies , tom. 2. Toulotte, Histoire de la harharie,
tome I.
— 461 —
l'Empire a main armée et sans en avoir obtenu îe consen-
tement des empereurs (1). Les Belges décime's et réduits a
l'impuissance par les guerres de la conquête , virent leurs
forces accroître insensiblement par l'arrivée de cette foule
d'émigrans germains de même origine et de même race
qu eux ; de sorte qu'ils furent bientôt en état de réaliser
l'espoir qui ne les avait jamais abandonné, de reconquérir
leur ancienne indépendance , et de s'affranchir entièrement
de toute domination étrangère.
Vredius et Raepsaet prétendent que cette réaction com-
mença par les Ménapiens et les Saxons de la Flandre.
Nous préférons de croire qu'elle se manifesta en même
temps chez tous les peuples germains du nord de la Bel-
gique , qui entrèrent dans la grande ligue des Francs (2).
Il serait trop long d'entrer ici dans des détails circon-
stanciés sur tous les efforts tentés par ces Francs , réunis
aux Belges, pour expulser les Romains des Gaules. Un
abrégé chronologique des annales des Francs jusqu'à la fin
du règne de Clovis, que nous allons donner comme appen-
dice de ce chapitre , fera connaître cette longue suite de
combats et d'invasions par lesquels les confédérés ger-
mains parvinrent enfin, après bien des échecs et des vic-
toires, à atteindre leur but, et à se rendre maîtres absolus
de la majeure partie des Gaules.
(1) « On n^'avait donné d'abord des terres a ces peuplades, indépendantes
des officiers civils et qui faisaient un état dans un autre état, que dans les
provinces de l'empire qui étaient frontières. Bientôt on fut obligé de souf-
frir qu'ils en prissent dans l'intérieur des Gaules et même dans l'Italie. On
fut obligé pour sauver une partie des Gaules , d'en laisser une partie aux
Bourguignons et aux autres peuples barbares qui s'en emparèrent par force
et qui, malgré l'Empire, se firent ses troupes auxiliaires. » {Dnhos , Hist.
criL, etc.f liv. I, c. 10).
(2) Voir l'excellente Dissertation sur Vorigine des Francs Saliens et de la
loi Salique , par M. Peppe (Brux., 1828).
— 462 —
Lorsqu après quatre cent soixante-sept ans de domina-
tion, les Piomains eurent été entièrement expulsés de toutes
les parties de la Belgique actuelle, celle-ci ne fut point
d'abord englobée dans Tempire franc; ses différentes peu-
plades continuèrent jusqu'au règne de Clovis a former de
petits €tats indépendans, mais unis entr'eux et à celui de
Fempire des Francs par le lien fédératif. Seulement à la
piace des gouverneurs romains, les Francs établirent sur la
Belgique entière un gouverneur de leur nation , portant
le titre de comte. €lovis, en faisant périr Ciiararic et
Ragnacaire , rois ou chefs des Ubiens et des Nerviens ,
réunit les états de ces princes au sien. Peu de temps après,
favorisé par le sort des armes, il se rendit également
maître du pays des Tongrois (1). Dompta-t-il aussi les Mé-
napiens , et , plus heureux que. César, parvint-il a conqué-
rir la Flandre ; ce sont la des faits sur lesquels les documens
historiques de cette époque gardent un silence absolu. On
a cependant lieu de croire tjue la Belgique entière fit partie
des états de ce prince.
Les opinions varient infiniment, tant sur Tétymologie du
nom des Francs , que sur Torigine des Francs eux-mêmes.
Suivant le sophiste Libanius , le nom des Francs dérive du
grec fpaxrci, fortifiés. Doni et Fauteur de la chronique de
Moissac , qui fleurirent tous deux au 9^ siècle , déduisent
ce nom d'un mot grec qui signifie féroce , et prétendent
que les Francs reçurent ce nom de l'empereur Valentinien ,
après une victoire éclatante remportée par cet empereur sur
les Alains qui avaient envahi leur territoire (2), D'autres
(1) Greg. Tur., 1. II, c. 42.
Decimo regni sui anno Thoringis hélium intidit (Chlodovœus ) , eosdem-
que suis ditionibus suhj'ugavit {Idem., 1. Il, c. 27).
(2) Plusieurs autres chroniqueurs du moyen âge ont été du même avis.
Voir:ls!dor. W^spe^., origines, 1. IX, c, 2. Aimoin., Chron., l, I. Monach. Ercs-
ford,. Robert. Abbas de Monte, Append. ad sigeb. Gemhl.
— 463 —
le font dériver, avec moins de probabilité encore , du nom
d'un prétendu roi des Francs, Francion (1). Wendelin lui
donne pour racine le mot allemand wrancjhe^ qui signifie
aussi sévère , farouche. M. Mone prétend que la dénomi-
nation de Franc doit se traduire par les épithètes, brillant,
magnifique. Léo et Fister le font dériver du mot [ramée ,
nom de l'arme ordinaire du Germain (2). Nous passerons
sous silence plusieurs autres étymologies du nom des
Francs, lesquelles ne reposent pas sur des preuves moins
hasardées (3).
La plupart des opinions émises sur l'origine des Francs
reposent sur des preuves également arbitraires. Un grand
nombre d'auteurs du moyen âge font descendre les Francs
des Troyens. Grégoire de Tours et ses copistes leur assi-
gnent pour première demeure, la Pannonie. L'anonyme
de Ravenne place la patrie primitive des Francs au nord
de l'Elbe , dans mie contrée à laquelle il donne le nom de
Mauringenia^ cjue Leibnitz cherche sur le Belt, entre
l'Eider et la Pœne (4). Cependant ii est d'avis qu'il faut
(1) Isid. Hispal., loc. cit., Aimoin., 1. VII, c. 1-3.
(2) Mone, Geschichte des Heidentums , etc. ,2^ th., s. 124. Léo, Uber
Oihins verehrung f s. 87.
(3) lien est de même de rétymolog"ie du nom des Saliens , une des divi-
sions principales de la ligue franque. Les uns font dériver ce nom de celui de
la rivière ITssel. dans îa province de TOveryssel , d'autres, avec plus de
vraisemblance, du nom de la Sale rivière de la Franconie. Mais rien n'est plus
ridicule que de déduire le nom des Saliens de la légèreté de leurs sauts,
Salii quasi salientes , comme le fait Isidore de Séville, ou de la dénomina-
tion des prêtres Saliens chez les Romains. Le célèbre pensionnaire de Hol-
lande, Van Den Spiegel, le dérive du mot flamand ^ee ( mer ), et fixe la
demeure primitive des Saliens dans la Zélande (Van Den Spiegel, Verlian-
deling over den oorsprong en de historié van de vaderlandsche rechten , bl. 14).
(4) De cette manière les Danois et les Saxons faisaient partie des Francs.
Elmoldus Nigellus, poëte du règne de Louis le Débonaire, dit en effet, mais
à tort sans doute, que les Danois et leur roi Harald, qui reçurent le baptême
à la cour de cet empereur, descendaient des Francs.
^ 464 ^
assigner aux Francs , avant qu'ils ne se fussent établis dans
les Gaules , trois positions différentes suivant la différence
des temps , la première entre l'Elbe et le Belt , la seconde
entre l'Elbe et le Weser , la troisième entre le Weser et le
Rhin.
L'opinion la plus gëne'ralement adoptée et qui est celle
des meilleurs critiques, est cjue parle nom de Francs il faut
entendre , non pas un seul peuple , mais une ligue formée
par la plupart des Germains qui bordaient la rive droite
du Rhin depuis l'embouchure de ce fleuve jusqu'au Mein
et au Nècre, confédération qui eut pour but d'opposer une
barrière aux efforts tentés par les Romains pour anéantir
la liberté germanique , et qui , composée de Tenchtres ,
d'Usipètes, de Sicambres, de Suèves , de Frisons et de plu-
sieurs autres peuples , prit pour nom générique celui de
Franken (francs et libres) (1).
Cette ligue paraît s'être formée vers le milieu du 3e siè-
cle de l'ère vulgaire ; du moins, ce n'est que de cette époque
que l'existence des Francs est constatée par les monumens
de l'histoire. C'est sous le règne de l'empereur Aurelien , a
l'année 253 de l'ère vulgaire , qu'il est question pour la
première fois des Francs, dans l'histoire romaine.
Vopiscus rapporte que cette année , Aurelien , alors tri-
bun militaire de la sixième légion gallicane, défit les Francs
près de Mayence, leur tua sept cents hommes et fit trois
cents prisonniers qu'il vendit a l'encan (2).
Gundling croit que la Mauringenie comprenait toute la côte du Belt, et
que non-seulement la Pomeranie, mais encore l'Oost-Frise (le pays des
Cauques), en faisait aussi partie, quoique la Mauringenie pr«»prement dite
ne s'étendît que sur le territoire de la ville de Brème ( Gundlmgiana , t. 1 ).
(1) Peppe, Dissert, sur Vorigine des Francs Saliens, p. 17. De Buat, le-i
Origines, etc., tom. I, liv. I, chap. I.
(2) Yopisc, in Aurel.
-^ 465 -.
Depuis cet e'vénement jusqua la fin de Tempire d'occi-
dent, il ne se passe presque point d'année qu'il ne soit ques-
tion dans les auteurs anciens de quelqu'invasion des Francs,
que les historiens romains terminent ordinairement par la
défaite complète des barbares ; ce qui n'empêcha point ces
derniers de prendre pied dans les Gaules et d'y étendre in-
sensiblement leur domination. Dans les annales suivantes
nous avons rassemblé en peu de mots et le plus brièvement
possible , tout ce que les documens anciens nous appren-
nent sur les Francs depuis leur apparition jusqu'à la mort
de Clovis , époque de l'entière expulsion des Romains et de
la consolidation de la domination franque dans les Gaules.
En 259 , l'empereur Gallien combat les Francs sur le
Rhin (1).
En 262 , Posthume qui avait usurpé l'empire dans les
Gaules, met les Francs de son parti (2).
En 264 , on voit les Francs parmi plusieurs autres peu-
ples barbares, orner l'entrée triomphante de Gallien à
Rome (3).
En 265 , les Francs pillent les cotes de la Gaule et de
l'Espagne et saccagent Tarragone (4).
En 273, on voit figurer des captifs francs au triomphe
d'Aurelien (5).
En 274 , les Francs sont défaits par Probus (6).
En 277, cet empereur remporte une seconde victoire
sur les Francs (7).
(1) Annal. Francor.
(2) Treb. Pollio, in Gallieno.
(3) Idem, ibid.
(4) Nazarii Paneg. Constant. Aurel. Vict., in Gallieno.
(5) Vopisc, in Aurel.
(6) Testes franci invii paludibus (Vopisc. , in Probo ). Ces marais sont La
Flandre actuelle et la Hollande.
(7) Zosim., Hist. Rom., lib. 2.
TonB I. ao
— 466 —
En 280 , des Francs , faits prisonniers par Probus et
transférés par ordre de cet empereur sur les bords du Pont-
Euxin , pillent les côtes de l'Asie-Mineure , de l'Afrique et
de la Sicile et saccagent la ville de Syracuse (1).
A la même époque , Tempereur Probus défait le tyran
Proculus , trahi et abandonné par les Francs, entre les bras
desquels ce dernier s'était j été et dont il se pré tendait issu (2).
En 287, Maximien confie au Ménapien Carausius, le com-
mandement d'une flotte équipée a Boulogne (Gesoriacum)
et destinée a réprimer la piraterie des Francs et des Saxons.
L'empereur ayant conçu des soupçons sur Carausius ,
ordonne de le tuer , mais il se sauYC dans la Grande-Bre-
tagne, s'y fait proclamer empereur, et reste pendant sept
ans maître de cette île (3).
En 288, Atech, roi des Francs, demande la paix a Maxi-
mien, qui confirme, la même année, Genobaude, autre roi
franc, dans cette dernière dignité. Les Francs promettent
solennellement de cesser leurs brigandages sur mer (4).
En 293, Constant chasse les Francs de la Batavie , dont
ils s'étaient rendus maîtres, et transfère un grand nombre
de prisonniers francs dans les déserts de la Gaule (5).
En 296, l'armée du tyran Tetricus , qui avait défait Ca-
rausius, et quiétaiten majeure partie composée de Francs,
est surprise et taillée en pièces par les Romains , près de
Londres (6).
(1) Eumeii., Pcmeg. Constant Cœs., Zosim., Hîst. Rom., lib. 2.
(2) Vopisc, in Proculo.
(3) Incerti Paneg. Maxim, et Constant, j c. 4. Eumen., Paneg. Cons-
tant, c. 5.
(4) Mamert. , Panèg. Maxim,, idem., in Genethl. Maxim, et Dioclet,
c. 5.
(5) Incerti Paneg. Maxim, et Constant., c. 4. Eumenii Paneg. Constant,
c. 5. Idem., Orat pro restaur. scholis , c. 18. Paneg. Constant. Caes. C.J21.
(6) Eumen., Paneg. Constant. Caes., c. 17.
~ 467 —
En 306, Constantin défait les Francs près du Rhin,
ravage leur territoire , prend et livre aux bétes féroces ,
dans l'amphithéâtre de Trêves, deux de leurs rois et un grand
nombre d'autres prisonniers (1). En mémoire de cette
victoire signalée il institue des jeux publics appelés ludi
francici ^ qui se célébraient annuellement pendant six
jours (2).
En 313 , Mellobaude , roi franc , revêtu de la charge de
cornes domesticus a Rome, attaque, par ordre de Gratien,
les Lentienses, peuple de la ligue allemande, et remporte
la victoire (3).
En 316 , Constantin revient dans les Gaules et y défait
de nouveau les Francs (4).
En 320 , le César Crispus réprime les incursions des
Francs dans les Gaules (5).
En 350, Magnence, Franc de naissance, aidé des Saxons
et des Francs , attacjue les Romains et tue l'empereur
Constant ; mais il est battu a son tour par Constance , près
de Mursie en Espagne , en 351 (6).
En 353 , Magnence, et son frère Décence sont contraints
à se donner la mort , le premier près de Lyon , et le second
près de Soissons. Ammien Marcellin nous apprend que lors
de la conjuration de Sylvain , en 355 , il y avait grand
nombre de Francs dans la garde impériale que ce rebelle
tâcha de mettre dans ses intérêts, mais qu'ils le trahi-
rent (7). Sylvain revêt la pourpre près de Cologne , et
meurt assassiné, après vingt-huit jours de règne.
(1) Eumen. , Paneg. Const.^ Caes., c. 10-13.
(2) Nazarii Paneg. Constant.^ c. 18.
(3) Amm. Marcel., lib. 3, c. 10.
(4) Incert. Paneg. Constant M., c. 21, 24.
(5) Nazar., Paneg. Constant.^ c. 17, 37. P. Optaliani Porpliyrii, Paneg.
(6) Juliani Orat. in Constant, imp, laiid.
(7) Amm. Marcel., lib. 15.
-^ 468 —
Cette même année, les Francs prennent et saccagent
Cologne (1).
En 356, Julien, créé César par Constance, marche con-
tre les Francs et reprend la ville de Cologne (2).
Pendant qu'il est occupé à combattre les Allemands , les
Francs ravagent les contrées voisines du Rhin et s'empa-
rent de deux châteaux romains situés aux bords de la Meuse;
mais Julien parvient à les en chasser et les contraint a de-
mander la paix (3).
En 358, Julien force les Francs Salions, qui avaient
envahi le territoire des Toxandres , à reconnaître la supré-
matie romaine et chasse les Chamaves de la Bâta vie, que ces
barbares avaient envahie (4).
En 360, Julien, proclamé Auguste a Paris, pénètre dans
la Germanie , ravage le pays des Francs Attuaires , cjui
avaient infesté les contrées limitrophes du Rhin et les con-
traint à demander la paix (5).
En 368 , les Francs et les Saxons , enhardis par la
mort de Julien, font de nouveau des incursions dans les
Gaules (6).
En 369 , Valentinien les oblige a se tenir en repos.
En 370 , cet empereur défait les Saxons sur le territoire
des Francs (7).
En 374 , Macrien , roi des Allemands , ravage le terri-
toire des Francs et périt dans une embuscade que lui
avait dressée le roi Mellobaude (8).
(1) Amm. Marcel., lib. 15.
(2) Idem., lib. 16. Jullani, Orat. ad Athen.
(3) Amm. Marcel., lib. 17.
(4) Idem.jibid. Juliani Orat. ad Athen. Eunapii Excerpta de legationib.
(5) Amm. Marcel., lib. 20.
(6) Idem., lib. 27.
(7) Hieron., Chron. Orosii Hist Rom., lib. 7, e. 32.
(8) Amm. Marcel., lib. 30.
- 469 —
En 377, Richomer , Franc de naissance et remplissant a
la cour de Constantinople la charge de cornes domesticus^
est envoyé contre les Gotlis, qui ravageaient la Thrace (1).
En 379, Gratien envoyé au secours de Thëodose, en
Macédoine et en Thessalie , Baudo et Arbogaste , deux
chefs francs entièrement dévoues aux Romains (2).
En 382 , Priam est élu roi des Francs , suivant la chro-
nique de Prosper.
En 384 , le Franc Richomer , obtient la dignité de con-
sul romain.
En 385 , Baudo , autre chef franc , remplit la même
charge.
En 388, les Francs et les Saxons servent, en qualité
d'auxiliaires , dans l'armée de Maxime, et se réunissent au
parti vainqueur , après la défaite et la mort de cet usurpa-
teur, près d'Aquilée (3).
Arbogaste tue Victor, fils de Maxime. A la même époque,
Genobald, Marcomir et Sunno , généraux francs, font
une irruption dans la seconde Germanique et défont Hera-
clius, tribun des Jovinianiens , et Quintus, qui avaient
pénétré sur leur territoire (4).
En 389, les Francs dévastent les Gaules, et contraignent
Valentinien à acheter la paix (5).
En 392 , l'empereur Valentinien est tué près de
Vienne (en Dauphiné), par Arbogaste, et remplacé par
Eugène (6).
Arbogaste attaque ensuite Sunno et Marcomir , rois
(1) Amm. Marcel!., lib. 31 , c. 70.
(2) Zos., lib. 4.
(3) Ambros., Epist. 40, ad Theodos.
(4) Sulp. Alex., lib. 3, apud. Greg. Turon., 11b. 2,
(5) Sulp. Alex., lib. 4, apud, Greg. Turon., lib. 2.
(6) Greg. Tur., lib. 2. Zos., lib. 4.
— 470 —
francs, les défaits et les oblige à demander la paix (1).
En 393, Eugène conclut un traité d'alliance avec les
Francs et les Allemands (2).
En 394 , larmée d'Eugène , composée de Gaulois et de
Francs, est taillée en pièces par Théodose ; Eugène périt dans
le combat, et Arbogaste est contraint a se donner la mort (3).
En 395 , Stilicon fait la paix avec les Francs (4). Arca-
dius, épouse Eudoxie, fille de Baudon.
En 397 , Marcomir ayant voulu rompre la paix, est
exilé en Etrurie (5).
En 399 , Claudien dépeint les Romains en terreur aux
Francs (6).
En 408, les \lains, les Suèves et les Vandales passent sur
le corps aux Francs, traversent le Rhin , et envahissent les
Gaules (7).
En 407, l'armée du tyran Constantin , commandée par
Justinien et par le franc Kevigaste , défait les barbares qui
ravageaient les Gaules (8).
En 408 , les Francs remportent une victoire complète
sur les Allemands (9). Larus envoyé par Stilicon contre le
tyran Constantin , défait et tue Justin et fait périr par
trahison Névigaste. Constantin leur substitue le Franc Edo-
linchus et Gérance, qui obligent Larus a se renfermer
dans l'Italie (10).
(1) Greg. Tur.. lib. 2. Paulin. . Vita s. Amhrosii.
(2) Greg. Tur., lib. 2.
(3) Oros., lib. 7. Claudian., de tertio consul. Honorii.
(4) Claudian., in quartum consul. Honorii. Idem. , lib. 1, de Laudih. Sli-
îiconis.
(5) Claudian.. f/e Laud. Stilic, lib. 1.
(6) Cland., in Eutrop., lib. 1.
(7) Oros., lib. 7, c. 40.
(8) Zos., lib. 6.
(9) Greg. Tur., lib. 2, c. 9.
(10) Zos., lib. 6.
— 471 —
En 409 , les Francs pillent et brûlent la ville de Trêves
pour la seconde fois (1).
En 410, on voit servir des Francs, en qualité' d'auxi-
liaires, dans l'armëe de Constant, fils de Constantin (2). On
trouve aussi à cette date, que le Franc Gaison remplit a
la cour impériale la charge de cornes sacraruni largitio-
num , ensuite celles de Magister officinorum et de Mdgis-
ter militum (3).
En 411, Edobic, maître de la milice {Magister militum)
de Constantin, vient au secours de son maître, mais, vaincu
par Constant , il périt victime de la perfidie d'un de ses
amis nommé Edic (4).
Vers le même temps, Jovien usurpe lempire et marche
contre Honorius avec une armée composée en partie de
Bourguignons , d'Allemands, de Francs et d'Alains (5).
En 413, Trêves est saccagée par les Fi*ancs pour la troi-
sième fois (6).
En 415, périrent Théodomer, roi des Francs et Asciîa
sa mère (7).
Les Francs pillent la ville de Trêves , pour la quatrième
fois (8).
En 420 , Pharamond commande aux Francs , suivant la
chronique de Prosper.
En 428, Aëtius, préfet des Gaules, rend a lempire la
partie des Gaules voisine du Rhin , que les Francs avaient
envahie (9).
(1) Greg. Tur., lib. 2, c. 9.
(2) Idem., Ibid.
(3) Cod. Theod., lib. 7 et 9.
(4) Sozom., lib. 9, c. 14.
(5) Greg. Tur., lib. 2, c. 9.
(6) Idem., Ibid.
(7) Ibid.
(8) Salvian.jlib. 6, c. 8, 13, 15.
(9) Prosp., Cliron. ilieron,, Chron.
— 472 —
En 431 , le même général défait les Francs et les force a
demander la paix (1).
En 437, Chlodion traverse la foret charbonnière et s'em-
pare de Tournai , de Cambrai et de tout le pays au nord
de la Somme (2).
En 445, Aëtius et Majorin combattent les Francs , qui
avaient envahi le territoire des Atrebates (3) .
En 448, Merovée succède à Chlodion.
En 451 , Attila est vaincu près de Châlons -sur-Marne ,
par Aè'tius, aidé des Goths, des Francs, des Saxons, des
Armoricains et de plusieurs autres peuples gaulois et
germains (4).
En 455, les Francs font une invasion dans les deux
Germaniques (5).
En 458, Childeric succède a Merovée, mais il est bientôt
détrôné à cause de son immoralité. Les Francs lui substi-
tuent Egidius , maître de la milice romaine.
En 464 , Childeric est rétabli sur le trône par les soins
id'Egidius.
En 477 , Childeric combat les Romains a Orléans , et
s'empare d'Angers. Les Francs chassent les Saxons des îles
voisines des côtes de la Bretagne. Childeric réuni a
Odoacre , roi des Herules , subjugue les Allemands.
En 481, Clovis succède a Childeric.
En 486 , il défait Siagrius.
En 491, il soumet les Tongrois.
En 496 , il dompte les Allemands , et se fait baptiser
avec 300 guerriers de son armée.
(1) Idatii Chron.
(2) Greg. Tur., lib. 2, c. 9.
(3) Sidon. Apol., Paneg. Majoriam.
i (4) Greg. Tur., lib. 2,c. 9. Jornand., de Reh. Get, c. 36 et 41. Sidon.
Apol., Paneg. Aetii.
(5) Sidon. Apol., Paneg. Aviti.
— 473 —
En 499, Clovis, joint à Godegesile, roi des Bourguignons,
défait Gondebaud, frère de Godegesile et se rend maître de
la partie des Gaules occupe'e par les Bourguignons.
En 502, Clovis défait les Armoricains.
En 507, il bat , près de Poitiers, Alaric, roi des Visigoths,
et, par cette victoire, étend ses e'tats jusqu'aux Pyrénées,
En 508, il prend Angouléme et Toulouse, reçoit de
Fempereur Justinien le titre d'Auguste et de consul, et
e'tablit sa re'sidence à Paris.
En 509 , il tue de sa propre main Chararic , roi de
Cologne, et réunit ses états aux siens.
En 510 , il fait pe'rir Ragnachaire et s'empare de son
royaume de Cambrai.
En 511, Clovis meurt après un règne de quarante ans,
pendant lequel il expulsa les Romains de toute 1 étendue
des Gaules et y consolida la domination des Francs,
474
CHAPITRE V.
Recherches sur la population de la Belgique durant la domination romaine.
Population et état des Gaules à la même époque.
Nous avons vu que la conquête de la Belgique par les
Romains , n'anéantit pas seulement Tindëpendance des
Belges, mais enleva encore une grande partie de leur po-
pulation déjà si peu nombreuse avant cet événement.
Lorsque Tépuisement total de leurs forces , causé par
neuf années de guerres sanglantes et continuelles, eut con-
traint les Belges a accepter la loi du vainqueur , le calme
qui succéda momentanément à une si longue tempête ne
fut point le calme d'une paix heureuse , mais celui de la
désolation et de la solitude, silence des tombeaux, couvrant
d'un voile funèbre le sol de ce malheureux pays, trempé du
sang de ses généreux et héroïques défenseurs. Aussi lorsque
Strabon dit que la Belgique (dans le sens le plus étendu),
pouvait mettre en campagne jusqu'à 300,000 combattans ,
il a soin d'indiquer que tel était jadis (quondam) le nom-
bre d'hommes en état de porter les armes chez les Belges ,
mais que de son temps leur population mâle et pubère était
loin de s'élever à ce chiffre.
Par la conquête de César , la population de l'Helvétie (y
comprise celle des alliés des Helvétiens ) , fut réduite de
368,000 âmes à 110,000, c'est-à-dire, à un tiers de ce
qu'elle était avant cet événement; et cependant la résis-
tance que les Helvétiens opposèrent à César , ne fut que
très-faible, si on la compare aux efforts désespérés que
tentèrent les Belges pendant plus de neuf années et qui
- 475 —
entraînèrent la ruine totale des Eburons , des Atualiques
et de plusieurs autres peuplades moins considérables , et la
mort de presque tous les hommes en état de porter les
armes chez les Nerviens (1). On serait donc fonde' a croire
que la diminution de la population belge dut être encore
plus conside'rable que celle de la population helvétienne.
Mais comme Ce'sar ne nous fournit point sur les pertes des
Belges des données aussi positives que sur celles des Hel-
vétiens, nous n évaluerons les premières qu'à un tiers de
la population belge, qui, après ces désastres, se serait par
conséquent encore élevée à environ 160,000 âmes (2).
(1) Propè ad intemicionem gente ac nomine Nerviorum redacto.
Ce qui atteste combien les Nerviens, le peuple le plus puissant et le plus
nombreux de la Belgique, avaient souffert dans les premières campagnes de
César, c'est que non-seulement ils ne purent fournir qu'un très-faible con-
tingent à l'armée de la confédération gauloise, lors du soulèvement général
des Gaules , contre César , mais que dans la révolte des Bataves , sous le
règne de Vespasien , à laquelle ils prirent une part active, ils furent faci-
lement réduits par Fabius, qui commandait h une seule légion. « Rentrés
sous le joug, dit Desroches , et voulant effacer la tache de leur défection, ils
tentèrent une diversion en faveur de leurs maîtres (les Romains), et sur le
champ on les voit encore dispersés et battus par les seuls Caninefates, habi-
tans de la Hollande : on ne reconnaît plus là les Nerviens de César , et il faut
convenir que les Bataves. les Francs et les autres Germains font une toute
autre figure dans Thistoire. » ( Histoire ancienne des Pays-Bas aufrich.,
p. 138 ).
(2) Suivant Appien, César, dans les guerres de la conquête des Gaules,
fit mordre la poussière a un million d'ennemis et en réduisit un nombre
pareil en esclavage : Inira decennium enim quo is imferator fuit, quadragies
centena millia ferocium hostium universum de hellata sunt. Ex his decies
centena millia virorum in acie capta sunt, et cœsa totidem. (Appian.,</e
bello Civ.).
Que cette supputation s'écarte ou non de la vérité, toujours est-il que le
conquérant, qui se montra si cruel à l'égard des Venétes , des Helvétiensi
des Atuatiques et des Eburons, ^ne mérite pas plus le titre de Clément ^ que
ses partisans lui ont décerné, que celui de Bon ne convient a Philippe II ,
duc de Bourgogne. Suétone accuse César d'avoir dévasté les Gaules , dans
Tunique but de satisfaire son avarice: In Gulliâ fana fetnplaque deum donis
^ 476 —
Les quarante miile Suèves et Sicambres qu Auguste
transféra sur le territoire des Éburons et des Atuatiques, ne
suffisaient point pour remplir le vide laisse' par la dispa-
rition de ces peuples , dont la population , exterminée par
César, quoique bien faible encore, eu égard à l'étendue de
pays qu'elle occupait, était néanmoins plus que double de
celle des nouvelles colonies de Germains introduites par
Auguste. Aussi Tacite et les écrivains du 4^ et du 5^ siècle
dépeignent-ils la Belgique comme une contrée en partie
déserte et inculte, couverte de bois et de marais. Tel même
est encore le tableau qu'en trace Procope au 6^ siècle, et les
monumens des trois siècles suivans (1), malgré les nom-
breuses colonies de Francs et de Saxons qui s'étaient fixées
en Belgique, soit de force, soit du consentement des empe-
reurs Probus, Maximien, Constance et Julien, pendant
les 3^ et 4<^ siècles.
Cependant si la Belgique avait été soumise à une puis-
sance éclairée et jalouse de s'attacher les provinces nouvel-
lement conquises en les dotant de tous les bienfaits de la
civilisation, en encourageant l'agriculture , l'industrie et les
artsj en un mot, en travaillant au développement de tous
les élémens de la prospérité publique , cette partie des
Gaules aurait pu en peu d'années se remettre de l'état de
referta expilavit ; urhes diruitf sœpius oh prœdam quant oh deîictum (Suet.,
in Cœs. ).
Orose compare les Gaules après la conquête de César, a un malade, pâle,
décharné , défiguré par une fièvre brûlante, qui a tari son sang et épuisé ses
forces (Gros., lib. VI,c. 12).
Si le relevé de la population des Gaules fait par ordre d'Auguste était
parvenu jusqu'à nous, nous verrions probablement que cette dernière ne s'éle-
vait pas alors à 2,500,000 ou 3,000,000 d'ames.
(1) Tania vero earum gentium (Anglorum, Frisonura etBrittonum) est
tnultitudo , ut singulis annis indè homines magno numéro cum uxorihui et
liheris ad Francos emigrent, qui eos in agrorum suorum partem accipiunt
quœ maxime videtur déserta ( Procop., hel. Goth., lib. IV).
— 477 -
misère et de dépopulation où elle avait e'të réduite par les
guerres de César. Mais , quoi qu'en disent certains auteurs
modernes , des Yues aussi grandes et une conduite aussi
généreuse étaient incompatibles avec le gouvernement
romain, le plus tyrannique et le plus mauvais des gouverne-
mens possibles, pire cent fois que celui des barbares qui, au
cinquième siècle, se rendirent maîtres des Gaules.
La plupart des auteurs modernes attribuent 1 état inculte
et désert où les monumens anciens nous montrent la Bel-
gique, aux 5% 6% 7% 8e et 9e siècles et postérieurement
encore , à l'invasion de cette contrée par les hordes germa-
niques et a l'expulsion des Romains; mais si ces écrivains
ne s'étaient pas laissé aveugler par un enthousiasme incon-
sidéré pour ces derniers, ils se seraient convaincus que
cette dépopulation existait depuis un temps immémorial ;
que la conquête de César l'accrut de beaucoup, et que les
Romains, maîtres des Gaules, loin d'y mettre un terme,
la complétèrent parleur despotisme et leur affreuse tyran-
nie; que les Germains qui, au 5« siècle, chassèrent les
Romains de la Belgique, en accrurent plutôt la population
qu'ils ne la diminuèrent (1) , et c]u ils furent accueillis par
(l) On a étrangement exagéré les maux que causèrent a la partie septen-
trionale des Gaules, les fréquentes invasions des Francs, pendant le 3s,le4« et
le 5" siècle. Voici comme M. Guizot s'exprime à ce sujet :« L'invasion ou pour
mieux dire, les invasions, dit ce célèbre historien, étaient des événemens essen-
tiellement partiels, locaux, momentanés: une bande arrivait, en général, trop
peu nombreuse. Les plus puissantes, celles quj ont fondé des royaumes, la banda
deClovispar exemple, n'étaient guère que de cinq a six mille hommes; la na-
tion entière des Bourguignons, ne dépassait pas six mille hommes. Elle par-
courait rapidement un territoire étroit, ravageait un district, attaquait une
ville, et tantôt se retirait, emmenant son butin; tantôt s'établissait quelque
part, soigneuse de ne pas trop se disperser. Nous savons avec quelle facilité,
quelle promptitude de pareils événemens s'accomplissent et disparaissent.
Des maisons sont brûlées, des champs dévastés, des récoltes enlevées, des
hommes tués ou emmenés captifs : tout ce mal fait, au bout de quelques,
— 478 —
les Belges , non en ennemis , mais comme des libérateurs et
des compalriotes qui venaient les rendre a leur ancienne
indépendance et les délivrer d'un joug devenu insuppor-
table (1) ; car le titre de peuples libres et d'aiUës que les
Romains avaient accorde aux Belges , n'était devenu, depuis
que la domination romaine s était raffermie dans la Bel-
gique , qu'un titre illusoire , une vraie de'rision ; et ces
pre'tendues prérogatives n'empêchèrent par les Romains
de faire éprouver aux Belges les effets de cette haine
et de ce mépris qu'ils vouaient a tous les peuples étran-
gers.
Nous le répétons, les titres de liheri, âiaurovofjioi^ ne préser-
vaient pas davantage les Belges du despotisme et de la
tyrannie romaine, que les autres peuples sujets des Romains,
qui ne jouissaient point de ces prérogatives. Les peuples de
la Grande Bretagne, alliés et non sujets des Romains, avant
l'expédition d'Agricola, lesEduens et les Bataves, qualifiés du
titre d'amis et de frères du peuple romain , n'éprouvèrent
que trop combien ce titre était trompeur et combien cette
prétendue alliance et cette confraternité pesaient aux peuples
jours les flots se referment, le sillon s'efface, les souffrances individuelles
sont oubliées ; la société rentre , en apparence du moins , dans son ancien
état. Ainsi se passaient les choses en Gaule au 4^ siècle. » ( Guizot, Cours
d'histoire moderne (1829), p. 205 à 216).
(1) « Que penser, dit M. Raepsaet, de ces autres (auteurs), qui font venir les
Francs dans la Belgique, s'emparer de toutes les possessions des Belges, et
s'y conduire en conquérans et en maîtres? c'est qu ils ignorent que les Belges
étaient plus forts que les Francs, que sans l'insurrection des Belges et leur
confédération avec les Francs , aucune borde de Francs n'eut jamais pu se
maintenir dans la Belgique , et que les Belges vivaient déjà depuis quatre-
vingt-dix ans en état indépendant, lorsque, par un traité formel, ils vou-
lurent bien , en 496 , reconnaître Clovis pour chef commun des deux nations
soumises. » (Raepsaet, Analyse , etc., tom. 2, p. 272). Voir aussi Dubos,
Hist crit. de V établissement de la monarchie franc, dans les Gaules, Dis-
cours prélim. , tom. 1".
— 479 —
qui avaient cru a la bonne foi et a la générosité de ceux
qui se prétendaient les maîtres de lunivers entier (1).
« On nous livre, disait Civilis, chef des Bataves, en s'adres-
sant à ses concitoyens, on nous livre aux préfets et aux
Centurions , qui , lorsqu'ils se sont engraissés de nos
dépouilles et de notre sang , cèdent la place a de nou-
veaux tyrans plus avides et plus cruels encore que les pre-
miers (2). »
Tacite fait tenir le même langage a Florus , chef des Tré-
viriens, peuple dont la condition politique fut , sous la domi-
nation romaine, semblableà celle des Bataves, et à Saccrovir,
chef de Eduens , qualifiés de frères du peuple romain (3).
Mais rien ne dépeint plus vivement l'affreuse tyrannie et
les exactions des gouverneurs de province, que le discours
suivant que Tacite met dans la bouche d'un roi breton :
« Les spoliateurs de l'univers, dit ce prince , s'adressant à
ses compatriotes , les spoliateurs de l'univers , quand il ne
reste plusrien a dévaster sur la terre , vont jusqu'à fouiller
les abîmes de la mer. Si l'ennemi est riche , ils sont insa-
tiables ; s'il est pauvre , ils sont despotes ! tels sont les bri-
gands, dont ni l'Orient ni l'Occident n'ont pu rassasier
l'infâme avidité; les peuples pauvres, comme les nations
opulentes, tentent également leur ambition criminelle.
Piller et exterminer s'appelle chez eux gouverner ; réduire
de vastes pays en déserts , c'est leur donner la paix. La na-
ture a voulu que nos enfans et nos proches fussent les objets
(1) Populi romani conditione sociis, foriuna servis (Cicéro, in Verrem.y
Action, lib. 1).
(2) Tradi se profectis centurionibusque , quos nhi spoliis et sanguine
expleverint, mufari, exquirique novos sinus et varia prœdandi vocabula
( Tacit., Hist, lib. IV ).
[^) Disserehant de continuation e irihuioruw. gravilate fœnoris, sœvitia ae
superbia prœsidentium (Id. . Annal., 1. III, c. 4],
-~ 480 —
les plus chers à nos cœurs; les Romains nous les enlèvent
par la conscription militaire, pour les faire servir dans des
terres lointaines ; si nos e'pouses et nos soeurs parviennent
à e'chapper à la passion brutale et violente de l'ennemi ,
ce n'est que pour être deshonore'es par ceux qui se disent
nos amis et nos hôtes ; non contents de nous enlever tous
nos biens, sous le nom de tribut, ils mettent encore en ré-
quisition les fruits de nos terres , pour la subsistance de
leurs armées (1). »
Tous les documens anciens s'accordent à attester que les
Gaules furent re'duites sous la domination romaine au der-
nier degré de misère et de dépopulation (2) , et qu'à cette
(1) Raptores orhis, postquam cuncfa vastantihus defuere y terrœ , et mare
scrufantur.Silocuples liostis est, avari ; si pauper, ambitiosi, quos nonoriens
non occidens satiaverit : soîi omnium opes atque inopiam pari affectu con-
cupiscunt. Au ferre, trucîdare, rapere , falsis nominibus itnperium, atque
nbisolitudinem faciunt,pacem appellant. Liberos cuique ac propinquos suos
natura carissimos esse voluit; hi per deîectus alibi servituri auferuntur;
conjuges socoresque, etsi liosiilem libidinem effugiant , nomine amicorum
atque hospitum polluuntur ; bona forîunasque in tributum egerunt, in anno-
nam frumentum etc. ( Id. Vita Agric. , c. 31 ).
Yoici un exemple qui vient à l'appui de cette accusation : Le roi des
Iceniens , peuple de la Grande Bretagne , avait institué l'empereur Domi-
tienson héritier, conjointement avec ses deux filles, espérant qu'en sacrifiant
une partie de sa fortune, il échapperait à l'afTreuse tyrannie de Domitien et
pourrait terminer ses jours en paix: mais ce moyen eut un efFet.tout contraire
à celui qu'il en espérait : il vit ses biens envahis, sa maison saccagée, son
épouse maltraitée et ses filles déshonorées. Les Bretons , exaspérés par tant
d'atrocités, tentèrent de secouer le joug des Romains, mais trahis par la for-
tune, leur sort devint plus déplorable encore : Rex Icenorum Prœsugatus ,
îonga opulentia clarus, Cœsarem hœredem duasque filias scripserat, tait
obsequio ratus regnumque et domum suam procul injuria fore : quod contra
vertit, adeô utregnumperceniuriones, domus per servos, v élut capta, vasta-
rentur. Jamprimumuxor Boadicea verberibus adfecta, et filiœ stupro violatœ
sunt. Prœcipui quique Icenorum , quasi cunctam regionem muneri accepis-
sent, arctis bonis , exuuntur, et propinqui régis inter mancipia habebaniur
( Tacit., Annal, lib. XIV, c. 31 ).
(2) Wendelin, un de nos écrivains les plus judicieux elles plus savans,
-^ 481 —
époque et plusieurs siècles après, elles n offraient encore
dans la majeure partie de leur étendue , que le triste et
sombre aspect d'immenses forets, de bruyères et de terres
€n friche. Nous ne finirions pas s'il fallait citer tous les mo-
numens anciens et du moyen âge qui constatent cet état dé-
plorable des Gaules. Il nous suffira de rapporter ici quelques
du 17« siècle, trace le tableau suivant de l'état misérable où furent réduites
les Gaules pendant les quatre premiers siècles de l'ère vulgaire : Tributorum
immanitas ita exhauserat Galliam, ut solitudinem ejus panegyrici testentur
nec historici tantum inculcent : super quâ Galliarum extra Belgicam sub
Romanis egestate calamitosa placet adnotare paucuîa : jam indè sub Tiberio
Frisiif transrhenanus populus, pacem exuere , romanâ rnagis avaritia, quam
obsequii impatientes ( Tacit). Sub Domitiano Galgacus , Britannus ( Vita
Agric), eadem œque atrocia Et hœc quidem extra Galliam. Inira ipsam
verà Galliam quanta fuerit vastitas et solitudo sub imperatoribus sequenti-
hus non est hujus loci expangere. Panegyricus., { si mihi ) dicius anno 292 ,
epochœ nostrœ, satis eam prœdicat per Nervios ac Treviros, Ambianos ,
Bellovacos, Tricasses, Lingones ; hoc estLotharingiam , Hannoniam , Cam-
paniam, Picardiam , Normandiam agrumque parisium : « sicuti pridem tuo^
Diocletiane Auguste , nutu supplevit déserta Thraciœ , translatif incolis
Asiœ, sicut postea tuo, Maximiane Auguste , nutu, Nerviorumet Trevirorum
arva jacentia lœtus postliminio restiliitus et receptus in leges Francus exca-
luit, iià nunc post victorias tuas, Constanti Cœsar invicte , quidquid tn
frequens ambiano et bellovaco et tricassino solo lingonicoqtie restabat, bar-
barus cultore revirescif. Quinetiam illa devotissimavobis civitas Heduorum
in hâc Britannica facultate victoriœ plurimos quibus illœ provinciœ redun-
dabant, accepit artifices : et nunc exstructa instauratione consurgit. Tune
ergo videri fuit quod idem illic provincialihus (Gallis) ad obsequîum dis-
tributos omnes donec ud destinatos sibi cultus solitudinum ducerentur. » In
eumdem sensum ac verba etiam aller panegyricus ( facerem ) : « quid loquar
( ait) , rursus intimas Francorum nationes , non jam ab his locis quœ invase-
rant ( Bataviam scilicet , Menapiam , Taxandriam ), sed à propriis ex origine
suis sedibus Sicambris iransrhenanis , atque ab ultimis barbaries littoribus
uvulsaSf ut in desertis Galliœ regionibus collocatœ , etiam pacem romani
imperii cultu juvarent et arva delectu? » Non potuit explicatius ob oculos
poni squalor Galliarum et solitudo, ad quam removendam , opus fuit ex
iransrhenanis oris acire ultra etiam hostes Letos et Francos , qui arva jacen-
iia colerent , Iributa penderent , delectïbus responderent; hreviter ex vastitate
facerent cuUuram (Wendelin., de lege Sal, c 5).
Tome I. 31
~ 482 -
faits généraux relatifs seulement aux parties des Gaules en
dehors de la Belgique actuelle.
Dans aucune partie des Gaules on ne trouvait autant
d'établissemens romains et aussi rapprochés que sur la rive
gauche du Rhin. Cependant celle-ci et les bords de la
Moselle présentaient encore de vastes espaces incultes et
couverts de bois au quatrième siècle de l'ère vulgaire,
alors même que la ville de Trêves était devenue la rési-
dence temporaire des empereurs (1).
Le canton voisin du Rhin , qui porte aujourd'hui le nom
de Hundsruck , fut , jusqu'au 5^ siècle , une contrée déserte
dans laquelle l'empereur Valentinien établit une colonie
de Huns. Ce ne fut qu'au 10^ siècle , que l'on commença a
abattre la vaste foret de Vieil ( Vila ) , qui couvrait tous les
environs de la ville romaine de Cologne. Le Rhingau, si
célèbre de nos jours par la cjualité supérieure de ses vins ,
ne fut défriché que depuis le 8^ siècle : ce furent les
moines de l'abbaye de Lorch, qui entreprirent ce tra-
vail, et qui, les premiers, y introduisirent la culture de
la vigne. L'emplacement de Creveld et le territoire de
cette ville , une des plus jolies et des plus industrieuses
de l'Allemagne, n'offrirent , jusqu'au 17^ siècle, qu'une aride
bruyère qui fut réduite en culture par des émigrés fran-
çais^ expatriés par suite de la révocation de ledit de
Nantes , en 1685. Dans le court espace qui sépare le bourg
de Goch de la ville de Clèves, on a défriché au siècle der-
nier au-delà de 3300 bonniers de bruyère (2).
Avant la fondation d'Aix-la-Chapelle par Charlemagne ,
l'emplacement de cette ville et les lieux environnans étaient
occupés par une foret , que cet empereur appelle dans un
(1) Iter ingrediens nemorosa per avia solum
Et nvlkt humani spectanê vestigia cvltus.
(. Auson. Mosella ).
(2) Annales Belgique s j tom. 7. p. 33.
— 483 —
diplôme, daté de l'an 804, fbrestum nostriim dquisgra-
num (1). Le bourg de Borcette, a peu de dislance d'Aix-
la-Chapelle, aurait reçu le nom de Porcetum , de la quan-
tité de sangliers qui peuplaient autrefois ce bois (2).
Les parties de la France qui touchent aux provinces
méridionales de la Belgique, offraient pendant les sept
premiers siècles de l'ère vulgaire le même aspect que ceux
dont nous venons de faire mention. Au 8« siècle la foret de
Thierarche ( Theoracid) , s'étendait depuis les sources de
la Sambre jusqu'aux limites de la province actuelle de
Namur, et couvrait presque entièrement la ci-devant pro-
vince du Hainaut français. Une autre forêt , appelée dans
les anciens titres Aridugamantia (l'Arouaise), s'étendait
également des sources de la Sambre , jusqu'aux extrêmes
frontières du Vermandois et du Cambresis; elle couvrait
cette dernière province et le diocèse d'Arras presque entier,
et au XP siècle elle servait encore de repaire à de bandes
nombreuses de voleurs (3). L'emplacement et le territoire
des villes de Maubeuge , Crepin , Condé et Saint- Amand,
étaient compris dans cette forêt. Le défrichement de ces
lieux et l'origine des villes actuelles sont dus à la fondation
(1) Dans une autre charte attribuée à Chariemagne , mais dont on conteste
l'authenticité, on lit : nostk qualiier ad locum qui Aquis ah aquarum cali-
darum aptatione traxit vocahulum ; solito more venandi causa ingressus ,
sed perplexione Silvarum, eirore quoque viarum, à sociis sequestratus veni,
thermas calidaruni fonfium et palalia inihi reperi , quœ quondam Granus
unus de Romanis principibus, frater Neronis etjégrippinœ, à principio covs-
irM^em? (Mirœus dipl., tom. 1, p. 14).
(2) Ilutc à porcorum Syïvestrium oïim frequentia Porcetum nomen ohtigit
(Blondel , Thermarum Aquisgran. , cap. VIII, p. 49).
(3) Hic itaque locus ( monasterium Aroasiœ), super stratam puhlicam
constitutus^ in sylva quœ dicitur Aridugamantia situs [quœ quidem silva à
castra quod dicitur Dusta , usque ad fluvium Samhram tune temporis pro-
iendehatar) , olim spelunca Latronum fuerat ( Vita s. Heldegisi. Boland.
Januar., tom. 1, p. 831).
Dans la charte par laquelle Tévêquc de Cambrai confirme, en 1097. la
-^ 484 —
de monastères au 1^ et au 8^ siècle (1). Il en est de même
du territoire du village de Liessies , à trois lieues de Mau-
beuge , qui , au 8^ siècle , était un bois rempli d'animaux
sauvages (2). La partie de la foret d'Arouaise qui couvrait
au 7^ siècle , remplacement de la ville de Saint-Amand ,
s'étendait encore , au 12^ siècle , sur celui oii fut alors fonde
Tabbaye de Vicogne, à une lieue de Saint-Amand (3).
fondation de Tabbaye d'Arouaise, située a deux lieues de Bapaume, on lit :
in Aridugamantia , in parochia nostra quœ dicitur Rochemieres , locum
vdbis ad serviendum elegistis; qui sicut aliquando fugiendus y velut spe-
lunca latronum fuit, factus est refugium et solaiium ihi transeunfium
(Miraeus, Diplom., tora. 1, p. Î67).
(1) On lit dans la vie de Saint-Landelin iBeatus Landelinus ad locum
sylvis horridutn, quem CrispiniumTiuncupani, sese suhduxil, ibique alterunt
exstruxit monasterium.
On lit dans la légende Sainte-Aldegonde , fondatrice de Tabbaye de Mau-
beuge : Jugiensque noctu in locum nemorosum qui vocatur Meïbodius ,
aliquot diehus ihi latiiit.... qui locus adhuc deserius erat Cœpit sagacissimè
locum excolere , vepribus et arbusiis radicitus extirpatis , habitacula cons-
iruere ( Boland. Acta ss. Jan., tom. 2 , p. 1043).
La cbartepar laquelle Dagobert fit don à Saint-Amand de l'emplacement
où ce Saint fonda l'abbaye , qui dans la suite porta son nom , dit de cet en-
droit : locum situm inter duos fluvios Scarpe et Elnonem à nostra libera-
litate sibi concedi humiliter (cum Amanàus ) pefierit, qui locus licet esset
propter muliam silvœ densitatem ad extirpandum difflcilis, tam,en labore
suo, imo post laborem suum , quieti et usibus deo militantium videbatur op-
portunus (Miraei JDipl. Belg., c. 1).
(2) Cum die quadam in venatibus aprum agitaret (cornes Wibertus), con-
tigit ut eum comprehenderet super fluvium Helpram in loco qui Lœtitia
dicebatur ; cumque, luminibus latè circumductis , loci situm et cotumoditatem
pervidisset , animo incidit ut locum illum, qui prius fuerat ferarum, habita-
lionemfaceret hominum, ac monasterium construeret in honorem deiac sancti
Lamberti [Vita B. Nildrudis , Ap. Mirœum, Chron. Ord. Bened., p. 183
Vita S. Hiltrud., Auct. monacho valciodurensi anonymo saec. XI^ A^ta
Bened. sœc. 3, p. 2).
(3) Tempore namque Ludovici régis Francorum hœc Sylva (Vicogne) pri-
mùm à fratribus nostris incoli cœpit, annis ab incarn. domini 1125 plus
tninusve decursis. Eatenus locus isle spinis ac vepribus cannisque palustri-
hus densus, latehris luporum magis quam habitaculis hominum videbatur
idonevs (Hist. brevis cœnobii viconensis. d'Achery. Spiceleg., tom. 2).
^ 485 ■-
Une épaisse forêt > appelée tristiacensis sjlva et vastus
saltiis , à cause de son étendue , occupait pendant les
sept premiers siècles de notre ère , la majeure partie du
diocèse de Terouenne (1). Malbrancq rapporte qu'ancien-
nement cette foret avait vingt-neuf lieues de circuit, mais
que de son temps , au commencement du 17^ siècle , elle
n'en avait plus que sept. « L'espace depuis Fracfage, jus-
qu'à la petite rivière la Vellule^dit encore cet auteur, pré-
sentait l'aspect d'une vaste forêt, mais nulle part le bois
n'était plus abondant que dans les environs de la ville de
Boulogne : les Romains donnèrent à la plus grande de ces
forêts le nom de sylviacus (2). »
Si de la partie des Gaules voisine de l'Océan , nous nous
dirigeons vers l'est, nous n'y observerons à la même époque
ni une culture plus florissante , ni une population plus
nombreuse. Le territoire de Charleviîle en Lorraine était
entièrement inhabité au 8^ siècle (3). L'Alsace et la chaîne
des Vosges , de notre temps une des parties les plus indus-
trieuses et les plus riches de la France , n'offraient encore
au 7^ et au 8^ siècle, qu'une vaste solitude {y as ta er émus) ^
peuplée seulement par quelques anachorètes et par des
animaux sauvages , tels que l'élan , l'ours , l'urus et le bi--
(1) On lit dans l'ancienne légende de SS. Luglius et Lnglianus, qivi
vivaient vers l'an 700 : Ad valletn quœ Scyredala duitur , quatuor ah urhe
Morinorum Teruanâ interpositis miliaribus ^ cantando per dévia nemora et
inculta loca pervenerunt.
(2) Blagno nemore longe latèque impedita regio à Fracfagio ad Wellulain
fluviolum et ultra. Nullibi vero crehriores et copiosiores sylvœ quant m bono-
neso territorio : potissima fuit à Romanis sylviacus nuncupata (Malbrancq ,
de Morinis et Morinorum rehus , lib. 1, c. 8 ).
(S) Veniens autem Dei duciu in solitudinem ad locum nomine Tin ( Tin
le Moustiers , près de Charleviîle), sibi cœlitus ostensum , ibidem mansil
heatœque virgini basilicam œdifîcavit ( Vita sise Borlindis. Acta Bencd.,
ssec. 111. pars. 1 ).
^ 486 —
son (1). Le pays d'Hagenau, entre le Moter et la Sour, pré-
sentait le même aspect. Le grand nombre de solitaires qui
se retiraient dans cette contre'e déserte , lui fit donner le
nom de sainte foret (2).
L'Helvëtie et la Rauracie , après la destruction presque
complète de leur faible population par Cësar et l'armée de
Galba, ne présentèrent, en majeure partie , qu'un vaste
désert, dans lequel le voyageur apercevait à peine, au
milieu des bois et a de grandes distances , quelques ché-
tives chaumières et de faibles traces de culture.
Bien avant dans le moyen âge, le village de Montfalcon
(1) Monasterîum virorum in eremovnsta^ quœ vosagus appelîabûiur , in
pago alsacensi ( Dipl. Theodorici a" 72B).
L'auteur anonyme de la vie de Sainte- Agile, lequel écrivit cette légende ao
7* siècle, appelle les Vosges : Vasta eremi septa (ActaBened., tom. 1, ssec. 2).
Erat tune eremus Vosagus nomine , dit Jonas , auteur de la vie de Sijlnt
Colomban et contemporain de ce Saint ( Fita S. Calumbani, Acta Bened.
tom. 1. saec. 2 ).
En parlant de l'ancien état des Vosges, l'illustre Schœpflin dit : Antiquio-
ribus illis sœculis tant horidus et incultus fait, ut remotinsimis terris ana-
choretes alliceret , qui tenehricantem solitudinem ejus densissima arboreta
vepra inhubiiareni. Rapprochant ensuite ce tableau de celui que présentaient
les Vosges au siècle dernier, l'auteur ajoute : Veteres illi eremitœ si redi-
rent in vitam, Vogesum in ipso Vogeso quœsituri essent (S chce^pùirà , Alsatia
illiistrata , t. 1 ).
Grégoire de Tours, Venantius Fortunatus et le moine Jonas parlent fré-
quemment des animaux sauvages, tels que l'ours, l'urus, l'élan et des
loaps, qui de leur temps peuplaient ces lieux agrestes : Eremum vastam
Fosagum et aspera vastœ solituditiis scopulosaque locain quibus solœ ferœ f
nrsi , bubalif lupi fréquentes videbantur (Jonas, Vifa s. Columbani). Ista
vasta solitudo, dit la chronique de l'abbaye de Sens , dans un passage de la
vie de Saint-Gundelbert, qui a trait aux Vosges, non iam hominum quant feia-
runi sœvarum liabitatio habebalur et quasi labyrinthus ab hominibus tune
temporis visitabaiiir ( Chron. monast. senon. , lih. 1 , c. 2. Apud Schœpflin,
Alsal. illuslr. ).
Plusieurs autres écrits de cette époque s'expriment de la même manierai
relativement aux Vosges.
(2) Wastelain , Descript. de la Gaule Belg.
— 487 —
et le château de Spiegelberg , dans levéché de Baie (le pays
des Rauraciens), étaient les seuls endroits habites dans
tout le canton actuel de Freyberg, qui a cinc| lieues de
long sur trois de large : le reste de ce canton était couvert
de bois. Ce fut en 1384, qulmmer, evéque de Baie, entre-
prit de défricher ce territoire, aujourd'hui un des mieux
cultives et des plus peuples de la Suisse (1). La valle'e de
laLinth , couverte d'épaisses forêts au 7® siècle, fut donnée
par Urso et Landulphe , deux nobles Rhetiens, aux moines
de Seckingen , qui la mirent en culture. La légende de la
légion thébaine nous apprend que le canton actuel de
Claris était , sous le règne de Dioclétien, entièrement inha-
bité (2). Il en était de même, du temps d'Ammien Mar-
cellin, au 4® siècle, du canton de Saint-Gall et des bords du
lac de Constance , dont les premiers défrichemens sont dus
aux moines de la célèbre abbaye de Saint-Gall (3). Plu-
sieurs autres parties de la Suisse sont également redevables
aux monastères de leur culture et de leur prospérité ac-
tuelles; c'est ainsi que les vallées de Moustier-Granval
(Munsterthal ) , dans l'évêché de Bâle , devinrent produc-
(1) Hentzy, Promenades pittoresques dans Vèvêché de Bâle ^ tom. 2,
page 166.
(2) Idem., tom, 2. Guilhelm., de reh. Helvet, 1. III, c. 6. Loys de Bochat
Mém., sur l'Hùt. anc. de la Suisse.
(3) Hentzy, tom. 2, c. 4.
Le diacre Hillebolde, qui vivait sous le rè^ne de Louis le Débonnaire,
fit à Saint-Gall la peinture suivante du lieu et de l'endroit où ce Saint vou-
lait se construire une cellule, qui donna naissance à l'abbaye et à la ville de
Saint-Gall : ZTœc , ô paire, solitudo aqiiis est infusa frequentibus , asperitate
terribilis , montibus plenaprœcelsis. anguslis vallibus fîuxuosa, bestiis pos-
sessa sœvissimis ; nam prœter cervos et innocuorum greg^is animalium, ursos
gignit plurimos , apros innumerahiles , lupos numerum excedentes , rabie
singulares. Timeo igitur ne si te illuc induxero , ab hujusmodi hostibus
devoreris ( Vita s. Galli, auct. Walfrido Strabonc, Acta Bnned.y sœc. II,
tom. 1 , c. 23).
-^ 488 —
tives et se couvrirent d'une nombreuse population sous îa
protection de labbaye de Moustier - Granval , fondée au
7^ siècle ; que l'abbaye de Pfeflfers livra a la culture le
désert que traversait le torrent du Jamina , dans une
e'tendue de huit lieues carrées (1) , et que le monastère de
Rougemont fit défricher la belle vallée dans laquelle cette
abbaye est située, au pied du mont Piubli, vallée en-
tièrement inculte et déserte avant la fondation de cette
dernière en 1080 ; enfin c'est à l'abbaye d'Ensiedlen , que
la vallée de ce nom , dans le canton de Schwitz , inhabitée
et couverte de bois au 9^ siècle , doit sa population et sa
culture : ce désert s'étendait depuis les Alpes Pennines Jus-
qu'aux bords du lac de Zurich; ces derniers , couverts au-
jourd'hui de charmantes habitations, visités et admirés par
tous les étrangers , étaient eux-mêmes à cette époque en
majeure partie incultes , et couverts d'arbres séculaires ,
de même que les rives du lac de Constance et ceux de la
Limath (2).
Nous avons fait connaître dans un chapitre précédent ,
l'état ancien du canton de Neufchàtel. Celui de Berne , au-
jourd'hui le canton le plus grand et le plus riche de toute
la Suisse , fut, sous la domination romaine , une des parties
de l'Helvétie les moins connues et les moins peuplées : une
vaste foret couvrait presque entièrement le sol de ce canton,
ainsi que toute la partie centrale de l'Helvétie oii les Ra-
mains n'eurent aucun établissement permanent (3).
(1) Simond, Voyage en Suisse.
(2) Qttâdam die sumsit secum ( Meginradus ) scholasticos qiios nutrierat,
et prœdichim lacum {'Tncimum) , transnavigans , intravit eremum, quâ ip-
sius laci litor adjacet et usque ad Alpes Penninas fewr/tY ( Vita s. Galli ).
C'est dans ce désert que Saint-Meginrade fonda, au 9*= siècle, l'abbaye
d'Ensiedlen [Vila s. Meginradi , auctore Bernone abbate (XI seec. ), -^cta
Bened., sœc. ÎV, p. 2).
(3) Voir ci-après le chapitre qui traite de l'origine dos villes de la Belgiqtic.
— 489 —
Le centre des Gaules n'offrait point , pendant les
six ou sept premiers siècles de 1ère vulgaire, un aspect
plus riant que les contrées dont nous venons de parler.
Au cinquième siècle, les environs de Paris ne pre'sen-
taient que des marécages et des bois (1). De même que
la vaste foret des Ardennes couvrait presque entièrement
le nord des Gaules , l'immense foret d'Orléans s'étendait
sur la partie centrale de cette région. En 1671 cette foret
avait encore en surface 121,000 arpens', et en 1827, seu-
lement 85,000 ; 36,000 arpens de moins qu'à la première
époque ; de sorte qu'en ne portant les défrichemens opérés
dans chaque siècle précédent qu'à la moitié de ceux qui
eurent lieu de 1671 à 1827, l'étendue de cette forêt peut être
évaluée, au 4^ siècle de l'ère vulgaire, à plus de 327,000
arpens. Les bords de la Loire même, aujourd'hui réputés
une des contrées les plus florissantes et les plus peuplées de
la France , étaient presqu'incultes et inhabités , plusieurs
siècles après l'expulsion des Romains de la Gaule (2). Aux
Quelques savans préfendent que les cantons forestiers de la Suisse ne
furent point conquis par les Romains et que leurs habitans restèrent pour
ainsi dire inconnus à ces derniers. « Le petit peuple des Waîdsteten (les
cantons forestiers d'Uri , Schwitz et TJnderwald ) , oii les Romains ne péné-
trèrent probablement jamais, était tellement ignoré au 11* siècle, que
lorsque l'empereur Henri II accorda à l'abbaye d'Einsiedlen les terres de
son voisinage, il ne fut pas plus question des indigènes qu'en Amérique,
lorsque les rois de 1 Europe cédèrent aux premiers aventuriers les vastes
contrées qu'ils y avaient découvertes. Il existait parmi eux une vieille tradi-
tion relativement à leurs ancêtres qu'ils croyaient venus de la Suède, etc. »
( Simon, Voyage en Suisse , tom. 2, c. 7).
(1) Dulaure , Hist de Paris, tom. 1".
(2) Taliter autem ipse ( s. Richmirus ) circuiens diversa et paupercula
nique incuîta, pervenit ad uîtimum super fluvium Lid ( la Loire), in loco
qui dicitur modoturris dominica^ qui tune incuUus erat locus et densissimis
fructetis occupalus , sed aptus aliundè propter convenientiam nique piscalio-
nem ad stirpandum, et cellulam inihi œdificandum. Demùin verô Dei uufu
invenit alierum locum non iam longe ah eodcm, super fluvium qui vocutnr
Gundridus ipse cnim tune locus eremus erat einumquam olim ihi hahi-
— 490 ~
environs de Dijon , ville fondée par les Romains , on
trouvait une grande foret où Saint - Sequanus fonda ,
vers l'an 580, un monastère, à cinq lieues de cette
ville (l).
L'argonne , contrée qui s'étend entre la Meuse , la Marne
et l'Aisne , ne consistait qu'en une immense forêt, qui elle-
même n'était qu'une fraction de celle d'Orléans (2). De
grands espaces incultes existaient aussi dans le Poitou :
tel était entre autres l'emplacement de la célèbre abbaye
de Fontenelles , que la légende de Saint- Wandregisile ap-
pelle un repaire de bétes féroces ( lustra ferarum ) (3).
L'Oudon, rivière qui coule près d'Angers, traversait au
7^ siècle une vaste solitude (4). Le Perche, ancienne pro-
tatio hominum f lierai, sed ferarum ei hestiarum ; et uhi tune erat hahitatio
ferarum et hestiarum , modo est habitalio servorum dei ac sanctorum atque
Angelonim convenius (Vita s, Richimiri ( an" 710), auctore fere œquali
Bened., ssec. III ).
(l) Erat autem silva longum nunquam violata per œvum , cujus arborum
summitas pêne nuhes pulsahat. Tune requientibus illis quâ possent silvam
penetrare , callis quidam artuosus eorum refuïsit obtutibus , tantum an-
gustis atque sentuosus , ut difficile possent planfœ uniuscujusque per eum
aequipero gradu incedere , sed perlatum vix pedem pes sequebatur impediente
densitate ramorum (Vita s. Sequaiii. Acta Bened., ssec. I, tom. 1, p. 265 ).
(2) Sallum ingreditur ( S. Rodingus ) Argoennœ soUtudinis ; deside-
ransque invenire locum suis votis commodum , et circuiens montes et colles
et concava vallium, prœ nimia (reor) vustifate, quasi Y astvs locus voca-
tum , quem moderni , mutato no mine , Bellum tocoai, ob puîcherrimum
situni , vocari maluerunt : cujus amœnitatis christi famulus admodum delec-
tatus , junctis sibi in labore fidissimis sodalibus, succisis undique virguUis
et radicibus arborum erutis, diù quœsifum construere cœpit habitationis locum
( Vita s. Rodingl ( circa 880), Acta Bened., sœc. IV, p. 2 ).
(3) Assedit (Wandregesilus). y^a-ia fontem uberrimum qui vocatur Fonta-
nella in eremo quidicitur Gemeticus, ex fsco quem assumpitregali munere :
ibi monasterium fundai'il, etc., (Vita s.Wandregisili (circa 667). Acta Bened.,
Saec. II, tom. 2).
(4) Cum tribus palrib us, eodemardore succensis, summa agilitate ad erenii
soliludinem pervofavit[ë. Albertus) : quam eremi vastitaiem fluvius quidam
nomme Olda (l'Oudon) impelu suo scindebai. Camque per immensam den-
— 491 —
YÎnce française aux confins de l'Orléanais, et le Mans,offraient
au 6® siècle le même aspect que FArgonne , ne formant
comme celle-ci qu'une foret continue , fraction de la forêt
d'Orléans , peuplée des mêmes animaux sauvages que Ion
trouvait dans les Ârdennes et les Vosges : Fancienne légende
de Saint-Carilet cite entre autres le bubale ou taureau
sauvage (1).
Dans le midi des Gaules même, quoique plus peuplé
que les autres parties de cette région , parvenu a un plus
haut degré de civilisation et d'industrie et occupé par de
nombreuses colonies grecques et romaines , on trouvait
pendant les quatre premiers siècles de Fère vulgaire une
grande étendue de terres en friche et inhabitées. Nous lisons
qu'en Fan 440, une nombreuse colonie d'Alains , se fixa sur
le territoire de la ville de Valence , dont une grande partie
était inculte (2). Le territoire d'Autun présentait le même
situdinem siîvarum hnju$ flumînîs ripam offendisseni, et cum hic illacque
per vix inaccessibilia loca grudiendi facultatem qnœrerent, œgre inveniebant ^
presertim cum ibidem nulla hominum . sed esse magis videretur habitatio
ferarum ( Vita s. Alberti. Annal. Bened., saec. 10, pars. 2^).
(1) Vastas expetunt ( SS. Carilefus et Avitus ) Perthesi saliùs solitudi-
nés. Çuas peragrantes , inter opaca quœque nemorum et lustra abditissima
ferarum, obvîum se tuliteorumconspectibus fertilis locus, qui tune Piciacus
dictus, at nunc vocabulo Cellœ sancti Aviti (S. Avy) cognosciiur insignitus,
S. Avitus bâtit dans cette forêt un monastère, et S. Cariîefe se retira
avec deux compagnons dans un endroit encore plus désert dans le Mans, ou
il fonda l'abbaye de Saint Calais : erat namque locus à cujuslibet accessu
secretus in altitudinem eremi à viventium conversatione remotus Erat
nempè , utjam dictum est , locus securus totius externi tumultus et tanturn-
modo feris eremique familiarissimis animaniihus pervius Erat namque
spectabile videre bubalum inter cœtera animaniia venicntem ad eum. ( Vita
s. Carilefi (a" 540), auctore B.Siviardo, initio, saïc. VÏII. Acta Bened., saec. 1,
p. 644 ).
(2) lis (Alanis), quibus Sambida prœerat, déserta Valentinœ urbis rtira
tradita sunt (Cbron. Prosperi , ad. ann. 440).
L'abbé Dubos prétend toutefois qu'au lieu de Valentinœ , il faut lire
Aurelianœ f dans la chronique deProsper, et que c'est au territoire d'Orléans
que furent établis les Alains,
— 492 — ,
aspect , bien que cette ville fut une des plus considérables
des Gaules (1).
Tel e'tait le sombre tableau que présentèrent les Gaules
sous la domination rojnaine et plusieurs siècles après ; ce
qui du reste n'a rien d'étrange si Ton réfléchit a la
faible population des Gaules à l'époque de sa conquête
par César; population qui éprouva des pertes si consi-
dérables dans les guerres longues et meurtrières, occa-
sionnées par cet événement , et qui ne cessa de décroître
sous le gouvernement tyrannique des Romains. Ce qui de-
vrait paraître plus étonnant , c'est que, malgré l'état déplo-
rable où les Gaules furent réduites pendant les quatre pre-
miers siècles de Tère vulgaire, elles ne laissaient pas de
passer pour une des parties les plus riches et les plus floris-
santes de l'empire romain , si une foule de documens
anciens n'étaient la pour attester que la plupart des autres
provinces romaines se présentaient sous un aspect plus
triste encore que les Gaules. C'est ce que nous démontre-
rons dans le chapitre suivant , où nous passerons brièvement
en revue les diflerens pays soumis à la domination romaine,
et où en décrivant l'état politique de l'empire romain ,
nous découvrirons les causes de la misère et de la dépopu-
lation qui se manifestaient dans presque toute l'étendue et
jusqu'au centre de cet empire colossal.
(1) u4b €0 fleœu è quo retrorsum via ducit in Bel^icam, vasia omnia ^
inculta, squalida, muta, ienebrosa (Eumen. Paneg. Constant).
FfV DU TONE PREMIER.
TABLE
DES CHAPITRES CONTENUS DANS CE VOLUME.
LIVRE PREMIER.
PREMIERE PARTIE.
Xa Belgique avant la dommation romaine.
Pageis.
CHAPITRE I. Recherches sur l'étendue de la Celtique, sur Tori-
gine des Celtes et des Celto-Belges et sur leurs émigrations. 1
CHAPITRE II. Expulsion des Celto-Belges par des peuples germa-
niques et établissement de ces derniers dans la Belgique. 27
CHAPITRE III. Position géographique et limites des peuples de la
Belgique avant la domination romaine. 43
CHAPITRE IV. Qualités physiques et morales , mœurs , usages , culte
et industrie des Celto-Belges. "I
§ I. Qualités physiques et morales des Celto-Belges, 63
§ II. Économie rurale et nourriture des Celtes. 75
§ III. Habitations et oppida des Celtes. 89
§ IV. Vêtement des Celtes. ^^
§ V. Mariage, condition des femmes. 99
§ VI. Chasse et pêche des Celtes. 108
§ VII. Condition politique, gouvernement et législation des
Celtes. 112
§ VIII. Culte des Celtes. 116
§ IX. État des lettres, des arts et de l'industrie chez les Celtes. 139
CHAPITRE. V. Qualités physiques et morales, mœurs, usages, culte
et industrie des Germano-Belges. 154
§ I. Qualités physiques et morales des Germano-Belges. 156
§ IL Économie rurale et nourriture des Germano-Belges. 166
§ 111. Habitations des peuples germains. 178
§ IV. Vêtement des Germains. 183
§ V. Lois et coutumes relatives au mariage; condition des femmes
chez les Germains. 189
M TABLE.
5 VI. Armées, armes et tactique militaire des peuples germains. 204
§ VII. Chasse et autres divertissemeus chez les Germains. 218
§ VIII. Condition politique, gouvernement et lois des peuples
germains. 223
§ IX. Culte des anciens Germains, funérailles, etc. 271
§ X. Etat des sciences, des lettres, des arts et de Tindustrie chez
les Germains ou les Germano-Belges, 312
CHAPITRE VI. État physique et aspect delà Belgique avant la domi-
nation romaine. 321
CHAPITRE VII. Recherches historiques sur l'état de la population de
la Belgique avant la domination romaine et sur la population com-
parée des temps anciens et modernes. 331
LIVRE DEUXIÈME.
DEUXIÈME PARTIE.
Xa Belgique pendant la domination romaine.
CHAPITRE I. Conquête de la Belgique par César. Eclaircissemens
de plusieurs points obscurs de cet événement. 365
CHAPITRE II. Repeuplement de la Belgique par de nouvelles colonies
germaniques. 412
CHAPITRE III. Division géographique et administrative de la Bel-
gique sous la domination romaine. 422
CHAPITRE IV. Condition politique et état administratif de la Bel-
gique sous la domination romaine. Annales des Francs jusqu'au
VP siècle. 436
CHAPITRE V. Recherches sur la population de la Belgique durant la
domination romaine. Population et état des Gaules a la même époque. 474
TlTi DE Ll TABLE DU TOME PREMIER.
ERRATA DU TOME l^^.
Page. ligne.
8, 14 la tradition, /wez .♦ la tradition orale.
24, 6 la Nerique , la Rhotie, lisez .♦ la Norique, la Rbëlie.
30, 9 et d'une partie du nord de laFrance, lisez .* et aune partie, ete.
-31, 10 appelées anciennement, /«ez .* appelées de nos jours,
35, 3 (note) citratrd^ lisez : citrâ.
39, 24 Fauteur, lisez : cet auteur.
43, 1 OEduens, lisez : Eduens.
49, 15 les Trévirlens habitaient aussi , /wez .' les Tréviriens habitaient ainsi,
m et 63, 13-23 Teucbtres, lisez : Tenchtres.
63, 2 épars, lisez : éparses.
63, 15 mais par la découverte, lisez : mais encore par la découverie.
75, 23 leur faire renoncer, lisez ,' les faire renoncer.
77, 14 brace, lisez .* brance.
83, 4 (note 3) Cati(^ulus , lisez: Cativulcus.
84, 25 souvent dispersés, lisez : souvent, dispersés.
91, 19 des Bituriges , Z«ez .• de Bituriges.
94, 13 (note 3) Analyse de l'hist. polit, etc., lisez : Analyse de l'histoire des
droits civ. et polit. , etc.
98, 11 tenus, //sez tenues.
103, 31 d'un égard moins guerrier, /wez .• d un esprit moins guerrier.
104, 37 insouciant, Usez : insoucians.
134, 13 mai sao , lisez : min sao.
136, 15 la plus agréable, lisez .' le plus agréable.
138, 5 (note 3) une épée debout, lisez .* une épée, debout.
135, 3 (note 1) cum mortuos etapta cum vifentibuSf lisez : cum mor-
tuis et apta vii^entibus.
151, 8 (note 3) tanta tempestates , lisez : tantas tempestates.
165, 34 Ambrions, lisez : Ambrons.
3 (note 3 ) obrui tillos ^ lisez : ohruit illos.
4 jam propa lisez : jam prope.
166, 3 (note) le mot domos à transposer après trahunt.
forte Vicarius^ lisez : sorte Ficarius ( Horat., 1. III, od. 24).
183, 14 et dans lesquelles lisez : et dans lesquels.
10 (note 3) ecpedum, lisez .• CC pedum.
185, 4 adopté, lisez : adapté.
187, 3 (note 6) un attentat, etc., effacez cette phrase.
193, (note 5) tome 31, lisez : tome 3.
204, (note 1) incursuum, lisez : incursum.
218, 17 ne fissent la guerre, lisez : fissent la guerre.
219, 5 (note 1) per alium ostiurtij lisez : per aliud ostiiim.
234, 2 {no\t\) coacti cii^itatis f lisez : coactiicii^itatis.
248, 9 (^note 2) étaient également, lisez : étaient aussi.
rage.
ligne
278,
9
379,
4
287..
3
292,
6
296,
3
301,
3
300,
18
310,
7
311,
6
318,
14
320,
11
322,
3
325,
14
326,
6
327,
13
334,
9
345,
13
346,
19
353,
5
367,
27
371,
3-5
378,
12
385,
10
388,
30
389,
18
392,
33
393,
23
397,
12
399,
29
399,
2
412,
7
413,
17
19
431,
14
434,
15
16
426,
7
434,
19
438,
26
447,
17
461,
7
462,
23
479,
1
480.
7
le dieu du soleil^ lisez : le dieu soleil.
Frigg., lisez : Frigga.
des conciles, lisez : les conciles.
(note 3) n'avaient accès, lisez : n'avait accès.
(note 4) Jomandes , lisez : Jornandes.
(note 2) Juxta ecclesià, lisez : juxtâ ecclesiam.
les plaines d'Ida , lisez : les plaines d'Inda.
(note 3) ut et ipsis parentes rogati in pro eOf lisez : ut ipsi parentes
rogati pro eo.
(note 1) tanne', lisez .* tanne'e.
entrés , lisez •• entré.
et une partie des Gaules, lisez : et dans une partie des Gaules,
du sud à l'ouest , lisez : du sud à l'est.
et les Vosges et autres forêts , lisez : les Vosges et autres forêts,
verrons, lisez : verons,
pour leur rompre, lisez : pour rompre.
que l'était les Celtes, lisez : que l'étaient les Celtes."
n'était , lisez : ne fut.
plus de vingt fois , lisez : vingt fois.
Pentopole, lisez : Pentapole.
soit qu'il se voyait, lisez .• soit qu'il se vit.
(note) cette opinion , /ziez .♦ cette dernière opinion. L'emplacement de
celte bataille, lisez : l'emplacement de ce ctamp de bataille,
les moins puissantes, lisez .* les moins considérables,
(note 2) tous les anciens, lisez .* tous les auteurs anciens,
lorsqu'il aurait déposé, lisez : lorsqu'elle aurait déposé,
transpirée, lisez : transpiré,
ne s'était présenté, lisez .• ne s'étant présenté.
par la nouvelle qu'il reçut alors, lisez : par les détails qu'il reçut alors,
et captifs , lisez: et en captifs,
les avait défait, lisez : les avait défaits,
ménagés , lisez : ménagé.
l'Arh, lisez .• l'Ahr.
ce peuple qui habitait, lisez .'.ces derniers qui habitaient,
leurs faisaient éprouver, lisez : leur faisaient éprouver,
borné, lisez .• bornée.
à l'est, lisez : à l'ouest.
à l'occident , lisez : à l'orient,
à l'orient , lisez .* à l'occident,
aux trois rivières , lisez : aux quatre rivières,
à gaucbe du Demer, lisez : à droite du Demer.
aux unes , lisez : aux uns.
de lever, lisez : d'élever,
abandonné , /«ez .* abandonnés.
Doni, lisez : Adon.
(note 2) prqfectis , lisez : prœJecLis.
socoj^esque , lisez : sororesque.
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